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« Comment démontrer l’influence (des grands pédagogues) sur l’évolution de nos pratiques, plus concrètement les liens avec la théorie, et comment celle-ci éclaire-t-elle nos décisions dans le feu de l’action? Qui sont nos mentors, les philosophes, sociologues et psychologues, qui ont structuré notre identité collective professionnelle? Comment la filiation et la pérennité de ces courants s’illustrent-elles dans nos pratiques? » Ces questions extraites du numéro de février-mars de la revue québécoise « Vie pédagogique » illustrent la révolution tranquille que connaît l’enseignement québécois : la province est engagée dans une réforme éducative qui demande de construire des programmes par compétences et par suite qui exige une réflexion pédagogique plus élevée des enseignants. D’où ce dossier sur « les grands pédagogues » qui mêle réflexion théorique et analyse de pratiques autour de cinq grands enjeux de la réforme : le statut des connaissances, l’élève actif, l’approche différenciée, le retour réflexif et la métacognition et la citoyenneté. Il s’ouvre sur un entretien avec Britt-Mari Barth qui expose son modèle de la médiation et de l’apprentissage. « l’école ne doit pas être un lieu d’accumulation de savoirs statiques qui servent essentiellement à répondre à des questions lors des examens. Ce qui compte beaucoup, je pense, pour éviter cela, c’est la conception que l’on a de ce qu’est le savoir, car elle guide l’acte pédagogique : le savoir est-il une entité posée là comme un programme qu’il faut « couvrir », ou peut-on plutôt le concevoir comme un ensemble « d’outils » qu’il faut apprendre à maîtriser? Quelqu’un qui sait, un expert dans un domaine, n’utilise pas son savoir pour répondre à des questions du genre stimulus- réponse; il pense avec le savoir, grâce à lui il peut interpréter des situations, résoudre des problèmes, prendre des décisions… Le savoir est donc inséparable de la capacité d’agir et de participer à une culture donnée ». Le numéro propose de nombreux témoignages d’enseignants sur leur application de la réforme. Ainsi un professeur d’histoire réfléchit au rôle des connaissances dan une approche centrée sur le développement de compétences : ses élèves apprennent à argumenter : « à « boucher »… Ils peuvent étayer leur communication à l’aide d’arguments solides… La tâche les amène aussi à développer et à organiser leur pensée : il faut ordonner chronologiquement les événements, les discriminer, les ordonner, les organiser… Dans une épreuve traditionnelle, des élèves peuvent avoir 90 sur 100, mais à partir du moment où on leur pose des questions « entre les lignes », cela ne va plus pour eux. Or, quand ils ont à communiquer et à justifier le bien-fondé de leurs arguments, toute cette démarche de recherche aide les élèves à mieux le faire ». Un de ses collègues montre l’influence de penseurs de l’éducation sociale sur les pratiques enseignantes :  » neuf principes à la base de pédagogies favorables à l’éducation sociale des jeunes et tout particulièrement à l’éducation à la citoyenneté : 1. L’enseignant ne monopolise plus l’avant et le centre des activités de la salle de classe; 2. Les enseignants deviennent moins instructeurs et davantage des facilitateurs de l’apprentissage…; 3. L’image de l’élève comme un vase vide à remplir est rejetée; 4. Les élèves participent activement à leurs apprentissages et les orientent; 5. Les classes, ouvertes et démocratiques, sont caractérisées par le partage et le respect mutuel entre les élèves ainsi qu’entre le professeur et ses élèves; 6. L’enseignant perçoit moins son rôle dans le registre de l’autorité que dans celui de la fonction qui consiste à aider l’élève à grandir et à se développer; 7. Le but principal de l’intervention de l’enseignant est que l’élève ait de plus en plus de pouvoir sur sa vie; 8. Le curriculum prend racine dans la réalité des élèves; 9. L’approche de résolution de problèmes est privilégiée ». D’autres articles de ce très riche numéro évoquent la métacognition, la pédagogie différenciée, la coopération et la citoyenneté. Au moment où le conservatisme pédagogique voire l’ordre moral le plus archaïque semblent triompher en France, ce numéro de Vie pédagogique apporte un peu d’air frais et nous rappelle que décidément nous sommes un pays singulier…
Vie pédagogique n°134