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Dans l’académie de Caen, les vacances de printemps commencent le 21 avril. Les premiers jours du mois, en même temps qu’ils préparent la venue d’Edouard Manceau (cf. journal de mars), sont consacrés à l’écriture de nouvelles comptines, sous une forme répétitive inspirée par celle de Luc Bérimont, extraite de L’esprit d’enfance : « Je donne pour Paris / Un peu de tabac gris // Je donne pour Bruxelles / Un morceau de ficelle […] ». Avec Mayotte et galette, A. choisit deux mots présentant une simple similitude graphique, alors que N. (évoquée le mois dernier) réussit bien, comme nous en avons donné précédemment d’autres exemples pour d’autres enfants, de véritables rimes phoniques : Afrique/Frédéric, Asie/souris, en se donnant de surcroît la contrainte de la série des continents (seule une partie des comptines écrites par A. et N. est reproduite).

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Le plaisir est grand également de voir Y. (dont nous avions décrit les difficultés au mois de février) parvenir à écrire, de façon relativement autonome, « Je donne pour Mayotte / une culotte // Je donne pour l’océan / une dent // Je donne pour Lyon / Manon » (le texte est ici reproduit intégralement). Au moment de la mise en commun des productions, des comparaisons entre Mayotte, galette, culotte – par exemple – invitent à un questionnement sur le rôle de la voyelle dans la composition de la rime.

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Une autre activité d’écriture, proposée sur plusieurs séances à partir du 10 avril, va me permettre de faire apparaître les progrès de Si., enfant mahorais que je n’ai jamais encore évoqué. Ses difficultés du début de l’année n’étaient pas identiques à celles de Y. : il se repérait mieux dans les écrits et, de façon plus générale, entrait plus facilement en activité et s’y tenait. Il était cependant incapable de passer de l’écriture en « majuscules bâtons » à l’écriture cursive. Jusqu’à Noël, ses tentatives, sans doute trop contraignantes pour lui, se terminaient souvent par des gribouillages… ou pour le moins ne donnaient rien de lisible.

En janvier, à l’occasion des recherches sur les documentaires animaliers (cf. journal de janvier), il trace avec encore bien des difficultés, mais maintenant de façon lisible : « elle vit mange ». En février, dans une situation de lecture relativement complexe (il s’agit, à partir de 4 reproductions d’animaux légendées – un koala, une mouche, un canari, une araignée – et d’une liste des nombres écrits à la fois en chiffres et en lettres, de renseigner le tableau proposé), il résout sans difficulté le problème cognitif posé, mais 2 des 4 réponses attendues sont encore plus ou moins illisibles.

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Ce qu’il écrit en avril peut donc d’autant plus donner satisfaction. L’activité proposée consiste à inventer des devinettes : les enfants doivent, individuellement, repérer quelques caractéristiques d’animaux qu’ils choisissent (parmi ceux que tout le monde connaît) et les écrire ; à la séance suivante, les feuilles circulent et chacun doit bien entendu répondre aux devinettes qu’il reçoit. Les écrits les moins lisibles peuvent entre temps être passés au traitement de texte. Or, dans cette situation, Si. réussit ce qui pour lui était encore impossible quelques semaines auparavant : ses devinettes sont calligraphiées de telle manière qu’elles peuvent circuler dans la classe sans aucun problème. Les trois exemples donnés, comparables à d’autres productions de la classe, en montrent l’intérêt et la diversité.

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Voici encore l’exemple d’un moment d’écriture caractéristique, souvent répété – ici celui du 20 avril. Après avoir vu un documentaire sur le zoo de Doué-La-Fontaine, chaque enfant va écrire au tableau le nom d’un des animaux… Certains reprennent des noms déjà bien connus (zèbre, girafe, tigre), d’autres sont volontaires pour écrire des noms inconnus : S. écrit alpaga, F. tamarin ; dans ces deux cas, le codage phono-graphémique « littéral » réussi par S. et F. correspond à la forme orthographique. Puis l’enseignante demande : « Et perroquet gris ? ». Certains proposent pai, d’autres … La maîtresse rétablit perr. Puis après le o, les graphies proposées sont successivement k, q, et qu. Pour [e], la maîtresse indique : « Ce n’est pas é, c’est comme dans toi et moi », ce qui induit deux propositions, et puis est.

Quels rôles la production très régulière d’écrits joue-t-elle dans cette classe depuis le début de la grande section… ici en continuité avec les moments d’écriture crayon en main mis en place dès la moyenne section ?

  • En produisant des écrits (presque) tous les jours de classe, ces enfants développent, en premier lieu, une maîtrise graphique qu’il importe de travailler le plus tôt possible, notamment pour ce qui est des enchaînements graphiques complexes et de la rapidité du tracé.
  • Cette compétence a pour conséquence une assurance croissante à l’égard de la « chose écrite », ce qui fait de la page blanche un territoire d’expériences dès le moment de l’accueil (nous l’avons souligné précédemment), alors qu’à l’école élémentaire, elle devient vite « lieu de l’angoisse », si la production d’écrit n’a pas été apprivoisée de bonne heure.
  • Parce qu’elles s’inscrivent dans des contextes spécifiques et diversifiés, ces activités d’écriture impliquent des recherches différenciées dans les écrits affichés, les ouvrages de l’espace-livres, les documents reproduits… donc la structuration progressive de stratégies de recherche propres à chacun.
  • Enfin, dans l’acte même de production de la trace écrite, l’enfant « scrute » les identités des mots : il découvre peu à peu la régularité de certaines correspondances phonèmes-graphèmes, ce qui induit des tentatives d’encodage de plus en plus fréquentes (nous en avons donné divers exemples depuis janvier).

Ces compétences se confortent mutuellement et, pour des enfants comme F. ou S., rendent dès maintenant possible l’automatisation de la reconnaissance de mots en nombre croissant : ainsi se développe un savoir lire<>écrire que des évaluations individuelles, inspirées d’exercices d’évaluation habituels au CP, mettront en évidence en fin d’année scolaire.

Bernard Devanne,
professeur à l’IUFM de Basse-Normandie

A voir également :
– Le « Journal d’une grande section en ZEP » a commencé en janvier :
Janvier 2006
Février 2006
Mars 2006
Mai 2006

– Une tribune de B. Devanne :
« Il ne sait pas lire i2l »

– Une tribune de B. Devanne :
« A propos de la brochure Apprendre à lire« 

2007 – Lire et écrire en maternelle : après la grande section, la moyenne section