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« Est-ce que les concours de recrutement tels qu’ils sont conçus actuellement répondent aux défis posés par l’exercice du métier enseignant ? » Directeur d’IUFM, Jean-Louis Auduc revient sur la question de la formation des enseignants en montrant ce qu’elle devrait être aujourd’hui.

Les défis que le système éducatif doit relever sont nombreux, puisque nous avons un système scolaire où l’écart entre les meilleurs élèves et les plus faibles ne cessent de s’accroître. Pour répondre à ces défis, une meilleure formation des enseignants est un atout décisif.

Gérer l’articulation entre concours et entrée dans le métier

Il y a rupture, grand écart, voire contradiction entre les deux moments où le jeune se sent « entrer dans le métier » :

* La réussite au concours

* La prise en responsabilité comme titulaire de sa première classe.

Ce grand écart s’accroît compte tenu des mutations sociologiques accélérées et de réalités professionnelles qui nécessitent un savoir agir en situation complexe prenant appui sur des compétences relationnelles et stratégiques de plus en plus appelées « compétences-clés » dans les métiers de l’encadrement.

Est-il normal que l’entrée dans le métier enseignant se caractérise par un changement radical de posture entre ce qu’ont été les études universitaires la préparation au concours et la réalité du travail à exercer dans la classe, notamment la mise en apprentissage des élèves ?

La formation en France est organisée historiquement sur le mode SUCCESSIF, notamment pour le second degré où les concours ont un âge respectable : l’Agrégation date de 1764 et le CAPES de 1950……

L’enseignant-stagiaire doit ainsi se montrer capable de transmettre des savoirs, de mettre des élèves en apprentissage alors que l’année précédente, il cultivait les savoirs pour eux-mêmes hors de toute perspective éducative.

Dans d’autres pays européens, on a une formation SIMULTANEE. On se forme en même temps pendant la durée de ses études dans les domaines académique et professionnel sans changement radical de posture.

Il faut donc s’interroger sur le rôle des concours de recrutement ?

Que doivent-ils permettre de vérifier ?

Est-ce que les concours de recrutement tels qu’ils sont conçus actuellement répondent aux défis posés par l’exercice du métier enseignant ?

Si je prends quelques questions à la base du programme annuel de certains CAPES ces six dernières années, on est plus dans l’érudition que dans le savoir……

Il s’agit ici des CAPES à programmes comportant un certain nombre de questions ( de 1 à 5) changeant chaque année ou tous les deux ans et qui sont à la base des épreuves écrites et orales des concours.

CAPES 2003/2004

Allemand :

* Le deuxième Reich allemand sous Guillaume II, du départ de Bismarck au début de la première guerre mondiale (1890-1914)

* Pensée, langage et identité : La réflexion philosophique d’Ernst Cassirer

Anglais :

* Thomas de Quincey : confessions of an English Opium-Eater (1821)

* Le crime organisé à la ville et à l’écran ( Etats-Unis 1929-1951)

Arts Plastiques : ( ne s’enseigne qu’au collège)

* le regard sur l’Orient dans la peinture et la photographie de 1830 à la fin du XIXe siècle

Education Musicale : ( ne s’enseigne qu’au collège)

* Les rapports du pouvoir et de la musique du IXe siècle au début du XVIIIe siècle

Histoire-géographie :

* Histoire ancienne ( une des 4 questions d’Histoire à côté de la question de « médiévale », « moderne », « contemporaine » : L’Anatolie ( à l’ouest de l’Halys, y compris les îles possédant des territoires sur le continent), la Syrie, l’Egypte (avec Chypre), de la mort d’Alexandre au règlement par Rome des affaires d’Orient ( 55 avant notre ère)

Espagnol :

* L’inquisition espagnole et la construction de la monarchie confessionnelle (1478-1561)

* Aspects de l’exil de 1939 dans la poésie espagnole : Luis Cernuda, Las Nubes, Desolacion de la Quimera,

* La représentation de l’espace dans le roman hispano-américain : José-Eustasio Rivera, la Voragine, Alejo Carpenter, los pasos perdidos.

