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Les salaires des profs

Combien gagne un professeur ? En fin de carrière, un certifié perçoit dans le meilleur des cas 2920 euros (hors classe), et plus souvent 2450 euros net par mois… A mi-carrière (8ème échelon), il gagne environ 1980 euros net par mois. En début de carrière, après deux ans d’ancienneté, il gagne 1550 euros net par mois (des chiffres desquels il faut encore soustraire la cotisation complémentaire maladie de la Mgen).

Ces chiffres situent les enseignants français dans la fraction supérieure des classes moyennes, juste au dessus des infirmières et des techniciens, mais loin derrière les cadres supérieurs, y compris ceux de la fonction publique (cf. ce tableau sur les salaires par métier, issu du rapport de l’Insee « Les salaires en 2006 »).

Rapporté au PIB par habitant, ces niveaux de salaires classent les professeurs français nettement en dessous de la moyenne de l’OCDE. Le traitement brut d’un professeur certifié, enseignant depuis 15 ans en lycée public, représentait 1,42 fois le PIB par tête dans l’ensemble de l’OCDE, contre 1,17 fois seulement en France (cf. ce tableau au format xls des Regards sur l’Education, OCDE 2006).

Depuis quelque temps, la question salariale est redevenue d’actualité, avec la diffusion dans les salles des profs des conclusions d’une étude indépendante, due à trois économistes de Paris 1. Leurs données font apparaître une baisse de 20 % du pouvoir d’achat des professeurs du secondaire depuis 1981. L’étude peut être consultée ici (cf. les pages 22 et s. pour le second degré).

Le Ministère conteste ces chiffres. L’avancement de carrière des jeunes professeurs est devenu plus rapide, de sorte qu’un professeur arrive aujourd’hui au 8ème échelon (à mi-carrière) à l’âge auquel on arrivait autrefois au 9ème. De même, les professeurs perçoivent désormais une nouvelle prime, l’indemnité de Suivi et d’Orientation (un peu plus de 900 euros annuels pour un certifié à mi-carrière). L’un dans l’autre, au lieu de 20 % (correspondant à un manque à gagner de 4800 euros annuels au 8ème échelon), la baisse du pouvoir d’achat depuis 1981 serait plutôt de l’ordre de 10 %. Ce qui reste considérable.

Le Ministère fait aussi valoir que la majorité des professeurs peut désormais accéder à un nouvel échelon de carrière : la « hors-classe ». Ajouté à l’ISO, cela correspond à un gain de près de 6000 euros annuels en fin de carrière, soit l’équivalent du manque à gagner présumé d’un certifié parvenu au dernier échelon de la classe normale. Mais tous les professeurs certifiés n’accèdent pas à la hors-classe, et encore moins à son dernier échelon.

Quoiqu’il en soit, une chose est sûre : un professeur qui termine sa carrière au 11ème échelon, en classe normale, perçoit aujourd’hui un salaire réel inférieur de 20 % à celui que percevait en 1981 un professeur en fin de carrière.

Pendant ce temps, le pouvoir d’achat du salarié moyen a augmenté de 16 %, et celui du SMIC de 24 %. Quant au temps de travail, celui du salarié moyen a baissé de 15 % (5ème semaine de congés, passage de 40 à 35 heures hebdomadaires), mais le nôtre a augmenté avec la multiplication de sujétions en tous genres (rentrée plus précoce, journée d’harmonisation du bac, conseils pédagogiques, conseils d’enseignement, projets d’établissement, réunions avec les parents, pré-rentrée à rallonge, heures de vie de classe, etc.). Rapporté à l’évolution du salaire net moyen, et compte tenu de l’évolution du temps de travail, le salaire relatif d’un professeur de lycée a donc baissé de 42 % depuis 1981 !

Force est de conclure que, dans un contexte de forte contrainte budgétaire, nos salaires ont été délibérément sacrifiés. Il n’est pas exagéré de dire que l’Etat nous a fait payer la facture du lycée de masse et de l’université de masse. Mais comment expliquer la passivité des collègues et des syndicats devant l’effondrement de nos salaires relatifs ? Ici, on est réduit à émettre des hypothèses. Pour ma part, j’en vois au moins quatre:

– certifiés et agrégés ont fait les frais de l’égalitarisme ambiant dans l’EN. Au lieu d’augmenter leurs salaires, le gouvernement a préféré aligner le statut des instituteurs, des profs de LEP et des AE sur celui des certifiés ; il a aussi supprimé les MA en leur substituant des TZR deux fois plus coûteux.

– le nombre d’élèves par prof a continué de baisser dans le second degré depuis 1981 : cf. ce graphique du Ministère (page 3, pdf). Cela s’explique par la baisse des effectifs par classe dans l’enseignement professionnel, l’apparition d’innovations pédagogiques comme les modules, l’aide individualisée, le soutien, l’ECJS, le succès d’options coûteuses (à petits effectifs) comme l’ISI, les MPI, la musique, les langues rares… L’élévation du taux d’encadrement peut ne pas correspondre à la réalité vécue par tous les collègues mais son incidence budgétaire est évidente. C’est autant de grain à moudre en moins pour augmenter les salaires.

– la féminisation croissante de l’enseignement secondaire a sans doute incité les syndicats à privilégier la défense des postes et des conditions de travail au détriment des revendications salariales. Outre l’agrément de classes moins chargées, cette préférence peut s’expliquer aussi par le fait que les enseignantes ont en moyenne des conjoints mieux payés que leurs homologues masculins. Ainsi, en 1992-94, 60 % des enseignantes du secondaire public étaient mariées à un cadre ou un chef d’entreprise, contre 30 % des hommes (cf. ici).

– enfin, il ne faut pas exclure un phénomène d’anti-sélection. La dévalorisation de notre statut a pu détourner vers d’autres emplois de cadres les jeunes les plus capables, et attirer dans l’enseignement des jeunes moins capables (i.e. moins employables dans les emplois de cadres). Au vu des études récentes sur le recrutement des jeunes professeurs, ce phénomène paraît toutefois marginal. Il est même possible que la dévalorisation du statut d’enseignant ait contribué à en écarter tous ceux qui voyaient là une sinécure, en terme de salaires & de loisirs, au profit de jeunes avant tout désireux d’enseigner la discipline qu’ils aiment (cf. ici).

Tous ces facteurs pourraient expliquer la passivité des professeurs, et de ceux qui sont censés les représenter, devant la dévalorisation de notre statut.