Patrick Picard
Comment la Gauche a perdu l’Ecole Emmanuel Davidenkoff Hachette Littératures. 330p. 18 Euros
Derrière ce titre à dessein polysémique, Davidenkoff, observateur attentif de l¹actualité de l¹école depuis dix ans, succombe-t-il à une « nouvelle charge sabre-au-clair » contre l¹Ecole « qui part à vau-l’eau » ? Pas du tout, se défend-il. Pour lui, la France a encore massivement confiance en l’institution scolaire. Le pacte fondateur de la République, qui lie les Français à leur école, n’est donc pas rompu. (p.27).
Pas « encore » rompu ? En effet, la « démocratisation » est en panne, et plus aucun projet ne semble capable de redonner souffle pour gagner une nouvelle étape dans l’accès du plus grand nombre à la réussite scolaire.Mais contrairement à la mode des pamphlets qui remplissent les rayons des librairies, E. Davidenkoff n’a pas de solution miracle à proposer, ni dans le « tout pédago » ni dans le retour à la bonne vieille tradition tant citée en modèle dans le dernier livre de Ferry (Luc !). Partant de son expérience d’observateur rompu à toutes les confidences chuchotées en « off » (cabinets ministériels, responsables syndicaux, chefs d’établissements ou simples
enseignants), le propos de Davidenkoff est mesuré.
Les politiques « de gauche » ne sont pas épargnés, n’ont qu’ils n’aient rien fait, mais surtout parce qu’ils n’auraient pas su choisir au bon moment, laissant le système soumis à de multiples et paradoxales injonctions (p.235). Ce non-choix est problématique pour l’école, au sens où ses acteurs
de terrain doivent se « débrouiller » sans que la Nation tout entière puisse décider ce que doit prioriser l’Ecole. Le « débat public », toujours invoqué, jamais réalisé (p.164) devrait pourtant permettre de régler les grandes questions. Il cite l’exemple du collège « unique » dont on n’a fait mine de ne pas voir les souffrance (p.174) et son corrolaire, la non-reconnaissance par le système de la voie professionnelle et les avatars du débat Lang-Mélenchon, l’impossibilité à reconnaître les difficultés des « soutiers » de l’enseignement spécialisé (p.157)
Conséquence logique, tout le monde en prend pour son grade : les intellectuels « de gauche » qui n’ont pu théoriser le réel (p.208), ou les politiques qui n’ont pas su « lire » les évolutions possibles du système, dans les années 90, conséquence d' »une évaluation erronée des forces au sein de la FEN » alors en train d’exploser après dix ans de collaboration étroite entre le pouvoir soialiste et ses dirigeants. Mais les nouveaux syndiats majoritaires ne sont pas exemptés de critique : les représentants de la FSU, pour ne pas « prendre le risque de se faire rouler dans la farine » restent sur une position distante, certes ouverts à la discussion sur les pratiques professionnelles, mais exigeant de nouvelles créations d’emplois. Et lorsque des emplois sont créés, le « plus » n’entraîne, dit-il, que peu d’engagement sur le « mieux ».
Davidenkoff réserve malgré tout une dent particulière aux nostalgiques d’un âge d’or qui n’a jamais existé (p.200), les « pompiers-pyromanes » qui ont contribué à ajouter au sentiment d’insécurité et de peur (p.215), même s’il concède que le système éducatif a eu un vrai problème pour gérer les
conséquences de la guettoïsation ethnique et sociale de certains établissements. Il pointe les difficultés des établissements scolaires à faire une place à la « citoyenneté » des jeunes, et cite Marcel Gauchet : « C’est un fait. Nous vivons une crise de transmission du savoir. L’évidence du passé est perdue pour les nouvelles générations. Ce qui implique une révolution copernicienne dans la transmission du savoir : désormais, il faut partir du présent pour expliquer et faire comprendre,
puisque les références classiques ne fonctionnent plus. Le passé est définitivement passé, et le modèle ancien de transmission est révolu.
