“La nostalgie du Paradis, c’est le désir de l’homme de ne pas être homme”.
Milan Kundera
C’est sans doute le film de la rentrée. Good Bye Lenin fait revivre l’atmosphère
grise de la DDR, avec ses flics et ses Trabants, mais aussi ses bons sentiments,
ses certitudes, son monde stable et sûr. Plus de 6 millions d’Allemands
l’ont vu pour ressentir ce sentiment douceâtre qu’est la nostalgie. Il y avait
de cette émotion l’autre jour sur le plateau de France 2 quand le ministre évoquait
l’ordre d’antan, les conseils de discipline, le redoublement, les élèves forcément
obéissants et même les monômes du passé en les opposant aux violences du présent
dans un débat qui était censé, justement, préparer l’avenir. D’où peut-être
une certaine confusion, une délimitation lâche des termes du débat que nous
voulons signaler sur deux points.
D’abord sur la place de “la nation” et des “spécialistes” dans le grand débat
sur l’éducation. Le 15, Luc Ferry a indiqué que “rien ne justifie au fond
que [les problèmes] continuent à se traiter seulement entre « spécialistes ».
Assurer l’égalité des chances, définir la mission des enseignants, lutter
contre la violence dans les établissements, s’accorder sur les objectifs et
le sens de notre éducation : c’est là l’affaire de tous les citoyens et de leurs
représentants”. Certes, il appartient à la nation, par ses représentants,
de définir les objectifs du système éducatif en fonction des choix de société
des Français. Il est d’autant plus légitime de le rappeler que le système éducatif
semble opaque à la plupart des parents et que les enseignants sont souvent accusés
de corporatisme. Les sociologues de l’éducation ont pu montrer que le système
scolaire, parce qu’il n’arrive plus à maintenir ses vieilles règles de fonctionnement,
a fini par tricher avec elles. L’école fonctionne un peu comme un jeu où certains
connaissent mieux les règles que d’autres. Pour autant, à mettre les spécialistes
entre guillemets, on risque de donner à penser que l’enseignement ne relève
pas d’un savoir spécialisé, position justement défendue par certains membres
de la commission. Or pour que la nation puisse justement exiger une certaine
efficacité du système, il convient d’utiliser les spécialistes dans leur domaine
en fixant des obligations de résultat au système. Même dans une démocratie,
chacun a le droit d’exiger de l’eau chaude dans sa baignoire, tout le monde
ne peut pas émettre un avis sur la façon de réparer le chauffe-eau. A moins
d’affirmer que la pédagogie n’existe pas, il faudra bien limiter le débat national
aux questions, ô combien importantes, d’objectifs et écouter les spécialistes
sur les questions de pédagogie. Or ils semblent pour le moment sur la touche,
sous la pression d’une forme de populisme qui préfère Good Morning Lenin,
“le rouge à l’expert”.
Ce regard nostalgique sur le passé pourrait également faire oublier que l’école
doit préparer à une nouvelle société, celle de l’information. Dans son récent
Regards sur l’éducation, l’OCDE relève cruellement le retard français
dans l’intégration des TIC à l’école. Or celles-ci modifieront fortement les
règles de fonctionnement du système scolaire. Par exemple, la mise en place
de l’espace numérique de travail rendra les établissements plus transparents
dans leurs résultats. Comment dès lors retrancher les conseils de discipline
du regard des parents ? Comment justifier le maintien des secteurs si les résultats
de chaque établissement sont effectivement consultés par chaque parent ? Elle
fera apparaître de nouveaux modes d’échange entre enseignants, familles et élèves.
Cela modifiera volens, nolens la conception de l’autorité professorale.
L’ouvrage de l’OCDE montre aussi, comme le remarque Yves Dutercq dans l’entretien
qu’il a accordé au Café, que le système éducatif français se caractérise par
une tradition d’enseignement démocratique. Cette tradition- là pourrait bien
nourrir la nostalgie des profs.
François Jarraud