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Des travaux universitaires sur le B2i

par Bruno Devauchelle

Une thèse (Bruno Devauchelle), un DEA (Catherine Christin), plusieurs mémoires de maîtrises (Sabrina Blondel…), plusieurs dossiers d’études professionnelles ont été réalisés au cours de ces trois dernières années. Et soutenus entre mai et septembre 2004. Nous n’avons pas eu connaissance de tous les travaux réalisés sur ce thème (nous avons aussi recueillis des mémoires professionnels d’enseignants en formation). Cependant nous serions heureux de pouvoir les recenser et d’en faire part dans un document ultérieur. Il nous semble en effet que le recensement et l’exposition de ces travaux ne peut que renforcer la connaissance de ce qui est en train de se passer et ainsi de concourir à ce que chacun comprenne mieux ce qui se passe autour de ce « B2i ».

Sans prétendre à l’exhaustivité, nous vous proposons quelques passages des travaux auxquels nous avons eu accès.

– Le travail de Catherine Christin

Dans ce DEA en sciences de l’éducation, soutenu à l’université de Haute Bretagne Rennes 2, Catherine Christin, maître formateur à l’IUFM de Vannes, se propose de travailler la question suivante : « Nous pouvons alors poser la problématique suivante : La mise en place du B2i obligatoire à l’école élémentaire va-t-elle aider à réduire la fracture numérique dont on parle dans le paysage social et économique français ? Nous posons comme hypothèses de recherche : le brevet informatique et Internet en tant qu’innovation doit intégrer :

  • Une modification des pratiques
  • Un nouveau modèle d’évaluation
  • Un soutien institutionnel

– Elle conclut son travail sur ces pages : « Pour mener notre recherche, nous nous sommes appuyés sur un échantillon de trente quatre individus. La taille de cet échantillon fait qu’il ne peut prétendre être représentatif de l’ensemble de la population enseignante de l’école élémentaire. Il en est de même pour la représentation de l’établissement comme structure, même si nous avons eu le souci de les varier. Néanmoins, l’hypothèse avancée : « Pour être réussie, la mise en place du brevet informatique et Internet doit intégrer, en tant que réforme innovante :

  • Une modification des pratiques
  • Un nouveau modèle d’évaluation
  • Un soutien institutionnel

semble avoir été confirmée par notre enquête ».

Nous nous sommes demandés comment les enseignants accueillaient sur le terrain la mise en place obligatoire du brevet informatique et Internet. Nous nous sommes intéressés à la connaissance qu’ils avaient du B2i, à sa mise en place ou non mise en place, aux différents obstacles qu’ils pouvaient rencontrer par rapport à ce brevet.

Cette réforme est certes innovante. Elle est innovante par les outils qu’elle met en œuvre qui sont à la pointe de la technologie mais innovante aussi par le bouleversement des pratiques pédagogiques qu’elle suggère (apprentissage par projet, évaluation formative, co évaluation). Cette réforme est donc à la fois une innovation technologique et une innovation pédagogique. C’est une réforme très ambitieuse ce qui s’est traduit par un accueil très inégal sur le terrain. L’accueil de cette innovation dépend à la fois de la stratégie des acteurs et de « l’effet d’établissement ». Compte tenu de ces observations, nous avons été amenés à répartir les enseignants confrontés à la mise en place du B2i dans quatre types de profils : les immobilistes, les attentistes, les légitimistes et les avant-gardistes.

Pour les individus de ces profils, la mise en place du B2i s’échelonne sur différents paliers. Voici quelques points sur lesquels notre enquête a permis de conclure. Les immobilistes refusent de le mettre en place. Les avant-gardistes et la moitié des légitimistes le mettent en place en respectant l’esprit de celui-ci ; l’autre moitié des légitimistes le met en place en délaissant son esprit innovant.. Seul, le groupe des attentistes ne « s’est pas encore lancé à l’eau ».

Nous avons également remarqué comment la prise en compte institutionnelle pouvait influencer ou non la mise en place du brevet. Seuls deux IEN sur quatre de notre échantillon en tiennent compte lors de leurs inspections.

