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Par François Jarraud

Le Guide anti-stress de l’enseignant

« Vous en avez assez de votre vie d’enseignant, au point de vouloir tout laisser tomber parfois ? Motivez-vous comme suit… ». Marie Isimat-Mirin, professeur d’anglais et psychorelaxologue, vise par ce guide à nous aider à faire face aux difficultés du métier.

L’ouvrage s’appuie sur les techniques Vittoz, la relaxation Jacobson, la sophrologie, le brain gym. Il propose d’abord une évaluation de son degré de stress, puis une série d’exercices simples pour augmenter son tonus et « retrouver le chemin de la sérénité ».

L’ouvrage ne trompe pas : il expose clairement les conditions de succès et les limites des exercices proposés. Il comprend nombre de fiches pratiques, d’informations utiles et de tests pour s’auto-évaluer. Il ne réglera pas tous nos coups de pompe et nos maux de cœur mais aidera à lâcher un peu prise.

Première leçon ? Parmi les exercices, la « déclaration des droits du prof zen » : « En tant qu’enseignant, j’ai le droit d’instaurer des limites et de prendre soin de moi… »

Maryse Isimat-Mirin, Guide anti-stress de l’enseignant, Paris, Chronique sociale, 2006, 120 pages.

http://work.chroniquesociale.com/edition.php?parentID=1001269&ID=1003197&detail=1

Gouverner l’Ecole avec Denis Meuret

« L’école française n’est pas gouvernée, elle n’est pas ingouvernable ». Entretien avec Denis Meuret

« Gouverner l’Ecole ». C’est sans doute le livre qui s’impose au nouveau ministre de l’Education nationale. Avec cet ouvrage, Denis Meuret (Université de Bourgogne) décrypte le modèle éducatif français. Mis en parallèle avec le modèle américain, issu des conceptions de Dewey, il montre pourquoi le modèle français, proposé par Emile Durkheim, a plus de mal de mettre en œuvre une éducation permettant aux élèves de faire face au monde qui vient.

Cette comparaison entre les systèmes éducatifs français et américain oppose leurs deux finalités : le dessillement ici, l’empowerment là-bas. Pour vous il s’agit bien de systèmes politiques opposés issus de 2 philosophies : celles de Durkheim et de Dewey. Quelles conceptions contiennent ces deux termes ?

Je ne suis pas sûr que Dewey lui-même utilise le terme d’empowerment, mais il m’a semblé, en effet, pouvoir synthétiser ainsi l’ambition de l’école selon Dewey. Linda Darling-Hamond, une des continuatrices actuelle de Dewey écrit que l’école doit «provide most americans with an empowering and equitable education (1)». Une telle éducation, poursuit-elle, réclame des situations d’apprentissage « riches, actives, permettant de comprendre en profondeur », une école qui prépare les élèves à des « interactions sociales constructives et à prendre des décisions avec les autres ». Dewey lui-même nous indique comment comprendre empowerment, à mon sens, en disant que l’éducation doit s’appuyer sur l’expérience, mais que seules éduquent les expériences qui « permettent d’avoir des expériences plus riches dans le futur (2) ». L’école doit permettre à ses élèves une vie plus riche, maintenant et plus tard. Cela s’appuie sur une prémisse : La qualité de la démocratie elle même est liée, à travers l’intensité des échanges, à la richesse des expériences de chacun. Une démocratie de qualité est sans doute l’objectif deweyen que l’école américaine a le plus repris à son compte. A la différence de ce qu’on considère en France, la poursuite de cet objectif civique ne suppose pas que l’école refuse de viser l’insertion dans le monde économique : les échanges économiques, le travail- la capacité qu’on a de l’exercer, le comprendre, d’y déployer son ingéniosité, son intelligence, son courage, son autonomie- font partie de l’expérience, ni plus ni moins que les expériences esthétiques, morales, sociales, que l’école doit aussi viser à rendre plus riches. Empowerment, cela signifie, accroître le pouvoir, la capacité de, celle de ressentir le monde plus profondément aussi bien que celle de le comprendre et de le transformer.

Le « dessillement », de même, n’est pas employé par Durkheim (qui use d’une langue trop pure pour cela : c’est un néologisme, formé à partir de dessiller (3) , mais que je n’arrive pas à trouver horrible comme on doit trouver, je crois, les néologismes), mais me semble pouvoir synthétiser l’ambition de l’école selon les écrits qu’il y consacre. Il s’agît de faire tomber les voiles qui, devant les yeux des individus, obscurcissent leur jugement. L’objectif ultime de l’école, pour Dewey comme pour Durkheim, est de nature civique, et, en effet, on imagine mal qu’il en aille autrement dans une société laïque d’égaux. Mais les voies sont autres. L’individu civique, pour Dewey, est celui dont la richesse des expériences et des échanges vivifie la démocratie – aussi bien l’écrivain, qui exprime plus intensément le monde, que le garçon de café baratineur, alcoolique, généreux, et, pour cette raison, aimé de tout son quartier, que Kazan met en scène dans Le lys de Brooklyn, ou encore qu’Einstein, Citizen Kane, ou le citizen qui nous a donné l’internet . Pour Durkheim, c’est celui dont l’esprit est capable de l’élever au dessus des intérêts dont le choc conduit l’humanité à la décadence, pour accéder aux lois et vérités générales dont la compréhension ouvre à des comportements sociaux et moraux conformes à l’intérêt général.

Une des grandes forces de votre livre c’est l’analyse qu’il fait de la mouvance « républicaine ». Dans quelle mesure est-elle une héritière de Durkheim ? Peut-on dire qu’elle préfère l’autorité de l’Etat à la démocratie et au progrès social ?

A mon sens, le discours dit « républicain » sur l’école est une corruption du Durkheimisme. L’influence de cette mouvance est une des manifestations du fait que ce modèle nous handicape aujourd’hui. Un journaliste a, dans une conversation avec moi, opposé mon livre à La fabrique du Crétin de Jean Paul Brighelli, que j’ai donc lu. C’est un bon pamphlet, souvent drôle, parfois « bien envoyé », mais c’est aussi un livre délirant : Brighelli invente le monde qui autorise son discours sur l’école. Dans ce monde là, l’égalité des chances existait dans les années soixante davantage qu’aujourd’hui, l’économie aujourd’hui a besoin d’ilotes-ce pourquoi les pédagogues fabriquent des crétins, mais, en même temps, la meilleure formation pour les futurs managers, comme pour les futurs ouvriers d’ailleurs, ce sont les grands auteurs du patrimoine- les élèves ne demandent qu’à étudier Mallarmé et Schönberg. Tout cela est faux, mais les tenants du modèle ont besoin de le croire, sauf à révéler qu’ils sacrifient leur mission (présenter le monde, selon Arendt, faire grandir, selon Dewey, faire tenir la société, selon Durkheim) à une image de leur métier qui satisfasse leur ego. Aucun discours sur l’éducation ne tient sans une argumentation sur sa relation avec le monde – morale, sociale, économique, de préférence les trois à la fois. Le discours républicain, purement interne à l’éducation, doit inventer le monde qui irait avec sa défense de la tradition scolaire. Le risque sympathique que prend Brighelli est de nous proposer comme forme de la tradition l’école des années soixante, une école dont certains -dont moi- ont encore un souvenir précis, qui ressemble fort peu à celui qu’il en a conservé. Durkheim écrit en fonction d’un monde qui est réellement le sien, ne réclame aucun retour à aucune tradition, puisqu’il en fonde une. D’ailleurs, les républicains s’en réclament peu : il est trop intéressé par le premier degré, la formation des enseignants, la pédagogie. En même temps, l’évidence avec laquelle leur discours est accueilli est son héritage : En proposant une école qui sauve la société d’elle-même, il favorise l’idée que c’est la société qui doit des comptes à l’école, et non l’inverse.

Par exemple dans quelle mesure l’orientation des élèves diffère-t-elle aux Etats-Unis ? Le système est-il socialement plus juste ou plus injuste que le notre ?

En gros, on peut dire qu’aux USA, « l’orientation » consiste à choisir, non des filières comme en France, mais des cours (océanographie plutôt que philosophie politique, par exemple, en terminale) et des niveaux de difficulté (algèbre 2, plutôt qu’algèbre 1, sachant bien sûr que les cours les plus difficiles préparent mieux aux SAT, les épreuves d’entrée dans le supérieur.

Dans ce contexte, l’institution pousse les élèves vers le haut plutôt que vers le bas : le mauvais élève est un élève paresseux, sa faute est de ne pas utiliser à fond ses potentialités, en se contentant des cours les moins exigeants. En France, le mauvais élève est plutôt incapable, et donc il faut l’empêcher d’aller dans des voies trop difficiles pour lui- en filigrane : d’occuper une place dont il est indigne.

