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Novembre : Les TPE menacés par Fillon

Le ministre de l’éducation nationale met à l’ordre du jour de la prochaine réunion du Conseil Supérieur de l’Education, le 2 décembre, deux projets d’arrêtés supprimant les Travaux Personnels Encadrés en terminale et modifiant en conséquence le baccalauréat des séries générales. Pour F. Fillon, « la mesure proposée se traduira pour les élèves et leurs professeurs par un allégement de leur charge globale de travail au profit de la préparation de l’examen.. Malgré l’intérêt pédagogique croissant qu’ils suscitent, les TPE sont ressentis en terminale comme une surcharge de travail l’année de l’examen« . L’argument est de peu de poids puisque les TPE sont une option facultative du baccalauréat général, plébiscitée par 9 candidats sur 10 ! Les TPE amènent chaque lycéen à s’investir dans une démarche de recherche suivie par deux professeurs de disciplines différentes où la méthode de recherche est évaluée autant que le résultat final. Le projet ministériel suscite de nombreuses réactions négatives. Pour le SE Unsa, « François Fillon ne se contente plus de surfer sur la vague rétro, il planifie la régression, et les TPE, seule innovation pédagogique d’importance depuis dix ans au lycée, vont être engloutis, sacrifiés sur l’autel du bachotage« . Du coté des parents, pour la FCPE, « le ministre supprime autoritairement, sans la moindre concertation, une démarche pédagogique qui instaurait des relations de travail authentiques entre enseignants, entre élèves et enseignants, entre élèves eux-mêmes, relations fondées sur la coopération et la richesse du travail mené en commun… Par conviction de classe et pour satisfaire la fraction la plus conservatrice des enseignants et des familles nanties de ce pays, le ministre restaure le lycée d’enseignement général conçu comme la seule voie d’excellence, avec un baccalauréat revenu à son caractère napoléonien… Il ruine, sans scrupule, les efforts importants déployés depuis 4 ans par son administration centrale, par les équipes pédagogiques… (Il) rame à contre-courant des évolutions du monde du travail qui ne cesse de solliciter l’aptitude à communiquer, à échanger les savoirs, à travailler ensemble ». Il faut rappeler que l’impact des TPE sur les résultats du bac n’est pas négligeable. La décision est aussi contestée par les lycéens. Pour l’UNL, « les TPE faisaient partie de ces nouveautés qui offrent une vision attractive du lycée. Par cette démarche pluridisciplinaire, l’élève apprend l’autonomie, le travail en groupe et découvre son professeur sous un angle différent, plus ouvert au dialogue« .

Dans un dossier du café pédagogique sur les TPE réalisé en 2001, Raoul Pantanella définissait ainsi les TPE  » Dispositif pédagogique judicieux, les TPE incitent les enseignants à travailler en équipe, à décloisonner leurs disciplines, à collaborer avec les documentalistes, à proposer aux élèves de devenir actifs et de prendre des initiatives pour leurs apprentissages intellectuels. Ils sont destinés, pour deux heures hebdomadaires seulement, non pas à concurrencer les cours traditionnels et à ajouter des contenus à des programmes déjà trop chargés, mais à apprendre aux élèves à devenir un peu autonomes, à chercher des documents, à utiliser les outils informatiques et Internet, à se poser des questions et à y répondre de façon argumentée, à considérer les savoirs scolaires sous l’angle pluridisciplinaire et décloisonné, à prendre la parole en public, à travailler en groupe et coopérer, à mener à bien un projet personnel de recherche et de production. Ils donnent aux lycéens un plus pour la motivation à apprendre et l’accroche personnelle face aux savoirs académiques. Ils les préparent à être actifs, à ne pas attendre seulement des profs qu’ils leur apportent des connaissances prédigérées et cherchent à leur place des documents et des réponses. En terminale, les TPE devaient initier les lycéens à leur futur  » métier  » d’étudiants« . La suppression des TPE ramènerait le lycée général à la pédagogie la plus traditionnelle et mettrait en danger sa difficile, mais nécessaire, démocratisation.
http://actu.voila.fr/Depeche/depeche_emploi_041110112012.e9p946nq.html
http://www.fcpe.asso.fr/article.aspx?id=395
http://www.cafepedagogique.net/dossiers/tpe/index.php

