Le collège unique, les mauvais élèves et la technique
Le projet de rassembler et de maintenir dans de bonnes conditions au sein d’une même filière éducative tous les enfants jusqu’à la classe de 3ème a échoué. Sur ce triste constat, une majorité d’opinions a fini par se former. Mais le diagnostic des causes et la nature des remèdes à prescrire (faut-il essayer encore ou renoncer ?…) continuent de susciter d’intenses controverses. Chacun y va de son avis, de son conseil. La volonté politique d’ouvrir le lycée au plus grand nombre, l’emprise des méthodes pédagogiques du lycée sur le collège, l’élimination progressive des enseignants issus du primaire (les PEGC), tout cela aura concouru à faire du collège une antichambre du lycée, position aujourd’hui jugée intenable. Si l’on voulait aujourd’hui aider les professeurs du secondaire à mettre en place une solution de continuité pédagogique entre l’école et le lycée, ne serait-il pas temps de ressusciter les PEGC ? Pour en débattre, rendez-vous au comptoir du café pédagogique ou de tout autre bistro où l’on refait le monde…
La matière est riche. Beaucoup de questions surgissent de cette sacrée pelote du collège unique. Son échec n’est en effet pas seulement pédagogique ; il est aussi celui du principe de mixité sociale. Tandis que les enfants des familles les plus déshéritées remplissent ce qu’Agnès Van Zanten appelle les » écoles de la périphérie » (PUF, 2002), ceux de familles plus favorisées se retrouvent dans les collèges de centre ville, véritables antichambres ceux-là des lycées où l’on prépare aux grandes écoles. Contre ce déclin inéluctable de la mixité sociale, l’école ne peut rien et la pédagogie, tant qu’elle demeure une » pédagogie commune « , n’y peut pas grand chose non plus. Problème désespérant, enrageant même, puisque le système éducatif qui en subit les conséquences est privé des moyens de le résoudre. Face à lui, nous sommes tous également impuissants, capables seulement d’en parler, de râler, de suggérer des solutions que nous serions bien en peine d’appliquer si nous en avions la responsabilité.
Autre question lourde, liée à celle du collège unique. Pourquoi l’orientation des élèves en situation d’échec au collège se fait-elle toujours par le biais d’une spécialisation dans le domaine technique ? La technique serait-elle une discipline d’accès facile ? On entend dire : la technique est concrète, pratique et se comprend mieux que ce qui est abstrait, théorique. Mais les techniques modernes, l’électronique, l’informatique, ne sont pas plus concrètes que la musique ou la philosophie. Elles exigent un cadre théorique sophistiqué pour être comprises. C’est en réduisant artificiellement la technique à sa dimension utilitaire que l’on occulte tout ce que sa connaissance suppose de créativité, d’intelligence critique et d’esprit d’analyse. Le discrédit de la technique dans l’éducation est injuste et culturellement aberrant. Il n’est pas partagé par toutes les cultures ; dans ce domaine, la France peut aller prendre des leçons chez certains de ses voisins où les valeurs culturelles sont mieux équilibrées que les siennes.
Ces problèmes ne sont pas nouveaux. Mais le temps est peut-être venu de les aborder sérieusement, c’est-à-dire avec la volonté de les résoudre. Il faut alors souhaiter que la communauté éducative réussira à adopter une attitude commune raisonnable, par exemple celle que François Dubet qualifie de » réformisme radical » (Le déclin de l’institution, Seuil, 2002). Inutile en effet de continuer à gémir sur la mixité sociale perdue ; elle ne reviendra pas de sitôt. En revanche, il nous est possible d’agir sur deux points. D’une part, traiter convenablement les élèves des collèges de la périphérie en leur permettant d’entrer dans la culture par des voies qui leur soient pratiquement accessibles. D’autre part, redonner à la technique la place qu’elle mérite dans la culture commune de l’école.
Se pourrait-il d’ailleurs que ces deux missions n’en fassent en réalité qu’une ?
Serge Pouts-Lajus