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Par Monique Royer

Après les Landes en octobre dernier, ce sont les Pyrénées Atlantiques qui exposent leur politique et leurs applications en matière de Tice en terre d’Aquitaine. Le 28 mars était organisée au collège Endarra d’Anglet la journée e-éducation, une journée d’échanges où les témoignages d’enseignants et d’élèves ont été écouté par près de 750 personnes.
La notion de convergence éducative de territoire, le choix de thèmes liés aux problématiques locales ont donné le ton et le rythme de la journée prolixe en innovations et en réalisations. L’accent lui, balançait entre Pays Basque et Béarn, Pyrénées et Océan avec un programme associant des interventions en espagnol, en français et en langue basque.

Une convergence de territoire

Notion phare, la convergence éducative de territoire se base notamment sur la collaboration entre trois acteurs dans le développement des usages pédagogiques des Tic dans les collèges : le Conseil Général, le Rectorat et les équipes pédagogiques locales. Dans les Pyrénées Atlantiques, le lien est assuré par l’Agence Départementale du Numérique, chargée d’accompagner les projets et les équipes.
Il ya quatre ans, au démarrage de l’opération, le département fait de l’outil numérique un élément de son développement et considère l’accès au réseau comme un nouveau service public. Pour progresser sur les usages, il souhaite équiper toutes les zones du département, en montagne comme en bord d’Océan. L’objectif est que 97% de la population accède au débit nécessaire pour ses usages. Soixante dix zones du département sont équipées en fibre optique, tous les collèges et lycées sont dotés de l’accès nécessaire. Soixante et une cyberbases sont mises en place en relation avec les communautés de communes.
Pour impulser le développement des usages, l’agence numérique est créée. Etablissement public administratif avec un financement majoritaire par le conseil général, elle se voit attribuer trois volets d’activités : l’accompagnement des cyberbases, l’e-éducation et l’économie. Elle intervient sur les questions d’usages. Le volet e-education concerne plus spécifiquement les usages pédagogiques. Il se déroule en lien avec les équipes enseignantes et le rectorat de Bordeaux.
Le CATICE (Centre Académique aux Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Enseignement) accompagne les enseignants impliqués par des journées de formation notamment ; le Rectorat évalue d’un point de vue pédagogique les dispositifs. A partir de la rentrée prochaine, des moyens supplémentaires seront apportés avec une heure de décharge horaire pour les enseignants ressource dans les collèges de moins de trois cents élèves, deux heures pour les effectifs supérieurs. Le rectorat est également chargé du volet ressources pédagogiques et des négociations avec les éditeurs.

La table ronde d’ouverture a réuni le Président du Conseil Général, des représentants du rectorat et de la communauté européenne

Le cadre thématique des projets se définit à partir des orientations politiques du Conseil Général et des programmes de l’Education Nationale, le tout en lien avec les axes européens pour la formation et l’éducation tout au long de la vie. Il concerne l’apprentissage des langues, l’application des disciplines scientifiques au thème de l’eau, l’utilisation des outils numériques pour l’égalité des chances et pour la découverte du patrimoine. L’accent est porté sur le réseau et les usages pour un « développement durable de l’innovation » avec le choix de matériel peu coûteux comme des baladeurs MP3 ou l’utilisation des logiciels libres. Le second ingrédient de ce nouveau volet du développement durable est l’animation en continu assurée par l’agence départementale du numérique. L’agence accompagne les équipes pédagogiques au cours de l’année en complément des deux formations annuelles organisées par le rectorat. L’animation est aussi territoriale puisque des soirées sur le thème du e-collège sont organisées régulièrement pour présenter aux parents, et plus largement aux habitants, les réalisations et les projets.
L’initiative « e-éducation » vit sa deuxième année. L’an dernier, elle a été rôdée auprès de quatre établissements puis, un appel à projets a été lancé. La moitié des collèges du département participent à l’initiative cette année avec 37 projets outillés avec des tableaux interactifs et des baladeurs MP3.