Pour ce qui est de la connaissance du Brevet quant à la définition du sigle et du contenu, les avant-gardistes connaissent parfaitement les deux. Les légitimistes n’ont pas tous une connaissance entière du sigle : le deuxième i n’est pas identifié et le domaine d’Internet est méconnu. Les attentistes et les immobilistes, connaissent peu la définition du sigle et encore moins le contenu.

Les principaux obstacles avancés pour justifier des difficultés de la mise en place ou pour justifier de la non mise en place sont pour l’ensemble des enseignants le temps de classe à y consacrer, la fiabilité des équipements, le manque de formation, le niveau de compétences des enseignants et l’investissement personnel. Tous ces obstacles sont liés à la fois à un manque de formation technique et pédagogique. Cela aura des incidences quant à la formation continue : si nous voulons que les attentistes rejoignent les légitimistes ou encore mieux les avant-gardistes, il lui faudra avoir de nouvelles exigences.

Comme nous l’avons dit, la formation continue doit être pensée différemment. Il faudra s’efforcer d’intégrer les TIC à toute action de formation en évitant les moments « décrochés ». L’offre de formation devra s’adapter : former les enseignants à la maîtrise de l’outil informatique, les impliquer dans les processus de changement, les accompagner sur le terrain et enfin reconnaître, en validant, leurs compétences.

Il est vrai que les nouvelles technologies ont modifié le métier d’enseignant en introduisant un tiers dans la relation pédagogique. Dans certaines situations, l’enseignant devient un médiateur entre l’élève et toutes les connaissances auxquels l’ordinateur donne accès. N’étant plus le seul dispensateur de savoirs, il a un rôle d’aide, d’accompagnement, sans perdre de vue le devoir de former ses élèves à la maîtrise de l’outil technologique (l’informatique et l’Internet). On voit bien, dans cet aspect de la mise en place du B2i, l’importance de l’accompagnement et de la reconnaissance. De plus, les nouvelles technologies, par la mise en place de réseaux intranet et Internet, de plateformes de mutualisations, de banques de données, modifient les relations des enseignants au sein de l’établissement et avec l’institution.

Un autre aspect évoqué est celui de la fracture numérique.

Le B2i a été rendu obligatoire, dans le cadre du plan Re/SO7, afin de donner « un nouvel élan au chantier de la société de l’information » ce qui, pour le Premier ministre devrait contribuer à réduire cette fracture : accélérer la diffusion et l’appropriation des TIC, dans le but de construire une société de l’information partagée, une société de l’information pour tous.

Tout au long de notre travail, nous avons vu en quoi l’école, « socle de la Société de l’Information », doit être un des premiers lieux d’apprentissage des nouvelles technologies.

Devant ce constat d’une fracture numérique qui se traduit pour les élèves par un partage entre ceux qui ont la possibilité d’avoir accès à ces technologies, sous quelles formes que ce soit, et ceux qui en sont exclus, le rôle de l’école, et donc celui des enseignants, est prépondérant. Nous avons pu constater que tous n’ont pas la même conscience de l’enjeu. En reprenant nos catégories de profils, notre étude montre que tous les « immobilistes » et la moitié des « attentistes » soit n’ont jamais entendu parler de fracture numérique, soit n’ont aucune idée de ce que cela peut être. La prise de conscience augmente avec l’autre moitié des « attentistes » pour culminer à 100% avec les « avant-gardistes ». Tous les enseignants n’ont donc pas intégré l’importance de ces enjeux afin de tout mettre en œuvre pour s’efforcer de faire que l’école puisse réduire, par sa mission d’instruction, la fracture numérique.

Reste un dernier aspect, et non des moindres, celui du rapport à l’innovation. Nous avons pu croiser à travers nos quatre profils la théorie de Monica Gather Turler sur les différentes caractéristiques de l’établissement qui infléchissent ou non la probabilité du changement. Nous n’affirmons pas ici que sa théorie est confirmée dans notre travail de recherche, nous pondérons en disant que nous avons pu trouver certaines similitudes entre ses travaux portant sur des établissements Suisses et les constats faits dans les établissements de notre échantillon ( écoles élémentaires ou primaires).

