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Par Julie Anne – Gardy Bertili

Pendant 2 jours, les cerveaux n’ont pas chômé. Le colloque 2007 de l’ANCPE, organisé autour du thème « quelle place pour l’éducatif dans l’espace scolaire? », aura voulu entrer en résonance avec cette « nouvelle » ancienne mission d’éducation de l’école, réaffirmée très récemment lors de la mise en place du Socle Commun des compétences et des connaissances. .

Les enjeux et les problématiques


Les enjeux de ce colloque consistaient à réfléchir sur la nécessité de primer la place de l’éducatif au sein de l’école. Il convenait donc de s’interroger sur la demande éducative, d’en dégager les ressorts, les attentes, les modalités et de penser les réponses. Réfléchir sur la discipline, sur la sanction (éducative, pédagogique, expiatoire,,,) sur les nouvelles figures de l’autorité, sur la responsabilité des élèves et des adultes, sur la place spécifique du CPE? Ce dernier est-il un acteur particulier, a-t-il un rôle organisationnel, fonctionnel, que peut-il impulser en matière d’éducation dans l’établissement? Comment les acteurs peuvent-ils travailler en semble pour « manager » l’éducatif. Comment tisser du lien au-delà des représentations? Comment dépasser la nostalgie d’une école seule source de savoirs, une école de l’autorité, du châtiment.

Ce colloque se voulait un colloque ouvert, aussi bien des échanges, des regards croisés, c’est pourquoi il nous tenait à coeur d’accueillir et de faire participer activement l’ensemble des acteurs qui gravitent autour de l’élève, tous ceux qui croient encore que l’éducation permet de faire grandir l’élève en tant que personne et qui ne le confinent pas dans un rôle ou un métier d’élève. Parce que le CPE, bien qu’il dispose d’une certaine formation et expertise en matière d’éducation, parce qu’il est davantage sensible à la nécessité de placer les élèves en situation de réflexivité, d’acteur ne se sent pas pour autant spécialiste, tout au moins il n’est pas le seul, ce colloque se devait être un colloque d’ouverture.

Enfin, il s’agissait de refonder la relation à l’élève et de repenser la place de la vie scolaire, au-delà des questions d’identité corporatiste ou catégorielle, au-delà des questions de recrutement, des moyens, au-delà des peurs et des inquiétudes multiples sur le devenir de la fonction de CPE ou de leur intégration probable dans l’équipe de direction, ce colloque voulait mettre en exergue la nécessité de remettre au centre l’éducatif, de l’articuler avec la pédagogie, de replacer chaque acteur comme acteur éducatif. Il faut dépasser l’antinomie éducation/instruction, métier de l’enseignement / métier d’éducation, autorité et relation éducative, expertise pédagogique et expertise relationnelle.


Le colloque et son déroulement



La première journée a vu se dérouler des ateliers de réflexion autour de sujets comme « l’école face aux enjeux éducatifs dans la société d’aujourd’hui », « comment fait-on de l’éducatif » et « comment forme-t-on à l’éducatif », menées par Bernard Roudet (chercheur à l’INJEP), Christian Vitali (CPE-formateur à l’IUFM de Caen) et Philippe Daviaud (CPE-formateur à l’IUFM de Paris). En fin de journée, François Jarraud a été convié pour faire un point sur l’image des CPE dans les médias, qui aura surtout été l’occasion de mettre le doigt sur le problème de reconnaissance du CPE au sein de l’institution et de l’établissement.


Le lendemain, de grandes figures se sont succédées. JP Obin (IGEN) a fait un point sur l’éducation et l’école, A.Bouvier (membre du HCE) est revenu sur le HCE et sur le travail fait sur le Socle Commun, Ph. Meirieu(professeur en Sciences de l’éducation à Lyon II) sur la place des CPE dans une école démocratique, et JL Auduc sur l’importance du travail en équipe dans l’établissement scolaire, en mettant en avant les enjeux du nouveau cahier des charges de formation des enseignants. En final, André de Peretti (psychosociologue) a, avec pertinence et humour, conclu ce colloque, en remettant l’éducation dans une perspective temporelle et évolutive.


Penser un politique éducative globale au sein de l’établissement



De grands sujets de réflexion et des questions vives ont régulièrement ponctué ces journées, en laissant toujours poindre en fond l’inquiétude des CPE face au devenir de leur profession…


La Vie Scolaire est perçue comme un outil ambivalent, soumis à différentes tensions suite à la dispersion de ses activités suivant 3 logiques (de contrôle, de service et relationnelle). Comme l’a rappelé Obin à propos de la question de la sanction, qui institue socialement les règles, celle-ci doit être toujours accompagnée d’un dialogue et d’une prise de conscience permettant l’appropriation de cette Loi par les élèves. Les attentes envers les CPE, face à un « retour » médiatique à une éducation « traditionnelle » et à la discipline, sont de fait devenues contradictoires : comment situer le répressif face à l’éducatif?