L’influence de l’origine sociale sur la carrière scolaire est plus faible aux USA qu’en France. Nous leur reprochons un système de financement socialement inégal, mais, d’une part, ils multiplient les systèmes de péréquation et de subventions spéciales qui diminuent, sans l’annuler, une inégalité de financement qui existe aussi chez nous, et, d’autre part, leur long tronc commun est plus égalitaire que nos filières. Ceci dit, j’ai développé ailleurs une conception plus large de l’équité de l’éducation. Il me faut donc ajouter que, selon d’autres indicateurs d’équité (écart entre les plus faibles et les plus forts, niveau des plus faibles) les USA, selon les disciplines, sont aussi ou davantage inégalitaires que la France, pas moins (4).

Du coup vous présentez une Ecole française qui se tient au-dessus du pouvoir et donc au dessus de toute tentative de réforme, qui n’est pas gouvernable. Pourtant l’Ecole a bougé. Je ne fais pas seulement allusion à la massification. Mais on a vu arriver les projets d’établissement, les TPE, les IDD. De nombreux enseignants ont défendu les TPE par exemple…

J’écris que l’école française n’est pas gouvernée, pas qu’elle est ingouvernable. Le système éducatif québécois, avec un héritage catholique au moins aussi lourd que notre héritage durkheimien, a réussi, en 20 ans de « révolution tranquille», un virage qui l’a conduit vers un usage plus important qu’ici de l’évaluation, vers une vision plus positive de l’élève, et vers les sommets des évaluations PISA, ceci avec des élèves qui se sentent mieux à l’école qu’en France.

Si je me souviens bien, les enseignants étaient en majorité réticents vis-à-vis des TPE, un mode d’enseignement de type deweyen en effet, en ce qu’il mobilise des disciplines pour traiter un problème réel, et donc permet à l’élève de comprendre à la fois comment celles-ci améliorent sa maîtrise du monde et comment leur mobilisation dans ce but demande un travail supplémentaire par rapport aux exercices scolaires formatés pour rester à l’intérieur de la discipline. Il y a là quelque chose de potentiellement très exigeant et très formateur, mais dangereux selon le modèle durkheimien en ce que la discipline en est désacralisée, instrumentalisée. De mon point de vue, il est typique du fonctionnement du modèle que beaucoup d’enseignants aient d’abord rejeté cette innovation, puis s’y soient ralliés à l’usage, au point de la défendre quand on l’attaqua.

Le socle commun n’est il pas le garant de réels changements puisqu’il s’intéresse à la culture commune et pas à la sélection vers l’excellence ?

Le socle commun est une excellente chose, mais je n’arrive pas à croire, j’espère me tromper, qu’on puisse vraiment le mettre en place en France. Pour le doter d’une légitimité assez forte, il faudrait qu’il repose 1) sur ce que de bons enseignants d’élèves faibles tiendraient pour atteignable- mais, tétanisés par la peur des critiques sneso-durkheimiennes, celle ne pas paraître assez exigeants, les élaborateurs du socle proposeront sûrement quelque chose de trop difficile et donc de peu mobilisateur 2) sur l’observation empirique des compétences et connaissances dont la maîtrise « fait une différence» forte dans les différents aspects de la vie d’un individu. Or ce lien entre les compétences d’un individu et la qualité- morale, civique, politique- de sa vie est un domaine à peu près inexploré.

Alors que serait un bon gouvernement pour l’Ecole ? L’Ecole française serait-elle plus efficace si elle s’ouvrait au monde, à sa communauté, à ses élèves ?

Ciel, vous n’avez rien de plus difficile, comme question ? Je vais botter en touche de deux façons. D’abord, je vais renvoyer, en m’en excusant, à la seconde partie de l’introduction d’Améliorer l’école (5) , un texte où j’ai essayé de définir ce bon gouvernement en m’appuyant sur les contributions des auteurs de cet ouvrage. Ensuite, je voudrais répondre sur l’ouverture, en me réfugiant dans les bras de Dewey. L’école, dit il, doit produire des citoyens libres, imaginatifs, créatifs. J’aimerais qu’on considère comme une question empirique la question de savoir quel type d’école s’acquitte le mieux de cette tâche. Si j’en juge par le comportement des pays au moment de la seconde guerre mondiale, l’école américaine s’en est mieux acquittée que l’école française dans l’entre deux guerres. Mais j’accorde volontiers que nous avons besoin d’établir des liens de causalité de façon plus rigoureuse que cela.

Cette évolution n’est elle pas seulement une américanisation ? Parce que quitte à chercher un modèle, pourquoi ne pas regarder vers le modèle finlandais ou suédois qui semblent les plus efficaces ?

Je ne propose pas le système américain en modèle, j’essaie, sans être sûr d’y avoir réussi, de me servir de chaque système pour analyser l’autre. Côté France, la question est: pourquoi avons-nous tant de peine, devons nous employer tant de précautions, nous faire si humbles et si techniques, surmonter tant d’oppositions des meilleurs esprits, quand nous tentons d’inventer notre version d’une éducation moderne ?

Il y a, à mon choix des USA, une raison pratique (l’accessibilité d’une documentation abondante), une raison théorique (dans ces deux pays, le modèle politique d’éducation est simple à retracer), et aussi une raison idéologique (comprendre l’accusation d’américanisme). Mais, s’il s’agissait de prendre un modèle pour l’éducation, je prendrais, comme tout le monde, plutôt les pays nordiques que les Etats-Unis: leurs systèmes scolaires sont, en général, plus efficaces, plus équitables, plus conviviaux que le nôtre. Ils ont aussi mis en place davantage d’éléments de la régulation moderne. Mais justement, s’inspirer d’un pays ne demande pas qu’on le prenne pour modèle, mais qu’on comprenne pour quelles raisons il est ce qu’il est et nous ce que nous sommes. C’était plus facile avec les USA. Ceci dit, pour étayer ma notion de « modèle politique d’éducation », je dois montrer qu’elle peut être utile pour d’autres pays que la France et les Etats-Unis. Je vais m’y atteler maintenant.

Les milieux économiques, la société française veulent-ils vraiment une évolution de l’Ecole ? Quand on regarde le désinvestissement dans l’éducation (baisse de la dépense interne d’éducation), le discours sur l’inflation scolaire, l’accomodement avec un fort taux d’échec et d’exclusion des jeunes, on a l’impression qu’une partie des décideurs poussent le pays dans une évolution divergente de celle des autres pays développés. Plutôt que construire une économie d’innovation qui aurait besoin d’un investissement éducatif, ils pourraient préférer maintenir le statu-quo, un peu à la manière des « coronels » brésiliens du début du 20ème siècle qui refusaient l’industrialisation. C’est à dire maintenir l’économie de production qui leur apporte rente et tranquillité, y compris scolaire, pour eux et leurs familles. Qu’en pensez-vous ? L’Ecole française est-elle vraiment condamnée à évoluer ?

Non, l’école française n’est pas condamnée à évoluer. Rien ne nous empêche de vouloir un avenir de type moyen oriental : une bourgeoisie lettrée plutôt qu’une classe moyenne innovante. Il s’agît de volonté politique et non de déterminisme historique. C’est bien le problème d’ailleurs. Certaines des décisions du précédent gouvernement, notamment l’apprentissage à 14 ans, étaient carrément régressives et font penser à votre scénario brésilien, comme d’ailleurs le fait qu’on soit plus prompt à penser qu’il faudrait former moins plutôt qu’engager des politiques économiques favorisant la création d’emplois qualifiés.

La France vient de choisir un chef d’Etat pour 5 ans. Avez vous perçu dans la campagne électorale des échos à vos préoccupations ? Puisque un nouveau ministre est censé gouverner l’Ecole, quel(s) conseil(s) lui donneriez vous ?

J’écris ceci le lendemain de la victoire de M. Sarkozy. Si mon modèle est exact, il s’apprête à mener une politique éducative contradictoire, puisque la régulation par les résultats, dont il reprend davantage d’éléments que les autres candidats, est contradictoire avec le versant « républicain » de son programme. Pour le dire vite, avant 68, dont il vomit les valeurs, il n’aurait pas été envisageable d’assigner à un établissement scolaire une quelconque responsabilité dans le devenir de ses élèves. Cette contradiction n’est d’ailleurs pas propre à Sarkozy mais à toute les politiques «néolibérales de droite », y compris la droite américaine : La volonté de mettre en œuvre un état fort, une éducation qui redresse les sauvageons, suppose une vision négative de la société et des élèves. A l’inverse, que l’école doive rendre des comptes à la société suppose que « tous les élèves peuvent apprendre » et que l’école soit conçue pour accomplir les valeurs d’une société démocratique et ouverte plutôt que pour sauver la société de l’anomie et du laisser aller hippie. Le versant autoritaire du programme sarkozyste va mieux avec le modèle durkheimien qu’avec le modèle deweyen, mais s’écarte aussi de Locke et de Smith pour se rapprocher de Hobbes et de Burke.