Nous avons pu constater :

Aucune des six caractéristiques des établissements favorables au changement n’ont pu être recensées pour les immobilistes, deux l’ont été pour une partie des attentistes.

Pour une partie du groupe des légitimistes quatre des six caractéristiques ont pu être relevées quand aux avant-gardistes cinq des caractéristiques favorables au changement semblent être vérifiés. Il semblerait que « l’effet établissement » ne joue pas de rôle chez les immobilistes et les attentistes, il en a un chez les légitimistes et chez les avant-gardistes le rôle est important.

Face à cette idée de double innovation pour la mise en place du B2i, nous pouvons dire :

Les immobilistes ne sont ni dans l’innovation technologique , ni pédagogique.

Les attentistes eux sont dans un début d’innovation technologique (ils utilisent l’ordinateur mais ne se servent pas d’Internet) et ils ne sont pas prêts à modifier leurs pratiques pédagogiques, ils ne sont pas dans une innovation pédagogique.

Les légitimistes sont tous dans une innovation technologique (ils utilisent entièrement l’outil informatique et Internet) une partie d’entre eux est dans l’innovation pédagogique. (modifications de pratiques) il reste à changer le regard sur l’évaluation. Quand au dernier groupe, les avant-gardistes, ils sont à la fois dans l’innovation technologique de part leurs pratiques variées de l’outil et dans l’innovation pédagogique ( modification de pratiques et des modes d’évaluation)

Cela nous amène à relativiser, à la fin de cette étude, les ambitions de la formation à envisager pour une mise en place raisonnée du B2i. Ces ambitions, en matière de formation continue, renvoient aux ambitions affichées par le B2i, essentiellement en ce qui concerne son caractère innovant et tout ce que nous avons appelé « l’esprit de la lettre ».

Eu égard à l’urgence que peut être la réduction de la fracture numérique, il conviendrait peut-être d’adopter une position plus pragmatique, pour le moins momentanément, quitte à délaisser provisoirement certains des aspects trop ambitieux de cette réforme. Pour cela, nous devons, dans le cadre d’une formation continue, faire en sorte que le plus grand nombre d’enseignants deviennent pour le moins des « légitimistes », sans perdre de vue le fait qu’ils puissent arriver au niveau des « avant-gardistes »

Nous pensons en effet qu’il vaut mieux mettre en place le B2i le plus largement possible même si l’esprit de celui ci n’est pas toujours respecté. Notre souci est de faire en sorte que le plus possible d’élèves ait une utilisation raisonnée des nouvelles technologies : qu’ils soient capables de faire preuve d’esprit critique pour devenir des cybers citoyens autonomes et responsables.

La maîtrise de Sabrina Blondel ne nous étant pas encore parvenue, nous publions ici le compte rendu des témoignages qu’elle nous a fourni au cours de son travail, en attendant de le présenter plus largement.

