Robert Delord est professeur de Lettres classiques. Il est aussi l’auteur de Latine loquere, un site consacré consacré au latin, et associé aux pages du lycée du Diois. Ce travail de publication et de partage a retenu notre attention pour sa qualité et sa richesse.
François Gadeyne. – Qui êtes-vous ?
Robert Delord. – Je suis titulaire d’une maîtrise de lettres classiques, avec un mémoire intitulé «Da mi basia mille», le baiser chez les poètes élégiaques latins ou l’invention de l’amour.
J’ai proposé la création et développé le site latin de l’Université Lumière Lyon 2 (Bibliotheca Latina Lugudunensis, grâce à l’énorme travail réalisé par Anne-Mortier, l’un des professeurs d’informatique de l’Université. Malheureusement, après cinq ans de travail (bénévole à l’exception de quelques heures de vacations informatiques) ce projet est tombé dans les oubliettes, faute d’une véritable volonté des enseignants de langues anciennes. Un serveur contenant de nombreux textes avait déjà été ouvert, une équipe soudée d’une dizaine de collaborateurs s’était constituée et un grand nombre de documents devaient être entrés dans une base de données qui les aurait rendus accessibles au moyen d’un puissant moteur de recherche multi-critère développé pour l’occasion par Anne-Marie Mortier.
C’est dommage, car pour l’époque, le site était en avance sur son temps en ce qui concerne les sites francophones consacrés aux langues anciennes et serait à n’en pas douter aujourd’hui un site d’envergure en la matière.
Professeur certifié de lettres classiques depuis 3 ans et demi, au collège du Diois à Die dans la Drôme depuis 2003, j’enseigne le latin et le français au collège dans des proportions et avec des effectifs de rêve pour un enseignant de langues anciennes : 16h00 de latin sur les 20h30 de mon emploi du temps ; 123 élèves latinistes pour un collège qui dépasse à peine les 450 élèves (une troisième à 23 élèves, deux quatrièmes à 16 élèves, trois cinquièmes à 20 élèves, et une quatrième à double option «arts du cirque – latin», avec laquelle je travaille en semi-présentiel).
Depuis cette année, je suis également formateur pour deux stages au PAF de l’académie de Grenoble, intitulés « innover en langues anciennes », l’un en Savoie – Haute-Savoie et l’autre en Drôme – Ardèche, en co-animation avec Lise Biscarat, qui devrait d’ici peu contribuer au site Latine Loquere. Enfin, ma collègue Lise Biscarat et moi-même sommes chargés d’alimenter, dans les mois qui viennent, une nouvelle rubrique « Fiches didactiques » sur le site du projet Hélios de l’Académie de Grenoble en partenariat avec l’U.C.L., Université Catholique de Louvain.
F.G. – Pour quelles raisons, et dans quels buts avez-vous créé Latine Loquere ?
R.D. – J’ai voulu créer un site avant tout à l’usage de mes élèves, mais quitte à passer du temps à créer un site, j’ai pensé qu’il fallait également en profiter pour partager des choses avec les collègues.
L’idée de créer un site latin pour les élèves m’est venue suite à un problème d’emploi du temps de certains latinistes de quatrième. En effet, mon établissement présente la particularité de proposer aux élèves une section optionnelle des arts du cirque; or, les élèves qui suivaient les deux options (latin et cirque) en cinquième étaient obligés jusqu’alors, faute de créneaux horaires suffisants, de choisir entre les deux options à leur entrée en quatrième. J’ai donc proposé d’expérimenter une méthode de travail adaptée à ce groupe de quatrièmes latinistes de sorte que les élèves désireux de poursuivre les deux options puissent le faire. Ainsi, nous travaillons, sur le principe du L.O.G. (Lycée Ouvert de Grenoble), une heure en présentiel, et deux heures en enseignement à distance (les élèves doivent utiliser les ressources du site et peuvent envoyer leur travail par mail).
Outre la possibilité de conserver ces deux options, l’utilisation d’un site offre de nombreuses possibilités pédagogiques pour l’ensemble des élèves latinistes (collègiens et lycéens).