La séparation éducatif/instructif, au coeur des débats de ces 2 journées, issue de notre modèle juxtaposé actuel, ajoute au désarroi du rôle du CPE. Il devient nécessaire de dépasser le cloisonnement des multiples espaces éducatifs (la classe, les espaces d’expression tels la HVC, les stages…) et de reposer la question du temps scolaire (traditionnellement cantonné au temps vécu en classe) pour arriver à un modèle davantage intégré, où éducatif et instructif seraient fait en cohérence.

Ph. Meirieu a à ce sujet fait un brillant rappel de notre école française au modèle si « sacramentaire », où la transmission du Savoir va à l’encontre de la démocratie, en exortant à « décléricaliser la parole magistrale » : dans cette optique, tel l’enseignant qui transmet non seulement son savoir, mais aussi son rapport au savoir et ses valeurs, le CPE se doit d’incarner le projet démocratique, et ce au quotidien.

Le travail de socialisation primordial, a été réaffirmé, face aux enjeux et évènements sociaux d’aujourd’hui. La construction d’une éthique et de valeurs partagées, tout autant qu’une attention accrue aux relations de l’école avec la famille (où le CPE se retrouve à jouer le rôle de sas), nécessite alors une cohésion de l’équipe pédagogique plus forte, et même au-delà, avec les différents ressorts de l’établissement (ATOSS, administration, etc..). Une vraie pédagogie de projet à mener…

La place du CPE dans l’établissement et par rapport à la hiérarchie a, à coup sûr, été source de nombreux débats : dans la perspective de l’élaboration d’un vrai projet de politique éducative, les problèmes posés par l’absence d’un référentiel de compétences commun se font criants. Ce flou actuel, renforçant le problème de visibilité du travail du CPE au sein de l’établissement, va être davantage source de discussion face à l’évolution du métier d’enseignant (avec le nouveau cahier des charges de formation) : quelle sera alors la place de la Vie Scolaire, dans un nouveau contexte où l’enseignant aura à charge des compétences aussi bien cognitives que comportementales?

Le CPE pourra-t-il être alors la personne-référente en matière d’éducatif ? Une sorte de cadre interne avec un rôle premier de coordination (selon Ph.Meirieu) ? Ou un organisateur-expert de la politique éducative, intégré à l’équipe de direction (selon J.P Obin) ? Devra-t-il s’appuyer sur le rôle important possible dans l’accueil et le pilotage des jeunes enseignants, sorte de « passeur » éducatif (selon J.L Auduc) ?

Le Socle Commun a été évoqué en continu comme un possible point d’appui face à ce flou : réaffirmant la première mission dévolue à l’école d’éduquer, il propose de faire partager avant tout des valeurs comportementales dans une autre rapport à l’évaluation, que le CPE aurait alors tout intérêt à investir. C’est de ce point de vue même que la note de vie scolaire a été présentée par J.L.Auduc comme une « monstruosité » : présentée sous l’angle disciplinaire aux enseignants, et dans le même temps facteur de valorisation

Osons faire de l’éducatif !



Pour résumer : un mot d’ordre – « Osons faire de l’éducatif! »-, et quelques perceptions données de leur rôle qui ont fait chaud au coeur de tous les participants CPE du colloque, définis comme « levier de modernisation du système » pour F.Jarraud, ou « analyseurs du système » pour A.Bouvier (qui s’est qualifié lui-même de « recteur non kärchérisable »…)…


Mais c’est incontestablement Ph. Meirieu qui a remporté tous les suffrages avec son CPE tour à tour et à la fois « presse-purée » (dans une savoureuse métaphore culinaire, où le CPE serait l’instrument de mise en commun des apports personnel de tous pour le Bien commun ), « Socrate du projet d’établissement » et, appellation nouvelle, qui restera à coup sûr dans les annales : le « GCQ » – Garant de Cohérence Quotidienne !


Et maintenant …!



Au final, un colloque de grande tenue. Les participants sont sortis requinqués, dynamisés par la perspective d’une nouvelle école qui pratique la pédagogie du projet, qui croît qu’il est tout à fait possible de faire de l’éducatif, qui repense la place de l’élève et le rôle de la transversalité des acteurs. Le colloque a tenu ses promesses, ne serait-ce parce qu’il a fait émerger, grâce à la qualité des différents intervenants, organisateurs et participants, la question de la systémie éducative.


En décloisonnant nos regards, nos interventions, notre action éducative prend de l’ampleur et aide l’élève à se construire professionnellement mais surtout socialement et personnellement. Et en la matière, rien n’est acquis ni d’avance ni définitivement, tout est à reconstruire, à retisser en permanence.

Maintenant, il faut imaginer la suite, et cela au delà des publications des actes du colloque prévues pour le mois de juin 2007. Au Café pédagogique, nous avons tiré les premières leçons, ce compte rendu entre un CPE et une documentaliste, en témoigne s’il en était besoin.


Julie Anne – Gardy Bertili