Du libre et de l’eau
Les projets présentés lors de la journée illustrent la notion de convergence éducative de territoire. Emmanuelle Pradalié, professseure d’histoire géographie au collège de Lembeye a coordonné un itinéraire de découverte sur « l’eau et les hommes », l’eau, thème concordant pour les différents acteurs d’e-education 64.
Pour le département, la gestion de l’eau est un thème majeur, les Pyrénées Atlantiques sont baignées par les eaux douces montagnardes et l’eau salée de l’Océan. Il participera l’an prochain à l’exposition universelle de Saragosse sur le thème de la gestion de l’eau et du développement durable, il souhaite associer le monde éducatif pour construire l’évènement. Un concours est organisé auprès des classes de quatrième pour présenter des projets, ancrés sur le territoire du collège. L’objectif est de sensibiliser les élèves à la gestion de l’eau dans leur environnement local, sur les aspects scientifiques et culturels et sur les usages des Tice. Les projets viseront la production d’un document numérique avec une synthèse sur support papier et mettront l’accent sur les usages locaux. Les vainqueurs seront invités à Saragosse et recevront des i-pod. Tous les collèges pourront suivre l’exposition par une retransmission en ligne. Le rectorat est partenaire de l’opération dans le cadre de l’éducation au développement durable et par l’utilisation de la plateforme Argos 64, espace numérique de travail.

L’expérience conduite par Emmanuelle Pradalié, est antérieure au concours, elle donne toutefois un aperçu des travaux que peuvent mener les élèves dans le domaine de la gestion de l’eau. L’approche est pluridisciplinaire, elle s’appuie sur des travaux de groupe et permet l’utilisation des Tice. Le projet a débuté par l’étude d’un versant de l’Adour et l’aménagement d’un bassin avec l’intervention de personnes externes et la réalisation de maquettes. Les contraintes horaires limitent la participation active de tous les élèves, soixante au total, tous n’ont pu réaliser une maquette. Le déploiement de la plateforme numérique Argos a permis de contourner le problème en proposant des activités à chacun pour une enquête sur l’irrigation ou sur le patrimoine lié à l’eau et visible sur le canton. Les élèves et les enseignants ont la possibilité de mettre à jour leurs travaux ou de consulter les documents en dehors des heures de cours, en se connectant à Argos depuis leur domicile ou dans les cyberbases mises en place par le conseil général. Les collégiens ont utilisé de nombreuses technologies : photo numérique, scanner, logiciels graphiques, diaporamas, messagerie instantanée, forum, tableau interactif, le tout en lien avec le B2i. Ils ont appliqué les techniques de l’historien et du géographe pour réaliser un inventaire des ouvrages dans leur commune par la cartographie ou la consultation du cadastre napoléonien. Ils ont interrogé les riverains, fait des photographies, recherché des documents anciens, recueilli des témoignages, localisé des points d’eau sur le cadastre (fontaine, lavoir, moulin), retranscrit le résultat de leurs investigations et présenté leur exposé à l’oral. Ils se sont également organisés pour travailler ensemble en dehors des heures de cours et réaliser l’inventaire. Les groupes étaient constitués par commune de résidence pour enquêter au plus près de leur environnement local. Le minimum d’équipement requis était une clé USB et un appareil photo numérique ; des outils simples, que chaque groupe possédait déjà, pour recueillir et assembler les informations avant leur mise en forme et leur mise en ligne. Ce sont en tout 23 communes dont le patrimoine lié à l’eau a été ainsi revisité, parfois redécouvert par les habitants eux-mêmes. Au delà des compétences numériques ou disciplinaires acquises, l’expérience favorise donc une ouverture réciproque de l’école vers le territoire. Au vu des présentations claires et vivantes effectuées le 28 mars par les élèves, elle développe également les aptitudes et surtout le plaisir à communiquer et partager.