Action commune pour les TPE

« Un très large consensus existe aujourd’hui dans notre pays entre les scientifiques et les pédagogues autour du constat que les lycées doivent développer des démarches interdisciplinaires sous des formes variées pour permettre l¹acquisition de compétences qui ne sont pas strictement disciplinaires (capacité à travailler en équipe, à trouver et traiter l’information en utilisant toutes les technologies et les méthodes disponibles, à mettre en relation les savoirs des différentes disciplines). Les TPE sont l’outil privilégié pour initier ces démarches et faire acquérir aux lycéens ces nouvelles compétences, jugées indispensables dans l’enseignement supérieur et la vie professionnelle. C¹est d’ailleurs en cela qu¹ils constituent l’élément le plus novateur de la réforme des lycées engagée depuis quelques années« . Dans une démarche commune les principaux mouvements pédagogiques (Ceméa, le Crap, Education & Devenir, la Foeven, l’Icem, l’Occe), les grandes associations de parents d’élèves (Fcpe et Peep), plusieurs syndicats enseignants (Sgen, Unsa, Faen), les mouvements lycéens (Fidl, Unl) et la Ligue de l’enseignement demandent au ministre de surseoir à la décision de suppression des TPE. Ils rappellent le succès reconnu des TPE. Rappelons que le pourcentage de candidats au bac général présentant l’option TPE a doublé de 2002 à 2003, où il concerne 85% des candidat, et a encore augmenté en 204, passant à 9 candidats sur 10.

Une pétition initiée par le Café et le CRAP Cahiers pédagogiques

La pétition initiée par Le Café pédagogique et les Cahiers pédagogiques en faveur du maintien des TPE en terminale a réuni près de 12.000 signataires. De nombreuses organisations soutiennent notre initiative : l’AFEF (enseignants de français), le GFEN, Les Clionautes (professeurs d’histoire-géographie), le Snpden (personnels de direction), la Fadben (documentalistes), l’ICEM Freinet, le Foeven ont rejoint la FCPE, la FEP Cfdt, la Ligue de l’enseignement, l’OCCE, la PEEP, le SE-UNSA, le SGEN-CFDT, le CEPEC et Education & Devenir. Parmi les signataires, signalons Philippe MEIRIEU, directeur de l’IUFM de Lyon, qui commente ainsi sa signature : « Les TPE me semblent importants pour les nouveaux lycéens, d’une part, pour leur donner l’habitude de travailler à partir de recherches documentaires personnelles (essentiel pour la réussite en DEUG) et, d’autre part, pour les inciter à réfléchir de manière non strictement disciplinaire (crucial en sciences sociales) ».
http://www.tpe-petition.net

Les scientifiques pour les TPE

Plusieurs associations de spécialistes scientifiques ont écrit au ministre pour demander le maintien des TPE. Il s’agit de l’APBG, l’APMEP, l’UdPPC, l’UPA, l’UPS et l’UPSTI.
http://www.sfc.fr/SocietesSavantes/nonTPE.pdf

Le Snes contre la suppression des TPE

Selon l’AFP, le Snes demande le retrait de l’ordre du jour du CSE (Conseil supérieur de l’éducation) qui doit se tenir le 1er décembre des textes prévoyant la suppression des TPE en terminale. Le syndicat estime que celle-ci témoignerait d’un profond mépris pour le travail des équipes pédagogiques et des élèves engagés dans les TPE.
http://actu.voila.fr/Depeche/depeche_emploi_041130165805.5tsni0pa.html