Je voudrais terminer avec une note plus personnelle. Une des particularités de la France c’est un anti-américanisme qui s’exprime souvent de façon primaire. N’est ce pas téméraire pour un chercheur français de donner à voir, à comprendre et à méditer un modèle américain ?

Ah, vous croyez ?

Denis Meuret

Université de Bourgogne/ IREDU.

Entretien François Jarraud

Notes :

(1) Darling Hamond, L. The right to learn, 1997, Josey- Bass, p 7.

(2) Dewey, J. Experience and Education, (1938), 1997, Touchstone books, p 25.

(3) « dessiller » pour lequel le petit Robert donne comme exemple « L’on commence à dessiller les yeux du peuple sur les superstitions » (Voltaire).

(4) Voir Meuret, D. 2002, Tentative de comparaison de l’équité des systèmes éducatifs français et américain, Carrefours de l’éducation, n°13, CRDP Amiens.

(5) Chapelle, G. et Meuret, D., 2006, Améliorer l’école, PUF.

MEURET, Denis, Gouverner l’école. Une comparaison France / Etats-Unis, Presses Universitaires de France, 2007, 232 pages,

Enseigner : la recherche peut-elle montrer le chemin ?

« L’objectif premier de cet ouvrage est de proposer aux enseignants la synthèse la plus claire possible (des) recherches sur la pédagogie et le travail enseignant. Non pour prescrire ce qui devrait être fait mais pour baliser le débat et permettre aux enseignants de s’appuyer sur ces travaux de manière plus lucide et efficace ». C’est un but à la fois ambitieux et modeste que se sont fixés Vincent Dupriez et Gaëtane Chapelle en publiant ce nouvel ouvrage de l’excellente collection « Apprendre » des Puf.

Ambitieux parce qu’il invite à un panorama des recherches sur la pédagogie. Effectivement, les auteurs invitent, dans la seconde partie de l’ouvrage, les représentants des différentes théories pédagogiques à s’exprimer. Les spécialistes de l’enseignement explicite, Clermont Gauthier au premier plan, y trouvent une (trop ?) large tribune où ils affirment détenir les clés de l’enseignement efficace, même si Etienne Bourgeois relativise quelque peu leurs propos. On sait qu’ils ont lutté contre la réforme québécoise et participé, avec la droite, à la « contre réforme » pédagogique genevoise. Mais les constructivistes sont représentés : Marie-Françoise Legendre explique ce que le socioconstructivisme apporte aux enseignants. Mariane Frenay et Benoît Galand présentent l’apprentissage par problèmes. Il revient à Marcel Crahay d’ouvrir une nouvelle voie avec « l’enseignement en spirale ».

Que tirer de ces visions parfois opposées ? La science peut-elle proposer une pédagogie efficace ? Pour Claude Lessard, « la science n’est pas un monde enchanté au-dessus des autres mondes, susceptible de produire une vérité incontestable ». Aussi »si la recherche évaluative peut aider à identifier des pratiques plus adéquates que d’autres, il n’existe pas en éducation de « one best way » qui s’imposerait à tous.

D’autant qu’il faudrait s’entendre sur ce qu’est l’efficacité en matière scolaire, rappelle Pascal Bressoux. Et G. Chapelle et V. Dupriez conviennent que « il n’existe pas de best practice universelle mais plutôt une série de savoirs, théoriques et pratiques, sur les conditions d’efficacité des pratiques pédagogiques ».

L’ouvrage donne quelques pistes simples. Mais son principal apport consiste dans la confrontation des théories. Elle a l’avantage de montrer la complexité de l’enseignement. Elle apporte également aux enseignants des réflexions susceptibles de l’aider à prendre de la distance dans ses pratiques. C’est ainsi l’ouvrage nous aide à agir.

Vincent Dupriez, Gaëtane Chapelle, Enseigner, Puf, 2007, collection Apprendre, 230 pages.

Sommaire

http://www.puf.com/Book.aspx?book_id=025209

A propos de « Enseigner ». Rencontre avec Vincent Dupriez

« Enseigner » : peut-on enfermer un métier dans un ouvrage ? Le Café interroge Vincent Dupriez, un des coordinateurs de cet ouvrage synthèse qui pose à la fois la question de l’efficacité de l’enseignant et des « bonnes pratiques » à recommander. La recherche peut-elle répondre à ces questions ?

« Enseigner » c’est ce que font déjà les professeurs, avec plus ou moins de bonheur, chaque jour. N’est ce pas prétentieux ou vain de leur proposer un livre sur ce sujet ?

Ce sont les enseignants qui devront répondre à cette question … après avoir lu le livre. Plus sérieusement, je pense que beaucoup d’enseignants ont une attitude un peu ambivalente par rapport à la recherche sur l’enseignement. A la fois, ils marquent leur distance, ce qui est aussi une manière de définir leur propre territoire de praticiens de l’enseignement, et en même temps ils sont curieux. Ils sont curieux car ces recherches leur parlent de leur travail quotidien, et comme tout le monde, ils ont envie de savoir ce que l’on raconte sur eux et sur leur métier. Mais cette curiosité repose aussi sur l’espoir de trouver dans ces recherches des pistes et des suggestions pour mieux assumer leur métier.

Il est clair aussi que les enseignants ne lisent pas la littérature scientifique en éducation avec le même regard que des médecins consultant la littérature médicale. Et ce constat nous ramène à ce métier face auquel il existe peu de certitudes. A ce niveau, les enseignants savent bien qu’ils ne doivent pas attendre de la littérature scientifique des solutions technologiques définitives aux questions qu’ils se posent. C’est aussi cela que nous disons dans cet ouvrage.

Aujourd’hui la question de l’efficacité de l’enseignant est posée un peu partout. Ici, en France, un des candidats aux présidentielles, envisage de récompenser les professeurs selon les résultats qu’ils obtiennent. Est-ce efficace ? Peut-on mesurer l’efficacité du professeur ? Ou doit-on considérer l’enseignement comme un acte collectif ?

Personnellement, je pense qu’il est légitime de s’intéresser à l’efficacité de l’enseignement et des enseignants. Si l’Etat définit un certain nombre d’objectifs pour l’école, il est normal qu’il se préoccupe de l’atteinte de ces objectifs. Mais il faut être très prudent car, en même temps, un principe d’obligation de résultats ne me semble pas raisonnable en éducation. Tout simplement parce que l’apprentissage dépend d’un trop grand nombre de paramètres sur lesquels l’enseignant n’a pas aisément prise : la motivation de l’élève, sa disponibilité cognitive, sa disponibilité affective ou émotionnelle, …

Dès lors, il me semble fondamental d’inventer des dispositifs nouveaux où l’information issue de telles évaluations externes soit mise au service d’un travail réflexif dans les écoles et d’une analyse collective des pratiques éducatives. Dans ce sens, il s’agit d’apporter une information sur les effets du travail d’une équipe d’enseignants – et pas d’un seul prof, bien sûr -, mais il s’agit aussi d’éviter de tout ramener à une évaluation de l’efficacité des apprentissages. De telles données doivent tenir lieu de principes de réalité -elles disent quelque chose de ce que les élèves connaissent, en comparaison avec d’autres élèves – mais on ne peut réduire l’ensemble du travail dans une école à quelques indicateurs d’efficacité.

Votre ouvrage présente les grandes théories pédagogiques aussi bien le constructivisme que l’enseignement explicite. Ce sont des conceptions qui sont soutenues par des philosophies opposées. La recherche scientifique doit-elle nous amener à en privilégier une ?

Cette question est délicate et complexe. D’une part, je voudrais tout d’abord rappeler une différence importante entre les deux courants auxquels vous vous référez. Le constructivisme est avant tout une théorie de l’apprentissage : il a pour objectif de rendre compte des processus cognitifs mis en œuvre dans l’apprentissage. L’enseignement explicite parle de l’enseignement, plus que de l’apprentissage. Il renvoie donc à l’analyse des dispositifs à mettre en œuvre pour faire apprendre plutôt qu’à l’apprentissage lui-même.

Cela étant dit, vous avez raison de souligner que ces deux propositions, si on les questionne au regard de la philosophie de l’éducation qu’elles véhiculent, ne portent pas la même conception de l’homme et de l’éducation. Le constructivisme valorise la participation de chaque individu dans la construction de ses savoirs ; l’enseignement explicite considère que c’est à l’enseignant à montrer et ensuite à modeler des processus cognitifs chez ses élèves. Dans la durée, le recours systématique à l’un ou à l’autre modèle produirait certainement des individus différents.

Mais résumer ce débat à une opposition philosophique, voire idéologique me semble erroné. Il faut également acter un nombre important de résultats de recherches empiriques (tout le courant de l’école efficace par exemple) qui attirent l’attention sur l’importance d’un enseignement structuré, s’appuyant sur des objectifs explicites, des feedbacks fréquents et un temps d’exercisation. La voie que nous suggérons dans l’introduction de ce livre, c’est que de telles orientations ne sont d’ailleurs pas nécessairement contraires aux principes constructivistes.

