Quel enseignant ne rêverait pas de comprendre comment fonctionne le cerveau de celui qui apprend ? Malheureusement la plupart des travaux de recherche menés actuellement sont difficilement accessibles au commun des mortels. De temps à autres quelques ouvrages passent la barrière du contexte scientifique et mettent à la disposition de tous des outils pour comprendre où en est la recherche sur ces questions. Deux ouvrages parus récemment retiennent notre attention :
Marc Jeannerod, directeur de l’institut des sciences cognitives et professeur d’université publie La nature de l’esprit chez Odile Jacob (Paris 2002, 257 p.). Jean Pierre Changeux, professeur au Collège de France publie L’homme de vérité chez Odile Jacob (Paris 2002, 448 p.)
Ces deux auteurs interrogent très explicitement notre compréhension du fonctionnement du cerveau et nous montrent que les travaux actuels des chercheurs ouvrent des perspectives très intéressantes et posent de nombreuses questions. Au premier rang de ces questions est celle de la vision mécaniste du fonctionnement du cerveau symbolisée très souvent par les travaux menés autour de l’intelligence artificielle. Non le cerveau ne fonctionne pas comme un ordinateur tel qu’on le connaît actuellement. On pourra penser que ce propos est banal, encore faut-il dépasser le propos de comptoir et le prouver. Les deux auteurs nous montrent en premier lieu que la vision nécessairement réductionniste que propose le travail et le discours scientifique ne doit pas se traduire par une compréhension sommaire des fonctionnements réels. Les deux auteurs nous invitent à reprendre notre compréhension de la notion de complexité en regard de ce fonctionnement du cerveau dont on commence à peine à comprendre quelques éléments.
Distribution, réseau, synchronisation sont des descriptions partielles de processus temporairement acceptables pour essayer de comprendre l’activité neuronale. Cependant on ouvre là des horizons beaucoup plus larges que la simple observation peut laisser croire. Les travaux qui s’appuient actuellement de plus en plus sur la puissance de la neuro imagerie nous ouvrent des horizons que les deux auteurs abordent sur la question de la conscience.
Cette question de la conscience est au centre des préoccupations de ces chercheurs. De là découlent différentes pistes de travail sur la notion de vérité, d’esprit, de cognition, de culture et aussi d’humanisme. Ce dernier questionnement étant celui des limites : limites de la compréhension, limites de la connaissance, limites de la science, limites de l’homme…
L’enseignant qui cherche à comprendre l’élève qui apprend ne trouvera pas dans ces ouvrages de réponse «utile». Par contre celui qui cherche à donner du sens au fondement de son action trouvera là des matériaux solides pour réfléchir à ce qui se passe dans le processus apprendre et peut-être même y puiser des ressources pour rechercher des modèles innovants pour l’action.
On accuse souvent les enseignants de lire trop peu et d’être trop éloignés des travaux qui permettent d’éclairer leur métier. Il est vrai que les ouvrages proposés ici sont difficiles d’accès pour ceux qui n’ont pas les éléments fondamentaux de ces champs de recherche. Et pourtant il semble bien qu’ignorer ces travaux, ou ne les aborder qu’au travers de la lecture de certains médias vulgarisateurs peut retarder grandement l’évolution des pratiques d’enseignement. Si d’un coté enseigner/apprendre suppose une réflexion sur le pourquoi, n’oublions pas qu’il y a aussi un comment qui va bien au delà des techniques de mise en œuvre et qui suppose la connaissance approfondie de l’apprenant. Souhaitons que de tels ouvrages soient mis à la disposition des jeunes enseignants qui entrent dans le métier et que certains de leurs passages y soient travaillés pour donner envie au monde de l’enseignement de s’associer largement à ces travaux.
Bruno Devauchelle
Cepec