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Par Françoise Solliec

Le master annoncé par Xavier Darcos et Nicolas Sarkozy signe-t-il la fin de la formation professionnelle des enseignants et la disparition des IUFM ? Afin de permettre un échange large et sans précipitation sur ces questions et garantir aux futurs enseignants « une formation de haut niveau dans des IUFM rénovés » Y. Jean, M. Lauton, P. Meirieu, C. Pontais, F. Poirier et M. Rousseau ont lancé récemment un appel, qui a déjà recueilli au 25 juin plus de 1650 signatures.

Parce qu’une mobilisation importante paraît la seule réponse aux propositions gouvernementales, quelques-uns des initiateurs de l’appel et des premiers signataires (représentants des organisations syndicales et experts de l’éducation) ont souhaité expliquer à la presse les raisons de cet appel et les réactions qu’ils espèrent entraîner.

Philippe Meirieu, professeur à l’unversité Lumière Lyon 2, se réjouit que l’appel à des états généraux de la formation fasse l’objet d’un très large accord intersyndical, toutes catégories d’enseignants confondues, ce qui répond à une réelle nécessité si l’on pense aux différences de métier mises en avant aussi bien entre le premier et le second degré qu’entre enseignement général et professionnel. « Le risque est grand que les IUFM soient obligés de se départir de tout ce qu’on peut considérer comme noble » déclare-t-il, « comme les préparations à l’agreg et au Capes et la formation des enseignants du 1er degré et ne puissent garder que la formation des enseignants de l’AIS, des CPE (avant leur disparition) et des PLP. Face à ces menaces, l’unité intercatégorielle est fondamentale ».

Il note que par « une escroquerie, un véritable tour de passe-passe », le gouvernement a semblé répondre favorablement à la demande de voir valider par un master les 2 années passées par les enseignants en IUFM. « En fait la demande a été renversée, dans une logique de revanche politicienne et dans une logique économique qui consiste à faire désormais de ce master une condition de recrutement ».

« Cela va amener des effets pitoyables dans les universités » avec, d’une part, des mises en concurrence et des politiques de « chasse à l’étudiant » et, d’autre part, le risque de voir à terme « un IUFM croupion qui ne pourra plus jouer son rôle d’instance de pilotage de la formation. Le compagnonnage ne suffit pas : il faut réformer les IUFM pour donner aux enseignants une vraie bonne formation professionnelle ».


Pour Jean-Louis Auduc, directeur des études 1er degré à l’IUFM de Créteil, la disparition de l’année de stage rémunérée aura des conséquences néfastes sur la diversification du recrutement des jeunes enseignants. « On est dans une régression de la formation car les universités vont proposer dans l’urgence des masters qui seront un ersatz à la fois de formation disciplinaire et de formation professionnelle. Les concours de recrutement piloteront le contenu du master (les premières nouvelles formules devraient être expérimentées en décembre 2009). On veut faire jouer à l’université un rôle qui n’est pas le sien. Le métier d’enseignant sera-t-il le seul à ne pas s’acquérir dans une école professionnelle ? ».


Stéphane Bonnery, maître de conférences à l’université Paris 8, estime que « cette réforme représente un cheval de Troie qui pourrait bien être monté pour entraîner la disparition des concours nationaux et l’abandon d’une culture commune ». Il considère néanmoins qu’on « ne peut pas défendre le statu quo : il y a vraiment besoin de révolutionner les IUFM ». Il note aussi qu’il faut emporter l’adhésion du grand public et donc se préoccuper de la communication envers les familles « un exercice que le ministère a mené admirablement avec la suppression des heures du samedi matin ».


La popularisation des recherches en sciences de l’éducation est l’une des tâches importantes de l’IUFM. Michelle Lauton, professeur à l’université Paris XI, estime que cette recherche est en état de sous-développement et qu’elle devrait bénéficier de davantage de postes et de moyens.


Si des personnalités reconnues comme les anciens recteurs Philippe Joutard ou Claude Pair ont signé l’appel, beaucoup de stagiaires IUFM en sont également signataires. En effet, en dehors de toute autre considération, la disparition d’une année de formation rémunérée est un enjeu de taille pour les futurs enseignants des académies socialement défavorisées, comme celle de Créteil. Les signataires de l’appel se déclarent tous attachés à un recrutement social des enseignants le plus diversifié possible.


Peut-on espérer que le ministère répondra favorablement à cet appel ? Ce n’est pas le ministère qui va organiser les états généraux que nous demandons, affirment les organisateurs de la réunion qui se préparent à les organiser eux-mêmes à l’automne prochain. « La mobilisation est très forte dans les IUFM, il faut que le ministère nous donne le temps de réfléchir ».

Comme pour d’autres réformes mises en œuvre cette année, des textes élaborés hors de toute concertation risquent de suivre très rapidement les annonces présidentielles. Reste donc à obtenir une mobilisation massive, par exemple en faisant voter des motions dans les universités, et à réfléchir à la question de fond : quel pourrait être le contenu d’un master professionnel enseignant, alors que ce concept même avait été rejeté par Jean-Marc Monteil alors directeur de l’enseignement supérieur ?