Quels conseils alors peut-on donner aux enseignants ?

La posture que nous avons adoptée avec Gaëtane Chapelle dans cet ouvrage est la suivante : à travers des synthèses de recherche, nous proposons aux enseignants une série de pistes d’analyse et d’action. Nous affirmons également qu’il n’existe pas de « one best way ». En fonction des objectifs de l’enseignant, du contenu spécifique à enseigner, des élèves à qui on s’adresse, une diversité de stratégies éducatives peuvent être mobilisées. L’enseignant le plus compétent est sans doute celui qui est capable d’alterner les méthodes tout en fondant ses choix, car il a identifié les limites et les apports des différentes alternatives à sa disposition.

Peut-on changer les pratiques enseignantes ? Comment expliquez- vous le décalage fréquent entre les travaux des chercheurs et les pratiques en classe ?

Non, ce sont les enseignants qui changeront les pratiques enseignantes. On peut les informer d’une part et les inciter d’autre part. Ce livre contribue à ce travail d’information, en rassemblant dans un seul tome les synthèses de nombreuses recherches sur l’enseignement et les méthodes pédagogiques. Et dans cet exercice de synthèse, nous avons veillé à ne pas occulter les différences, voire les contradictions qui existent entre les chercheurs en éducation. Nous espérons aussi que les textes courts présentés dans ce livre donneront envie aux enseignants d’aller voir plus loin.

Entretien avec Vincent Dupriez : François Jarraud

Pour démocratiser l’enseignement, faut-il revoir ses contenus ?

 » L’objectif général de cet ouvrage est de montrer en quoi la question des contenus de l’enseignement du second degré est absolument stratégique dans la plupart des pays du monde, même si elle est complexe, et qu’avoir l’illusion de croire qu’on peut se dispenser de la traiter peut au total être extrêmement coûteux et avoir des conséquences dommageables sur les élèves qui échoueront massivement ». Roger-François Gauthier a raison de dire que la question des contenus a été escamotée, souvent par élitisme, lors de la démocratisation scolaire.

Or pour lui, l’absence de réflexion sur les contenus enseignés porte en germe l’échec scolaire.  » Non seulement on n’a pas en général saisi l’occasion de l’ouverture pour reconsidérer les contenus, mais on a aussi refusé de reconsidérer le rapport entre ces nouveaux élèves et le savoir : ce rapport était étranger par définition à la connivence sur les contenus partagée par la plupart des élèves du secondaire traditionnel… Les élèves « nouveaux venus », eux, constatent qu’au jeu de la sélection ils souffrent de sérieux handicaps économiques, sociaux et culturels, et l’école, trop souvent, au lieu de chercher pour eux des nourritures intellectuelles adéquates, paraît renoncer à leur proposer autre chose que des savoirs fragmentaires, des apprentissages par cœur, et le simple accomplissement au jour le jour de leurs « tâches » d’élèves. Il y a souvent violence faite aux élèves les plus fragiles, de l’intérieur des contenus d’enseignement et à partir du type de rapport au savoir qu’on leur propose : pour beaucoup, l’ennui, l’échec, les absences de plus en plus fréquentes et au bout du compte le « décrochage » sans qualification, signent souvent définitivement l’échec scolaire, l’échec social et l’échec à vivre. « .

Alors faut-il abandonner les contenus, voire le savoir, la culture au profit d’une sous-culture où tout se vaudrait ? Ce n’est évidemment pas l’avis de R.-F. Gauthier. Bien au contraire il invite à associer compétences et savoirs. Mais il souhaite aussi « clarifier » les contenus et les refonder. « Les approches interdisciplinaires ne doivent pas être considérées comme un supplément d’âme facultatif, mais comme indispensables à la réalisation du mandat éducatif… Ces approches pourront aller, chaque fois que c’est possible, jusqu’à des « intégrations » entre disciplines plus ou moins proches ». Du couple relativisme culturel de la moyenne pourrait être banni. « L’appel à la moyenne peut sembler bien anodin, alors qu’en neutralisant potentiellement chaque carence éventuelle par la vérification de la présence d’un acquis dans un domaine qui n’a rien à voir avec le premier, il remplace la scolarité par un jeu sophistiqué où l’important n’est pas d’acquérir telle compétence ou telle connaissance, mais une note abstraite, qui ne signifie rien en termes d’apprentissages ».

Si l’ouvrage dérange, établit de nouvelles perspectives, c’est aussi que l’humanité doit faire face à un défi nouveau : pour la première fois la scolarisation longue devient la norme. Une opportunité pour repenser le secondaire.

Roger-François Gauthier, Les contenus de l’enseignement secondaire dans le monde : état des lieux et choix stratégiques, Unesco, 2006, 140 pages.

Téléchargez l’ouvrage

http://unesdoc.unesco.org/images/0014/001475/147570f.pdf

Entretien avec Roger-François Gauthier

A propos de son livre Les contenus de l’enseignement secondaire dans le monde : état des lieux et choix stratégiques (UNESCO, préface de Sonia BAHRI, en ligne sur http://unesdoc.unesco.org/images/0014/001475/147570f.pdf), nous avons souhaité revenir avec Roger-François Gauthier (1) sur quelques unes des questions qu’il aborde.

La littérature pédagogique ne manque pas d’analyses de la crise du système éducatif. Vous l’abordez sous un angle nouveau en liant les difficultés de la démocratisation de l’enseignement secondaire à la question des contenus enseignés. Pourquoi cette approche ?

Je crois en effet que tous ceux qui s’intéressent à l’ « éducation », et à plus forte raison ceux qui apportent leur concours professionnel à cette activité d’ « éducation » ont intérêt à s’interroger de façon critique sur ce fait que les politiques éducatives depuis plusieurs décennies se sont presque toujours intéressées aux les « structures » des systèmes, aux flux d’élèves, avec des tuyaux, des dérivations, des passerelles, etc. Ces politiques de tuyaux, construites en principe au moins dans le sens d’une plus grande ouverture sociale, ont dans bien des pays laissé de côté, de façon dangereuse, et paradoxale quand il s’agit de la raison même d’être de l’école, la question des contenus qu’il s’agissait d’enseigner.

L’idée a été qu’on pouvait ouvrir à une nouvelle population une école préexistante, que c’était affaire de flux, de moyens et peut-être de méthodes d’enseignement, mais qu’on pouvait faire l’économie de repenser les objectifs eux-mêmes et les contenus en quelque sorte « promis » aux élèves.

Un exemple extrême de cette illusion qu’on puisse ouvrir des portes, en matière d’éducation, à de nouveaux publics, sans avoir en tous les cas à reconstruire la maison entière, peut être fourni par l’Afrique du Sud, où certains ont pu croire, quand l’apartheid prit fin, qu’il n’était pas indispensable de changer les programmes ! Cet exemple nous aide à réfléchir : dans d’autres pays, comme en France, ce n’est pas parce que les évolutions ont été moins précipitées dans le temps qu’elles devaient dispenser de poser la question de savoir si les contenus « hérités » de l’histoire scolaire et de l’histoire tout court convenaient aux élèves pour qui ils n’avaient de toute évidence pas été conçus. Or ces questions n’ont souvent été posées qu’à la marge, ou de façon ponctuelle, comme quand en Angleterre les émeutes du début des années quatre vingt ont conduit les autorités à improviser l’introduction d’une dimension multiculturelle dans les enseignements.

La question posée est de se demander si la fabrication de l’ « échec scolaire », qui a dans beaucoup de pays accompagné l’ouverture à tous de l’accès de l’école, au moins jusqu’au niveau de ce qu’on appelle en France le « collège », n’est pas en partie la conséquence d’une inadaptation des contenus au défi même que constituait cette ouverture.

Mais que voulez-vous dire par « inadaptation » ? De niveau trop élevé ?

Précisément la difficulté est bien là : alors que la Nation décidait de démocratiser le cours de son école en ouvrant les portes du secondaire, il eût été logique qu’elle se demandât quels contenus répondraient aux objectifs nouveaux qu’elle fixait à son école… Or la question qui a été régulièrement posée n’a pas été celle d’une « remise à plat » de ce type, mais celle de la fameuse « baisse de niveau » dont il fallait vérifier, selon les idéologies ou le point de vue de l’observateur, la gravité ou l’inexistence !

On retrouve un terme hydraulique, d’ailleurs, comme si existait quelque niveau mythique et définitif de connaissances et de compétences qu’il convenait en tout état de cause de faire atteindre par les élèves sans qu’on se soit interrogé sur la pertinence de ce « niveau » ou sur son origine. Or si l’école est au sein des sociétés humaines chargée d’une large partie de la « transmission » d’une génération à l’autre, elle charrie aussi coupablement beaucoup trop de passé sur lequel elle est d’autant plus crispée qu’elle en a souvent perdu l’origine. Cette histoire de la « baisse de niveau », toujours recommencée, est typique de ces idées qui encombrent et empêchent de bâtir à neuf.