J’ai tâché pour ce site, comme j’avais réussi à le faire accepter pour le site de Lyon 2, Bibliotheca Latina Lugudunensis, de mêler contenu « savant » et contenu « divertissant ». Trop de sites consacrés aux langues anciennes présentent, me semble-t-il, un contenu et/ou une charte graphique trop austère. Mon but est que les élèves se sentent « à l’aise » sur le site, dans un espace agréable et familier qui ne soit pas seulement un lieu de transit où l’on vient glaner rapidement quelques informations grammaticales mais au contraire un espace ouvert à l’éclectisme dans lequel on a envie de se promener et de revenir régulièrement.
Tout d’abord, je dois préciser que dans un souci de ne pas créer ce qu’on a appelé une « fracture numérique », les élèves ne disposant pas d’un accès Internet à domicile ainsi que ceux qui ne sont pas couverts par le haut débit se sont vus remettre, dès la cinquième, une copie du site sous la forme d’un cd-rom qui sera mis à jour chaque début d’année scolaire.
Ainsi, la mise à disposition de leçons plus complètes que celles notées en cours permet aux élèves de réviser en retrouvant la plupart des explications données oralement en cours par le professeur. Mais cela permet également aux élèves absents ou malades de rattraper les cours beaucoup plus vite.
Les exerciseurs en ligne, quant à eux, permettent aux élèves d’évaluer par eux-mêmes la qualité de leur travail : dans un premier temps par des exercices de révisions qui leur indique un pourcentage de réussite donné automatiquement (et indiscutablement !) à la fin de chaque exercice ; dans un second temps par une deuxième catégorie d’exercices, dits « exercices d’application » qui leur permet, une fois la leçon apprise, de vérifier s’ils sont capables de la mettre en application à travers des exercices variés et proches de ceux qu’ils auront à réaliser pour les évaluations.
Il est important de dire que ces exercices de révisions automatisés gomment en bonne partie les écarts qu’il peut y avoir entre les élèves « suivis » scolairement par leurs parents et ceux qui sont livrés à eux-mêmes dans cet exercice compliqué ; de ce fait l’argument encore largement répandu selon lequel le latin est une option réservée à une élite ne tient plus…
F.G.- – Quelles satisfactions ce travail vous a-t-il apportées ? Vous a-t-il conduit à modifier vos pratiques pédagogiques ?
R.D. – L’aspect le plus intéressant de la création et de la mise en ligne d’un site perso est sans conteste pour moi le partage, l’échange. La formation que j’ai reçue à l’I.U.F.M. pour enseigner des matières aussi « techniques » que les langues anciennes m’a paru fort insuffisante et j’essaye donc de compenser ce manque en échangeant et partageant mes pratiques avec celles d’un maximum de collègues. Cependant, internet facilite l’échange non seulement avec les enseignants, mais aussi avec les élèves. L’élève timide qui n’ose pas questionner le professeur en classe trouve parfois moins difficile d’envoyer un mail pour poser sa question. J’ai reçu un certain nombre de mails d’encouragements de collègues enseignants, mais ceux qui m’ont apporté le plus de satisfaction, sont indiscutablement ceux d’élèves latinistes des quatre coins de la France qui ont utilisé Latine Loquere et m’ont écrit pour me dire que le site facilitait leur travail et le rendait plus agréable et plus amusant.
Pour moi, Latine Loquere est également un terrain d’expérimentation de nouvelles pratiques. Je mets au point de nouveaux exercices, j’essaye de varier la forme de ces derniers pour voir lesquels sont les plus efficaces et les plus attractifs pour les élèves.
Enfin, il ne faut pas se le cacher, un site perso consacré à la section de latin d’un établissement est également une sorte de vitrine du travail accompli avec les élèves de cette section qu’on a envie et besoin de mettre en lumière pour montrer le dynamisme de l’enseignement de ces langues anciennes que l’on a trop souvent cherché à faire disparaître.
F.G. – Pouvez-vous résumer en quelques mots le contenu de votre site ?
R.D. – Latine Loquere essaye de proposer des documents et des médias les plus variés possibles : textes (textes d’auteurs, leçons, articles, synthèses, comptes-rendus, bibliographies, webographies…), images (schémas, plans, cartes, photos, dessins, peintures, illustrations…), documents audio et vidéo. Ces derniers sont répartis en rubriques parfois connexes dont le nombre a été limité à 6 pour éviter l’effet « labyrinthe » auquel on est confronté dans certains sites.
– La rubrique principale est évidemment la rubrique LANGUE qui donne accès à tous les textes et autres leçons, exercices et fiches de langue.
– La rubrique CIVILISATION renferme les fiches civilisation et exposé, l’iconographie et les autres documents et articles concernant le monde antique.