CAPES 2004/2005

Allemand :

* Friedrich Schiller : Marie Stuart, Trauerspiel in fünf Aufzügen

* Alexander und Margaret Mitscherlich : Die Unfähigkeit zu trauern.Grundlagen kollektiven Verhaltens

* L’Allemagne et les conséquences de la politique d’occupation : de l’effondrement à la reconstruction (1948-1955)

Anglais :

* William Shakespeare. King Richard II

* Flannery O’Connor , The Complete Stories

* William Morris, News from Nowhere (1890)

Espagnol :

* L’empire espagnol de Charles V Sociétés et cultures ( 1516-1556)

* L’armée dans la société espagnole (1874-1939)

* José Maria Arguedas, Los rios profundos, Madrid

* El embrujo de Shangai

Histoire-géographie :

* Les villes d’Italie du milieu du XIIe siècle au milieu du XIVe siècle : économie, société, pouvoirs, cultures

CAPES 2005/2006

Allemand :

* Christian D. Grabbe : Napoleon oder die hundert Tage

* Rose Ausländer : Gedichte

* Dada Berlin. Texte, manifeste, Aktionen, hg von Karl Riha

* Les relations extérieures de la République Fédérale d’Allemagne entre 1955 et 1974 : de la souveraineté à la nouvelle Ostpolitik

Anglais :

* Nathaniel Hawthorne, The Scarlett Letter (1850)

* Ford Madox Ford, The Good Soldier (1915)

* Thomas Jefferson et l’Ouest (1801-1808) : l’expédition de Lewis et Clark

Arts Plastiques :

* Peinture et musique, rythmes et couleurs, sons et lumières, la confrontation des formes sonores et visuelles dans les arts plastiques au XXe siècle

Education Musicale :

* La virtuosité et l’invention musicale ( statuts, modalités, gestes, techniques, écritures)

Espagnol :

* Goya en Bordeos (1999), film de Carlos Saura

* Libro de Buen Amor de Jean Ruiz, Arcipreste de Hita

Histoire-géographie :

* L’Afrique romaine ( de l’Atlantique à la Tripolitaine) de 69 à 439 : Question d’Histoire ancienne

* Les campagnes dans les évolutions sociales et politiques en Europe, des années 1830 à la fin des années 1920 : étude comparée de la France, de l’Allemagne, de l’Espagne et de l’Italie. Question d’Histoire contemporaine

CAPES 2006/2007

Allemand :

* Johann Wolfang Goethe : Die Wahlverwandtschaften

* Elfriede Jelinek : In den Alpen

* Pensée et politique coloniales allemandes XVIe-XXe siècles

* Novalis : fragmente und Studien. Die Christenheit oder Europa

Anglais :

* William Shakespeare. The Tragedy of Coriolanus

* Jane Austen, Pride and Prejudice (1813)

Arts Plastiques :

* Les systèmes de représentation de l’espace du XVe siècle au XVIIIe siècle : de l’affirmation des codes à leur dépassement

Espagnol :

* La révolution cubaine (1959-1992)

* Francisco de Quevedo, La vida del Buscon llamado Don pablos

Histoire-géographie :

* Le monde byzantin, du milieu du VIIIe siècle à 1204 ; économies et société

CAPES 2007/2008

Allemand :

* Georg Trakl : Das dichterische Werk

* Volker Braun : Hinze-Kunze Roman

* Mutations politiques, sociales, économiques et culturelles dans les pays de langue allemande entre 1789 et 1815

* Friedrich Schlegel, « Athenaums »

Anglais :

* John Steinbeck, The Grapes of Wrath (1939)

* La dévolution des pouvoirs à l’Ecosse et au pays de Galles 1966-1999

Education Musicale :

– Bruit et musique : Discriminations, interactions, influences

Espagnol :

* Cinéma et révolution cubaine : Fresa y Chocolate de Tomas Gutierrez Alea ( 1993)

* Femmes et démocratie : Les espagnoles dans l’espace public ( 1868-1978)

Histoire-géographie :

Economies et sociétés de 478 à 88 en Grèce ancienne ( Grèce continentale, îles de la mer Egée, cités côtières d’Asie mineure)

CAPES 2008/2009

Allemand :

* Heinrich Mann, der Untertan, Roman

* Norbert Elias, Studien über die Deutschen. Machtkämpfe und Habitusent-wicklung im 19. und 20. Jahrhundert.