Le CSE refuse la suppression des TPE

« Nous demandons au ministre de revenir sur cette décision regrettable.. comme le demandent les milliers d’enseignants, lycéens, parents qui en quelques jours ont signé les deux pétitions complémentaires mises en ligne sur ce sujet« . Cette déclaration commune de 13 organisations membres du Conseil supérieur de l’éducation (CSE) (FCPE, PEEP, UNL, FAGE, UNEF, Ligue de l’enseignement, SGEN, UNSA, SE-UNSA, SNPDEN Unsa, FEP CFDT, CFDT et CGT) montre que la pétition initiée par le Café et le CRAP-Cahiers pédagogiques a pesé sur la réunion du CSE. Pour les signataires  » la suppression des TPE en classe de terminale… représenterait un recul considérable pour l’évolution de notre système éducatif. Elle serait, en outre, en complète contradiction avec les objectifs affichés dans le cadre de l’élaboration de la loi d’orientation, à savoir la double nécessité de poursuivre la démocratisation de notre système éducatif et d’augmenter l’accès à l’enseignement supérieur« . Lors du CSE, un premier vote a demandé au ministre de renoncer à la suppression des TPE en terminale. Il a réuni 28 voix pour, 4 contre (CSEN) et 16 refus de vote (FSU). Un second vote a eu lieu sur le projet ministériel de supprimer les TPE en terminale : pour : 4, abstention : 1, contre 45. Pour Roland Hubert (Snes FSU), d’après l’AFP, « l’ensemble de la communauté éducative est contre la suppression des TPE donc le ministère doit l’entendre, on ne peut pas continuer à gérer l’Education nationale en traitant les innovations pédagogiques avec cette légèreté »>.
http://www.sgen-cfdt.org/actu/article703.html
http://actu.voila.fr/Depeche/depeche_emploi_041201104759.1jv8xkc9.html

Les TPE officiellement supprimés en terminale

« Dans chacune des listes des épreuves terminales de l’examen du baccalauréat des séries économique et sociale (ES), littéraire (L) et scientifique (S)… l’épreuve de travaux personnels encadrés est supprimée. » Le Journal Officiel du 17 décembre 2004 publie cet arrêté pris le 9 décembre, qui rentre en application au bac 2006, quelques jours après la réunion du Conseil Supérieur de l’Education qui avait voté contre leur suppression à une quasi-unanimité (45 voix contre 4). Un second texte modifie les horaires en conséquence.
http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnTexteDeJorf?numjo=MENE0402726A
http://www.tpe-petition.net
http://www.fcpe.asso.fr/article.aspx?id=401

L’arrêté sur les TPE au B.O.

L’arrêté qui supprime les TPE en terminale est paru au B.O. en janvier 2005.
http://www.education.gouv.fr/bo/2005/1/MENE0402726A.htm

Fillon et les TPE mobilisent les lycées

« Ca gronde dans les lycées ». Sous ce titre, Le Parisien ne fait pas allusion à la grève des profs mais au mécontentement des lycéens.  » Le ministre dit vouloir une école plus juste mais il prépare le contraire » affirme un jeune.  » La suppression prochaine des travaux personnels encadrés (TPE) déplaît beaucoup. « Avec les TPE, l’élève n’est plus passif mais actif. Cela change des cours magistraux parfois assommants » confie un lycéen au Parisien. La réforme du bac mécontente également.
http://www.leparisien.fr/home/info/vivremieux/article.htm?articleid=245971672
http://www.leparisien.fr/home/info/vivremieux/article.htm?articleid=245971668
http://www.leparisien.fr/home/info/vivremieux/article.htm?articleid=245971671

