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« Plus l’amplitude d’âge est importante, meilleurs deviennent les résultats aux évaluations » – Sylvain Connac

Le 14 novembre, le Café pédagogique (1) rendait compte de la publication par Christine Leroy-Audouin et Bruno Suchaut (Iredu) d’une étude mettant en question des cours multiples :  » Il apparaît donc que la fréquentation d’un cours multiple, en CE1 comme en CM1, n’est jamais efficace au plan pédagogique, elle est même néfaste quand les élèves sont placés d’office dans ce type de classe parce qu’il n’y a pas d’autre choix pour eux ». Nous avons demandé à Sylvain Connac, docteur en Sciences de l’Education et enseignant à l’Ecole coopérative Antoine Balard, à Montpellier, son sentiment sur cette publication.

Christine Leroy-Audouin et Bruno Suchaut viennent de faire paraître les résultats d’une étude intitulée :  » Efficacité pédagogique des classes à plusieurs cours : des résultats nouveaux qui relancent le débat «  (Septembre 2006). Ils développent le constat général que les cours simples sont préférables aux cours doubles. Ces résultats contredisent en partie ceux apportés par une autre étude (Christine Leroy-Audouin et Alain Mingat – 1995) qui présentait la classe à cours double comme vecteur de résultats scolaires légèrement supérieurs à ceux des classes à cours simple. Cette étude avait surtout renforcé les conclusions du rapport Oeuvrard sur l’impact pédagogique des classes uniques en milieu rural (1990).

Dans cette nouvelle étude, il est souvent fait référence aux classes multi-niveaux, aux appréhensions de certains parents à y inscrire leur enfant et de certains enseignants à en prendre la responsabilité. Dans beaucoup de ces classes, l’hétérogénéité est plutôt vécue comme une contrainte, à l’image de ce que présentent Christine Leroy-Audouin et Bruno Suchaut : les enseignants, outre un travail de préparation plus lourd, doivent opérer à un « jonglage » permanent entre plusieurs niveaux d’enseignement. C’est en tout cas avec cet esprit général qu’ils semblent concevoir leurs pratiques professionnelles.

Cette recherche semble peu mobiliser un autre concept, celui de classes multi-âges qui s’appuie sur une réalité toute autre. Elle intervient notamment au sein de classes uniques où, justement, la pratique du  » jonglage  » s’avère extrêmement difficile voire impossible à tenir. Le travail des enseignant n’y est pas plus lourd mais différent, plus orienté vers l’enrichissement du milieu que vers la conception de situations didactiques. Le multi-âge part du principe que l’hétérogénéité est un atout pour la classe et pour les apprentissages de chacun. Il induit donc de la coopération entre enfants, ce qui est sensé générer de la personnalisation du travail et une diminution des situations d’ennui et d’inactivité cognitive.

Les fonctionnements en  » multi-âges  » se distinguent du  » multi-niveaux  » dans le sens où ils refusent de catégoriser les enfants selon leur âge. Ils invitent les enseignants à concevoir la classe autrement, bien souvent par l’emploi d’un outil pédagogique apporté par C. Freinet, le plan de travail. C’est toute la part accordée à l’autonomie qui semble être à l’origine de l’amélioration des résultats pointée par les études sur les classes uniques.

Il apparaît en même temps que la plus-value engendrée par les classes multi-âges est proportionnelle à leur degré d’hétérogénéité : plus l’amplitude d’âge est importante, meilleurs deviennent les résultats aux évaluations. C’est une des conclusions du rapport d’Agnès Brizard (DEP, 1995) : « Le score de mathématiques est d’autant plus élevé que le nombre de niveaux dans la classe est important. Les élèves scolarisés dans les classes à deux niveaux obtiennent des scores équivalents à ceux d’élèves d’une classe à un seul niveau. Pour les autres types de classes, les écarts constatés atteignent 7 points lorsque cinq niveaux coexistent dans la classe. « 

Inversement, plus on tente de réduire l’hétérogénéité dans les classes, notamment avec les RPI, moins on peut compter sur l’impact de l’autonomisation des élèves sur leurs apprentissages. « Les cours simples ont une forte prise en charge des élèves mais une faible optimisation du temps scolaire, alors que les classes uniques accordent une grande autonomie aux élèves tout en maximisant le temps effectivement scolaire (les cours multiples sont dans une position intermédiaire). » (Leroy-Audouin / Mingat – 1995) Il n’est donc plus étonnant que, dans une classe à cours double, à fortiori qui fonctionne par  » jonglage « , l’on obtienne des conclusions de recherches similaires à celles développées par Christine Leroy-Audouin et Bruno Suchaut.

En ce sens, leur travail invite chaque enseignant à concevoir ce qui échappe à leur contrôle comme vecteur d’apprentissages chez les élèves et ce, quel que soit le degré d’hétérogénéité dans les classes. C’est ce qu’Alain Marchive nomme les situations adidactiques (Talbot, 2005). On peut aisément envisager, qu’en y étant autorisés, des enfants inscrits dans une classe de CM2 puissent développer des stratégies d’autonomisation équivalentes à celles que l’on rencontre dans les classes uniques, et en bénéficier à égale mesure.

Cette idée est en somme développée par les CREPSC, notamment par l’intermédiaire des travaux de Bernard COLLOT : les enfants apprendraient d’autant mieux qu’ils se construisent des « langages », c’est-à-dire des modes de traitement de l’information. Ces langages, indépendamment de leur nature, contribuent chacun à la densification du cerveau. La plupart du temps, c’est leur multiplicité qui accroît les apprentissages, en particulier ceux relatifs aux compétences scolaires.  » Les langages se construisent d’abord dans une phase exploratoire de création débridée. L’environnement dans lequel se trouve l’enfant et à partir duquel s’effectuent les interactions (et les stimuli) qui se traduiront par des connexions neuronales est essentiel. Chaque langage se construit par interférences et dépendances avec les autres langages, en interaction avec les autres. Les autres langages contribuent eux aussi à la construction des langages dits fondamentaux.  » (COLLOT B. et al., « Du taylorisme scolaire à un système éducatif vivant », Editions Odilon, 2004, p 46.)

Sylvain Connac


  1. http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2006/11/index141106.aspx

Page publiée le 29-11-2006