Anglais :

* William Shakespeare, King Lear

* Charlotte Brontë, Jane Eyre (1847)

* L’empire de l’exécutif : la présidence des Etats-Unis de Franklin Roosevelt à George W. Bush ( 1933-2006)

Arts Plastiques :

* La place de l’assemblage dans le champ des arts visuels, du sonore, du spectacle vivant et l’architecture, aux USA et en Europe, de l’exposition « The Art of Assemblage » du Museum of Modern Art de New York (USA) en 1961, à l’exposition « Le corps en morceaux » du musée d’Orsay à Paris en 1990.

Espagnol :

* Fernando de Rojas, La Celestina. Comedia o tragicomedia de Calisto y Melibea.

* Valle-Inclan, Ramon del, Luces de Bohemia.

Histoire-géographie :

* Pouvoirs, église et société dans les royaumes de France, Bourgogne et Germanie aux Xe et XIe siècle ( 888-vers 1110)

La réponse apparaît négative concernant la possibilité pour de tels concours de faire face à ce qu’est aujourd’hui la réalité du travail enseignant et les exigences d’une professionnalisation accrue des enseignants.

Les concours de recrutement, notamment ceux du second degré, devraient ne plus être exclusivement tournés vers l’amont de la formation universitaire, mais comprendre des épreuves tournées vers l’aval, c’est-à-dire, vers le métier que l’enseignant devra exercer.

De plus, je pense qu’une réflexion est indispensable sur l’évolution des programmes scolaires et des disciplines universitaires depuis trente ans.

Les disciplines scolaires et les disciplines universitaires ont évolué selon des chemins différents.

On ne peut plus parler de transposition des programmes universitaires pour évoquer les programmes scolaires, il faut parler de recomposition.

Les actuels concours de recrutement légitiment les découpages universitaires et place l’enseignant en situation délicate pour comprendre le sens, les finalités de programmes scolaires construits dans une démarche différente que celle de la mise en place des découpages des formations universitaires.

Cette absence de continuité savoirs universitaires / disciplines scolaires peut notamment se manifester au travers de quatre exemples :

* Des disciplines scolaires sont composées de parties de disciplines universitaires : par exemple, les S.E.S. composées d’une partie de la sociologie, des sciences politiques, des études statistiques, de l’économie……Des disciplines comme l’éducation civique, la technologie sont « autonomes » par rapport aux savoirs universitaires

* Des disciplines universitaires sont sans relation avec des disciplines scolaires. Si l’on regarde les 72 sections disciplinaires universitaires existantes, très peu ont une dénomination en relation avec des disciplines scolaires.

* Même si une discipline scolaire porte le même nom qu’un cursus universitaire, la structuration disciplinaire n’est pas la même. L’Histoire dans le cursus scolaire s’inscrit dans une continuité pédagogique et chronologique ; à l’Université, elle est découpée en Histoire de l’art, archéologie, histoire antique, histoire médiévale, histoire moderne, histoire contemporaine. On peut évoquer la même démarche concernant la géographie ou les mathématiques dans le cursus scolaire. Ces matières sont composées de parties de différentes sections de l’Université.

* L’enseignant dans le cursus scolaire enseigne souvent un couple de disciplines : histoire/géographie ; sciences physiques/Chimie ; sciences de la vie et de la terre (biologie/géologie). Or, si ces couples de disciplines existaient il y a trente ou quarante ans, aujourd’hui il n’y a quasiment aucune université où ces couples de disciplines sont dans la même UFR. Il y a là un obstacle important pour permettre un travail interdisciplinaire ou transversal et pour avoir un travail à l’université en relation avec les programmes des collèges et des lycées.

Une telle recomposition entraîne un double choc :

* Les enseignements universitaires à la base des actuels concours (CAPES/Agrégation) ne sont pas toujours pertinents pour l’entrée des professeurs stagiaires dans les programmes de collège et de lycée. Ces programmes n’ayant pas de rapports directs avec les actuels découpages universitaires ; on comprend l’enjeu en terme de pilotage des concours de savoir si le programme des concours sera les programmes scolaires ou des questions prises dans les cursus universitaires.

* Les débats concernant l’articulation secondaire/supérieur et les disciplines à enseigner au lycée sont très liés à cette différenciation forte et à cette non-continuité disciplines scolaires/cursus disciplinaire universitaire.

