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Frédéric Torterat

Concernant l’intégration des IUFM aux universités, je rappellerais volontiers, à titre de préambule, que celle-ci s’inscrit dans un mouvement général de reconnaissance des établissements d’enseignement supérieur au niveau international qui suit un cours normal, mais que notre pays tarde à intégrer. Les incitations du Ministère, depuis au moins le début des années 2000 (et bien avant à y regarder de plus près), vont effectivement dans le sens de regroupements et de fusions des universités, lesquels permettraient de favoriser les cursus pluridisciplinaires dans le cadre d’établissements généralistes, dont l’offre de formation professionnelle coïnciderait avec les recommandations, notamment, du traité de Lisbonne et, plus récemment, du HCE. Le morcellement qui préexiste aujourd’hui aux projets de PRES empêche d’ailleurs bon nombre de projets de se mettre concrètement en place, par exemple dans les domaines de la recherche-action, de l’organisation de GIP et de la mise en place de programmes intégrés et de réseaux d’excellence conformes aux directives européennes des différents Programmes-Cadres.

La loi sur la Recherche d’avril 2006 présente, dans ces conditions, des difficultés concrètes à s’appliquer intégralement, et cela sans parler des réticences quelquefois très politisées de certaines universités, en liens étroits avec les Régions et les Collectivités territoriales. Même si nous assistons, comme l’indiquait dernièrement dans Le Monde du jeudi 14 décembre 2006, Alain Renaud, fondateur de l’Observatoire européen des politiques universitaires, à un  » retour de balancier « , le défi est encore loin d’être relevé.

Dans cette vue, les termes de la loi Fillon d’avril 2005 sont très explicites, et vous me permettrez de me féliciter de leur opportunité et de leur appropriété. Je n’y reviendrai donc pas, non plus que je ne reviendrai sur les déclarations formulées le 10 novembre dernier par Yannick Vallée, premier vice-président de la CPU, et encore moins sur celles de la Conférence des directeurs d’IUFM, qui se sont réunis en séance plénière à Paris les 7 et 8 décembre. Je voudrais juste attirer votre attention sur quelques suggestions que je tiens à formuler sur la question des formateurs.

La dernière CDIUFM l’explique très bien :  » Tous les formateurs des IUFM sont transférés à l’Université. Cela étant, et compte tenu de la généralisation d’un processus de recrutement annoncé par le Ministre – à savoir des formateurs recrutés sur des emplois à service partagé (relevant d’une double affectation, établissements scolaire d’un côté, Université de l’autre) – , la future école IUFM devra pouvoir disposer d’équipes-catégorielles de formateurs permanents à l’instar des autres écoles ou instituts universitaires (école d’ingénieurs, école polytechnique, IUT,…) « .

Effectivement et à mon sens, la répartition d’une implication  » sur le terrain  » de l’enseignement (terme qui n’a rien d’innocent, et qui répond à un reproche courant qui fait peu cas des spécificités du métier de formateur en public d’adultes) et d’activités de formation des maîtres est pertinente, mais elle exige une distribution raisonnée qui prenne en compte l’universitarisation de la formation initiale et de la formation continue des enseignants des premier et second degrés, entre autres dans le cadre du master. A ce titre et concernant donc les formateurs, je suggèrerais pour ma part les modalités suivantes :

Pour les Maîtres de Conférences, le temps consacré à la recherche-action, aux entretiens d’explicitation et d’autoconfrontation des personnels, à la mutualisation des données ainsi qu’à leur diffusion, apparaît très exigeant et aussi peu compatible avec le service partagé que pour les enseignants du premier et du second degrés qui sont directement impliqués, de manière analogue, dans la recherche-action, mais aussi et surtout les visites conseil, les analyses de pratiques, la coordination des actions de formation, la mutualisation des données empiriques et leur éventuelle mise en débat (qui ne saurait être du seul ressort des maîtres de conférences), ainsi, bien entendu, que la formation des formateurs.

