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En novembre dernier, était organisé le premier forum mondial de l’éducation et de la formation tout au long de la vie. Le Café Pédagogique était présent et a relaté les temps forts de la rencontre. Ce forum avait été l’occasion de visiter le thème sur tous les continents. Il avait mis aussi en relief le cloisonnement en France des deux types d’accès au savoir : la formation initiale et la formation continue. Yves Attou, président du comité mondial de l’éducation et de la formation tout au long de la vie et organisateur du forum, a échangé avec nous sur la réalité en France de ce concept.

L’éducation et la formation tout au long de la vie en France n’est elle pas marquée par le cloisonnement entre formation initiale et formation continue ?

Le constat n’est pas nouveau. Le rapport Thélot soulignait déjà la nécessité du décloisonnement et préconisait de préparer les élèves à apprendre tout au long de la vie. L’Ocde insiste aussi sur ce point depuis plusieurs années.

En France, nous restons encore dans le schéma d’une éducation initiale suffisante pour préparer la vie professionnelle. Or, ce n’est plus le cas. Les diplômes deviennent vite obsolètes. Ce cloisonnement n’est pas spécifique à la France, on le retrouve dans beaucoup de pays.

Quelles sont les raisons de ce manque de continuité entre éducation et formation ?

Il existe une réelle difficulté liée à notre culture scolaire qui ne donne pas toujours une place à la formation continue. Pourtant, apprendre tout au long de la vie s’impose du fait des évolutions des technologies ou encore de l’emploi. Cette nécessité d’apprendre tout au long de la vie, Platon l’avait déjà énoncée.

Apprendre à apprendre tout au long de la vie, pourrait se traduire comment ?

C’est d’abord l’idée de préparer les élèves à apprendre en autoformation, avec les réseaux, de différentes façons, tout au long de leur vie. Il existe de nombreux moyens d’apprendre aujourd’hui. Par exemple, la ville de Paris vient de lancer « rue des facs », un service qui permet aux étudiants d’accéder aux services de bibliothèques parisiennes en utilisant Internet.

Il faudrait aussi initier les élèves sur le maquis de la formation continue. Pour s’y retrouver, c’est compliqué, encore plus pour les jeunes, comme j’ai pu le constater lorsque j’étais responsable de mission locale.

La troisième disposition serait de préparer les élèves et les étudiants à la motivation, avec l’idée de rester en éveil ; de rester curieux, de se perfectionner, d’avoir le désir d’apprendre.

Et pour les adultes, qu’en est-il ?

Le système scolaire est un système qui sélectionne par l’échec. Cela a des conséquences pour la formation pour adultes. La représentation que l’adulte a de cette formation est souvent un retour à l’école. Lorsque le rapport à l’école a été une relation d’échec, l’adulte aura de grandes difficultés à entrer en formation. D’autant qu’une personne qui ne maîtrise pas les connaissances de base aura besoin d’un temps plus long pour acquérir ces connaissances avant de se former pour des compétences professionnelles. Malheureusement, les parcours de formation ont tendance à être raccourcis, à viser des objectifs utilitaires, opérationnels.

On observe que ce sont les plus formés qui viennent en formation. Ce constat ne se limite pas à la France, c’est la même chose dans tous les pays développés.

Au forum mondial, Pedro Portual est venu témoigner du rôle de l’éducation populaire pour donner accès au savoir pour tous. N’est ce pas une solution pour réconcilier avec le savoir, acquérir ou renforcer ses connaissances de base et donner envie d’accéder à une formation ?

Pedro Portual, représente l’école de Paolo Freire, proche de la théologie de la Libération. En France, ATD Quart Monde mène des initiatives de ce type. Au-delà de ce courant, l’éducation populaire est présente depuis longtemps en France, avec la Ligue de l’enseignement, la Fédération Léo Lagrange, les foyers ruraux, par exemple. Il y a un retour de l’éducation informelle avec les universités du temps libre, pour les séniors. L’université populaire de Caen, avec Michel Onfray, connaît un grand succès.

Mais dans l’ensemble, les mouvements d’éducation populaire, mouvements militants au départ, ont évolué vers une offre de services, dans une logique consumériste, pour subsister. Ils ont disposé pendant longtemps d’une aide de l’état sous la forme de mises à disposition d’enseignants qui ont diminué ensuite au profit de subventions. Mais aujourd’hui, les relations avec l’Etat sont tendues.

Les mouvements d’éducation populaire se sont retirés petit à petit des quartiers en difficulté et des mouvements caritatifs, voire religieux ont pris leur place pour l’alphabétisation ou l’éducation des adultes. L’éducation populaire reste toutefois une donnée importante essentielle de la formation tout au long de la vie.

Existe-t-il une reconnaissance de la formation informelle ?

La France fait partie des deux ou trois pays au monde qui reconnaissent la formation informelle. Avec la VAE (Validation des Acquis de l’Expérience), une personne peut faire valoir son expérience civique, associative pour accéder à un diplôme. Par exemple, un trésorier d’association pourra faire reconnaître les compétences qu’il a acquises avec cette activité.

Le système est encore lourd. 26 000 personnes ont bénéficié de ce dispositif alors que 6 millions pourraient être concernées. Dans de nombreux pays, on pratique une certification des compétences. En France, on possède une culture de la qualification sanctionnée par un diplôme. L’intérêt est que, par le diplôme, la qualification est reconnue au niveau national et par les conventions collectives.

Le débat entre qualification et compétence est très français. Dans beaucoup de pays, il n’a pas lieu d’être. La VAE cherche à établir une passerelle entre les deux notions, et donc entre les deux cultures, académique et professionnelle.

Cette passerelle, comment est elle posée ailleurs ?

Dans certains pays, il existe des systèmes d’unités capitalisables. Il permet à l’élève qui n’a pas obtenu la totalité de son diplôme, de garder le bénéfice des épreuves réussies, de capitaliser ses résultats pour les compléter, plus tard en formation continue, afin d’obtenir son diplôme. C’est le système naissant du portfolio de compétences ou du passeport formation.

Pour l’Ocde, pas un système de formation ne se ressemble d’un pays à l’autre, et uniformiser les systèmes ne présente aucun intérêt. Des pays intègrent complètement l’éducation et la formation tout au long de la vie dans leur politique, parfois même avec un ministère qui y est consacré. C’est le cas de tous les pays scandinaves, du Japon, de la Corée, ou encore du Québec. Là, la formation scolaire et la formation continue sont moins cloisonnées, un effort est fait pour que le continuum soit réel.

Pour préparer le deuxième forum de l’éducation et de la formation tout au long de la vie, nous menons des études exploratoires dans ces pays. L’idée est qu’après le premier forum, consacré au travail institutionnel, ce sont les pratiques innovantes favorisant une véritable éducation et formation tout au long de la vie qui seront mises en valeur.

Propos recueillis par Monique Royer