TPE : une évaluation démontre leur intérêt

De nombreux enseignants ont déploré que la décision de supprimer les TPE en terminale ait été prise sans que le ministère procède à une évaluation de ce dispositif. Il revient donc au CEPEC de proposer une évaluation basée sur 700 élèves venus de 6 établissements. L’enquête arrive à plusieurs conclusions :
– Les élèves interrogés déclarent à 80% avoir fait un apprentissage concret de l’autonomie dés lors qu’ils ont eu à effectuer (et à assumer) des choix. On constate à ce niveau un véritable effet d’expérience : les terminales gèrent mieux des questions les échéances, la répartition du travail, la formulation de problématique, la construction et la communication d’une réponse originale … ce que ne permettra plus leur suppression en terminale.
– Les élèves identifient des acquisitions dans des domaines précis (recherche documentaire, rendre compte à l’oral sont plébiscités), acquisitions qui leur paraissent utiles (qui donnent confiance) dans une perspective de poursuite d’études dans l’enseignement supérieur.
– Deux tiers des élèves estiment que le TPE pose des problèmes de temps… deux tiers estiment que le temps consacré au TPE n’a pas eu d’influence négative sur le temps de travail personnel. Ce qui contredit l’argument ministériel de l’allègement du temps de travail.
– Moins d’un quart des élèves a trouvé la démarche TPE peu motivante : 30 % en première … contre 17% en terminale. Ceux qui ont trouvé la démarche motivante en ont parlé hors du cadre scolaire et se sont senti valorisés.
– A la question finale, « Proposez trois qualificatifs pour décrire les TPE » les 5 occurences les plus fréquentes sont : Intéressant – Autonomie – Travail – Groupe – Enrichissant … A méditer !

Les opinions des élèves, les conclusions de l’enquête sont bien éloignées des propos tenus par notre ministre … surtout ceux de Terminale et à une époque (mai 2004) où la question du maintien des TPE n’était pas encore posée.
http://www.cepec.org/enquetpe/eqtpeelv.htm

Tribune : Les TPE ou la violence

On peut comprendre que le ministère veuille « récupérer des heures » pour dédoubler les classes de langues (le budget n’est pas extensible à l’infini!). On peut comprendre que le ministère trouve la terminale « trop chargée »pour les élèves.
Mais les choix qui en découlent sont un signal fort symbolique.
En quelque sorte le ministère dit au élèves, aux enseignants et parents: « Les TPE sont un gadget qui ne mérite pas d’être au Bac, ce qui est important ce sont les disciplines et ne changez rien à vos méthodes d’enseignement, on vous aidera en dédoublant les heures de langues. Ne changez pas votre manière de travailler individuellement (vous avez la liberté pédagogique !); évidemment on sera parfois obligé de vous « réquisitionner » pour remplacer des collègues ».
De même le concours reste en fin de première année d’IUFM. On perpétue l’erreur initiale et en quelque sorte on admet qu’une formation professionnelle des enseignants n’est pas fondamentale.
Dire que le ministère aurait pu profiter de cette loi pour développer ces TPE qui amènent une autre façon d’enseigner plus motivante pour les élèves, une meilleure préparation de l’enseignement supérieur, une occasion d’un travail d’équipe entre enseignants. Du reste ce travail d’équipe encouragé aurait permis les remplacements sans « réquisition » mais comme allant de soi dans une équipe solidaire et responsable.
Évidemment il était nécessaire d’affronter les lobbys disciplinaires pour trouver les heures nécessaires dans une diminution des heures disciplinaires et dans la diminution en conséquence des programmes !
Doit-on garder l’espoir qu’une autre direction soit prise? Ou bien les enseignants feront-ils les frais d’un immobilisme pédagogique qui sera de plus en plus mal vécu par les élèves n’ayant plus comme ressources, pour se faire entendre, que la violence?