Quel métier enseignant ? Quelle formation ?

Avant de définir le contenu de toute formation, il faut effectivement définir le métier enseignant.

Le métier d’enseignant ne se définit pas en soi mais par rapport aux enjeux sociétaux et aux défis à relever …

Le système éducatif français se caractérise, les évaluations PISA l’ont bien montré, par l’existence d’une élite très bien formée, sélectionnée et triée, mais dont, aujourd’hui, la faiblesse du nombre pose des questions par rapport aux besoins de l’économie et 15% des élèves, essentiellement des garçons, qui se retrouvent avec d’énormes difficultés.

Pour corriger cette situation et ainsi éviter de laisser trop d’élèves au bord du chemin,

le système éducatif français a besoin de professionnels capables de transmettre et de prendre en compte la diversité des publics, de savoir organiser leur enseignement dans un environnement complexe : la diversité des publics d’élèves, la diversité des modèles éducatifs parentaux, les nouveaux moyens de communication, des devenirs professionnels en pleine évolution. Le métier s’est complexifié, la formation doit donc elle-même évoluer. Etre un enseignant compétent dans une situation de travail en 2009 ne signifie plus la même chose qu’être compétent en 1950 ou 1970. C’est bien là l’objet du débat : de quelles compétences l’école a-t-elle besoin pour jouer son rôle aujourd’hui et dans les années qui viennent ?

Pour le métier de professeur des écoles en 1994, comme pour le métier d’enseignant du collège et des lycées, des référentiels des compétences nécessaires ont été élaborés et publiés et ont été à la base des plans de formation des IUFM.

Alors que le ministère avait annoncé qu’à partir de la session 1998, les jurys des concours de recrutement du second degré devaient interroger à l’oral les candidats admissibles pour vérifier leurs connaissances de ces compétences, force est de constater que très peu de jurys l’ont fait et que seuls une minorité de disciplines ont évoqué l’existence de ce texte dans leur rapport des concours.

Les référentiels de 1994 et 1997 ont été prolongés en décembre 2006 par la publication de

dix compétences fondamentales pour l’exercice du métier enseignant :

* Agir en fonctionnaire de façon éthique et responsable

* Maîtriser la langue française pour enseigner et communiquer

* Maîtriser les disciplines et avoir une bonne culture générale

* Concevoir et mettre en œuvre son enseignement

* Organiser le travail de la classe

* Prendre en compte la diversité des élèves

* Evaluer les élèves

* Maîtriser les techniques d’information et de communication

* Travailler en équipe et coopérer avec les parents et les partenaires de l’école

* Se former et innover

C’est sur la base de la validation de ces compétences, que sont actuellement construits les plans de formation des professeurs stagiaires de notre IUFM.

C’est sur cette base que doivent être construites les épreuves du concours et les contenus des années de formation initiale.

Où est la réflexion sur l’acquisition de ces dix compétences dans les projets actuels ? Il n’en est plus question dans les expressions gouvernementales.

Certains projets de textes issus du ministère de l’éducation nationale début mars 2009 ne reprennent pas les dix compétences et préfèrent écrire : par exemple, qu’enseigner, c’est « évaluer les aptitudes et percevoir les talents » au lieu de « organiser le travail de la classe » et « prendre en compte la diversité des élèves », ce qui est inquiétant.

On voit ainsi certains projets de textes ministériels parler de : « faire cours et faire apprendre » au lieu « d’organiser le travail de la classe »,

En fait, il y a derrière la logique mise en œuvre par ces projets de textes, un métier enseignant qui se définit comme « faire cours » alors que tout démontre qu’enseigner, c’est « faire classe ».

Faire cours, c’est donner à penser qu’enseigner un savoir, ne nécessite pas de réfléchir sur ceux à qui on l’enseigne.

C’est concevoir l’approche disciplinaire comme extérieure à un cursus cohérent que suit l’élève, nécessitant la prise en compte des particularités de chacun et de se qui déroulent à d’autres moments de la journée ou de la semaine.

Faire classe, c’est considérer que le cœur du métier d’enseignant, c’est transmettre des savoirs et mettre en apprentissage des élèves en faisant dans la classe des choix raisonnés face à des situations complexes en se dotant de repères conceptuels, méthodologiques et éthiques permettant de viser la réussite de tous et de chacun.