Mais pouvez-vous donner quelques exemples d’inadaptation de contenus, qui ont pu avoir des effets négatifs, en particulier sur les élèves issus de milieux économiquement moins favorisés ?

La question impliquerait des réponses différentes selon les différents systèmes, mais s’il fallait que je m’en tienne à quelques idées, j’évoquerais plusieurs points : s’est-on interrogé, par exemple, sur les raisons (sinon historiques, bien sûr) pour lesquelles les contenus du second degré sont à ce point tournés vers le monde dans un rapport de contemplation et de spéculation au détriment d’un rapport d’action et de transformation d’une réalité ? Pourquoi le rapport technique au monde, par exemple, est-il si peu valorisé ? Et le rapport esthétique, qui avec sa composante essentielle de création, permet la valorisation d’autres expériences ? Et faudra-t-il encore longtemps s’étonner si les hiérarchies d’élèves qui se constituent à partir de cette survalorisation de l’abstrait, qui n’a jamais été ni véritablement décidée en fonction d’attentes spécifiques ni analysée dans ses effets, correspondent à une certaine typologie sociale ?

On pourrait même aller jusqu’à s’interroger sur ce à quoi s’intéresse par exemple l’UNESCO sous le nom de « compétences à vivre » : on dirait parfois que l’école éprouve des difficultés à s’intéresser à l’équipement des élèves dans les domaines de la vie pratique, comme la gestion de leur santé, de la façon dont ils consomment biens et services, de la relation à autrui, de la recherche de qualification professionnelle et de l’emploi, ou de la prise d’initiative. S’il s’agit de considérer que c’est aux familles qu’il revient de se charger des apprentissages de la vie, voit-on bien alors comme on est éloigné d’un idéal démocratique, même si par ailleurs on s’efforce d’enseigner équitablement à tous les savoirs scolaires traditionnels ? Faut-il par exemple se focaliser sur l’approche de la littérature, en abandonnant à quelque improbable situation extrascolaire l’apprentissage de l’oral ? On sait bien dans ce cas là qui apprendra à « bien parler ».

De la même façon, s’est-on demandé si les « programmes », depuis que le secondaire est ouvert à tous, ont fait tout ce qu’ils devaient pour tenter de combler le déficit culturel qui existe entre les groupes sociaux ? Il fallait pourtant en même temps qu’on en ouvrait l’accès aux enfants du peuple augmenter considérablement l’ambition culturelle de l’école, tout en revisitant ce qu’il convenait de considérer comme références culturelles. Alors que les deux étaient à faire de pair, on constate en bien des pays qu’on a négligé l’un comme l’autre.

Il faudrait encore s’attaquer à quelques unes des « questions dérangeantes » qui sont posées presque partout : quelle place fait-on aux cultures étrangères par rapport à la culture de référence ? aux questions d’identité, désormais partout si complexes mais si importantes ?aux cultures qui ne sont pas celles du/des groupes par exemple économiquement ou culturellement dominants ?

Certains pays ont aussi considéré qu’il était indispensable de modifier la structuration des contenus : chaque fois en effet que les contenus enseignés par exemple au cours de la scolarité obligatoire sont structurés en ensembles qui communiquent peu entre eux, on sait que des élèves rencontrent plus de difficultés. Ces ensembles peuvent être des « niveaux d’enseignement » dont les héritages et les cultures restent trop hétérogènes, comme le premier et le second degré, mais aussi des « disciplines » qui ont trop tendance à considérer chacune qu’elles s’auto justifient, sans qu’on soit au clair sur le mandat éducatif de chacune.

Ce rapport que l’UNESCO vous avait commandé, qui est librement disponible en ligne, et qui ambitionne de traiter des « contenus de l’enseignement secondaire dans le monde », ce qui est s’il en est un propos ambitieux, quel en est l’objectif ?

Il répond à une préoccupation forte de l’UNESCO de mettre à la disposition des responsables (mais en ces domaines tous les professeurs aussi sont « responsables » !) des outils de réflexion pour agir en faveur de l’amélioration de la qualité de l’enseignement dans le monde. L’UNESCO a donc souhaité que la question des contenus ne soit pas oubliée : il apparaît en effet en de nombreux cas que rien n’est plus coûteux pour les systèmes éducatifs que des contenus inadéquats, à la fois parce qu’ils y épuisent leurs forces, parce que les élèves perdent leur temps et quittent l’école prématurément et parce que le corps social ne bénéficie alors pas des savoirs et des compétences qui, eux et elles, n’ont pas été enseignés.

Cet ouvrage n’ambitionne pas de donner des solutions qui vaudraient partout, ce qui n’aurait aucun sens, mais de donner des outils pour qu’au sein des politiques éducatives, de l’échelon de l’Etat quand il est compétent en la matière jusqu’à celui de l’établissement et de la classe, la question des contenus soit considérée comme stratégique pour le succès de l’éducation et véritablement traitée d’une façon à la fois experte et démocratique.

Il est temps de mettre davantage à l’agenda des politiques éducatives les questions de contenus.

Pour des motifs d’efficacité de l’action de l’école.

Pour des motifs d’équité.

Mais surtout pour le motif qu’on ne voit pas bien comment la dépense publique pour l’éducation se justifierait si précisément la collectivité n’était pas finement attentive à la question des savoirs, des compétences, des valeurs et des cultures que diffuse l’école. Sur le versant d’en face, les cultures de masse, dont l’objectif est le profit par des voies industrielles, sont extrêmement vigilantes sur les questions de contenus, remarquablement créatrices, et mondialement ambitieuses.

Comparée à d’autres pays, la situation de la France en matière de contenus est-elle plus ou moins préoccupante ?

Elle a incontestablement des atouts, comme la référence à des programmes nationaux, et cette idée qu’ils constituent une réponse par laquelle la collectivité entière s’engage en termes de droit d’accès à des savoirs et compétences. Ces atouts peuvent toutefois facilement devenir des handicaps plus forts qu’ailleurs si les routines et les lobbies bloquent les évolutions, ou si on continue de considérer que le caractère national du programme dispense d’un travail collectif explicite et évalué d’ajustement dans la diversité des situations des établissements .

Il est certain par ailleurs que la mise en place du « socle commun de connaissances et de compétences » peut largement renouveler la donne, parce qu’il vient à plus d’un titre d’ouvrir la porte à des préoccupations qui sont sans doute en France plus nouvelles qu’en beaucoup d’endroits.

(1) Roger-François GAUTHIER est inspecteur général de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche

Se motiver à apprendre : un défi pour l’Ecole

Troisième ouvrage de la collection « Apprendre » des PUF, Se motiver à apprendre aborde un sujet qui était, il y a peu, encore tabou. Comment lutter contre l’ennui en cours ? Qu’est ce que la motivation ? Benoît Galand, qui a co-dirigé cet ouvrage – bilan, répond aux questions du Café.

Pendant longtemps le système éducatif français ne s’est pas vraiment posé la question de la motivation. Et puis on a vu apparaître un colloque sur l’ennui scolaire qui a fait date. Et par réaction toute une polémique sur l’ennui, les conservateurs de l’Ecole l’élevant même au rang de vertu. Comment expliquer cet intérêt pour la motivation ? Pourquoi n’est-il pas apparu plus tôt ? Pourquoi fait-il encore débat ?

Vivant en Belgique, je n’ai que des échos lointains du débat français. Je pense en tout cas qu’il est important de ne pas confondre l’intérêt médiatique, d’une part, et les préoccupations des professionnels de l’éducation, d’autre part. Comme en témoignent de nombreuses sections de notre ouvrage, les enseignants, les formateurs et les chercheurs – en France et ailleurs – n’ont pas attendu le colloque sur l’ennui pour se pencher sur les questions de motivation. Ces questions arrivaient d’ailleurs en première position parmi les difficultés concrètes rapportées par les enseignants lors des consultations de la commission Thélot, avant les questions de discipline et de violence.

Ceci dit, plusieurs sociologues avancent l’idée que, suite à une série de changements sociaux (massification de l’enseignement, évolution du marché du travail, inflation des diplômes, etc.), la question de la motivation scolaire se poserait aujourd’hui avec une acuité particulière. Il ne faudrait donc pas que l’intérêt pour la motivation amène à se focaliser sur les individus en occultant le contexte social qui les entoure.

Le professeur est-il toujours responsable de la motivation de ses élèves ?