– La rubrique MULTIMEDIA propose un certain nombre d’exploitations en classe des documents vidéo et logiciels consacrés à l’Antiquité gréco-romaine.
– La rubrique PROJETS présente les réalisations diverses, les sorties et les voyages des classes de latinistes du Collège du Diois.
– La rubrique DIVERTISSEMENT offre une promenade récréative dans le monde gréco-romain de l’Antiquité jusqu’à nos jours à travers l’actualité, la musique, le jeu, la BD, le cinéma, l’humour, la cuisine…
F.G. – Quels développements comptez-vous donner à Latine Loquere ?
R.D. – Je viens tout juste d’obtenir un espace d’hébergement supplémentaire qui va me permettre de diffuser les quelques centaines de mega-octets de documents qui attendent sagement leur mise en ligne au fond de mes disques durs…
J’aimerais également intégrer tous les documents disponibles sur le site dans une base de données générale qui permettrait d’accéder directement aux documents recherchés grâce à un moteur de recherche multi-critérié.
Je souhaite poursuivre et développer la mise en ligne de documents produits par les élèves, comme la création et la diffusion de podcasts réalisés par les élèves à partir des sujets d’exposés donnés à l’occasion des voyages et sorties. Nous devrions d’ailleurs mettre en ligne sur Latine Loquere une dizaine de podcasts au retour de notre voyage scolaire en Tunisie Romaine (janvier-février 2007).
La mise en place d’un forum de discussion sur le site est également en projet.
Enfin, je souhaiterais organiser par le biais de ce forum des échanges avec des classes de latinistes d’autres établissements en France et / ou à l’étranger.
F.G. – Quelle vision des langues anciennes est la vôtre ?
R.D. Tout d’abord, il faut bien avoir à l’esprit qu’il ne s’agit pas de former des spécialistes, mais que l’enseignement (optionnel) des langues anciennes doit être un complément aux autres enseignements, une possibilité d’enrichissement culturel supplémentaire pour les élèves. A ce titre, je pense que les élèves qui font ce choix au collège et au lycée doivent être encouragés et valorisés. Pour moi, l’enjeu au collège est avant tout de susciter le goût de la langue et la curiosité pour la période antique.
Selon moi, le latin et le grec sont aussi un bon moyen (le dernier ?) de redécouvrir, dans la bonne humeur, la nécessaire maîtrise des outils de la langue. Ce ne sont pas les collègues professeurs de langues vivantes qui me contrediront.
D’autre part, l’Antiquité, de par le rêve et l’imaginaire que suscitent ses civilisations, ses peuples et ses héros, n’a jamais été aussi en vogue qu’aujourd’hui au niveau mondial. Il suffit, pour s’en convaincre, de consulter la longue liste des (super-)productions cinématographiques et télévisuelles de ces dernières années : Gladiator, Troie, Le dernier jour de Pompéi, la série Rome, et bientôt un Hannibal américain, celle des logiciels didactiques et ludiques utilisés par les enfants comme par les adultes (Rome, Caesar III, Age of Empires, Punic Wars, Legions…), celle des sociétés qui prennent ou donnent à leurs produits des noms aux consonances grecques ou latines, ou encore les catalogues des éditeurs de livres qui puisent plus que jamais dans le fonds antique. Aussi, à mon sens, les enseignants de langues anciennes se doivent-ils, tout en respectant l’esprit de ces dernières, de moderniser leur façon de les enseigner de façon à attirer de nouveau vers les langues anciennes des élèves auxquels on a essayé, pendant des années, de faire croire que le latin et le grec avaient cessé un jour d’être modernes.
Ce n’est pas un hasard non plus si la Finlande, pays dont la langue n’est pas indo-européenne, propose d’adopter le latin comme langue européenne officielle. Peut-être pourrions-nous, en parallèle à l’étude des textes anciens, donner à l’enseignement du latin et du grec un aspect plus oral en s’inspirant de certaines méthodes anglaises, allemandes, ou danoises.
Alors, Latine Loquamur !
Liens connexes
Latine Loquere
http://perso.orange.fr/latine.loquere
Bibliotheca Latina Lugudunensis
http://sites.univ-lyon2.fr/latin/
Projet Helios
http://helios.fltr.ucl.ac.be/
Lycée Ouvert de Grenoble
http://www.ac-grenoble.fr/lycee/log/