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Il est rare de consacrer un dossier à un seul logiciel éducatif.

Nous le faisons pour  » Tropes « , car ce logiciel se situe au carrefour de plusieurs disciplines : Français , Histoire-Géographie, S.E.S., Philosophie et, sans doute, plusieurs disciplines professionnelles.

 » Tropes  » est un nouveau logiciel de lexicométrie. Disposant de fonctions puissantes, il permet une nouvelle approche des textes littéraires ou historiques. Celle-ci ne remplace pas l’étude classique : aucun logiciel ne peut se substituer à la finesse du cerveau humain. Mais des outils comme  » Tropes  » donnent un nouvel éclairage qui met en valeur des aspects méconnus des oeuvres littéraires ou des documents historiques.

La meilleure présentation du logiciel pour une prise en mains rapide est sans doute celle qu’en fait la maison éditrice elle-même ici : http://www.acetic.fr/fr/guide/tropes/v50/tropes.htm

A la même adresse ( http://www.acetic.fr/ ) vous pouvez télécharger gratuitement une version du logiciel limitée à des textes de 30 Ko.

Vous trouverez dans ce dossier des regards croisés sur le logiciel à travers le travail de collègues de français et d’histoire-géographie.

Vous pouvez compléter ce dossier par les pages suivantes consacrées au logiciel :
– en français, l’analyse de Caroline d’Atabekian
http://framanet.free.fr/logiciels/presentations/tropes/
– en histoire-géographie un autre fiche pédagogique de Sylviane Tabarly :
http://www.ac-rennes.fr/pedagogie/hist_geo/ResInternet/Tropes/Tropes-Application.htm

Il existe d’autres logiciels de lexicométrie gratuits ou commerciaux. On trouvera une très intéressante réflexion de Danielle Girard sur l’utilisation de ces logiciels dans les pages du site académique de Rouen :
« Qu’apportent les outils infos ? » Danielle Girard
http://www.ac-rouen.fr/pedagogie/equipes/lettres/romantik/miserabl/pedago/apports2.html
Et un très bon exemple sur Ruy Blas avec le logiciel  » Pistes  » :
http://www.educnet.education.fr/lettres/pratique/ruy41.htm

Parmi les nombreuses études lexicométriques présentes sur le net, nous signalons le site suivant qui permet une découverte de la lexicométrie à travers une recherche hypertextuelle dans la  » Comédie Humaine  » de Balzac
http://lolita.unice.fr/~brunet/BALZAC/balzac.htm

Bonne découverte de notre dossier !

François Jarraud

« Tropes », un outil pour l’Histoire-Géographie – Sylviane Tabarly

Quels sont les intérêts pédagogiques de ce type de logiciels et d’approche en Histoire, Géographie et ECJS ? On peut d’emblée en proposer quelques uns :
– mettre à distance, de manière objective, des transcriptions et des textes étudiés dans le cadre des cours ou d’autres activités de classe,
– permettre aux élèves de constater qu’aucun discours n’est innocent ,qu’il a des stratégies qui lui sont propres, qu’il est relatif à une situation historiquement datée, à un contexte. Mais qu’il est aussi le résultat d’habitudes mentales, de fondements psychologiques caractéristiques de leur auteur
– émetteur et des systèmes de valeurs auxquels il se réfère
– rendre l’élève conscient du poids des mots et l’amener à réfléchir aux notions employées et à leur environnement sémantique.

Comment en assurer la mise en oeuvre pédagogique ?

– une fiche guide de l’activité, sur papier, peut être remise aux élèves : elle les oriente sur quelques unes des fonctions pertinentes du logiciel seulement. Ils y relèvent des informations précises. – dans la perspective d’une étude comparée de textes, ils peuvent facilement ouvrir différents fichiers textes en utilisant les possibilités de positionner, après les avoir redimensionnées, les différentes fenêtres les unes à côté des autres. On peut sans difficulté en disposer deux (voire trois) côte à côte. – notons que le logiciel, dans sa version  » édition spéciale « , ne présente aucune difficulté de manipulation et que les élèves peuvent être rapidement à même de l’utiliser, du simple point de vue fonctionnel.

Et la mise en oeuvre technique ?

– Si le document est en ligne, il est donc déjà numérisé et il suffit alors de le convertir au format .txt le cas échéant. – Sinon, à moins de le saisir manuellement, il faut scanner le texte et opérer une reconnaissance de caractère (OCR) : l’opération facile, donne de bons résultats avec les scanners actuels.