Certainement pas. En lien avec ce que je viens de dire, les théories actuelles de la motivation soulignent l’imbrication entre les processus individuels et le contexte social. C’est un point sur lequel nous insistons beaucoup dans notre ouvrage. Chacun d’entre nous à des projets, des préférences, des croyances qui influencent sa motivation par rapport à telle ou telle activité, mais nous sommes également fort sensibles au contexte dans lequel nous nous trouvons : contact avec autrui (enseignant ou pair par exemple), consignes, feedback, etc. Et tous ces éléments interagissent constamment les uns sur les autres. Par exemple, nos objectifs guident notre attention et colorent nos perceptions, mais dans le même temps le type d’activités que nous réalisons et les réactions d’autrui influent sur les objectifs que nous nous fixons.

Dans cette vision des choses, la responsabilité professionnelle des enseignants portent sur les moyens, pas sur les résultats. Il s’agit pour eux – à travers leurs activités professionnelles – de s’efforcer de mettre en place un environnement, un climat, le mieux à même de susciter et soutenir la motivation des élèves. Cette démarche n’offre cependant aucune garantie, puisque ce sont in fine les élèves qui s’engagent plus ou moins dans les apprentissages, et que cet engagement ne dépend évidemment pas uniquement du contexte scolaire.

Il y a-t-il des disciplines plus ennuyeuses que d’autres ?

Non, il n’y a pas de raisons qu’une discipline soit intrinsèquement plus intéressante qu’une autre. Il est peut-être plus facile de susciter l’intérêt des élèves sur certains contenus, mais il ne s’agit là que d’un élément de la motivation. Les recherches indiquent que c’est surtout la manière d’aborder un contenu qui va être déterminante.

Si on devait lui donner quelques conseils, que peut-il faire pour créer un climat favorable ?

Notre point de vue dans cet ouvrage est que le rôle de la recherche n’est pas de donner des conseils. Selon nous, la recherche permet de mieux comprendre comment les choses se passent et les alternatives dont nous disposons, ce qui peut parfois nous permettre de choisir en meilleure connaissance de cause. A cet égard, au moins trois constats se dégagent clairement des travaux scientifiques. Un. La motivation est quelque chose de dynamique, qui se reconfigure au fil du temps. Deux. Une diversité de facteurs et d’acteurs entrent en jeu dans la motivation. Trois. Il existe des sources multiples de motivation : je peux étudier parce que je veux m’améliorer, faire plaisir à mes parents, éviter de paraître nul, accéder à un métier qui me plaît, obtenir un emploi bien payé, etc. Par conséquent, il est possible d’intervenir sur la motivation et il existe une diversité de moyens d’action possible. « La » solution miracle ou « la » bonne méthode pédagogique n’existe pas, d’autant que la motivation comprend toujours une part de subjectivité personnelle.

Loin des procès d’intention, ces constats invitent à s’interroger sur le concret de ses pratiques quotidiennes : choix de contenus et d’activités, comportements en classe, système d’évaluation, etc. Tout d’abord, je peux m’interroger sur ce que je veux créer comme climat : un climat favorable à quoi ? Sur ce sujet, il semble qu’une dimension importante est la mesure dans laquelle je mets l’accent sur la compréhension et les progrès de tous, quel que soit le niveau par rapport aux autres, ou au contraire sur la comparaison entre les « bons » et les « mauvais » et sur la promotion des plus performants. Suivant ma position sur cet axe, mes élèves développeront probablement des motivations différentes vis-à-vis de mon cours. Comme la motivation est largement un processus relationnel et affectif, je peux aussi m’interroger sur le degré de respect, d’équité et de soutien que je manifeste à mes élèves, sachant que ce sont des éléments auxquels leur motivation scolaire est très sensible.

On le sent bien l’évaluation par exemple peut être source de démotivation. Que peut-on recommander ?

L’évaluation est bien sûr un élément-clé dans la motivation. Je ne développerais ici que deux éléments. Premièrement, c’est en grande partie sur la base des pratiques d’évaluation que les apprenants de font une idée de ce qui compte vraiment pour nous, enseignant ou formateur. Si vous insistez sur l’importance de la compréhension, mais que vous évaluez surtout des connaissances factuelles à retenir par cœur, la plupart des apprenants se limiteront à ce dernier aspect. Je peux dès lors me poser la question suivante : mes évaluations valorisent-elles bien les apprentissages que je souhaite faire acquérir à mes élèves, sont-elles cohérentes avec les objectifs ?

Deuxièmement, il est généralement plus motivant de réussir une activité que d’y échouer. Mais l’on va justement à l’école ou en formation parce que l’on a des choses à apprendre. Il y a donc de fortes chances que l’on fasse des erreurs à un moment ou l’autre. Heureusement, les recherches sur la motivation montrent que la manière dont on m’informe d’une erreur à autant d’effet, si pas plus, que l’information en elle-même. Par exemple, les feedbacks qui précisent les éléments à améliorer ET les progrès réalisés ou les points forts, n’ont souvent aucun effet négatif sur la motivation, au contraire d’une note globale. D’autre part, des commentaires négatifs n’ont habituellement aucun effet encourageant. En fait, tout message signifiant à l’apprenant que l’on pourrait penser qu’il est incapable dans tel ou tel domaine à des effets désastreux sur la motivation. Ainsi, je peux me demander si mes pratiques d’évaluation permettent bien aux élèves d’identifier ce qu’ils ont appris et ce qui leur reste à apprendre, tout en leur communiquant l’idée qu’ils sont capables d’apprendre et de progresser.

Une étude récente montre que les pairs ont une forte influence sur l’absentéisme. Peut-on en dire autant pour la motivation scolaire ?

Les pairs sont un des éléments de l’environnement éducatif des jeunes, au même titre que la famille, les enseignants et les autres professionnels de l’éducation. Les recherches indiquent que l’on peut intervenir sur la motivation par le biais de chacun de ces acteurs, mais elles ne soutiennent pas l’idée que l’on puisse faire porter la responsabilité principale sur l’un d’entre eux. Par exemple, un adolescent dont les amis jugent que l’école est une perte de temps a – comme on s’en doute – moins de chance de s’investir dans sa scolarité. Mais le choix de ses amis dépend en partie de l’attitude de ses parents, des relations nouées avec les enseignants, de son histoire scolaire, etc. Chacun peut donc avoir un rôle à jouer.

Il y a une forte tendance actuellement à revenir au classement et à la compétition, perçue par certains comme un moteur de motivation. Est ce vrai ?

Selon moi, il faut bien distinguer émulation et compétition. Reconnaître et mettre en valeur les progrès et les réussites peut être très stimulant et montrer ce qu’il est possible d’accomplir. Les recherches indiquent abondamment que les problèmes apparaissent quand cette mise en valeur se double d’une comparaison et d’un classement. Bien sûr, les élèves tendent spontanément à se comparer entre eux, mais un risque apparaît quand le système d’évaluation accorde de l’importance à cette comparaison. Les élèves risquent alors de se détourner des savoirs eux-mêmes pour se focaliser sur leur position dans la hiérarchie. La compétition lie l’obtention de reconnaissance à la position par rapport aux autres plutôt qu’aux progrès réalisés et instaure la menace perpétuelle de se retrouver parmi les « perdants ». L’acquisition de savoirs (et de la satisfaction que cela apporte) n’est donc plus prioritaire. Ceux qui s’estiment compétent sur la dimension évaluée vont concentrer leur énergie à l’obtention d’une bonne place, quitte à recourir à la tricherie ; ceux qui s’estiment peu compétents vont chercher à éviter de paraître « nuls », quitte à faire le pitre ou à ne rien faire pour se donner une excuse. En outre, la compétition fait des autres apprenants des adversaires plutôt que des ressources pour l’apprentissage, ce qui ne favorise ni les relations harmonieuses dans la classe, ni le développement des habiletés à travailler en équipe. Tout cela dans une ambiance stressante peu favorable à un apprentissage en profondeur. Autrement dit, le problème de la compétition n’est pas son absence d’effets motivationnels, c’est plutôt qu’elle instaure une type de motivation qui ne me semble pas très fructueux.

Alors peut-on dire que la motivation est aussi un élément du tri social exercé par l’Ecole ?

Des études menées auprès d’enfants de la maternelle ne montrent aucune différence suivant l’origine sociale en ce qui concerne la motivation à apprendre. Elles pointent par contre certaines différences dans l’acquisition de savoirs et d’attitudes (par exemple dans le rapport aux savoirs) valorisées par l’Ecole. Par conséquent, on ne peut pas expliquer le maintien ou le renforcement des inégalités sociales que produit l’Ecole par des différences de départ en termes de motivation. Dans nos systèmes scolaires, le tri social s’opère principalement via une combinaison du choix des établissements, du doublement et de l’orientation dans des options ou filières différentiées. Par conséquent, les différences de motivation sont davantage un reflet de ce processus qu’un déclencheur, mais elles vont contribuer à l’alimenter, avec les risques de cercle vicieux que cela suppose… Inversement, un travail sur la motivation peut parfois permettre d’échapper à cet enchaînement.

