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Vous dirigez l’équipe de l’IREM qui, depuis 3 ans, accompagne et évalue un programme d’accompagnement scolaire en mathématiques destiné aux élèves de seconde. Ce programme s’appuie sur des ressources en ligne. Comment ces ressources ont-elles été choisies ? Les avez-vous évaluées ?

L’initiative du programme revient au Conseil régional qui a mis en place le projet avec les trois conseillers TICE des Recteurs et les CRDP. Le Conseil régional a lancé un appel d’offres en direction de producteurs de ressources en ligne et six producteurs ont répondu. Une réunion de présentation du projet et des différents produits a été organisée en septembre 2003 et c’est à ce moment-là que nous avons été associés au projet. Les établissements ont été libres de choisir les produits qu’ils souhaitaient utiliser parmi ceux présentés. En fait, quatre produits seulement ont été choisis, trois payants : Paraschool, Maxicours et le produit proposé par le CNED sur la base de la plateforme Paraschool, et un gratuit : les pages interactives Euler, réalisées par l’académie de Versailles. L’année suivante, l’expérimentation a été ouverte à d’autres produits, en particulier Mathenpoche proposé par l’association Sesamath et Wims développé à l’université de Nice.
Il y a donc des services gratuits et des services payants mais, dans le cas de services payants, le coût est pris en charge par le Conseil régional. Les produits les plus utilisés sont en fait Paraschool et Euler. Euler a été dès le début plus particulièrement choisi dans l’académie de Versailles et Paraschool privilégié par les lycées professionnels auxquels l’expérimentation a été étendue en 2004-2005.
Pour évaluer ces ressources, nous avons mis au point une grille d’analyse, et nous avons procédé dans un premier temps classiquement par inspection des produits. Ensuite, nous avons croisé les résultats obtenus avec ceux fournis par l’observation d’élèves travaillant avec eux.

Avant de préciser comment les ressources ont été utilisées par les élèves et les enseignants, pouvez-vous nous dire ce que des spécialistes comme vous en avez pensé ?

Michèle Artigue - Photo DR
Michèle Artigue – Photo DR

Les ressources proposées sont assez diverses. Paraschool, Maxicours et le CNED visent a priori une utilisation autonome de l’élève et essaient de couvrir l’ensemble du programme, en fournissant à la fois des rappels de cours et des exercices. Euler est un produit destiné d’abord aux enseignants qui fournit, entre autres ressources, des fiches d’activités pour les élèves classées par thème et par niveau. C’est aussi le cas de Wims qui permet par ailleurs à l’enseignant de développer ses propres fiches. Quant à MathenPoche, développé d’abord pour le collège, il ne traite au niveau seconde que la partie relative aux fonctions, sous la forme de séries d’exercices interactifs.
Au début, notre analyse des produits commerciaux a été très critique. Le fait de vouloir tout couvrir rapidement, et pas seulement en mathématiques, a eu des répercussions évidentes sur la qualité de ce qui était proposé : des parties cours parfois contestables, des exercices fixés et privilégiant très fortement les QCM avec peu de réponses proposées, des commentaires pas forcément appropriés en cas d’erreur, peu d’exploitation des possibilités de visualisation et simulation offertes par la technologie… Les tâches proposées par Euler ne couvraient pas tout le programme mais nous semblaient en général beaucoup plus intéressantes, elles étaient paramétrées ce qui permettait d’obtenir un grand nombre d’exercices différents d’un même type, et le fait d’utiliser Web-Mathematica permettait d’évaluer des réponses numériques et algébriques diverses.

Mais la première année, les seules observations que nous avons pu faire concernaient les trois produits payants, les plus utilisés, et en particulier Paraschool dont le service commercial était très actif. Pour ceux-là, les observations faites ont confirmé les limites mises en évidence par l’analyse des produits. Les analyses et recommandations qui en sont issues ont été transmises aux entreprises qui en ont visiblement tenu compte. En trois ans, nous avons constaté des évolutions positives, en particulier chez Paraschool, mais pour aller plus loin maintenant, il faut que les producteurs développent des analyseurs d’expressions performants, intègrent des logiciels de calcul symbolique permettant de tester l’équivalence d’expressions, des outils de géométrie dynamique, de gestion graphique, paramètrent leurs exercices, ce qui n’est pas encore toujours le cas. Dans les QCM, il ne faut pas que les réponses fausses soient faciles à repérer et, lorsque les réponses fausses proposées correspondent à des erreurs connues, les messages renvoyés doivent réellement permettre à l’élève de progresser.
Mais c’est plus facile à dire qu’à faire et, sur ce plan, la qualité didactique de l’interactivité proposée par les produits, quels qu’ils soient, est encore très limitée.