C’est ne pas seulement se poser la question de faire cours et après d’en voir les effets mais à l’heure du Socle commun de connaissances et de compétences, de poser dans la classe, comment diagnostiquer les acquis des élèves, diversifier, différencier les pratiques d’apprentissage, évaluer les compétences tout au long de l’année scolaire.

Faire classe, c’est aussi réfléchir à : Nous enseignons, mais qu’apprennent-ils ?

Ne pas réfléchir à cette question pendant la formation initiale des enseignants serait un manque important.

Pour répondre à cette question, il faut réfléchir sur les profils d’apprentissage, les stratégies à développer, les interactions à mettre en place, les situations complexes qui entraînent les élèves à mobiliser leurs ressources : savoirs, ouvrages, techniques,… etc

Il faut également travailler dans le cadre des stages ce que recouvre le terme et surtout la pratique de la pédagogie différenciée qui est la clé de voute de la réussite de tous les élèves et du développement des différentes formes d’intelligences – au lieu de se focaliser sur le curatif (la rémédiation – le soutien) qui fait la part belle aux officines de tous ordres et vers lesquelles les familles qui le peuvent se tournent , le cœur du métier, c’est le « préventif » : la capacité à faire progresser tous les élèves.

Est-ce que d’ailleurs , il n’y aurait pas lieu d’interroger le schéma du secondaire qui pour de nombreux élèves ne tient plus : 1H-1classe-1professeur : c’est du taylorisme qui date, une approche bureaucratique qui ne répond plus à un enseignement moderne.

Enseigner est un métier qui s’apprend

Il faut permettre au futur enseignant de se construire une identité professionnelle qui s’appuie sur des savoirs, des savoir-faire, et des gestes professionnels.

Ceux-ci se construisent dans deux pôles :

– A l’IUFM, pour acquérir des savoirs scientifiques et disciplinaires, la connaissance des programmes d’enseignement, des compétences techniques ; il analyse ses pratiques et échange avec les formateurs et les autres professeurs stagiaires.

– Dans des établissements scolaires, il assure d’une part des enseignements et exerce, avec les soutiens nécessaires, la responsabilité dans une classe et prend, d’autre part, sa place dans un établissement particulier. A ce titre, l e professeur stagiaire acquiert une capacité propre d’expertise.

Une meilleure articulation entre ces pôles de formation est indispensable. Il faut permettre au jeune enseignant de « penser le local » en ayant présent à l’esprit la politique nationale de l’institution à laquelle il appartient : le service public de l’éducation nationale qui doit assurer une même qualité d’enseignement, dans le respect de programmes et de règlements nationaux sur tout le territoire. Il faut ensuite que l’IUFM soit le lieu des réponses aux questions que le professeur stagiaire se pose , mais aussi le lieu où il est en mesure de faire état de ses premiers choix comme autant de parcelles d’un savoir professionnel légitimé par l’expérience.

Comment prendre en compte dans la formation professionnelle des enseignants, les différentes spécificités de l’exercice au métier ?

Il faut sans doute rapprocher l’exercice du métier et les modalités de formation.

Cela amène à se poser un certain nombre de questions ?

Peut-on considérer que c’est le même métier que d’enseigner à des jeunes de 2 ans ou à des jeunes de 11ans ? A des jeunes de 12 ans ou à des jeunes de 21 ans ?

Ne serait-il plus judicieux de prévoir une définition du métier répartis non plus sur deux métiers : professeur des écoles (PE), professeur des lycées et collèges (PLC), mais sur des options de niveaux permettant notamment un meilleur travail sur l’interdisciplinarité, le transversal, la mise en œuvre du socle commun de connaissances et de compétences et une meilleur approche de la psychologie de l’enfant ou de l’adolescent ?

Par exemple, on pourrait avoir :

Un concours de professeurs des lycées et collèges avec une partie commune et deux options :

* un enseignant de l’école moyenne (6e,5e,4,3e, 2de) ;

* un enseignants de lycée et de classes post-bac (3e,2de, 1ere, Terminale)

Faudrait-il alors de la même manière se poser la question du découpage du concours professeur des écoles ? Les options pouvant alors concerner un enseignant de la maternelle et du CP, susceptible d’enseigner à des jeunes de 2/3 ans à 6/7 ans et un enseignant de l’élémentaire (CP, CE1, CE2, CM1) polyvalent avec peut-être dominante lettres ou sciences ou langues vivantes.