Mon mémoire est avant tout un mémoire de stage. Il s’appuie dans une première partie sur les textes traitant du sujet (B.o., textes institutionnels, articles de presse, etc.). Dans une seconde, il reprend les activités que j’ai suivi lors de mon stage dans un collège. Je comparerai l’informatique en tant que partie du programme de technologie et l’informatique dans le cadre du B2I. Enfin, j’ai demandé à quelques établissements (primaires et secondaires) de ma région (59) de répondre à un questionnaire à propos de la mise en place du B2I à l’heure actuelle. Les réponses semblent indiquer un intérêt certain pour le dispositif mais une très grande difficulté de mise en place du au manque de temps, de moyen,… Dans cette partie je veux intégrer des opinions personnelles d’individus participants à l’écriture de sites sur les TIC et le B2I en particulier. A travers mon stage au collège et l’enquête personnelle menée auprès d’établissements de ma région, j’ai pu me faire une opinion sur la situation de mise en place du B2i. Les professeurs trouvent le dispositif créatif et ingénieux de par le principe d’inter-disciplinarité, mais également de par la possibilité d’une pédagogie différenciée. Néanmoins, malgré l’enthousiasme des commentaires, la mise en place semble se réaliser avec beaucoup de difficultés ce à cause des contraintes de temps, du manque de structure matérielle et d’une non compensation financière. Ma conclusion est donc que le b2i engendre la situation paradoxale d’un dispositif qui a un grand succès sur le plan théorique plus que sous sa forme pratique. De plus, j’ai cru comprendre que les professeurs ayant étaient réellement intéressés par le dispositif s’en éloignent aujourd’hui. Ils ont l’impression de faire partie d’un groupe restreint assez « bête » pour toujours accepter le travail en surplus. En réalité il semble que les non-volontaires ne le soient pas plus aujourd’hui et que les volontaires d’autrefois se découragent. En réalité je suis presque sûre que le B2I ne s’intégrera jamais tel qu’on a pu l’imaginer lors de sa création. Il demande de trop gros bouleversements dans l’organisation habituelle de l’enseignement scolaire. Les professeurs ne pourront pas, même à long terme, casser les schémas pédagogiques existants. Le manque d’engagements général des professeurs entraîne une démission des volontaires qui se retrouvent surchargés. Je pense qu’il s’agit d’un cercle vicieux et j’aurais du mal à conclure positivement sur l’état actuel du dispositif.

La thèse de Bruno Devauchelle : Le Brevet Informatique et Internet (B2i) : d’un geste institutionnel aux réalités pédagogiques.

La thèse de Bruno Devauchelle, soutenue en mai 2004 à l’université de Paris 8 (direction G. Jacquinot) aborde trois aspects : La construction du B2i, sa diffusion dans l’institution et dans les établissements, sa correspondance avec les pratiques des jeunes auxquels il est destiné. Nous en présentons le résumé suivi d’extraits de la conclusion.

Le développement de l’informatique dans la société a entraîné, depuis 1970, un effort continu d’intégration dans le système scolaire de l’ordinateur et plus largement des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC)

L’informatique qui s’est d’abord développée dans les universités et les entreprises a pris une place de plus en plus grande dans la vie quotidienne et est présente désormais dans de nombreux foyers et espaces publics. Quelle place réserver à ces artefacts technologiques à l’école ?

La publication des textes relatifs au Brevet Informatique et Internet, au mois de novembre 2000 représente un pas de plus dans le développement des TIC dans l’éducation comme dans la société en général. Le B2i, instauré à l’école et au collège, apparaît au moment où les usages des TIC se multiplient en dehors même du système scolaire. Peut-on penser que le B2i soit une tentative de prise en compte de ce nouvel état de fait ?

Au croisement des Sciences de l’Éducation, des Sciences de l’Information et de la communication, et de la sociologie des innovations, notre recherche analyse, à partir du geste institutionnel à l’origine du B2i et de sa mise en œuvre, le développement du processus d’appropriation de l’usage des TIC par les élèves et leur prise en compte dans le système scolaire. La sociologie des usages et l’approche de la traduction fournissent un cadre interdisciplinaire d’étude du processus d’innovation et de construction sociale des usages. Notre travail, interrogeant la place donnée aux enseignements des compétences d’usages des TIC dans le contexte scolaire, tend à rapprocher le concept d’apprentissage de celui d’appropriation, pour analyser et comprendre une évolution dont le B2i est un indicateur.