Quelques exemples ou pistes d’applications :

Il semble plus particulièrement intéressant de privilégier les démarches comparatives (mais l’étude d’un seul document peut, bien entendu, être possible et pertinente aussi).

Voir par exemple un test d’application du logiciel fondé sur l’étude comparée des appels de De Gaulle et de Pétain en juin 1940 sur le site de l’académie de Rennes à l’URL :
http://www.ac-rennes.fr/pedagogie/hist_geo/ResInternet/Tropes/Tropes-Application.htm

Et, pour se familiariser avec le vocabulaire de l’analyse sémantique :
http://www.ac-rennes.fr/pedagogie/hist_geo/ResInternet/Tropes/Tropes-Aide.htm

D’autres analyses de discours comparées peuvent être pertinentes.

Ainsi, celles de quatre textes parlementaires contemporains de la guerre d’Algérie ont pu être retenus et analysés. Ils proviennent de P. Mendès-France, président du Conseil et F. Mitterrand, ministre de l’Intérieur le 12 novembre 1954, de M. Debré, premier ministre le 15 janvier 1959 et de De Gaulle le 20 mars 1962. Ils sont cités dans l’ouvrage : « Les grands débats parlementaires de 1875 à nos jours »
Rassemblés et commentés par Michel Mopin
– Notes et études documentaires – La Documentation française – Paris – 1988.

Les documents sont téléchargeables en ligne à partir de cette url :
http://www.clionautes.org/clio01/TropesCafe/index.htm

Ces textes (issus de débats ou de messages à l’Assemblée nationale) mettent tous en scène des personnalités de l’exécutif. Ils sont intéressants autant par ce qu’ils nous disent sur l’évolution des sensibilités et mentalités à l’égard du conflit que par ce qu’ils révèlent des modes discursifs de leurs émetteurs. En voici des aspects. Les « catégories de mots fréquentes » font apparaître le poids des verbes factifs dans le texte de De Gaulle (52 % des verbes) alors que dans le texte de François Mitterrand , les verbes déclaratifs dominent (32%). Les verbes factifs du texte de De Gaulle sont reliés sémantiquement aux mots suivants (entre autre) : confiance, autodétermination, collaboration, nation alors que les verbes déclaratifs du texte de François Mitterrand renvoient à révolte, volonté, combat, terrorisme. Dans celui-ci la « modalisation négation » représente 24 % alors qu’elle apparaît peu (3,8 %)dans le second où dominent les modalisations de temps (27 %). Et le pronom « Je » s’y impose très nettement (28,6 %).

On pourrait utiliser de la même manière des corpus sur les questions de la construction européenne par exemple. Mais ces types de documents ont l’inconvénient d’être trop courts bien souvent ce qui, d’une part, ne justifie pas toujours suffisamment l’emploi du logiciel, d’autre part, n’est pas assez représentatif de l’ensemble de pratiques discursives et produit des biais statistiques.

Il est donc souhaitable de trouver d’autres corpus. Ainsi, une autre application peut être proposée à partir de l’utilisation des compte- rendus analytiques des séances publiques de l’Assemblée Nationale. Par exemple pour 2000-2001 :
http://www.assemblee-nationale.fr/cra/2000-2001 Prenons le cas du débat autour de la loi sur les discriminations (séance du 12 octobre 2000) :
http://www.assemblee-nationale.fr/cra/2000-2001/2000101209.asp .

Des études comparées entre les discours de différentes familles politiques sont pertinentes. Par exemple, si l’on compare les propos des députés DL et PCF qui ont participé au débat ce jour là, on constate que leurs « univers de référence », la place et l’environnement sémantique des différents univers sont bien différents. L’emploi des modalisations d’intensité est aussi différent par ses proportions dans les discours (31% contre 40%) et dans leur usage (voir les graphes de relation). Ce type d’étude peut être intéressant à travers une réflexion sur les valeurs, les programmes des différents formations politiques (ECJS ou étude de la Ve République)

Une analyse parallèle de l’ensemble des propos tenus par les orateurs RPR et socialistes (respectivement 1340 et 4951 caractères, il faut donc être prudent pour certaines applications) à l’occasion de ce débat fait apparaître des données intéressantes. On constate qu’ils sont assez comparables par la proportion des types de verbes : dans les deux cas, un peu plus de 50 % factifs, entre 20 et 30 % déclaratifs et statifs, peu de verbes performatifs. On peut considérer que c’est le résultat de certains invariants des discours dans ce type de situation de débat législatif à l’Assemblée Nationale. Par contre, on observe des différences sensibles sur la question des modalisations : proportions de l’ordre du simple au double pour les modalisations de temps, de manière et de négation qui semblent assez significatives … on peut alors formuler des hypothèses, proposer des interprétations relatives aux situations respectives des deux groupes dans un contexte historique donné.

