En
marge du dernier colloque du CRAP, où il participait
à une table-ronde, nous avons posé quelques
questions à Eric
De Saint Denis, une des chevilles ouvrières des
« micro-lycées » qui, depuis
près de dix ans, essaient d’offrir une seconde
chance à des élèves qui ont
quitté le système scolaire en route…
Il est également un des responsables de la FESPI
(Fédération des Etablissements Scolaires Publics
Innovants)
D’où
est venue l’impulsion ?
En mai 2000, au
moment où le CNIRS (Conseil
national de l’innovation pour la réussite
scolaire, créé par J. Lang alors ministre de
l’Education Nationale) cherche des objets
pédagogiques « phare », nous
étions quelques-uns prêts à
démarrer, comme d’autres en France, avec un
projet, des locaux, un proviseur souhaitant s’investir, dans
un collège de la Pyramide à Lieussaint. Nous
investissons une aile désaffectée dans laquelle
des travaux sont faits grâce à une dotation
ministérielle. Dès le départ, les
élèves téléphonent
directement à l’établissement pour
demander à être scolarisés dans notre
structure.
Aujourd’hui,
quelle est la journée-type dans le micro-lycée
où tu travailles, à Vitry sur Seine ?
Chacun de nos 90
élèves arrive dans le lycée
Jean-Macé, inscrit dans l’établissement
avec une carte ordinaire. C’est d’ailleurs une de
nos revendications permanente, d’être à
l’intérieur du système public
ordinaire, et non à l’extérieur. Notre
pari est que ces élèves, qui ont vécu
des scolarités très «
extérieures » puissent retrouver «
à l’intérieur » une forme de
légitimité. C’est une de leur demandes
sociales. Mais en étant à
l’intérieur, nous voulons aussi éviter
des dérives possibles, et garder en tête que nous
voulons que l’Ecole de la République soit son
propre recours. Nous voulons remettre les élèves
en position républicaine, avec un vrai souhait que
l’Ecole publique puisse être à nouveau
inclusive. Les micro-lycées se caractérisent par
cette tension entre la norme et la marge : la marge est
représentée par les parcours scolaires de nos
élèves, tous atypiques, et la norme par la
préparation du baccalauréat « ordinaire
». Si nous étions « à
l’extérieur », ce serait beaucoup plus
lourd à gérer, avec un effet centrifuge alors que
nous cherchons un effet centripète.
Comment
commence la journée d’un de vos lycéens
?
Lorsqu’il franchit la grille et qu’il devient un
lycéen « comme un autre » en enlevant sa
casquette et en montrant sa carte, une élève du
Micro-lycée se rend dans la « salle commune
», poumon par lequel passent tous les
élève et les professeurs en arrivant. On y trouve
les casiers des élèves et des professeurs, le
téléphone, les ordinateurs, où le
fonctionnement général de la structure se fait
« in vivo », sous le regard de tous. Il signe le
« cahier de bonjour », qui tient lieu de cahier
d’émargement et montre qu’il
s’inscrit dans l’espace commun. Il est possible
qu’il arrive un peu en retard, et risque alors de rester dans
la salle commune parce que l’enseignant l’aura
refusé, ou intégre le cours si
l’enseignant l’accepte. Dans cette salle, deux
« permanents » sont là le matin : ce
sont des enseignants chargés de gérer ces
moments, avec cette activité intégrée
à leur service.
Quel
est le contenu de ces moments de classe ?
Ce peut être un
cours « ordinaire » ou transdisciplinaire, mais
aussi de l’aide au travail personnel, de «
référence » comme nous avons
nommé le temps de tutorat hebdomadaire.
Les
élèves ont-ils un projet individuel ?
Non. C’est un menu
général, avec un emploi du temps qui
n’est pas à la carte. Chacun fait le parcours
commun, même si nous pouvons décider
d’accepter des aménagements individuels. Ainsi,
j’ai une élève qui a besoin
d’être salariée, elle ne vient que
certains jours. Environ 10% de nos élèves ont un
menu sur mesure, mais la plupart mangent la totalité du menu
proposé au cours de la semaine.
Et
le contenu des cours est-il différent des autres
lycées ?
Ca peut sembler un cours
normal, si on ne fait pas attention. Mais il y a sans doute une foule
de petits détails qui sont un peu différentes :
la plupart des cours se font porte ouverte, et il n’est pas
rare que des élèves demandent à sortir
au cours de la classe, parce qu’ils ont besoin de respirer.