Une élève présente ses travaux sur l’eau

Les langues en balade

Le projet e-espagnol, coordonné par Maitena Superregui, enseignante d’espagnol et Anne-Marie Womelsdorf, inspectrice, surfe sur le cadre européen des langues et ses trois compétences orales à développer (la compréhension, l’expression orale en continu, l’interaction orale). Il accroît l’écoute et la pratique de la langue. Le baladeur MP3 s’impose : il favorise la mise à disposition de sons « authentiques », programmes radiophoniques par exemple. L’élève peut l’emmener chez lui, travailler à son rythme, écouter et parler autant qu’il le souhaite et à l’abri des oreilles de ses condisciples.
Pour l’opération le conseil général a fourni le matériel, en particulier 1800 baladeurs distribués dans les collèges participants. Le Catice assure la formation des équipes, les enseignants construisent les projets et l’agence numérique les accompagne.
Les témoignages des équipes, principal, enseignants, inspectrice et accompagnatrice, souligne la mise en oeuvre relativement aisé des projets. Au collège Chantaco de Saint Jean de Luz, l’Agence du numérique est venue présenter le projet. La facilité d’usage de l’outil, les usages pédagogiques qu’il favorise ont plutôt séduits les enseignants d’espagnol mais aussi de basque qui se sont lancés dans l’opération avec l’Office de la langue basque.
Une enseignante d’espagnol a ainsi témoigné de son appréhension des Tice, vite balayée par la rapide prise en main de l’outil. Elle utilise le baladeur avec des 6e en première langue vivante, des 4e et des 3e en deuxième langue pour travailler la mémorisation et faire entrer l’espagnol à la maison. Au bout de six mois d’utilisation, les premiers résultats se font sentir. Dans son travail d’abord puisqu’elle a plus de choix dans les fichiers sons à intégrer dans ses progressions pédagogiques. Elle prend également plus de temps pour évaluer les élèves en expression orale. Avec les enregistrements, elle peut réécouter les prestations et de suivre les progressions entre les évaluations, les évaluations orales sont beaucoup plus personnalisées, débarrassées du stress de l’expression en public. De même, les critères d’évaluation peuvent être plus nombreux et plus précis que dans une évaluation classique, sur une présentation orale en cours. Les élèves bénéficient d’un temps d’exposition à la langue plus long. L’utilisation d’un nouveau support pour les 6e permet d’aborder la langue sans qu’un vécu d’échec scolaire écorne l’envie d’apprendre. L’aspect ludique de l’enregistrement gomme bien des inhibitions, à l’enregistrement du moins car les plus timides ne participent pas plus en classe depuis l’arrivée du mp3.
Le baladeur est utilisé aussi pour des échanges avec des classes espagnoles. Les élèves enregistrent un fichier son pour se présenter. Ils peuvent réaliser un montage avec le logiciel libre audacity. Ils l’envoient ensuite par mail à leur correspondant ou le poste sur l’espace de la classe sur la plateforme.
L’exploitation pédagogique du baladeur MP3 n’en est qu’à ses débuts. Le bilan provisoire laisse apparaître de nombreux avantages. Son utilisation favorise la mémorisation, développe l’autonomie de l’élève. Elle va déjà au delà de l’enseignement des langues . Dans le cadre d’un programme personnalisé de réussite éducative, Emmanuelle Pradalié a mis en place un dispositif pour la compréhension des consignes par les enfants dyslexiques à partir de l’enregistrement de ses cours et ses consignes en format MP3.

Des réalisations à foison
E-espagnol et «l’eau et les hommes » sont deux exemples de projets parmi la vingtaine présentés tout au long de la journée. Des initiatives concernent l’école primaire, le français, les mathématiques sont impliqués dans d’autres. Certaines utilisent l’espace numérique de travail, d’autres explorent les possibilités du mp3, là le tableau interactif est à l’honneur. En complémen,t des présentations d’outils et des exposés sur des études liées aux usages étaient proposées. Souvent, les projets permettent de sortir du collège, de tisser des liens avec son environnement, de trouver des solutions au delà de l’enceinte de l’école. Dans deux cantons, une plateforme éducative numérique est utilisée en commun par les écoles et le collège et permet un dialogue entre les enseignants des deux cycles. Une coopération avec le Maroc est favorisée par l’utilisation de Linux, l’amélioration de la scolarisation des élèves mobiles par l’utilisation d’un cyberportfolio est à l’étude, une association prône l’utilisation d’Internet pour l’apprentissage lors des rééducations post traumatiques. Ce ne sont là que quelques exemples.

Pour Antoine Bidegain, responsable du volet e-education de l’agence numérique, les ingrédients du succès sont à chercher du côté des usages, du réseau et non de la technique. Les projets innovants réussis proposent le plus souvent des solutions simples centrés sur la pédagogie. Autre facteur clé, l’accompagnement des projets suppose une bonne coordination des moyens et des interventions entre le rectorat, le conseil général et l’agence numérique. Au delà de la ligne de partage institutionnelle et néanmoins parfois artificielle, entre la pédagogie pour le rectorat, la méthodologie pour l’agence et les équipements pour le conseil général, la qualité des liens entre les différents acteurs scelle véritablement la convergence éducative de territoire.
Dans un grand nombre d’ateliers, des élèves participaient aux exposés en présentant leur production.
Car cette journée était aussi la leur et utilisée comme un support pédagogique pour développer leur talent dans l’usage des Tic. Des collégiens ont réalisé des interviews tout au long de la journée, mis en ligne aussitôt en podcast et disponibles sur le site de l’évènement. Les conférences étaient filmées par des élèves. Les films seront ensuite montés avec un professionnel puis seront présentés au festival du film web d’Oloron Sainte Marie. Un projet pédagogique construit à partir d’une journée organisée autour de présentations de projets pédagogiques. Il y a fort à parier que ce projet là sera présenté l’an prochain. Une histoire sans fin qui donne à la rencontre du 28 mars un goût de prémisse plutôt qu’un air de bilan.

Monique Royer


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