La situation est sans doute plus complexe que dans le second degré.

Avec des enseignants qui auraient l’assurance d’être formés à exercer sur des classes représentant environ 4 ans du cursus du jeune, on aurait sans une meilleure assurance qu’il puisse se projeter plus rapidement sur les réalités concernant l’exercice futur de son métier.

En tout état de cause un concours du CAPES purement disciplinaire dans toutes ses épreuves écrites et orales comme le réclament certains sans aucune possibilité d’approches interdisciplinaires ou transversales notamment dans la logique du Socle commun de connaissances et de compétences qui est le cadre mis en place par la loi depuis avril 2005, mettrait en énormes difficultés les enseignants nommés pour un service des deux-tiers en collège.

Gérer l’alternance terrain-centre de formation

Si les stages sont au cœur du processus de professionnalisation des enseignants, ils ne peuvent à eux seuls être l’essentiel de la formation.

Le compagnonnage, l’établissement- formateur peuvent avoir leurs intérêts, mais ils peuvent aussi être des producteurs de profondes inégalités compte tenu de la diversité des situations et des publics.

Puis qu’on parle de professionnalité, il est utile de regarder les mutations intervenues du côté de la formation professionnelle . Les mutations permanentes intervenant dans les processus de fabrication ont conduit ces dernières années, notamment en Allemagne où elle était le modèle, à une crise profonde des qualifications construites sur une seule entreprise.

Apprendre les gestes dans une seule entreprise ne permet pas toujours un réinvestissement dans d’autres processus de fabrication. Ces analyses conduisent donc à développer des moments d’apprentissage théorique pour maîtriser des notions – clés réadaptables et réinvestissables.

Une formation axée quasi-exclusivement sur l’établissement peut être un danger si ce stage devient l’essentiel de la formation, car elle peut :

* conforter le stagiaire dans ses préjugés, dans ses idées préconçues sur le métier enseignant ;

* donner une seule vision des réponses à fournir par rapport à une situation sans les confronter avec d’autres réponses possibles ;

* privilégier l’approche territoriale aux dépends d’un cadrage national ;

* en fait favoriser le conservatisme des démarches pédagogiques en ne permettant pas de réfléchir sur la pluralité des réponses pédagogiques possibles pour mettre en situation d’apprentissage les élèves ;

– conformer et formater le stagiaire sur des profils précis .

Les moments d’analyses de pratiques, permettant des allers-retours lieux de stages/structures de formation sont des parties décisives de la formation pour que le professeur-stagiaire comprenne l’importance d’une posture réflexive, de mise à distance par rapport à ce qu’il a vécu dans sa classe.

L’analyse de pratiques généralement animée par un binôme dans lequel figure le référent de terrain du stagiaire doit permettre au stagiaire de :

* relier les apprentissages effectués en formation et de les éclairer par une mise en perspective ;

* se référer aux savoirs constitués pour mieux nommer et comprendre l’expérience de terrain ;

* faire des choix raisonnés face à des situations complexes en se dotant de repères conceptuels, méthodologiques et éthiques ;

* dégager le caractère multiple et hétérogène du métier enseignant.

On entend souvent : Il ne faut pas affecter les débutants dans des établissements accueillant des populations jugées « difficiles ».

Je pense qu’il faut pondérer ce principe.

Il y a de tels établissements qui sont très formateurs, avec de bonnes équipes, un véritable sentiment collectif.

Il y a des communautés scolaires vivantes qui sont des antidotes efficaces contre les communautarismes.

Divers témoignages montrent que certains professeurs jugent qu’une nomination en établissement jugé difficile est une excellente chose, très formatrice. Ils se sentent utiles, motivés , avec des élèves attachants.

Il y a une vie collective conviviale dans ces établissements qui permet souvent de compenser le déracinement de jeunes enseignants venant de toute la France :

* rupture avec leur milieu familial,

* rupture avec leur cadre de vie,

* incompréhension par rapport à l’organisation du territoire : une ville de 50 000 habitants en banlieue n’a pas la même structure qu’une ville de 50 000 habitants en province.