Vous pouvez retrouver le document correspondant à ces propos à partir de l’image cliquable sur le site des clionautes :
http://www.clionautes.org/clio01/TropesCafe/index.htm

On peut aussi très facilement étudier, dans un texte assez long, l’emploi d’un mot : par un clic à droite, on a accès à la fonction « chercher » sur ce mot ce qui permet de le retrouver à travers tout le document. On pourra alors demander aux élèves de relever toutes les circonstances d’apparition du mot, ce qui peut donner matière à des études tout à fait pertinentes. Il est aussi possible d’examiner les contenus de certains mots référents ( » références utilisées « ). Par exemple,  » entreprise » qui apparaît dans des proportions comparables dans les deux textes (9 et 11 fois). Dans le cas des propos des députés du RPR on constate qu’il est constitué des mots : entreprise, secteur privé, PME. Alors que dans le cas de ceux des députés ou membre du gouvernement du parti socialiste, il est constitué de : entreprise, société, délégués du personnel. On peut ainsi mettre en évidence les stabilités et les discriminations lexicales d’un type de locuteurs à l’autre.

L’idéal, dans la perspective d’études historiques, serait bien entendu de pouvoir disposer facilement de corpus comparables à ces documents contemporains(textes d’au moins 1000 à 1200 caractères) avec davantage de recul historique.

De la même manière, on peut envisager d’utiliser les débats du Sénat ou ceux du Parlement européen. Ces derniers sont accessibles en ligne à partir de :
http://www.europarl.eu.int/home/default_fr.htm
Pour retrouver les noms des Parlementaires et les groupes auxquels ils sont rattachés :
http://wwwdb.europarl.eu.int/ep5/owa/p_meps2.repartition?ilg=FR&iorig=home
Ce qui permet ensuite de retrouver leurs propos en séances plénières :
http://www.europarl.eu.int/plenary/default_fr.htm à partir de la recherche par orateur :
http://www3.europarl.eu.int/omk/omnsapir.so/searchdeb?ORATEUR=yes&LANGUE=FR
Mais on peut aussi faire une recherche par mots dans le titre.

Certaines fonctions du logiciel semblent par contre moins pertinentes pour nos disciplines et risquent de provoquer égarement et confusion : les  » épisodes « , les  » rafales  » par exemple. Mais il faudrait peut-être se pencher davantage sur leur utilisation.

Sur quels protocoles se fonder et comment sélectionner des corpus documentaires ? Ce qui pose aussi la question de l’accès à des sources textuelles numérisées :

Le choix du corpus est une phase fondamentale de la démarche de préparation pédagogique de cette activité par l’enseignant. Dans la perspective d’un travail d’analyse de discours politique, on peut recommander la lecture de ce texte, diffusé dans le cadre des « Secondes Journées Internationales d’Analyse Statistique de Données Textuelles (JIADT d’octobre 1993) et consultable en ligne : « Un protocole de description de discours politique » par Jules Duchastel et Victor Armony. Prenant appui sur une analyse comparée des discours de Bill Clinton, Brian Mulroney et Carlos Menem, il pose de manière pertinente les problèmes méthodologiques
http://www.ling.uqam.ca/sato/publications/bibliographie/Jul10.htm

En conséquence, la collecte de textes exploitables, sous une forme numérisée est une difficulté non négligeable dans l’utilisation du logiciel. Il est possible d’utiliser des textes numérisés disponibles en ligne sur tel ou tel site : quelques uns sont signalés sur le site de l’académie de Rennes.
http://www.ac-rennes.fr/pedagogie/hist_geo/ResInternet/Tropes/Tropes.htm

Mais notons qu’il est parfois difficile de trouver, en français, les sources primaires souhaitées. On peut ainsi prendre l’exemple d’une recherche de textes sur la construction européenne : elle oriente sur de nombreuses sources en anglais mais peu en français.

La constitution d’une banque de documents, justifiant une analyse avec Tropes, adaptée aux programmes en lycée, pourrait être utile.