L’arrivée du B2i, si elle a surpris l’ensemble des acteurs du système éducatif, correspond pourtant à une évolution et à un processus de maturation d’un groupe de responsables qui ont proposé à la communauté un dispositif innovant. La diffusion des réformes et des nouveautés dans le système scolaire est un processus complexe qui, pour le B2i, prend une forme d’autant plus étonnante qu’il ne dérange apparemment pas, structurellement, l’organisation scolaire. La mise en œuvre du B2i, inscrite dans une dynamique d’intégration des TIC témoigne-t-elle d’une évolution qui prend en compte les nouvelles modalités d’usages des technologies par les jeunes élèves ? De nature à la fois politique, institutionnelle, organisationnelle et pédagogique – voire culturelle – la mise en place du B2i, à laquelle nous avons participé, dans le cadre de notre activité professionnelle a rencontré un certain nombre de questions que nous nous étions posées comme formateur d’enseignants et auxquelles ce travail de recherche tente de répondre

Comment se situe cette création dans l’histoire du développement de l’informatique à l’école ? Ce sera l’objet notre première partie qui cherche à souligner les différents repères chronologiques de cette évolution et leur signification, notamment par rapport à d’autres changements disciplinaires et aux finalités de l’école : l’informatique entre enseignement obligatoire ou optionnel, entre nouvelle discipline ou nouvelle modalité cognitive, entre contenus d’enseignement et pratiques sociales ?

Comment a été préparée cette « invention institutionnelle » ? Comment a-t-elle été orchestrée, soutenue et suivie et par qui ? A partir de documents de statuts divers et de témoignages de responsables, nous avons tenté, dans la seconde partie, d’en reconstituer la genèse. Nous avons montré comment ce nouveau brevet s’est imposé du fait de l’évolution du contexte social d’usage des TIC et compte tenu de la difficulté récurrente à intégrer les TIC dans les pratiques pédagogiques depuis de nombreuses années.

Comment est-on passé des textes officiels d’ailleurs très rapidement élaborés, dans le cas du B2i, aux mises en œuvre dans les établissements scolaires ? Le faible taux de B2i organisés dès la première année (évalué à 20 % environ) est un des premiers indicateurs. Nous avons aussi collecté de nombreux documents issus de sources multiples et leur analyse, liée à notre propre implication et à des observations sur le terrain de classes primaires nous a permis de caractériser le processus de “ mise en œuvre ” (ou de “ non mise en œuvre ”). Il ressort en effet que, comme pour d’autres tentatives d’intégration des TIC dans le systèmes scolaire, la “ forme scolaire ” et l’absence de formation des enseignants constituent un réel frein à la mise ne place du B2i, ce dont témoigne amplement notre troisième partie.

Enfin, puisque, comme nous l’affirmions dès notre introduction et comme en témoignent plusieurs enquêtes, les élèves, du moins pour la majorité d’entre eux, sont des usagers des TIC, notamment des cédéroms et d’Internet en dehors de l’école, on peut se demander d’où viennent les compétences d’usage que le B2i se propose d’évaluer ? Cela motive l’enquête de notre quatrième partie menée auprès de 223 élèves de huit établissements primaires et secondaires, publics et privés, basée sur des questionnaires complétés par des entretiens individuels : elle met en évidence l’importance des usages non scolaires des TIC, quelle que soit l’origine sociale des élèves, avec quelques différences cependant. La place des usages familiaux y est prépondérante et constitue un contexte complexe d’appropriation. Elle révèle aussi la nécessité de l’articulation entre l’école et le “ hors-l’école ” pour permettre à tous une véritable maîtrise dans l’usage des TIC.

L’ « invention institutionnelle » que constitue le B2i a jusqu’à présent trouvé peu d’écho dans le système scolaire et le processus qui permet le passage d’une « invention » à une « innovation » voire à une « adoption » n’a pu être observé, trois ans après la publication des premiers textes relatifs au B2i. D’une part, le système scolaire, et en particulier le collège, ne parvient à faire écho ni à la demande des élèves, ni aux injonctions – certes parfois paradoxales – de l’institution ; d’autre part le processus d’appropriation des usages des TIC par les jeunes continue de se développer en dehors du système scolaire. Il se peut qu’à l’instar de ce que pronostiquait Michel Tardy à propos de l’audiovisuel dans les années soixante soixante-dix, se construise dans le système éducatif, un usager idéal des TIC, très éloigné de l’usager réel que nous avons rencontré.. Le B2i, témoignant de la volonté de réduire l’écart entre ces deux usagers, confirme la crainte des responsables politiques et institutionnels de voir s’aggraver la fracture numérique.