Ces missions nécessitent une prise en compte générale de l’ensemble des actions menées dans le cadre des écoles de formation des maîtres intégrées aux universités, mais nécessite dans le même temps une réaffirmation de l’universitarisation des personnels concernés. J’en prends pour illustration tout ce qui caractérise l’innovation dans le domaine de la formation d’adultes : pour créer un module de formation par exemple, constituer des équipes en collaboration avec les Inspections Académiques, ou co-organiser un projet de GIP, d’ERTe ou de PI (Programme Intégré au format UE), seuls des formateurs qui sont pleinement impliqués et à titre permanent dans l’ensemble des actions sont à même d’en intégrer l’intégralité des perspectives.

Cela n’exclut bien évidemment pas la présence réaffirmée ­ ou instituée ­ de formateurs du second et du premier degrés en service partagé dans l’Ecole, mais je les vois mal disposer d’un avis autre que consultatif et/ou d’expertise pour ce qui relève des plans de formation, de l’innovation des modules ou des actions de coordination IA-Universités. Comment imaginer, en effet, qu’en plus de leur service en établissement du primaire ou du secondaire, complété par des interventions auprès des personnels stagiaires et dans le cadre de la formation continue, avec notamment un minimum de visites conseil, de conseil pédagogique et d’analyses de pratiques, ces enseignants disposent encore du temps nécessaire pour coordonner, innover, co-organiser, faire de la recherche-action et de la formation de formateurs, laquelle nécessite, en elle-même, un volume de formation individuelle équivalent à leurs heures de service en établissement du primaire ou du secondaire ? Après un rapide calcul, il apparaît que quelqu’un qui serait impliqué en service partagé dans l’ensemble des fonctions qu’exige une véritable formation de formateurs, avec l’autoformation et la co-formation que cela suppose, ferait tout simplement un service  » réel  » de 75, dans le meilleur des cas, à 105 heures par semaine dans la pire des configurations !

Dans cette vue, et quel que soit son service, tout personnel formateur impliqué dans la recherche devrait bénéficier d’une décharge minimale, et pourquoi pas de détachements ponctuels, comme cela se pratique notamment auprès de l’INRP.

Il ne s’agit nullement d’établir une échelle de compétences en marge de l’attribution des grades, mais de reconnaître l’indispensable formulation de la répartition des services en termes de statut et de décharge. Par exemple, j’imagine pour ma part très faisable qu’un personnel en service partagé intègre, à l’occasion d’un plan quadriennal où il serait impliqué, un statut de personnel à temps plein, et qu’il y soit éventuellement intégré ensuite à titre permanent.

Vous comprenez bien que ces remarques et ces suggestions ne vont nullement dans le sens d’une pérennisation de prérogatives ou autres inepties de ce genre : celles-ci sont notamment le fruit d’une réflexion que j’ai menée avec mes collègues du Pôle Sud-Est des IUFM, et que d’autres collègues ont menée sur le territoire national avant nous. Ces « suggestions », puisque c’est dans ces termes que nous sommes consultés, prennent appui sur de nombreuses ressources qui me dépassent et dont je ne suis ici qu’un humble porte-voix. Quoi qu’il en soit, toutes se rejoignent dans un seul mot d’ordre : une formation et des services bâtis sur des projets, dans l’esprit d’un cadrage national de formation, et qui ne relèvent ni de l’improvisation, ni de déclarations de presse dont les transports sont quelquefois peu contenus.

En outre et sur un autre plan, je ne vous cache pas mon inquiétude vis-à-vis de la non mention du mémoire professionnel dans les recommandations du HCE et dans le projet d’Arrêté du Ministre. L’absence de ce type de production et de ce support de validation dans la formation des enseignants du premier et du second degrés rendrait tout simplement inopérable au plan institutionnel le transfert de crédits universitaires éligibles au niveau de la diplomation de master, et mettrait de ce fait  » hors la loi  » les masters professionnels délivrés au titre de la formation des maîtres. Si tel est le cas, une génération entière d’étudiants serait livrée à la discrétion de validations d’acquis d’expérience et d’équivalences d’études dont on sait combien, dans ce cadre en particulier, elle apparaît génératrice d’inégalités et représente un coût institutionnel et social disproportionné par rapport aux attentes du Ministère, du grand public et de la société civile.

Frédéric TORTERAT
IUFM de NICE
http://torterat-frederic-perso.wifeo.com

Page publiée le 07-12-2006