Un autre frein à l’emploi du logiciel au lycée en Histoire ou Géographie peut provenir du morcellement des textes que les programmes et les habitudes nous conduisent bien souvent à étudier et qui sont proposés dans les manuels : petits extraits, souvent coupés (ce qui rend leur analyse un peu suspecte), sortis de leurs contextes, juxtaposés. Or, pour que l’analyse sémantique ait une signification (voir l’information donnée avec le logiciel), il est souhaitable que les textes soient suffisamment longs afin qu’il y ait un effet de « lissage » sur les propos tenus par les auteurs (ou orateurs). De ce point de vue, l’ECJS ou les TPE seraient mieux adaptés

.

Après avoir signalé ces difficultés, peut-être en partie temporaires, il apparaît cependant que les intérêts du logiciel sont suffisants pour justifier l’usage de ce type d’outils.

L’étude empirique et traditionnelle d’un document historique, de documents socio-politiques contemporains peut bien entendu être réalisée sans informatique. Mais, dès que le texte devient long, la collecte, le dénombrement des informations deveniennent fastidieux, voire dissuasifs. Les études comparées ne sont pas toujours faciles à mettre en oeuvre. L’outil informatique est donc alors plus qu’un simple complément à l’analyse classique du document : il permet aussi de révéler des aspects cachés des textes.

Sylviane Tabarly

Le logiciel « Tropes » : quels usages en cours de français ?

Caroline d’Atabekian

Roger Berthet enseigne le français en lycée à Bourg-les-Valence. Il fait de l’informatique depuis presque 20 ans mais son enthousiasme est resté intact : il est toujours dans les premiers à tester les nouveaux logiciels et il a pris ce risque avec  » Tropes « .

– Qu’est-ce qui vous a donné envie d’utiliser Tropes en classe ?

– La curiosité comme toujours et le fait que je suis sans cesse à la recherche de petits logiciels peu chers ou gratuits qui facilitent le travail de l’enseignant. Je suis professeur animateur occasionnel dans deux CDDP et je fais souvent des formations sur ce thème: « petits logiciels pratiques et pas chers… » Tropes m’a paru être un outil vraiment surprenant. Il fallait donc voir ce qu’il en était. je tiens à souligner que je mets toujours en garde mes collègues en leur disant que ce n’est pas parce qu’on a un outil qu’on doit s’en servir absolument. Après tout je me sers d’un marteau quand j’ai un clou à planter. Mais comment se servir d’un outil si on ne le connaît pas?…

– Quelle a été la mise en œuvre?

– J’ai essayé de l’utiliser pour voir avec une classe de seconde (une excellente classe, je dois le préciser). J’ai choisi « La parure » de Maupassant. En fait j’ai commencé par une lecture à voix haute, une lecture plaisir, celle qui seule compte, celle dont ou part et à quoi l’on revient. Dans le cas de ce texte c’est d’autant plus important que la chute est essentielle et joue fortement sur l’émotion. Ensuite nous avons amorcé une lecture analytique avec notre questionnement habituel. Puis j’ai proposé d’utiliser « Tropes » que je venais de découvrir pour voir… ce que faisait la machine. Comme l’impression des résultats n’est pas possible avec la version gratuite, nous avons utilisé un vidéo-projecteur et plus tard j’ai tiré quelques copies d’écran. C’est l’aspect pratique. Je pense d’ailleurs qu’un logiciel de reconnaissance de caractères devrait permettre de récupérer des données sous la forme de textes en traitant les fenêtres copiées. C’est à vérifier. Le balayage de la machine sur un texte aussi long est bien plus précis que l’observation courante. Il me semble d’ailleurs que le traitement offert n’est guère utile pour un texte court ce qui fait regretter la limitation de la version donnée prétendument « complète ».

– Quelles pistes de lectures aviez-vous suivies? Quels résultats ?

Nous avons regardé si les résultats nous permettaient de conforter des observations déjà faites sur les pronoms, les figures de style, la longueur des phrases… et si nous pouvions découvrir des éléments nouveaux. Ainsi le pronom de la deuxième personne est presque exclusivement utilisé par le mari de Mathilde, l’héroïne. Elle-même ne s’en sert pas. Nous avons donc regardé comment les personnages s’adressaient les uns aux autres: Pronoms, prénoms, longueur des phrases. Leur portrait a été ainsi plus nuancé.

