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Patrick Picard

Notes de conférence prises par Patrick Picard, non relues par l’auteur

Aux origines de la pensée…

La peinture est née avant l’écriture, dans l’obscurité des parois inaccessibles. On pense qu’elle était liée à des rites, mais on ne sait rien de son utilité sociale, sauf qu’elle nécessitait une démarche de pensée qui fasse advenir face à soi quelque chose qui n’existait pas, permettant le regard, la prise de conscience sur un geste, sans référence au plaisir ou au goût.

Mais la paroi de la caverne présente l’inconvénient d’être difficilement transportable. On va donc imaginer de transporter le mur. L’enduit, en absorbant la couleur al fresco, fabrique une pellicule colorée suffisamment épaisse pour traverser les siècles, toujours précieuse et rare.
Vient ensuite un support encore plus transportable (les icônes sur bois), centré sur le plus sacré (la religion), se codifiant progressivement. Très récemment (vers 1500) on va inventer le tableau, qui se déploie et se roule, qui transforme l’œuvre en mobilier domestique déplaçable, échangeable, dont on peut commander le thème, qui va devenir propriété des puissants, des marchands (les portraits, les paysages, la nature morte précédemment condamnée par l’Eglise) et dont les auteurs restent souvent anonymes.

La fonction sociale de la peinture, son rapport avec l’emprise du pouvoir est donc permanente au cours de l’histoire, avec l’incorporation de codes très puissants, faisant peu de place à l’expression personnelle.

Photo !

Il faudra attendre l’apparition de la photo, avec son versant représentatif et interprétatif, pour qu’on voie autrement la rôle de la peinture, dont la fonction était de donner l’illusion de la présence, y compris de rendre tangible celle de l’idée divine.
Avec Manet, les peintres imaginent de peindre à leur manière, font scandale avec la nudité non académique, mais aussi avec un pinceau qui ne cherche plus à reproduire le réel, parfois en ayant l’outrecuidance de montrer le social. Les impressionnistes vont peindre sur fond blanc (et non sur fond noir comme précédemment) et faire des ombres bleues, en intégrant leur sensibilité au tableau. Les peintres vont même se mettre à  » faire école « , ou à changer de style lorsqu’ils pensent avoir fait le tour de la connaissance académique. Ils vont se transformer en  » chercheurs  » explorant des univers nouveaux, abandonnant jusqu’au principe même du tableau, osant les reliefs, le mouvement.

La peinture est donc un objet indéfinissable, dont les développements contemporains visent à réinterroger l’histoire de la peinture, à s’y inscrire dans des références culturelles, comme en abyme.

Et dans la classe ?

On peut se demander, comme pour les autres disciplines, s’il faut faire repasser les élèves par toutes les phases de l’humanité.

On peut se demander quel est le moyen de faire sortir quelque chose du sujet, de mettre à l’extérieur ce qu’il a à dire. On a longtemps cru qu’il fallait faire un croquis, un dessin avant de réaliser en vrai, en grand, en couleur. Au XXe siècle, au contraire, on accepte l’idée de modifier sa pratique en cours de réalisation pour réagir à ce que renvoie le tableau. On part donc d’une amorce d’une idée pour le modifier ensuite. Mais ce qui peut aller pour l’artiste ne se transfère pas pour l’enfant, qui a besoin d’alterner des phases d’exploration avec des phases de défi, adaptés à l’âge des élèves, avec le but de ses demander ce qu’on peut attendre de l’apport spécifique des arts visuels.

Comment évaluer ça ? Certainement pas en se comparant aux artistes. D’abord, parce qu’on est à l’école, et qu’on ne fait pas de l’art sans avoir forgé de concept. Un enfant de 8 ans se fabrique cela par la pratique, la fréquentation des musées, l’entrée dans la culture. Mais encore faut-il que vous acceptiez, en tant qu’enseignant, de dire que vous ne savez pas, mais que vous êtes prêts à apprendre, à créer du désordre pour légitimer aussi ce que vous devez ordonner dans d’autres disciplines.

Engagez-vous !

Mais il faut aussi que vous pratiquiez, que vous vous autorisiez à entrer dans cette transmission culturelle qui permet de penser avec des images, d’entrer dans l’abstraction, la représentation. Enseigner les arts visuels, c’est agir sur la pensée, aider la personne à mettre en place des éléments vitaux pour sa construction.
Et c’est en passant d’un champ à l’autre, des arts aux mathématiques ou à la physiques, que vous structurez. Et il faut admettre qu’à l’école, on ne fasse pas des œuvres tout en faisant du singulier, de l’unique, de la même façon qu’on ne fait pas de découvertes mathématiques quand on fait des maths à l’école.