Extraits de la conclusion de la thèse

Après quatre années scolaires de mise en place, le B2i n’a pas encore donné lieu à des pratiques ordinaires dans les établissements scolaires. Les données que nous continuons de recueillir, montrent que de nombreux établissements scolaires, et leurs équipes enseignantes, n’ont pas intégré et mis en place ce dispositif. Simultanément, on observe une multiplication des initiatives, venues de l’institution elle-même ou de ses partenaires, pour promouvoir le B2i. Les rectorats (qui continuent de faire évoluer les contenus des pages Internet consacrées au B2I), les académies (dont certaines accompagnent le B2i par la diffusion d’un CD-ROM comme dans l’académie de Rouen au printemps 2004), les éditeurs (la société Delagrave par exemple, qui propose pour avril 2004 un ouvrage pour aider les écoles à mettre en place le B2i) continuent de développer des propositions pour favoriser la connaissance et la mise en place du B2i. Les enquêtes (1) et les observations, que nous continuons de mener, mettent en évidence l’écart entre les « inventeurs » et les « usagers ». (…)

Evolutions et tendances

L’étude du processus d’intégration des TIC dans le système scolaire, centrée sur le B2i, a mis en évidence, à partir des indicateurs utilisés, des tendances importantes que nous allons expliciter :

– L’évolution de la place du système scolaire dans la construction sociale des usages des TIC

– L’appropriation des TIC par les jeunes comme prenant progressivement la place d’un apprentissage des TIC dans le contexte scolaire

– Le B2i comme tentative de changement paradigmatique centré sur les usages,

– La faible place donnée aux usagers du système éducatif dans le pilotage du système, pour ce qui concerne le domaine des TIC

L’intégration des TIC : un cadre pertinent d’étude pour analyser les changements en éducation

L’introduction de technologies qui se renouvellent dans le système scolaire, est un objet d’observation pertinent pour l’étude du changement en éducation. Au classique changement pédagogique se superpose un « objet » technique qui, de par sa nature, pose question comme intrus dans la situation pédagogique, la forme scolaire.

(…)

On doit reconnaître cependant que le processus en cours se poursuit. Le renforcement de la volonté politique se traduit par un rappel des contraintes initiales et un élargissement du dispositif à tous les niveaux de la scolarisation (lycée et enseignement supérieur 2). Il se manifeste aussi par l’incitation des établissements à prendre désormais en considération l’obligation du B2i (3). Celle-ci n’est cependant toujours par perçue comme telle dans les établissements dont un grand nombre n’a toujours pas mis en place le B2i. Cette lenteur, les critiques émises par l’Inspection Générale, les débats entre enseignants sont de bons révélateurs de cette résistance et permettent d’analyser le processus de changement dans le système scolaire. Si les TIC imposent de réfléchir les pratiques, ce n’est pas seulement parce qu’elles sont un nouveau support dans la classe, mais aussi parce qu’elles sont utilisées par les élèves dans d’autres contextes non scolaires et que, pour certains enseignants, elles interrogent les contenus disciplinaires, fondements principaux de la forme scolaire. (…)

Après le B2i, le C2i : le renforcement du cadre

Si l’intention des concepteurs du B2i était, non seulement d’attester des compétences d’usage des TIC par les élèves, mais aussi d’inciter les enseignants à développer des pratiques dans leur enseignement, l’observation des établissements montre qu’elle ne s’est pas concrétisée. Les renforcements successifs du caractère prescriptif du B2i n’ont pas suffit. Cela confirme bien le fait qu’il a été perçu dans les établissements, comme une « injonction paradoxale ». En signant le 11 mars 2004, la circulaire mettant en place un Certificat Informatique et Internet de niveau 2 destiné aux enseignants (4) , le ministère fait appel à la formation initiale des enseignants comme vecteur de développement des pratiques. Cette initiative vient compléter l’ensemble du dispositif initié en 2000 par le B2i.

