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En présentant le 10 janvier les nouveaux dispositifs d’orientation des lycéens, Gilles de Robien a mis en avant de bonnes intentions. « Je pense d’abord aux plus fragiles, notamment aux 20 % d’étudiants qui quittent l’enseignement supérieur sans diplôme… Cela représente 80 000 bacheliers qui sortent du système sans autre diplôme, et qui vont connaître d’importantes difficultés pour trouver un emploi. C’est un immense gâchis. Il faut y mettre un terme. Et puis, je pense aussi aux diplômés de l’enseignement supérieur qui peinent à trouver un emploi ».

Dans les deux cas il s’agit souvent des bacheliers des sections technologiques ou professionnelles, c’est-à-dire de jeunes de familles défavorisées. Ainsi seulement 39% des premiers réussissent à décrocher un Deug. Un taux qui descend pour les seconds à 17% ! Il est évident qu’une réaction s’impose devant un tel gâchis.

Pourtant nous défendrons ici l’idée que la procédure mise en place par le ministre les desservira et qu’elle ne poursuit pas un but social. Nous tenterons également de montrer que la conception de l’orientation de Gilles de Robien est archaïque.

Une sélection déguisée… Le ministre a beau promettre « qu’il ne s’agit évidemment pas de sélection, mais d’un conseil », de fait, l’orientation des étudiants ne pourra pas, faute de personnel universitaire, être personnalisée. Ce sont des procédures automatiques d’affectation ou de rejet qui seront très probablement mises en place et qui décideront du sort de l’étudiant. Le rapport Hetzel, qui guide le nouveau dispositif, prévoit d’ailleurs ouvertement une procédure contraignante. Le jeune qui s’inscrit en université contre l’avis du conseil de classe ou de l’université est convoqué à la fin du premier semestre universitaire et celle-ci décide librement de son sort. Elle le fait d’ailleurs au moment le plus délicat de la carrière étudiante : celle de l’adaptation à un univers nouveau où même des bacheliers généraux perdent pied. Les besoins financiers et la concurrence universitaire aidant, on peut craindre une élimination rapide des bacheliers technologiques et professionnels des campus.

La fin des bacs technologiques et professionnels. C’est très clairement inscrit dans le rapport Hetzel et dans les propos ministériels : la place des bacheliers professionnels et technologiques est en STS et éventuellement en IUT. C’est désigner officiellement ces bacs comme des sous-bacs.

Cela se fait sur la foi des taux d’échecs des années précédentes. Mais entre temps certaines filières ont été modifiées. C’est le cas de la principale voie technologique, la filière STG, dont la réforme a été mise en place à la rentrée 2005. Les membres du groupe d’experts, Alain Burlaud et Jacques Saraf, évoquaient alors  » le principe de l’égale dignité des voies de formation ». La nouvelle filière, doit « préparer à un accès à toutes les études supérieures juridiques, économiques ou de gestion… La liaison entre enseignement scolaire et enseignement supérieur doit être souple et permettre le plus possible les changements d’orientations. Il serait en effet particulièrement regrettable que, dès la classe de seconde, les élèves aient à se déterminer de façon définitive sur le choix de leurs études supérieures et, ultérieurement, de leur métier. » Du coup, les référentiels ont à la fois recadré les formations technologiques et très sensiblement relevé le niveau d’exigences en enseignement général.

Les premiers bacheliers STG sortiront en juin 2007. Ils ont étudié avec l’espoir de se voir offrir de réelles possibilités de réussite dans tout l’enseignement supérieur mais déjà leur sort est réglé. Le défi a été lancé en vain par une administration qui se rit des lycéens. On ne saura probablement jamais si la réforme STG a réellement relevé leurs compétences et s’ils avaient leurs chances en université.

Que deviendront les jeunes des classes populaires ? Mais partons du pire cas. Le niveau des bacheliers technologiques et professionnels ne s’est pas élevé d’un iota (le niveau baisse bien sûr !) et il faut les préserver d’un fort taux d’échec en université. La procédure ne leur offre pas de réelle chance pour deux raisons.

