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François Jarraud

Le professeur est-il maître de sa correction ? Spécialiste des « facteurs humains dans l’enseignement », Jacques Nimier montre que la subjectivité s’inscrit dans l’acte d’évaluation.

Il y a quelques années vous aviez lancé un test de correction de copies du BEPC très original : vous aviez confronté la correction des mêmes copies du BEPC par 30 correcteurs à votre propre « correction » effectuée sans lire les copies ! Vous pouvez nous rappeler les résultats ?

C’était une correction d’un texte de BEPC avec algèbre et géométrie. Les 30 professeurs ont discuté durant une heure pour se mettre d’accord sur un barème, puis ont corrigé les copies. Pour mon compte je me suis contenté de regarder l’écriture et la présentation sans regarder les résultats. Après avoir relevé les notes des 30 professeurs et les miennes nous avons pu constater que:

– la différence maximale des notes attribuées à une même copie était de 11 points!

– les notes que j’avais données n’étaient jamais aux extrémes; autrement dit que ma notation était aussi « valable » que les autres!

L’intérêt de cette expérience à été dans les réactions extrêmement vives des enseignants. Ils étaient touchés dans leur représentation d’une fonction importante de leur métier ( certains parlaient même de donner leur démission de l’E.N !).

L’échange qui a suivi a montré que chaque enseignant pouvait justifier sa note par des arguments du genre : pour telle question à 2 points, l’un retire des demi points quand il manque des aspects importants, alors qu’un autre part de 0 pour cette même question et rajoute des points quand il trouve des résultats justes!

Certains disaient également qu’ils avaient « rajouté » ou « retiré » des points pour la présentation ou les fautes d’orthographe et d’autres pas etc.

Mais ça veut dire que l’écriture et la présentation de la copie agissent effectivement dans la notation . Comment cela est-il possible ?

Bien sûr, la présentation d’une copie est comme la présentation vestimentaire un jour d’entretien d’embauche. Par votre présentation vous parlez de vous (« je me fous de tout » ou , « je suis très ordonné » ou « je suis maniaque de la propreté »…etc…), . Et évidemment celui qui est en face reçoit l’information avec sa subjectivité! ça lui plaît ou ça lui déplaît ! Les élèves qui connaissent la musique de l’école apprennent vite ce qui plaît à tel professeur ou à tel autre (« il faut tout souligner pour lui, » ou « il faut laisser beaucoup d’espace »… ) Il est intéressant de comparer les copies d’un même élève données à des professeurs différents!

Quelles conclusions en tirez vous ?

Que la notation est comme beaucoup de choses dans la vie, « subjective » et qu’on a bien du mal à le reconnaître car cela nous déstabilise; nous avons besoin de repères, de choses qui nous paraissent stables, solides, objectives et la notation en fait partie. Sommes-nous, français, si angoissés pour être les champions du nombre de notes et d’examens, de même que les champions de la consommation d’anxiolytiques! L’incertitude, l’approximation, le tâtonnement, en un mot, la subjectivité sont difficiles à vivre.

Que nous accordons (peut-être sous la pression des parents, mais cela n’est pas sûr, il y a aussi celle des élèves) trop d’importance à la notation (voir le texte de l’inspecteur général R.F.Gauthier http://www.pedagopsy.eu/evaluation_gauthier.htm ) qui nous dit :

« Donc la perversion évaluatrice est sans doute à ce moment portée à son comble. Vu l’état ambiant de l’angoisse scolaire, personne ne conteste au fond l’état des choses. Passer dans la classe supérieure, avoir l’examen, avoir la moyenne a pris le pas sur l’acquisition des connaissances, des compétences, des comportements et de la culture qui sont théoriquement les objectifs pour lesquels le contribuable français paye le quart du budget de ce pays. »

D’autres pays que le nôtre attachent une importance bien moins grande à la notation. On note de trop en France.

La formation des enseignants ne tient pas suffisamment compte de la découverte nécessaire de la propre subjectivité des enseignants. Combien de fois ai-je pu me rendre compte que je choisissais un texte de problème difficile pour « punir » certaines classes qui m’avaient ennuyé et que d’autres fois, je choisissais un problème facile pour une autre classe agréable. En définitive, le professeur se note quand il note ses élèves!

Quels autres facteurs psychologiques agissent dans l’évaluation ?

Il y en a beaucoup, on peut en citer quelques uns:

– le désir inconscient de punir les élèves ou de les materner;

– la fatigue qui peut faire devenir indulgent ou dur suivant son tempérament,

– le désir d’en finir vite (comme président de jury de bac , je faisais toujours mettre de coté les cas litigieux qu’il me semblait juste de faire « passer ». A une heure de l’après midi quand tout le monde avait bien faim, le processus d’accord devenait très rapide!!!)

– la place d’une copie par rapport à une autre : une copie peut nous énerver, la suivante, si elle a quelque chose de bien nous paraîtra « merveilleuse » et inversement.

– la relation inconsciente qu’on a avec tel élève qui nous rappelle notre passé ou un de nos enfants et avec lequel on sera sans doute plus indulgent (ou l’inverse, suivant notre histoire!)

etc.

Partant de là que peut on conseiller aux enseignants pour améliorer leur évaluation ?

De mieux se connaître. De ne pas nier leur subjectivité mais de la découvrir et d’en tenir compte pour ne pas se laisser entraîner par elle sans s’en rendre compte.

D’échanger parfois leurs copies avec des collègues pour découvrir sous un autre jour, peut être, certains de leurs élèves.

Faut-il supprimer les examens puisqu’on ne peut garantir une totale justice ?

Cela me parait irréaliste dans notre pays. Mais on peut espérer des évolutions. Par exemples:

– diminuer le nombre d’examens (j’ai dû en passer plus de 30 dans ma vie! était-ce bien nécessaire?). C’est affolant ! En France, il faut un examen pour tout! et pour la même fonction plusieurs examens existent (capes et agrégation!)

– utiliser le moins possible des « moyennes » qui souvent n’ont aucun sens (quel est le sens d’une moyenne faite dans un trimestre avec 10 devoirs de maths et 1 devoir de philo ???!!!) L’idée de modules obtenus progressivement serait à approfondir.

Ce qu’il faut continuer à modifier, c’est l’examen couperet, fait en deux jours et une fois pour toutes. Il faut introduire la notion de temps (les modules se passent progressivement), la notion de progrès (un module obtenu reste acquis); la notion d’espoir (on peut toujours chercher par la suite à avoir le module qui manque).

Décentrer notre enseignement de cette « perversion évaluatrice » pour l’orienter vers la recherche de méthodologies de progression des élèves et de validation de leurs acquis, serait une avancée considérable pour notre école.

Jacques Nimier

L’excellent site de J . Nimier

http://www.PedagoPsy.eu