Certains ont du mal à tenir, et il n’est pas rare
que nous acceptions une petite négociation. Parce que
revenir à l’école, pour ces
élèves souvent majeurs, qui en sont partis depuis
longtemps, c’est difficile. Nous n’oublions pas
qu’il peuvent se demander, le matin avant de venir,
s’ils vont aller à l’Ecole. Le travail
de l’enseignant consiste aussi à l’aider
à y venir et à y rester.
Nombre
d’élèves mangent sur place, dans une
ambiance assez conviviale que partagent les enseignants. Certains
mangent à la cantine, mais elle est assez
éloignée.
Les
élèves ne sont jamais «
mélangés » avec ceux du
lycée « ordinaire » ?
Le sport se fait en
interniveaux, comme certains ateliers. C’est un peu au fil de
ce qu’acceptent les collègues du lycée.
Parfois, les collaborations ne se passent pas très bien et
on renonce à un projet. Mais nous devons concéder
que les concertations avec les équipes
d’enseignants du lycée manquent
d’espaces spécifiques.
«
Vos » élèves se
mélangent-ils facilement avec les autres ?
C’est une question
compliquée. Nos élèves ont souvent du
mal à se remettre en lien avec les
élèves ordinaires du lycée. Quand on
prévoit une rencontre, ils préfèrent
souvent inviter d’autres micro-lycées que ceux
qu’ils côtoient le matin en arrivant. Cependant,
deux de nos élèves sont élus au CVL du
lycée par les élèves «
ordinaires ». C’est la preuve qu’ils
peuvent s’impliquer dans la vie de Jean Macé
à part entière… Mais ils sont toujours
pris entre la marge et la norme, entre la volonté
d’être reconnus et de rester entre eux.
Et
vous, êtes-vous des profs « ordinaires » ?
Comme
pour nos élèves, c’est variable.
Certains cultivent effectivement une
image de prof ordinaire, en même temps, et paradoxalement,
qu’une image
de prof « différent », avec des
pratiques spécifiques en matière
d’enseignement, d’évaluation, de
concertation…Combien d’enseignants dans
votre structure ? avec quel service ?
Nous avons onze
équivalents temps-plein, pour remplir toutes les missions
sauf la gestion qui est faite par l’intendant de
l’établissement. La vie scolaire est
gérée par les enseignants. Nous pouvons avoir un
CPE qui enseigne l’histoire ou le français, quand
il a une qualification pour le faire. Les collègues
acceptent d’être polyvalents : environ vingt-cinq
heures de présence dans
l’établissement, dont environ la moitié
en enseignement et trois heures de réunion hebdomadaire,
auxquels s’ajoutent les tâches de permanence (tenir
la salle commune), le tutorat, l’aide au travail personnel,
les ateliers en collaboration avec des intervenants
extérieurs (théâtre, par
exemple)… Selon sa personnalité, on peut avoir
une partie de service plus importante qu’un autre : je fais,
par exemple, plus de permanence et pas d’atelier. Les
équilibres peuvent changer chaque année.
Comment vient-on travailler dans
ce genre de structure ?
C’est le hasard des
rencontres et des cooptations.
Vous
avez travaillé avec des équipes de recherche.
Pour quels bénéfices ?
Nous travaillons avec
l’équipe d’ESCOL sous la direction de
Patrick Rayou. C’est à la fois
reconnaître notre travail, regarder de près ce qui
pourrait –ou non- être aussi fait ailleurs, sans
volonté de modélisation. C’est aussi
l’occasion de s’interroger sur ce que nous faisons,
nous aider à nous arrêter sur nos pratiques, ce
qui n’est pas facile lorsqu’on est dans le fil de
l’action quotidienne. L’an passé, on
nous a filmé en cours, et nous avons pu comprendre le
détail de nos postures, de nos gestes, et
réfléchir collectivement. Pour cela,
l’équipe universitaire est
irremplaçable.
Ne pas abdiquer sur
la norme, mais trouver les moyens pour aider à pouvoir
l’intégrer…
Et
donc, quelles vous semblent être les pistes à
suivre pour « diffuser » votre expérience ?
Certaines ne sont pas
nouvelles : la question du temps de concertation hebdomadaire
intégré au service, pour éviter
d’attendre le conseil de classe pour se parler des
élèves… Sans doute aussi des temps
identifiés où des enseignants volontaires
pourraient être déchargés de cours,
mais présents pour répondre aux sollicitations
des élèves. Tout cela existe, ici ou
là, lorsque les proviseurs en ont la volonté
politique. Certes, certains enseignants s’en emparent,
d’autres moins.
