“Cette inadaptation de l’enseignement à l’état présent de la société a pour signe visible l’absence ou l’insuffisance des contacts entre l’école à tous les degrés et la vie… Le divorce entre l’enseignement scolaire et la vie s’accentue par la permanence de nos institutions scolaires au sein d’une société en voie d’évolution accélérée”.
On pourra bientôt commémorer les 60 ans de cette vision d’une école en retard sur une société en pleine mutation. Cette phrase est extraite du plan Langevin – Wallon, un programme conçu en 1946. Bien loin de craindre l’évolution rapide de la société, ce Plan visait en 1946 à la soutenir et à construire une école nouvelle pour une France plus démocratique et prospère. Au moment où le pays célèbre les 60 ans de sa Libération, elle résonne étrangement tant le monde éducatif parait aujourd’hui éloigné de l’optimisme, des espérances, de la confiance de cette époque.
Des signes divers illustrent ce désenchantement. Le sondage réalisé début juin pour le Snuipp montre que 62% des jeunes instits ne croient pas dans la réussite de tous leurs élèves. Une forte minorité d’entre eux oppose effort et épanouissement; presque deux sur trois sont favorables au redoublement. Commentant ces résultats, P. Meirieu dans Libération stigmatisait le retour de la tradition et des “bonnes vieilles méthodes”. Une allusion aux discours ministériels qui, de Ferry à Fillon, valorisent l’autorité des maîtres, l’effort, la transmission et la sélection précoce. Une enquête européenne va dans le même sens quand elle établit que l’enseignement secondaire français, quoique correctement doté en matériel informatique, utilise le moins souvent en classe l’informatique de tous les systèmes scolaires européens de l’ouest comme de l’est, comme si l’Ecole restait immobile et étanche.
Pourtant les doutes qui travaillent l’école peuvent aussi servir à son évolution. Un premier indice est fourni par Le Monde qui a consacré une page à remettre en question, études à l’appui, un des tabous du système scolaire français : le redoublement. Le journal s’appuie sur une étude officielle pour mettre en doute son efficacité et rappelle que de nombreux pays européens ignorent sélection et redoublement tout en ayant de bons résultats scolaires. A vrai dire de nombreux travaux universitaires affirment l’inutilité voir la nocivité du redoublement depuis des années. Ce qui est nouveau c’est que l’opinion publique soit prise à témoin et que la controverse devienne publique. Un autre indice de changement a été fourni par les débats des congrès des associations de parents d’élèves fin mai début juin. Ainsi la FCPE a travaillé sur l’orientation et rappelé que pour elle l’enfant reste au centre du système. L’Unapel a réfléchi sur l’évaluation avec le souci de “lui redonner tout son sens” c’est-à-dire d’en faire quelque chose de formatif.
Est-ce vraiment un paradoxe que les parents aient plus confiance dans une évolution de l’école ? Le paradoxe n’est-il pas plutôt que le même ministère puisse produire des études condamnant une pratique massive du redoublement et les oublier pour la recommander ? En remettant les parents au coeur du débat scolaire, les évènements de ces dernières semaines nous rappellent que l’évolution des mentalités commande celle du système scolaire davantage que les décisions officielles.
François Jarraud
Le sondage réalisé pourle Snuipp
http://www.liberation.fr/page.php?Article=210820
Le redoublement dans Le Monde
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3226,36-366452,0.html