En dépit de leurs limites actuelles, ces ressources peuvent-elles être utiles pour accompagner le travail des élèves ?

Dans l’équipe, je dois dire que nous n’étions pas toujours d’accord. La plupart pensaient que oui, à condition d’apprendre aux élèves à les utiliser intelligemment, de choisir soigneusement les tâches et parcours proposés, de privilégier l’aide à l’entraînement sur des tâches relativement simples, de favoriser les utilisations hors-classe. J’ai noté que ceux parmi nous qui enseignaient dans de bonnes classes étaient plus réservés, trouvant que ce qui était proposé manquait d’intérêt par rapport à ce qu’ils proposaient à leurs élèves, notamment en ce qui concerne les ressources commerciales. Ceux qui enseignaient dans des classes plus difficiles voyaient déjà l’intérêt d’avoir des élèves engagés dans des activités mathématiques et travaillant sérieusement pendant une séance entière, la possibilité de se concentrer plus spécialement sur quelques élèves pendant que les autres travaillaient en autonomie.

Vous avez interrogé des élèves et des professeurs qui ont utilisé ces ressources. Qu’en retenez-vous ?

La première année nous avons fait passer des questionnaires auprès des enseignants et des élèves, en début et fin d’expérimentation et recueilli plus de 1000 réponses. Les années suivantes, nous nous sommes limités à des questionnaires enseignants. Nous avons également fait de nombreuses visites sur sites avec des entretiens avec proviseurs, enseignants, élèves et des observations de classes. Au bout de 3 ans, nous commençons à avoir une bonne perception des usages. En général, les élèves essaient de s’engager, ils travaillent, ils font des maths. C’est ce que nous avons vu et c’est ce que les enseignants nous disent. Les plus faibles, ceux qui ont des lacunes importantes, ne peuvent pas s’en sortir seuls, ils ont besoin d’être aidés par le professeur.

De façon générale, nous pensons que ces outils, dans leur état actuel, peuvent être efficaces surtout pour des tâches d’entraînement et de consolidation. Mais dans la mesure où ils ne parviennent pas à produire une interaction didactique de qualité, ils échouent, d’une part à prendre en charge les élèves en difficulté, d’autre part à permettre l’acquisition de notions nouvelles ou à guider de façon intelligente et efficace la résolution de problèmes complexes. C’est leur limite. Mais même pour de l’entraînement et de la consolidation, il faut bien choisir les exercices et aider les élèves à faire le lien avec les tâches usuelles en papier-crayon. Par exemple, dans Paraschool, nous avons souvent observé des élèves travaillant sur des résolutions d’équations. Si des solutions sont proposées, l’élève ayant à choisir la bonne, il n’a pas besoin de savoir résoudre l’équation pour répondre, il lui suffit de tester les différentes solutions proposées. C’est une technique tout à fait pertinente mais pas forcément celle que l’enseignant voulait lui faire travailler. Dans d’autres exercices, sur les équations où les élèves ont à produire la solution, l’aide fournie en cas d’erreur détaille, pour des équations additives ou multiplicatives, quatre cas possibles et donne une formule pour la solution pour chacun des cas. Nous avons observé que les élèves qui échouaient, assez vite recopiaient ces quatre formules. La tâche devenait alors simplement pour eux de repérer dans quel cas ils étaient et de substituer les valeurs des coefficients dans les formules. Si l’on essayait de les orienter vers d’autres stratégies, ils renâclaient car celle-là leur permettait de réussir à coup sûr, malheureusement très momentanément.