Jacques Nimier
http://perso.wanadoo.fr/jacques.nimier/

Tribune : Supprimer les TPE, c’est toucher à l’emblème d’une réforme réussie – Entretien avec Jacques Richard

Caroline d’Atabekian

Jacques Richard a été directeur du CRDP de l’académie de Versailles et conseiller TICE du recteur de 1992 à 2004. Dans ce cadre, il a été chargé par le recteur en place de coordonner la mise en oeuvre des TPE dans l’académie de Versailles.
CdA : Vous avez signé la pétition du Café contre la suppression des TPE en terminale ; qu’est-ce qui vous a poussé à le faire ?
JR : Si j’ai signé la pétition, c’est que les TPE sont emblématiques. Supprimer les TPE, ne serait-ce qu’en terminale, c’est toucher à une rénovation réussie et acceptée. C’est aussi décourager les chefs d’établissement et les équipes pédagogiques et administratives qui s’y sont impliqués.
Ce dispositif a été soutenu au niveau national et, dans l’académie de Versailles, il a mobilisé toutes les personnes concernées par l’acte pédagogique, aux niveaux académique, départemental, mais aussi aux niveaux des bassins et des établissements où un travail de fond a été mené. Les collectivités se sont aussi impliquées : en Ile-de-France, le conseil régional a lancé une campagne d’équipement des salles multimédias pluridisciplinaires. Très vite, avec les TPE, l’équipement des lycées est monté à une moyenne de 2,3 salles par établissement (1 à 4 salles selon les lycées).
C’est une rénovation qui a été acceptée par les chefs d’établissement et par les enseignants qui étaient réticents à l’utilisation des TICE, ce qui n’a pas été le cas des Itinéraires de découverte, qui n’ont pas été soutenus de la même manière au niveau national. Or il n’y aura pas de rénovation pédagogique sans intégration des TICE.
CdA : Avez-vous rencontré des résistances de la part des enseignants, en mettant en place les TPE dans l’académie de Versailles ?
JR : Les TPE constituent une démarche innovante : c’est l’une des rares rénovations où les critiques exprimées par les équipes éducatives n’avaient pas ce côté défensif que l’on connaît dans ce métier difficile, mais plutôt un côté offensif et fondé, je pense tout particulièrement aux remarques des documentalistes sur leurs difficultés, à celles des proviseurs sur le fonctionnement de leur établissement ou encore à celles des enseignants en général qui dans certaines académies manquaient d’équipement et de connexion au réseau (ce n’était pas le cas pour Versailles grâce à l’action du conseil régional). La réaction des enseignants (notamment sur la liste TPE-TICE) a été généralement faite de critiques pratiques.
Sur Versailles, une enquête en ligne (pour savoir comment étaient menés les TPE) a montré l’adaptation des enseignants aux TPE. Elle a permis d’estimer que 60 % d’entre eux ont plébiscité les TPE. Quand plus de 50 % d’enseignants participent à une rénovation, on peut considérer que c’est un succès et qu’on est bien engagé dans l’acceptation de la réforme. Car, faire changer les méthodes pédagogiques dans un métier aussi difficile que celui-ci, ce n’est pas aussi simple que de changer les méthodes de travail dans une entreprise.
CdA : Vous dites que cela a permis de convaincre non seulement les enseignants mais aussi les syndicats, d’abord réticents : qu’est-ce qui les a convaincus finalement ?
JR : Ce qui les a convaincus, c’est qu’ils ont été obligés de se pencher sur ce qu’il se passait dans les établissements, et de constater l’adhésion des élèves et des enseignants. Restaient seulement les problèmes techniques que rencontraient les équipes éducatives.
La forte médiatisation des TPE a montré qu’il y avait une avancée. Les syndicats ont en général une guerre de retard pour ce qui concerne la pédagogie (ils ont notamment été longtemps à la traîne sur la
Les corps d’inspection aussi étaient convaincus par les TPE ; les IPR ont adhéré et se sont associés à leur mise en place ainsi qu’un certain nombre d’inspecteurs généraux, qui y étaient très favorables.
CdA : Certains pensent que la pluridisciplinarité nuit au travail disciplinaire ?
