Print Friendly, PDF & Email

Quelques mois après le sulfureux rapport de l’Inserm sur « le trouble des conduites« , qui avait abouti à une pétition monstre et à son enterrement, l’Inserm revient sur le champ éducatif avec une nouvelle étude sur « Dyslexie, dysorthographie et dyscalculie » présentée, très prudemment, comme un simple « bilan des données scientifiques« . Pourtant, encore une fois, rien n’est moins objectif que ce texte qui associe une grande rigueur scientifique à un éclairage singulier et borné.

Commençons par le diagnostic. Selon les auteurs,  » d’après l’ensemble des études internationales méthodologiquement les plus rigoureuses, provenant en grande partie des pays anglophones, nous pouvons estimer que la dyslexie concerne au minimum entre 3 et 5 % d’enfants vers l’âge de 10 ans… Bien qu’on ne puisse pas assimiler tous les troubles de la lecture même graves à la dyslexie, les données issues de deux études épidémiologiques récentes réalisées chez l’adulte en France aboutissent à des données compatibles avec les estimations ci-dessus… Ces deux études constatent que 7 % des 18-29 ans éprouvent des difficultés graves ou importantes en lecture« . Cet extrait est assez représentatif. Il signale que l’essentiel du « bilan des données scientifiques » est puisé dans une littérature scientifique anglo-saxonne. Il insinue que finalement 7% des 18-29 ans pourraient relever des troubles. Or, comme le précise Franck Ramus, pourtant co-auteur du rapport, dans une intéressante étude sur la dyslexie, « les enfants dyslexiques ne représentent qu’une faible proportion des enfants illettrés. L’application des méthodes préconisées dans les cas de dyslexie ne résoudra pas nécessairement le problème de l’illettrisme« . Ce qui est frappant dans cet extrait c’est la légèreté de l’argumentation dès qu’elle tombe dans le domaine sociologique. Ce n’est pas par hasard. Ce rapport qui se veut un « bilan » a écarté les sociologues et les pédagogues au bénéfice des neurologues, des psychologues et des cogniticiens.

De ce fait, nous allons montrer que la thèse avancée est fragile. « Si des enfants sont en échec scolaire du fait de conditions sociales défavorables ou d’un niveau éducatif insuffisant, cette réalité n’écarte pas l’existence de troubles spécifiques chez ces mêmes enfants, ni l’implication de tels facteurs dans l’expression du trouble. Mais, le fait de trouver des enfants atteints de dyslexie dans tous les milieux, y compris dans les milieux les plus favorisés, et ce quelles que soient les méthodes d’enseignement utilisées infirme les seules explications sociologiques et pédagogiques de ce type de trouble… L’hypothèse de la nature familiale de la dyslexie est évoquée depuis longtemps et un faisceau de présomptions rassemblées depuis une vingtaine d’années fait en effet penser que la dyslexie possède une origine génétique. Le meilleur indice d’une composante familiale est l’augmentation du risque chez les apparentés d’un sujet atteint. Toutes ces données permettent d’établir qu’il y a bien une contribution génétique aux troubles spécifiques des apprentissages« .

Là aussi il faut bien souligner les faiblesses de l’argumentation dès qu’elle sort du champ des neurosciences. L’argument selon lequel on trouverait « des enfants atteints de dyslexie dans tous les milieux, y compris dans les milieux les plus favorisés » n’aurait de réelle valeur que s’il s’accompagnait d’une étude statistique sérieuse. Ce n’est pas le cas. Le fait que tel ou tel dyslexique vienne d’un milieu privilégié ne fait pas sens. Du coup on peut imaginer bien d’autres raisons, non génétiques, mais sociales, scolaires, par exemple, à la « composante familiale » évoquée. Quelles que soient le sérieux des expertises médicales effectuées par les chercheurs, la mise en évidence de fonctionnements cérébraux particuliers chez les dyslexiques, ces approximations obèrent les résultats de l’ensemble de l’étude.