L’édifice progressivement construit à partir de ce que l’on peut nommer « une intuition », se propose d’encadrer désormais l’ensemble de la scolarité initiale jusqu’à l’entrée dans l’activité professionnelle. Même si, dans les établissements scolaires, le caractère « obligatoire » du B2i n’a pas été ressenti par tous, jusqu’à aujourd’hui, la mise en place progressive de cet ensemble de dispositifs vise désormais à faire changer l’attitude des enseignants. Il semble que le ministère ayant pris acte des résistances des enseignants en poste, ait choisi de faire peser désormais la contrainte sur les futurs enseignants. Le C2i implique désormais l’appareil de formation des universités et des IUFM qui devront s’engager sur la certification des enseignants (5).

Le niveau 3 du B2i, ainsi que le C2i, font l’objet d’expérimentations, contrairement à ce qui s’est passé avec les niveau 1 et 2 du B2i. En terme d’organisation, on peut y voir la volonté d’associer plus largement les usagers à la conception des dispositifs. Le passage de l’invention à l’innovation puis à la généralisation pourrait ainsi en être facilité. Les résultats de ces expérimentations ne sont pas encore connus et les informations peu nombreuses. L’élargissement des alliances et la constitution des porte-parole reste un point fragile comme semblent en témoigner les initiatives de certains alliés traditionnels des pouvoirs et les propos de défiances de responsables TIC des établissements qui s’expriment dans les listes de diffusion comme celle des enseignants de technologie.

Le développement des équipements et des usages se poursuit cependant (6), et le ministère a redéployé le PIM dans les espaces numériques publics afin de permettre à toute la population de développer des compétences. La préoccupation du développement des TIC dans les familles, qui était mise en avant à travers l’étude de Bernard Benhamou (7) rendu en juillet 2003, n’a pas connu de suite immédiate. En décembre 2003, est créée une « délégation aux usages d’Internet » (8) qui, bien que sous la responsabilité du ministre l’éducation, est indépendante du monde scolaire.

« La délégation est chargée de proposer les mesures propres à généraliser l’accès à l’internet ainsi que la formation des familles, des enfants et du grand public aux usages des nouvelles technologies. Elle contribue directement à cette mission en assurant une diffusion de l’information et des bonnes pratiques et un suivi de la politique des espaces publics numériques implantés sur le territoire national »

L’évolution récente des dispositifs d’incitation aux usages des TIC ne témoigne pas d’une volonté de faire prendre en compte, dans le système scolaire, les usages que les jeunes font de celles-ci au quotidien. Au contraire, il semble que les trajectoires, qui paraissaient se rapprocher, s’éloignent à nouveau et que les dispositifs redeviennent indépendants. Les jeunes s’approprient les TIC autant dans l’école qu’en dehors, le maintien volontaire d’une distance entre ces deux univers témoigne de la difficulté, voire de la réticence, des décideurs à prendre en compte cette évolution.


1 On trouvera en annexe les résultats d’un questionnaire auprès d’enseignants rempli en mars 2004.

2 Le B2i niveau 3 est en expérimentation depuis septembre 2002, le C2i, pour les universités, l’est depuis septembre 2004.

3 L’académie de Bordeaux à demandé à tous les collégiens qui veulent s’inscrire dans un lycée de joindre la feuille de position du B2i à leur livret scolaire en Janvier 2004.

4 BOEN n° 11, 11 Mars 2004, circulaire n° 2004-46 DU 2-3-2004.

6 Enquête trimestriel Médiamétrie, Baromètre Multimédia, décembre 2003. Enquête « Informatique et Familles » Observatoire Régional de la Famille, URAF Auvergne, décembre 2003.

7 Benhamou Bernard, op.cit., 2003

8 Décret n° 2003-1168 du 8 décembre 2003 portant création d’une délégation aux usages de l’internet, J.O n° 284 du 9 décembre 2003 page 20967.

Bruno Devauchelle