Nous avons cherché le rôle du narrateur; il y a ainsi des phrases généralisatrices étonnantes: « car les femmes n’ont point de caste ni de race… » et ce d’autant plus qu’en cherchant la catégorie « femme/classe sociale » on trouve plus loin « une autre femme de sa caste aurait… » Nous nous sommes intéressés au récit et ce d’autant plus que le logiciel juge le texte plutôt « argumentatif ». Nous avons constaté que l’analyse statistique pousse à conclure à l’argumentatif parce que Maupassant explique sans cesse, justifie: « comme, car, parce que… ». Il y a eu aussi des trouvailles sur le vocabulaire de l’argent. Un oubli d’abord, les « louis » n’apparaissent pas dans le vocabulaire relevé sous cette rubrique (malheur aux homonymes!). Le nombre de mots est peu élevé, les chiffres sont précis presque comptables. L’obsession bourgeoise est bien là.

– L’analyse du logiciel correspondait-elle en général à ce que les élèves avaient trouvé?

– Oui et non, mais c’est ce qui est passionnant. La plupart du temps nos observations initiales ont été renforcées mais l’utilisation du logiciel a stimulé la discussion. Il a bien sûr fallu adapter le vocabulaire d’analyse puisque le logiciel n’utilise pas celui qui nous sert en classe; mais les élèves voient très vite quoi est quoi.

– Cela a-t-il donné lieu à un travail sur le vocabulaire « métalinguistique » ? Comment vous en êtes-vous sorti ?

– Il est bien que le signifiant ne l’emporte pas sur le signifié ; d’ailleurs même d’un enseignant à l’autre le vocabulaire n’est pas tout à fait le même… Il est clair que nous n’appliquons pas des recettes en classe mais des méthodes raisonnées et qu’un outil même aussi complexe que « Tropes » reste un outil. Un parmi d’autres, et évidemment je ne voudrais pas être OBLIGE de l’utiliser. Finalement le plus intéressant c’est peut-être les erreurs que nous avons relevées: sur la nature des mots par exemple ou les champs lexicaux (certains diront réseaux).

– Avez-vous en mémoire des exemples précis ?

– Il y a le caractère « argumentatif » déjà cité (en plus des termes explicatifs et démonstratifs de Maupassant, nous avons cru comprendre que ce caractère argumentatif venait aussi des dialogues qui l’emportent sur le récit et qui présentent des « affrontements » divers entre les personnages). On constate que le logiciel ne distingue pas certains pronoms personnels des déterminants articles: « le » et « le »; toujours les homonymes, mais dans ce cas cela nous a semblé plus délicat ou gênant – quoique l’essentiel à mon avis est que les élèves voient ces erreurs. Quand « Tropes » range le mot « rivière » dans les termes géographiques (alors que dans ce texte toutes les rivières sont en diamants… vrais ou faux) cela nous a plutôt amusés.

Au bout du compte ce fut un bon exercice d’observation qui a permis de relativiser l’usage de l’outil et de titiller l’esprit critique des élèves.

– Justement, quelles recommandations leur faites-vous ? Est-ce qu’ils se rendent clairement compte que ce n’est qu’un outil, que cela ne remplace pas la réflexion?

– J’en suis d’autant plus sûr que nous avons une méthode claire (je crois) que je mets en place tout au long de l’année et qui insiste sur l’observation et les conclusions nécessaires qui doivent suivre cette observation; comme n’importe lequel d’entre nous, enseignants de Lettres. J’ai une série de repères que j’appelle des « clefs » (d’autres diront des « grilles » mais une « grille » ça enferme…)

– Finalement, que peut-on espérer de Tropes dans un cours de français ? Et à votre avis, que pourrait-on en espérer si les élèves l’utilisaient seuls chez eux?

– N’importe quel outil ne vaut que par ce qu’on en fait. Même pour l’ordinateur en tant que tel je prétends que si l’on ne fait pas mieux les choses grâce à lui, il est inutile -(mais j’ai personnellement du mal à m’en passer, aussi bien au début de ma carrière je recopiais à la main sur des stencils plus ou moins baveux le moindre texte qui me paraissait intéressant pour mes classes…). Je ne pense pas qu’il faille recommander l’outil pour un usage personnel à la maison. La discussion est nécessaire. Notre savoir de prof est nécessaire; les élèves l’acceptent s’il est à leur disposition dans un échange. Cela me semble assez évident. A eux on leur demande d’abord d’être curieux, et c’est pour cela que j’insiste sur le fait que la classe avec laquelle j’ai travaillé est une bonne classe (ce qui pour moi veut dire composée certes de jeunes ayant un niveau correct mais surtout vifs, intéressés, amusés souvent, prompts à la réaction et toujours capables de dialogue). Un vrai cadeau j’en ai conscience et j’en ai profité toute l’année!

Roger BERTHET
http://www.ardecol.ac-grenoble.fr/lettres/index.htm

Propos recueillis par Caroline d’Atabekian