Benoît Galand

Université catholique de Louvain

Changements pour l’égalité

Entretien François Jarraud

BOURGEOIS, Etienne, GALLAND, Benoît, (Se) motiver à apprendre, Presses Universitaires de France, 2006, collection Apprendre.

Liens :

Sur l’ouvrage, une page INRP

http://www.inrp.fr/vst/Ouvrages/DetailPublication.php?id=328

Conférence de B. Galand

http://www.institut-demos.fr/archives/edito-en-quoi-se-former-necessite-de-se-motiver-1

Le jeu en classe

« Nos traditions judéo-chrétiennes nous nuisent énormément quand vient le temps de considérer l’importance du jeu dans l’acte d’apprendre » affirme, non sans raison, Mario Asselin. « Le jeu en classe n’est pas très « tendance » en ce moment pour les politiques. Quel dommage ! La piste ludique est tellement riche et tellement sous-exploitée. » En effet, Marc Berthou, professeur d’histoire-géographie, donne plusieurs bonnes raisons d’intégrer le jeu à ses pratiques pédagogiques dans ce numéro 448 des Cahiers pédagogiques.

« La démarche n’est ni utopiste ni vaine. Des stages IUFM sur l’apprentissage par le jeu sont organisés, nos confrères canadiens s’y intéressent au même titre que nous et ce dossier montre la richesse de cette approche. Le jeu en classe est simplement à employer à bon escient. Il faut y réfléchir, s’y former, s’enrichir des autres pratiques, le tester, y retravailler et l’adapter comme pour toute autre option pédagogique » estime Yvana Ayme qui a coordonné ce numéro.

Encore faut-il définir le jeu et particulièrement le jeu éducatif. Gilles Brougère, Jean Houssaye, Philippe Meirieu, par exemple, font avancer notre réflexion. Mais les Cahiers nous donnent aussi à découvrir des exemples concrets d’utilisation du jeu dans différentes disciplines : eps, calcul mental, géographie, histoire, langues… Les enseignants « d’un certain âge » se rappellent de nombreux jeux qui permettaient de construire avec les élèves des connaissances et des démarches solides. Puisse ce numéro contribuer à ramener le balancier du magistral au ludique.

Le jeu en classe, Cahiers pédagogiques n°448, décembre 2006.

http://www.cahiers-pedagogiques.com/numero.php3?id_article=2751

Comment l’informatique vient aux enfants

Dans la classe de Georges Lopez telle qu’elle nous était montrée dans le film « Etre et avoir », on ne voyait aucun ordinateur. Nicolas Philibert, interrogé à ce sujet, expliquait qu’il s’en trouvait bien quelques-uns en fond de classe dans cette petite école de campagne. Mais le réalisateur avait choisi de ne pas les montrer. Peut-être souhaitait-il renforcer ainsi l’image d’une école hors du temps. Peut-être avait-il de plus nobles raisons. Peu importe. Le réalisateur fait ce qu’il veut.

On peut se demander cependant ce qui aurait été changé si le film avait montré les ordinateurs ou, mieux encore, s’il avait montré les enfants et le maître au travail sur les machines. On ne le saura jamais.

Moins de regrets cependant grâce au livre que viennent de publier Eric Barchechath, Rossella Magli et Yves Winkin aux Editions des archives contemporaines. Dans le cadre d’un projet européen, ces trois chercheurs ont mené, dans une classe d’une bourgade italienne, Panico, située dans la région de Bologne, une enquête ethnologique approfondie portant précisément sur les usages des ordinateurs. Ce travail date de 1996, année où l’Internet faisait une apparition remarquée dans beaucoup d’écoles primaires. Rossella a passé plusieurs semaines dans l’école de Panico à regarder, écouter, interroger les élèves, les enseignantes et les parents, à consigner enfin ses observations dans un journal qui occupe la première moitié du livre. Extrait : « Silvia est en train de rédiger un message pour sa correspondante de Manchester. Elle a commencé son message en anglais : « Dear Becky, how are you ? ». Puis elle a effacé, réécrit, ré-effacé, et enfin réécrit. « I am fine », a-t-elle continué. Puis elle a effacé la phrase et l’a réécrite. Elle est longtemps restée à contempler l’écran, elle a essayé des mots divers et les a effacés chaque fois. Elle est alors allée chercher son cahier d’anglais dans le sac posé contre le mur, et l’a feuilleté. Elle est restée à nouveau en contemplation devant l’écran en appuyant de temps en temps sur les touches et en effaçant systématiquement tout. Elle a ensuite copié une phrase entière du cahier d’anglais. Elle l’a observée, perplexe, et a à nouveau tout effacé. Elle a recommencé en italien. Elle a poli ses phrases, travaillant beaucoup par « copié/collé » pour construire une progression satisfaisante dans son texte. Le résultat final est excellent, dans la forme, dans la syntaxe, dans la grammaire. Le choix d’arguments est riche, les questions posées à la correspondante invitent à des réponses. Silvia a sauvegardé son texte sur la disquette, rempli le livre des envois avec les informations nécessaires, salué la classe : « Je vais au groupe d’éducation artistique, bon travail » et a refermé la porte derrière elle. »

La deuxième moitié du livre est consacrée à des analyses. Il y est question d’élan brisé avec ce constat sévère. « L’école est en train de passer à côté de l’ordinateur. L’école a instrumentalisé l’ordinateur ; elle lui a assigné de simples fonctions didactiques. Or, l’expérience ethnographique de Panico montre que c’est du côté du redéploiement de la sociabilité que l’ordinateur aurait pu connaître son vrai « succès » scolaire. Il aurait pu contribuer grandement à maintenir ce cadre d’enchantement qui doit définir l’école. Il aurait pu contribuer au renforcement de l’identité et de l’appartenance à une collectivité. Il aurait pu contribuer à la socialisation des élèves, une fonction qui reste une priorité fondamentale de l’école. »

L’hypothèse de l’ordinateur comme enchanteur de l’école conduit les auteurs à rapprocher leurs analyses de celles de l’ethnologie classique, en particulier des travaux de Marcel Mauss sur le don. On le voit, il y a là une démarche et un point de vue qui tranchent avec ce qu’on lit habituellement sur les TICE.

Ce livre, récemment publié, nous renvoie dix ans en arrière. Si l’on poursuit dix ans encore dans la même direction, on se rappellera peut-être qu’à ses débuts, au milieu des années 80, la programmation et les langages informatiques, LOGO notamment, avaient offert aux ordinateurs une première occasion d’enchanter l’école qui ressemblait beaucoup à celle que, dix ans plus tard, Internet, le courrier électronique et la visioconférence, créaient dans les mêmes écoles, Panico en Italie, Piquecos en France.

Tous les dix ans donc, une parenthèse enchantée suivie d’une longue période de désenchantement dans laquelle nous nous trouvons peut-être encore aujourd’hui.

Sommes-nous parvenus à la fin d’un cycle ? Un nouvel enchantement se prépare-t-il ? D’où pourrait-il venir ? Il faudrait demander à nos ethnologues de retourner dans une classe, à la campagne, pour une nouvelle observation. A défaut, comment imaginer ce que pourrait être un retour de l’enchantement ?

Au cours des dix dernières années, les changements les plus importants relatifs à l’informatique personnelle se sont produits à l’extérieur de l’école, dans le sillage de la diffusion généralisée des ordinateurs et des accès au réseau, du côté des usages sociaux de l’Internet dont les blogs – ceux des gens ordinaires plutôt que des journalistes ou des hommes politiques en quête d’audience – sont l’une des manifestations les plus intéressantes.

Une nouvelle parenthèse enchantée s’est peut-être déjà ouverte, mais elle l’a fait cette fois à l’extérieur de l’école, si bien que pour y entrer, elle devra passer par la fenêtre. A condition bien sûr que la fenêtre de l’école soit maintenue ouverte…

Serge Pouts-Lajus

Winkin Yves, Magli Rossella, Barchechath Eric, Comment l’informatique vient aux enfants : pour une approche anthropologique des usages de l’ordinateur à l’école, Editions des archives contemporaines, 2006, 174 pages.

Présentation de l’ouvrage :

http://www.inrp.fr/vst/Ouvrages/DetailPublication.php?id=305

Apprendre et enseigner en milieux difficiles

Milieux difficiles : la formule éclaire doublement l’ouvrage. D’une part elle nous fait comprendre qu’il sera question de l’éducation prioritaire. Mais le choix de la formule n’est pas innocent et nous renvoie à un chapitre de l’ouvrage tout entier consacré à la terminologie utilisée pour désigner les zep et leurs élèves.

Par cet ouvrage, qui regroupe des articles parus dans la revue XYZep publiée parle Centre Alain Savary, est une puissante réflexion sur l’enseignement en zone prioritaire. Ainsi, dans ses premières pages, F. Carraud montre les particularités sociocognitives des élèves de ces quartiers et comment elles résonnent face aux méthodes, aux représentations, au vécu des enseignants. Car apprendre et enseigner associe bien les deux partenaires.