La thèse privilégiée par les auteurs, celle de la pathologisation de l’échec scolaire et de l’origine génétique des difficultés scolaires, n’est pas établie par leur étude. Elle relève d’une école fort ancienne, et fort perverse, de la psychologie qui cherche à médicaliser les phénomènes sociaux et à en établir l’hérédité. C’est très exactement le même raisonnement, appuyé sur les mêmes travaux anglo-saxons, qui était à l’œuvre dans le rapport de l’Inserm sur les troubles des conduites.

Cette étude est nettement plus prudente. Mais il faut souligner les dangers d »une approche qui prétendrait ignorer les facteurs sociaux, scolaires et pédagogiques des difficultés scolaires.

En allant dans ce sens on déresponsabilise complètement la société et l’Ecole de la genèse de l’échec scolaire. On prend le risque de la marginalisation et de l’enfermement des familles défavorisées. On affaiblit encore davantage le tissu social. Or on sait bien que ces tendances sont déjà fortement à l’œuvre dans notre société.

Du coupon ne peut accueillir que défavorablement les recommandations des auteurs.  » La diffusion la plus large possible des avancées scientifiques est importante auprès de tous les professionnels, médicaux, paramédicaux et de l’Éducation nationale, qui ont en charge les enfants présentant des troubles spécifiques d’apprentissage, afin d’assurer tout à la fois le dépistage le plus précoce des enfants à risque et permettre la mise en place, sans tarder, de mesures visant à réduire leur déficit » affirment les auteurs. Vu les positions de départ, les simplifications qu’entraînerait une diffusion massive de théories fumeuses, elle aboutirait plutôt à une régression sociale et pédagogique sans précédent. Si mes élèves faibles sont « malades » à quoi bon inventer de nouvelles approches dans ma classe ? Pourquoi les garder avec leurs camarades « sains » ? Autant les confier à des « spécialistes » qui les suivront eux et leur famille, de génération en génération. «  Dans le cadre du bilan de santé obligatoire de 6 ans pour l’entrée dans l’enseignement élémentaire (article L.2325.1 du code de la santé publique), les outils de dépistage de facteurs de risque s’inspirant des résultats des études longitudinales doivent être utilisés » exigent les auteurs.

 » Des études principalement en langue anglaise ont montré l’efficacité de certains entraînements pédagogiques chez des enfants en CP ou CE1 présentant des troubles du décodage. D’après les études, les entraînements doivent proposer un travail spécifique, intensif et explicite. Ce travail doit porter d’une part sur les relations graphème- phonème et ce aussi bien dans des tâches de synthèse (des unités grapho-phonémiques au mot) que d’analyse (du mot aux unités grapho-phonémiques) et d’autre part sur les capacités d’analyse, de discrimination et de fusion phonémique. Ces entraînements doivent être poursuivis jusqu’à la maîtrise de la lecture et amener les enfants à reconnaître, discriminer et écrire des mots de plus en plus rapidement. Une action quotidienne d’une demi-heure à une heure par jour est préconisée en individuel ou en petits groupes à besoin similaire« . Ces auteurs, qui ont écarté toute causalité scolaire ou pédagogique aux difficultés des élèves, en déduisent logiquement qu’il y a une méthode pédagogique, imposée par la science, à utiliser pour faire face aux troubles. Il est possible que nombre d’enseignants aient une vision plus complexe des chemins d’apprentissage. Il est possible aussi qu’ils considèrent comme bien différentes les difficultés de lecture et d’orthographe.

« Il faut détecter les troubles du comportement dès 6 ans. Et pas se contenter de contrôler, comme il y a quarante ans, poids, taille et vaccins ». Il y a un an, Nicolas Sarkozy s’appuyait sur le rapport de l’Inserm pour exiger que chaque enfant soit doté d’un carnet de comportement qui l’accompagnerait de la naissance à sa majorité. On pensait que la mobilisation contre le rapport sur les troubles de conduite avait eu raison des tentatives de négation des difficultés sociales.

Sans aller jusqu’aux excès de ce rapport, cette nouvelle étude de l’Inserm participe de la même école de pensée. Il est temps de prendre conscience que celle-ci est poussée par un fort courant dans la société.