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Par Françoise Solliec

Pour nous aider à cette réflexion, nous avons interrogé Anne-Marie Bardi, inspectrice générale de l’éducation nationale et Jean-Loup Bourrissoux, chargé de l’animation sur les matériels innovants à la DATICE du rectorat de Créteil.

Les TICE seront un outil incontournable, propre à favoriser la spécialisation et la professionnalisation dans les lycées

Que dire des TICE dans les lycées de demain ? La prospective est un exercice difficile dans ce domaine où les évolutions technologiques peuvent faire émerger des usages imprévus du jour au lendemain. D’autant que si les jeunes s’emparent facilement de tous ces outils, on ne sait pas très bien ce qui pousse leurs enseignants à décider de les utiliser, même si la facilité d’emploi est un facteur important de succès et si quelques freins sont maintenant bien identifiés. Le rapport du récent audit consacré à la contribution des nouvelles technologies à la modernisation du système éducatif, dont Anne-Marie Bardi est co-auteur et qui a fait l’objet dans cette revue de l’éditorial du mensuel n°82, soulignait que « les pratiques pédagogiques des enseignants ont encore peu évolué, en raison notamment de la fiabilité jugée insuffisante du matériel et d’un environnement organisationnel peu propice (horaires et programmes) ». Au niveau des contenus pédagogiques, le marché des ressources numériques « n’a pas atteint un seuil de visibilité et reste diffus et hétérogène ». Enfin, et peut-être surtout, « la gestion professionnalisée des équipements », nécessaire pour garantir à l’enseignant le bon fonctionnement des matériels, « fait défaut, sauf initiatives locales » et il est recommandé que l’Etat et les collectivités « mutualisent leurs initiatives par le biais de plates-formes territoriales de services », notamment pour « administrer les équipements installés (serveurs, réseaux, sécurité) et mettre en place des solutions de maintenance, y compris à distance ».

Anne-Marie Bardi note aujourd’hui trois tendances dans l’éducation nationale, qui influeront certainement à court et moyen terme.

· La répartition actuelle primaire secondaire va probablement évoluer vers une continuité plus importante école-collège, le lycée s’ouvrant de plus en plus vers la poursuite d’activités des lycéens : professionnalisation accrue pour les lycées professionnels en relation avec le marché de l’emploi, diversité et finalisation pour les lycées généraux et technologiques, qui se rapprocheront encore davantage des établissements d’enseignement supérieur.

· Dans les lycées, on va vers une plus grande mutualisation des équipements avec d’autres partenaires, notamment les branches professionnelles mais aussi le public local. Cette mutualisation et l’impact du développement de la formation des adultes posent la question d’autres modes de gestion et une révision des horaires d’ouverture. Cette question se retrouve d’ailleurs dans les réflexions sur le métier d’enseignant et sur les accompagnements scolaires.

· La suppression de la carte scolaire devrait conduire à un positionnement plus explicite des lycées les uns par rapport aux autres. Avec une autonomie accrue, une organisation plus affermie, une possibilité d’expérimentation inscrite dans la loi, les lycées pourront être bien davantage individualisés et tirer parti de leurs spécificités locales.

Concernant les TICE, quelles seront les conséquences de ces évolutions ?

Le lycée professionnel connaît déjà une organisation flexible, dans laquelle le « sur mesure » tient une large place. Les TICE interviennent dans tous les métiers et les équipements correspondants servent souvent de plates-formes ressources. Les élèves sont habitués au concret et les matières générales utilisent de plus en plus les possibilités de simulation et de visualisation offertes par les TICE. Enfin, l’alternance entre périodes en établissement et périodes en milieu professionnel bénéficiera du développement de plates-formes de communication, style ENT, où les enseignants, les tuteurs et l’élève stagiaire pourront échanger continûment et travailler en collaboration.

Pour le lycée général et technologique, le déséquilibre constaté en nombre d’élèves entre les filières et l’analyse en cours vont conduire à des propositions de recomposition. Leur élaboration est l’objet de vifs débats, mais pourquoi ne pas imaginer un tronc commun avec plus de modularité, un resserrement des options pour un profil plus affirmé ou encore une plus grande flexibilité au niveau de la classe qui pourrait plus souvent éclater pour laisser place à des groupes de compétences. Des initiatives de plus en plus nombreuses sont suggérées pour que l’élève puisse rester en contact avec son établissement en dehors du temps des cours proprement dit. Cette plus grande continuité entre temps scolaire et temps d’accompagnement militera beaucoup pour implanter des ENT dans les établissements, ainsi que la nécessité d’une administration transparente de la pédagogie. Mais cela ne fonctionnera que si les équipements et les réseaux sont fiables, si les ressources sont présentes et si l’on sait s’adapter aux évolutions technologiques, notamment le nomadisme, car de plus en plus, conclut Anne-Marie Bardi, « l’objet informatique est dans la poche ! »

Pour Jean-Loup Bourrissoux, qui suit avec grand intérêt les évolutions des matériels et des usages informatiques et les promeut avec enthousiasme dans son académie, le véritable défi consiste à ne pas trop s’éloigner des jeunes. On le sait bien, ils sont consommateurs. Ils acquièrent très facilement une culture et des compétences multimedia dont ils se servent beaucoup pour une expression personnelle, qu’on peut observer aisément dans les blogs ou les réalisations video de ces adolescents. Aujourd’hui cependant, les établissements peinent à réutiliser ces compétences et à fournir des outils à partager avec les élèves. Même quand ils fonctionnent bien, les matériels et les réseaux sont souvent verrouillés pour des questions de sécurité et l’accueil des équipements nomades est quasi impossible. Or, on va certainement vers des objets de plus en plus portables, « hypercommuniquants » et très fonctionnels.

Par ailleurs, il n’y a guère de possibilité de travail « en libre service » pour un petit groupe, alors que les nouvelles technologies ont tendance à renforcer l’isolation des jeunes et qu’il est nécessaire de leur offrir aussi des espaces physiques d’échanges, autour d’objets qui leur sont familiers ou qui leur semblent attractifs.

Le tableau interactif rentre bien dans cette dernière catégorie. Il donne aux élèves, avec ses possibilités de palette graphique, une opportunité d’expression qu’ils ne peuvent trouver avec le tableau traditionnel. Il permet aux enseignants de se retrouver en position magistrale ou d’animateur principal. L’extrême diversité des ressources auxquelles il peut avoir accès facilite pour l’enseignant la recherche d’une accroche de sensibilisation des élèves, grâce à laquelle le cours permettra d’apporter et de structurer plus facilement des connaissances plus formelles.

Peut-on imaginer d’autres équipements qui séduiraient les enseignants ? On a plutôt tendance aujourd’hui à parler plates-formes de ressources et de services qui pourraient les dégager des servitudes et des dysfonctionnements. Mais une chose est sûre, les TICE seront bien présentes dans le lycée de demain.