La seconde partie de l’ouvrage regroupe 8 articles qui rendent compte de pratiques de terrain dans des disciplines et des niveaux différents. On retiendra par exemple l’article de Sylvie Cèbe qui montre comment en maternelle des enseignants apprennent aux enfants à gérer leur fonctionnement cognitif, apport capital pour réduire les particularités rappelées précédemment. Elisabeth Bautier évoque la maîtrise de la langue, Roland Goigoux celle de la lecture, Marie-Jeanne Perrin-Glorian l’initiation aux maths. Daniel Thion traite du « désordre scolaire » qu’il analyse justement comme « a-scolaire ». Il n’est « pas ou peu intégrateur aux logiques scolaires… Le désordre scolaire révèle la difficulté de l’institution à résoudre le problème posé parla scolarisation d’élèves issus des fractions les plus démunies des classes populaires… D’une part on observe une tendance… qui conduit à penser qu’un travail de socialisation préalable à toute action d’enseignement est nécessaire pour une partie des collégiens des quartiers populaires. D’autre part une tendance à la pénalisation se dessine, repérable par la multiplication des sanctions et le recours fréquent aux instances policières… Ces deux tendances se rejoignent pour renvoyer hors des collèges la prise en charge d’une partie des problèmes posés par le désordre scolaire ». Et cela alors même que le désordre est lié à des difficultés d’apprentissage.

La dernière partie de l’ouvrage interroge, cette fois encore de manière décapante, le travail collaboratif des enseignants. Dominique Glasman analyse l’exigence du rapprochement avec les familles. « Les enseignants demandent aux familles de manifester leur foi en l’école en venant régulièrement à la messe u au moins en faisant leurs Pâques… Et si l’appel à l’implication des familles aboutissait en fait… à détourner vers les familles les charges de la réussite ou la responsabilité de l’échec ? ».

Par la nature des questions abordées, ce petit ouvrage est tout à fait original et précieux. On ne manque pas d’analyses sociologiques et même ethniques sur l’éducation prioritaire. L’ouvrage intervient essentiellement sur un terrain moins fréquenté : celui des pratiques pédagogiques dans les quartiers.

Apprendre et enseigner en « milieux difficiles », Sélection d’articles du bulletin XYZep, Paris, INRP, 2006, 192 pages.

http://www.inrp.fr/publications/catalogue/web/Notice.php?not_id=BF+068

Enseigner en classe hétérogène

« L’hétérogénéité des classes est devenue une des données de l’enseignement d’aujourd’hui, conséquences de l’allongement de la scolarité obligatoire et de la volonté d’en démocratiser l’accès…. Comment enseigner au mieux avec cette donnée ? ». Coordonné par C. Vallin et J.-M. Zakhartchouk, le numéro 454 des Cahiers pédagogiques aborde un sujet qui a bien du mal à être pris en compte à l’Ecole.

Bruno Suchaut situe le problème : « La recherche fournit des conclusions favorables à l’hétérogénéité alors que les acteurs la perçoivent au contraire comme un frein à l’efficacité de leur travail ». Pourtant les Cahiers donnent à voir le travail d’enseignants qui se sont pliés à l’hétérogénéité. Ainsi cette professeure de maths chez qui chaque élève avance à son rythme.

Poser la question de l’hétérogénéité c’est aussi aborder celle des enfants « surdoués ». Les Cahiers communiquent les résultats des dernières recherches sur le cerveau susceptibles de mieux comprendre le phénomène.

Enseigner en classe hétérogène, Les Cahiers pédagogiques n°454.

http://www.cahiers-pedagogiques.com/numero.php3?id_article=3153

Ecole : quelles valeurs ?

« Au retour de la récréation, durant la période de relaxation, Julianne se promène entre les tapis disposés un peu partout sur le plancher de la classe. Chaque élève est couché sur son tapis personnalisé. Ce groupe de huit élèves de deuxième cycle du primaire – des enfants qui souffrent de troubles envahissants du développement – est assez agité depuis le retour des vacances de Noël. Benoît est particulièrement nerveux depuis quelques semaines, alors que son nouveau beau-père habite maintenant à la maison. Julianne réalise soudainement que Benoît se masturbe. Les autres ne le voient pas. Elle ne sait pas quoi faire. Devrait-elle intervenir maintenant ? » La question des valeurs se décline souvent de façon inattendue et urgente en classe. La revue québécoise Vie pédagogique y consacre son numéro 143.

La question est d’importance. A cela plusieurs raisons. D’abord, rappelle Camille Marchand, « l’école, au centre de la sphère publique, lieu des premières expériences de socialisation, est un espace privilégié pour traiter des valeurs; ne pas aborder la question, c’est en parler. Ne pas toucher les valeurs avec les élèves, c’est nier que l’enfant est toujours en train de négocier entre les messages reçus à la maison et ceux qui sont véhiculés par l’école, et cela est très difficile à vivre pour certains ». Ce qui n’empêche pas l’école québécoise de veiller à ne pas dresser les valeurs de l’école contre celles de la maison. « L’école, dans cet effort de clarification de valeurs, doit également donner la possibilité aux parents de s’exprimer en proposant des espaces où ils se sentent entendus sur cette question ».

Le numéro aborde donc les valeurs sous l’angle pédagogique. Ainsi Britt-Mari Barth montre l’importance des valeurs portées par le maître dans la réussite des élèves. « L’élève meurtri doit être le premier à sentir la confiance qu’on a en lui. Il doit sentir que l’enseignant cherche à le comprendre. C’est risqué de faire confiance quand on n’est pas sûr de la réciprocité; il faut d’abord avoir des assurances. Si l’élève remarque que l’enseignant cherche avant tout à mettre ses connaissances à son service pour l’aider à réussir, il se crée ainsi un climat de confiance. Le cognitif est imbriqué à l’affectif, l’un ne fonctionne pas sans l’autre. L’enseignant doit se donner tous les moyens pour favoriser l’établissement de ce lien de confiance. C’est ce que j’appelle « le contrat d’intersubjectivité » : entrer dans une compréhension mutuelle des attentes; de part et d’autre, clarifier les attentes. L’élève doit sentir qu’une personne qui croit en lui est là pour l’aider ».

Mais la question des valeurs au Québec se pose également dans le contexte de la laïcisation du système éducatif. C’est seulement en 2005 qu’a été décidé l’abolition de l’enseignement confessionnel à l’école. En 2008 les nouveaux programmes d’éthique et de culture religieuse remplaceront les anciens programmes catholiques, protestants et d’enseignement moral. Ils feront la place belle à l’héritage religieux du Québec. Une situation qui peut être curieuse vue de France (où se pose quand même la question de l’enseignement du fait religieux) mais qui témoigne du lien particulier entre l’Ecole et la communauté québécoise.

Les valeurs, Vie Pédagogique n°143, mai 2007.

http://www.viepedagogique.gouv.qc.ca/numeros/143/numero143.asp

Ecole changer de cap

« Pour changer le monde nous ne pouvons faire l’économie de nous changer nous-même ». Le pari des auteurs de l’ouvrage « Ecole changer de cap », de Armen Tarpinian, Laurence Baranski, Georges Hervé et Bruno Mattei, c’est penser que l’Ecole a d’abord besoin autant d’une réflexion éthique. Pour que l’esprit démocratique et des pratiques de dialogue entrent à l’école, ils invitent à une nouvelle formation des enseignants et des élèves.

Ainsi ils souhaitent une réflexion sur les valeurs et finalités de l’Ecole. L’Ecole doit être au service d’un projet d’humanité. Edgar Morin en trace la dimension en appelant à une « formation éthique à la responsabilité ». Daniel Favre en donne une illustration claire aux yeux des enseignants en retraçant l’histoire de la faute à l’école, et en montrant qu’elle peut être au service des apprentissages. Un deuxième objectif est le développement de la pensée démocratique à l’Ecole. On lira par exemple avec intérêt l’article d’Aline Peignault, principale du collège Haut Mesnil de Montrouge (92) qui montre l’impact d’une reconstruction éthique de l’établissement.

L’ouvrage se clôt par des parties consacrées à la formation des enseignants et des élèves. Par exemple : comment développer l’estime de soi. « L’idée n’est pas que les enseignants, les juges, les policiers passent par une psychothérapie. Mais de souhaiter que dans le concret de leurs activités ils soient formés à faire évoluer leurs qualités relationnelles ».

Armen Tarpinian, Laurence Baranski, Georges Hervé et Bruno Mattei, Ecole changer de cap, Paris, Chronique sociale, 2007, 282 pages.

Présentation

http://perso.orange.fr/jacques.nimier/livre_ecole_changer_de_cap.htm