En ce qui concerne l’intégration dans les classes, nous avons observé différentes situations. Le plus souvent, les séances de travail avec les ressources sont prises sur les heures d’enseignement, en privilégiant les séances en effectif réduit : séances de module, aide individualisée, parce qu’il leur semble difficile de gérer une classe entière dans cet environnement. Ceci a d’ailleurs posé problème cette année dans certains lycées professionnels où, pour des raisons de moyens, les dédoublements étaient impossibles. De nombreux enseignants ont essayé d’encourager des usages hors classe dans l’établissement ou à la maison, mais cela ne marche que très rarement. Les élèves expliquent cela très bien : quand ils sont chez eux et qu’ils vont sur Internet, ce n’est pas pour y faire des Maths ! De plus, ceux qui sont faibles et étaient au départ en priorité visés se découragent très vite quand ils essaient car ils n’y arrivent pas tout seuls. Et ils voient bien aussi que le fait de réussir les QCM de Paraschool ne les rend pas pour autant capables de résoudre les exercices donnés par l’enseignant. Cette difficulté à installer des usages hors classe est pour nous préoccupante car c’est ce type d’usage, cohérent avec l’idée d’accompagnement scolaire, qu’il nous semblait important de favoriser. A l’une des réunions de début d’année, un lycée a fait état de ses réussites dans ce domaine. Dans ce cas, les familles avaient été directement associées à l’expérimentation et ce type d’association était visiblement dans la culture de l’établissement.

Nous avons également remarqué dès la deuxième année que les ressources étaient davantage appréciées dans les lycées professionnels que dans les lycées d’enseignement général. Cela rejoint ce que je vous ai dit tout à l’heure sur les divergences d’appréciation dans notre groupe. C’est dans les lycées professionnels que nous avons eu les usages les plus réguliers et également, les niveaux de satisfaction les plus élevés de la part des enseignants pour Paraschool. Le fait que les enseignants sont des enseignants de math-sciences et peuvent utiliser Paraschool dans les deux disciplines qu’ils enseignent crée aussi une différence. Dans certains cas, on a même noté une utilisation en français.

Un mot pour finir sur l’initiateur du projet, le Conseil régional ?

Nous sommes très satisfaits de notre collaboration avec le Conseil régional. Les choses ont été claires dès le départ et il n’y a pas eu d’interférence de leur part dans le domaine de la pédagogie. Ce sont les représentants de l’Education nationale, les IPR, qui ont eu cette dimension en charge. Quant à nous, nous étions chargés du suivi et collaborions avec nos interlocuteurs de la Région et les instances académiques. Il n’y a eu aucune pression d’aucune sorte. La région se demandait s’il était intéressant de financer ce type d’opération pour aider les élèves de lycée de zones socialement défavorisées, et sous quelles conditions l’on pouvait développer des usages efficaces. Notre suivi devait lui fournir des éléments d’appréciation. C’est ce que nous avons essayé de faire.

Le Conseil régional finance les manuels scolaires et l’équipement informatique des établissements. Il est normal qu’il se pose la question de l’efficacité des moyens qu’il distribue aux lycées et aux lycéens, qu’il en recherche éventuellement de nouveaux. Par ailleurs, le Conseil régional est préoccupé par l’inégalité d’accès à l’accompagnement scolaire. C’est pour cela qu’il a souhaité lancer cette expérimentation. Le bilan que nous leur transmettons est mitigé. Il y a quelques réussites, il y a aussi beaucoup d’abonnements qui ne correspondent qu’à des usages très épisodiques et il reste beaucoup à faire pour développer une culture d’accompagnement scolaire pour les plus défavorisés efficacement outillée par de telles ressources. Il ne faut pas se le cacher : il y a sans doute un peu de déception, mais il faut aussi se dire que, dans le développement de ce type de ressources pour l’enseignement, nous en sommes encore aux balbutiements. Pour l’avenir, nous avons suggéré au Conseil régional d’inscrire cette expérimentation dans le cadre de projets d’établissement. Les réussites observées concernent en effet des établissements où, même si peu d’enseignants s’étaient engagés dans cette action spécifique, l’usage de ces ressources s’inscrivait dans un projet global de l’établissement et n’était pas un usage épisodique.

Entretien : Serge Pouts-Lajus

Le site du projet :
http://pcbdirem.math.jussieu.fr/SITEscore/ac[…]

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