Il est d’ailleurs important de valoriser la posture réflexive de l’enseignant débutant pendant son année de stage.

La titularisation à la fin de l’année de stage ne peut se faire seulement sur la base d’une inspection.

Il faut maintenir comme cela existe actuellement une titularisation par un jury sur la base du référentiel de compétences de 2006 avec avis de la structure de formation et avis des représentants de l’employeur. Chacun construisant son avis aux travers de visites, analyse de pratiques……

Entamer un processus de formation

Le souhait d’un stagiaire débutant et celui de certains responsables de l’institution, est souvent que sortent de l’IUFM des enseignants définitivement « formés » ayant en main toutes les clefs pour réussir dans le métier et contribuer à la réussite des élèves.

Pour les formateurs d’un IUFM, la perspective doit être un peu différente : l’année de formation est une réussite si le jeune titulaire quitte l’IUFM en ayant réalisé et accepté qu’il vient juste d’entamer un processus de formation dont seules les bases ont été posées

.

La certification ne donne pas le savoir faire pour faire face à toutes les situations, dans toutes les circonstances et ne saurait prétendre à la faire ! Chaque année est à la fois recommencement, étape parfois difficile et douloureuse, mais aussi enrichissement et approfondissement.

Les formations d’accompagnement à la prise de fonction prévues les premières années d’exercice des titulaires doivent être le début d’un travail d’appropriation , de réflexion autonome, qui doit s’appuyer sur les principes suivants :

* considérer que leur formation démarre et se poursuivra tout au long de leur carrière ;

* développer un va et vient entre pratiques de terrain et réflexions théoriques ;

* reconnaître que sont conciliables adaptation aux divers publics et maintien des exigences nationales.

Ce qui est indispensable, c’est une conception de la formation comme un processus durable, et non comme une accumulation ou une simple juxtaposition de contenus didactiques pédagogiques ou sociologiques, ou un émiettement de formations dans différentes disciplines.

Il faut également prendre en compte la dimension éthique du métier enseignant.

Toute personne qui assume une responsabilité éducative doit se référer à un système de valeurs.

Il s’agit de former des professionnels autonomes et également des fonctionnaires, de les former à leur positionnement dans leur institution, sans pour autant les formater .

L’articulation théorie/pratique doit être pensée dans les plans de formation et dans les relations entre les formateurs IUFM et les conseillers pédagogiques et tuteurs du terrain.

La formation en IUFM est une formation d’adultes. Elle se doit donc de prendre en compte le point de vue et les besoins des formés pour :

* une meilleure prise en compte de toutes les dimensions du métier enseignant ;

* une meilleure préparation à la prise de fonction en terrain difficile, en donnant l’occasion aux stagiaires d’appréhender la diversité des lieux d’exercice sans développer la peur ou les préjugés ;

* leur faire prendre conscience des enjeux des apprentissages scolaires ;

* leur fournir les outils susceptibles de les aider à appréhender les difficultés des élèves et l’hétérogénéité des classes ;

* mieux mettre en cohérence les différentes logiques de formation disciplinaires.

La formation initiale ne peut avoir pour seul horizon que l’année en cours, elle doit donner les clefs aux stagiaires pour leur permettre de se positionner dans la durée de leur carrière.

Ces enjeux, il est fondamental de les présenter aux stagiaires en leur montrant que les temps des uns peuvent exactement ne pas être les temps des autres.

Il est important que les stagiaires n’entendent pas les réponses avant de se poser les questions.

Il faut sans doute mieux parler de parcours de formation avec des passages obligatoires de stages et de formations liées ensemble.

La responsabilisation des stagiaires face à leur formation, tant initiale que continue, ne sera possible que si la démarche suivie dans ce cadre permet de la souplesse, un suivi individuel et des moments d’analyse de pratiques.

Tout responsable de structure de formation doit avoir présent lorsqu’il construit un plan de formation que la certification demeure pour trop de stagiaires le seul but à atteindre et que la peur fantasmée ou réelle de l’évaluation est un obstacle à la responsabilisation, à l’autonomie et à la prise de risque qui est pourtant un élément essentiel du métier enseignant.

Jean-Louis AUDUC

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