JR : Les TPE complètent le travail disciplinaire, qui n’est pas rejeté, bien au contraire. Le travail pluridisciplinaire favorise le travail disciplinaire. C’est aussi, en plus des éléments qui sont le plus souvent cités dans les côtés positifs des TPE, une rénovation qui a permis de se pencher véritablement sur l’oubli des dernières années concernant l’importance de la recherche documentaire et de l’intégration des technologies de l’information et de la communication. Car, côté pédagogie, les TPE étaient fondés sur le retour à l’accès à la ressource documentaire traditionnelle ou en ligne, et sur l’intégration des TICE.
CdA : N’y a-t-il pas aussi une crainte pour certains de voir disparaître un enseignement traditionnel ?
JR : Je m’étonne que certains grands pédagogues et intellectuels, qui ne pratiquent pas les TICE, négligent leur importance. Pour l’anecdote, je me souviens, lors des entretiens de Nathan il y a plusieurs années, que Philippe Mérieu, interrogé sur les TICE, avait répondu : « Sur les technologies, je ne peux pas répondre, je ne les connais pas. » Il a, depuis, bien sûr évolué. Les TPE, comme les PPCP au lycée professionnel, allaient pourtant vers une adaptation de l’enseignement à l’évolution de la société.
Il y a aussi une dérive réactionnaire : être réactionnaire ici, ce n’est pas être contre les TICE, mais opposer systématiquement tradition et modernité. C’est, par exemple, Alain Finkelkraut, qui réfléchit sur l’école en fonction de celle qu’il a connue lui-même en tant qu’élève, et qui ne se projette pas dans l’avenir pour penser à l’école que devraient avoir ses enfants ou ses petits-enfants. Ce n’est pas parce qu’en maternelle on fait du couper/coller avec une souris qu’on oublie les ciseaux et la colle.
Il y a bien sûr un enseignement traditionnel nécessaire, il n’est pas question de faire seulement des TICE. Dans les établissements où les TICE fonctionnent bien, 10 à 20 % du temps scolaire leur est dévolu.
Il faut d’ailleurs cesser de parler d’« informatique », comme vous le faites vous aussi dans le texte de la pétition, et d’« audiovisuel » : ce sont des termes désuets qui ne reflètent pas l’évolution considérable des 10 dernières années. Les technologies de l’information et de la communication sont la mise en synergie de trois techniques : l’audiovisuel, l’informatique et les télécommunications. Parler d’informatique est donc une erreur qui ne peut conduire qu’à la maîtrise du seul ordinateur alors que les TIC touchent l’ordinateur, son environnement, l’image, la ressource documentaire, l’acte pédagogique, la circulation de l’information dans l’établissement et… le concept d’une nouvelle démarche citoyenne. Les ministres ont toujours employé le terme « informatique », comme s’il s’agissait de bureautique. Si on étudie les travaux des élèves, on voit qu’ils utilisent aussi beaucoup l’image, notamment la vidéo. Il faut donc intégrer dans la discussion sur le maintien des TPE, l’intégration des technologies d’information et de communication et du changement qu’elles peuvent opérer dans l’évolution nécessaire des pratiques pédagogiques, sans pour autant renier une partie de l’enseignement « traditionnel ».
CdA : Le ministre a estimé, lors de sa conférence de presse, que c’est un tort d’utiliser les TICE seulement lors des TPE, et que tous les enseignants devraient les utiliser régulièrement en classe. Qu’en pensez-vous ?
JR : On ne peut pas séparer les TPE et les TICE, de même qu’on ne peut pas d’un côté supprimer les TPE, et de l’autre affirmer vouloir favoriser l’usage des TICE. Les TICE constituent un début de rupture avec l’architecture napoléonienne des établissements scolaires (salles de 30 à 35 élèves, cours de 55 minutes, pauses de 5 minutes entre deux cours…). On ne fera pas entrer les TICE par les seules disciplines, mais par le travail pluridisciplinaire. Les TPE sont la seule solution pour faire comprendre que la nécessité d’évoluer passe par un travail en équipe, et il n’y aura pas d’évolution des TICE sans évolution des pratiques pédagogiques.

Propos recueillis par Caroline d’Atabekian