La discussion n’est
pas neuve, qui scinde les salles des profs depuis des
années, entre ceux qui se disent exclusivement profs pour
enseigner et ceux qui souhaitent se consacrer aussi à
d’autres tâches « éducatives
». Clairement, les enseignants qui travaillent dans les
micro-lycées appartiennent à la
deuxième catégorie, mais ça ne les
rend pas exceptionnels.
Tant que l’Etat recrutera exclusivement sur la
compétence disciplinaire, la césure va durer.
Pourtant, chacun réinterroge en permanence ce
qu’est « être prof », y compris
dans l’ordinaire de la classe et des
établissements scolaires. Mais il ne suffit pas de
s’interroger, il faut arriver à en tirer des
conséquences avec les élèves, autour
de questions simples : est-il normal de mettre un zéro pour
un travail non rendu ? SI un élève n’a
pas rendu un travail, la question me semble être « que puis-je faire
pour qu’il le rende ? ». Ne pas rendre
un travail ne peut être acceptable, mais peut-être
est-il possible de trouver des aménagements pour
qu’il puisse se faire quand même. Lorsque je
propose à un élève de ne pas venir en
cours pour avoir le temps de faire le devoir au CDI, par exemple, je
pourrais sans doute faire de même dans un lycée
« ordinaire ».
Nous ne pouvons pas abdiquer sur
la norme, sur la règle scolaire : il faut venir
en classe et faire son travail. Sinon on ne s’en sort pas !
Mais quand l’élève a du mal
à faire vivre la règle, le professeur a un espace
pour lui apprendre progressivement à la faire vivre,
même quand c’est difficile. Le but des
micro-lycées, ce n’est pas de « faire
avec » en s’habituant aux écarts
à la norme. Nous sommes là pour qu’ils
réussissent le bac. Dans tous les lycées, la
question du travail de l’élève est
centrale, mais je pense qu’il est nécessaire
qu’on en fasse le plus possible en classe. Evidemment,
c’est plus facile en seconde qu’en terminale, mais
il faut pousser à cela. Plus je les engage à
travailler en classe, plus j’ai des chances des
récupérer des devoirs à faire
à la maison. Et si je ne lâche pas
l’affaire, que je vais les chercher sur ce qu’ils
ont à faire, ça vient progressivement. Ca demande
de l’énergie, parfois de courir après,
mais ce n’est pas de la négociation.
Evidemment cet «
ordinaire du prof » est d’autant plus complexe que
les classes sont chargées : dans les
établissements, à 35 élèves
ou avec 8 ou 9 classes différentes comme les professeurs de
langues ou de sciences éco, c’est infaisable. Plus
on scinde en tranches, et moins on donne aux profs les moyens de faire
leur travail.
Une
mesure à conseiller au prochain ministre, qui soit
« faisable » ?
Je ne peux parler que pour le
lycée. Toucher au baccalauréat me semble
fondamental, parce que toutes les classes depuis le collège
sont cadrées sur cet objectif. Pourquoi ne pas remettre les
TPE en terminale, obligatoires et coefficient 4 avec tous les points
qui comptent ? Si les TPE avaient plus de valeur au bac, cela
inciterait les enseignants à travailler ensemble.
Evidemment, pour
qu’elle soit acceptable, il faudrait que la
réforme intègre une part du temps de service en
concertation : pourquoi ne pas proposer un service à 17h de
cours et deux heures de présence dans
l’établissement pour l’aide et la
concertation ? On pourrait le rendre obligatoire pour les nouveaux
recrutés, et sur le volontariat pour les enseignants en
poste. Après tout, quand on change les plaques
d’immatriculations, on ne les change pas tout d’un
coup, mais au fur et à mesure des
immatriculations…
Mes deux enfants, jumeaux, sont en primaire dans deux classes
différentes, je vois bien que les deux maîtresses
travaillent ensemble, et ont du temps pour cela. Les enseignants du
second degré le font toujours en plus de leur service, comme
chacun peut ou veut. L’Etat encourage-t-il le travail
collectif, ou va-t-on rester encore longtemps dans une vision somme
toute très libérale du travail enseignant ?
le site du
microlycée de Vitry
http://www.microlycee94.org
Le microlycée
de Senart
http://ww3.ac-creteil.fr/Lycees/77/micro-lyceedesenart/
La FESPI
http://www.fespi.fr/