La première c’est que le taux d’échec de ces bacheliers est également fort en STS et en IUT. Il est de 60% pour les bacheliers professionnels en STS et de 45% pour les bacheliers technologiques en IUT. C’est-à-dire sensiblement égal à celui de l’université. Il y a plusieurs raisons pour cela entre autre pédagogiques. Mais il y en a une que le ministre oublie toujours : c’est qu’en moyenne un étudiant sur dix abandonne l’université pour des raisons financières. Ce taux est évidemment beaucoup plus fort pour nos bacheliers.

La seconde c’est que si nombre de ces bacheliers s’inscrivent en université aujourd’hui ce n’est pas par manque d’information mais par manque de place dans les filières STS et IUT. Le ministre lui-même le reconnaît et annonce des mesures qui, pour des raisons juridiques, ne pourront concerner que les STS. Il est à craindre que le nombre de places disponibles en STS soit largement insuffisant. Il y a eu 140 000 bacheliers technologiques en 2005. 42 000 se sont inscrits en université et 58 000 en STS. En STS il y a moins 20 000 étudiants venant de bacs généraux… Le rapport Hetzel demande la création de 50 000 places et STS pour accueillir les bacheliers technologiques et professionnels. Le ministre n’entend pas les créer. Par conséquent on peut craindre qu’il ne s’agisse pas d’une orientation de ces jeunes mais bien d’une éviction des études supérieures. Disons le autrement : pour dégager des moyens pour les universités, le gouvernement propose l’éviction des jeunes des milieux défavorisés. Ce sont eux qui paieront la facture.

Une conception archaïque de l’orientation. Mais le plus surprenant dans la démarche ministérielle c’est sa conception de l’orientation. Le ministre entend rapprocher l’université et les entreprises et développe les filières professionnelles y compris l’apprentissage. Or ce qui caractérise l’enseignement supérieur français c’est, selon l’OCDE, le faible taux d’étudiants des études générales longues.

Pour Gilles de Robien il faut « tout faire pour favoriser la professionnalisation des études, et le rapprochement entre l’université et le monde de l’emploi… Le but est de mettre en place à l’université des systèmes d’orientation et d’insertion professionnelle qui soient en prise avec le monde de l’emploi et le tissu socio-économique local ». Et c’est aussi ce qu’il veut installer dès le collège en demandant aux entreprises d’indiquer les « bonnes » formations pour les élèves. « On a besoin de rapprocher les entreprises et le système éducatif pour échanger des informations, mieux accorder les apprentissages aux métiers qui ont le vent en poupe,… créer une culture commune ».

Cette conception de l’orientation n’est pas nouvelle. C’est, pour Dominique Odry, « le modèle adéquationniste qui vise à mettre en correspondance le profil d’un individu et celui d’une profession » (D. Odry, L’orientation c’est l’affaire de tous, I Les enjeux, CRDP d’Amiens 2006). C’est un modèle qui est apparu après la première guerre mondiale pour les milieux populaires et qui a eu ses heures de gloire après la seconde. Ce n’est évidemment plus la conception actuelle de l’orientation.

Dans une économie mondialisée et de plus en plus flexible (flexibilité des productions, des salaires, de la main d’oeuvre etc.), pour Jacques Senécat (idem) « il est devenu illusoire de piloter l’orientation par l’aval, c’est-à-dire par l’emploi. Il est devenu indispensable de miser sur la capacité des individus à s’adapter, par leurs propres moyens, à des situations évolutives et, souvent, largement imprévisibles. Le problème essentiel de la formation aujourd’hui est celui de l’adaptabilité des individus ».

On aimerait se rassurer et ne voir derrière les choix ministériels qu’un souci d’économies budgétaires. Mais on peut craindre qu’il y ait une vision aussi passéiste de la société et de l’économie futures que celle qu’il peut avoir en matière pédagogique.