Le « système » éducatif est évidemment montré du doigt: son côté « mammouth », lorsqu’il donne l’impression que « tout est de la faute du ministre » (p.133), l’incapacité des IUFM à articuler théorie et pratique (p.251), la place insuffisante faite aux parents d’élèves dans la « co-éducation »(p.257), mais aussi la lente « privatisation » du système, non pas tant par l’entrée des
« marchands » dans l’école, mais surtout par la manière insidieuse dont les « consommateurs d’école » (dont parfois les enseignants) contournent les règles républicaines (carte scolaire, difficultés à assumer la gratuité ou l’aide aux enfants en difficultés). Un critique particulière est faite au
système universitaire, dont la massification sans réoragnisation renforce les filières sans débouchés ou la concurrence libérale entre formations (p.280).
C’est donc logiquement sur un « tous responsables » que se clôt l’exercice, questionnant les acteurs à forger »une dynamique collective à partir des dynamiques individuelles »(p.301), à dépasser la « realpolitik » technocratique, y compris en rappelant l’article de la déclaration des droits de l’Homme de 1789, selon lequel la société à le droit de demander des comptes à tout agent public.
« Comment la Gauche a perdu l’Ecole » sera donc lu avec profit par tout enseignant, parent, responsable de la machine administrative, ne serait-ce que pour lui faire toucher la relativité des « représentations » et des ressentis que chacun peut avoir, de là où ils est. En ces temps de
complexité, ce ne saurait être critiquable. La complexité est toujours un défi pour la pensée, que ce soit celle de la pensée unique ou celle de l’anti-pensée unique !
(Se) former par les situations-problèmes Des déstabilisations contructives Alain Dalongeville
Michel Huber Editions « Chronique Sociale » (collection Pédagogie-Formation)
Voilà un ouvrage qu’on aurait envie de recommander à notre cher ministre, dont la dernière « Lettre » n’a pas manqué de faire sourir ceux qui, comme ses auteurs, pensent quil ne suffit pas d’expliquer pour que l’élève comprenne (ça se saurait !)
Il est des « situations-problèmes » comme de « l’enfant au centre » : un concept qui s’est répandu, mais beaucoup galvaudé. Alain Dalongeville et Michel Huber, qui furent parmi les premiers à y faire référence, tentent de (re)faire le point , au delà des « modes » et des approximations fort
répandues dans la vulgate pédagogique.
La lecture de l’ouvrage confirme : le propos est maîtrisé. Les auteurs commencent par un exercice salutaire : définir ce dont ils parlent, leurs références théoriques et la genèse du concept. Rien qui ne surprendra les lecteurs rompus à Giordan, De Vecchi ou Bachelard, mais ces quelques pages
seront un rappel formateur à ceux qui entreraient dans la problématique.
La bonne surprise du livre est que ses auteurs ne se contentent pas de clamer que les « situations problèmes » seraient la panacée pédagogique universelle qui devrait modeler chaque cours pour que les difficultés de l’élève disparaissent par magie. Huber et Dalongeville s’attachent au
contraire à décliner (en détail et avec des exemples concrets) sept modalités de « mise en oeuvre » permettant d’envisager nombre de dispositifs pédagogiques : du simple cours magistral « en situation » à la « pédagogie de projet », en passant par le « débat de preuve » ou l’atelier d’écriture ».
L’autre intérêt de ce livre est qu’on pourra, selon ses attentes, y entrer par de multiples portes, suivant son niveau d’enseignement ou son expérience : « Pourquoi y-a-t-il des saisons ? » vous fera toucher du doigt ce qu’est une « rupture conceptuelle », la démarche du « Sosie » fera peut-être germer
quelques idées de situation pertinentes en formation professionnelle d’adultes, et la qualité des textes poétiques inventés pour parler de personnages historiques donnera quelques idées de projets
interdisciplinaires.
Ne dédaignant pas le paradoxe (« Un bon enseignant est celui qui sait se rendre inutile, p. 41), les auteurs posent en fin d’ouvrage une bonne question sur l’utilisation des nouvelles technologies, sans prétendre pouvoir y répondre, mais en espérant de nouvelles recherches sur le sujet :
comment faire pour que les nouvelles technologies, au lieu de se contenter de privilégier les connaissances factuelles, prennent toute leur place pour devenir de nouveaux outils permettant de rendre plus percutants les concepts-clés mis en lumière par le constructivisme : utilisation des
représentations, situations problèmes, conflits congitifs Un joli pari ?