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Après la publication du rapport Filâtre-Marois, tout est-il dit sur la formation des enseignants ? Il ne faut pas publier les décrets sur la formation des maîtres rédigés par Darcos en mai dernier. C’est la conclusion de Jean-Louis Auduc, directeur–adjoint d’IUFM. Il explique que ces textes imposent de mettre le concours en année M2 ce qui, dans tous les cas, pose d’énormes difficultés.

Un des objectifs affichés lors de la création des IUFM en 1989 à un moment où pour la première fois 50% d’une classe d’âge arrivait au baccalauréat était de construire une culture commune de tous les enseignants intervenant auprès des jeunes de 3 à 18 ans, afin de diminuer le poids des ruptures existant tout au long de la scolarité : école/collège ; collège/lycée et mieux favoriser ainsi la réussite des élèves.

Les IUFM n’ont su qu’imparfaitement mettre en œuvre la réalisation de cet objectif, paralysés qu’ils ont été par les cultures des enseignants des divers degrés, marquées par des histoires différentes et surtout par le maintien d’un certain nombre de différenciations entre les différents corps enseignants, comme le fait par exemple, que la première note pédagogique d’un enseignant du second degré est fonction de sa place au concours, ce qui délégitime complètement sa formation professionnelle.

Au moment où 66% d’une classe d’âge obtient le baccalauréat, où les bases des programmes suivis pendant la période de la scolarité obligatoire reposent depuis 2005 sur le socle commun des compétences et des connaissances, il est donc en 2009 plus que jamais nécessaire de réfléchir à des possibilités de réflexions et de formations communes de tous les enseignants. C’est pourquoi, une certaine inquiétude peut surgir en voyant évoquer dans le rapport Filâtre « la nécessité de concevoir des architectures de master et de concours distinctes selon les types de métiers et selon les grands champs disciplinaires » sans que rien ne soit évoqué qui puisse permettre un travail commun des enseignants de différents niveaux, par exemple, autour du Socle Commun ou de l’orientation.

Le positionnement du concours dans le cursus de l’étudiant est décisif

Un concours de recrutement enseignant se compose de deux types d’épreuves : des épreuves d’admissibilité et des épreuves d’admission.

Le rapport du recteur Marois s’est inscrit dans la logique des projets de décret proposés par Xavier Darcos en mai 2009. Car, lorsqu’on lit les actuels projets de décrets pour la rentrée 2010 (concours 2011), on voit que :

– Il y a nécessité d’être inscrit en M2 ou titulaire du M2 pour s’inscrire au concours

– Pour être admis au concours, il faut être titulaire du M2. Un étudiant reçu au concours garde le bénéfice de son concours pendant un an.

– Le concours est ouvert à tout titulaire d’un M2.

Le texte des actuels projets de décrets conduit donc obligatoirement à mettre en place le concours en M2.

Pourquoi mettre les épreuves d’admissibilité en fin d’année de M1 serait-il la meilleure des solutions ?

Si l’on met les épreuves d’admissibilité et d’admission en fin de M2, les risques inhérents à cette proposition sont importants :

N’est-ce pas un danger pour l’existence des concours de voir chaque année en fin de M2, 50 000 mastérisés « Métier de l’enseignement » pour 10 000 recrutés par concours sans réorientation sérieuse possible, car il est difficile de mettre au cœur de l’année la préparation d’un concours et d’avoir des possibilités de réorientation ?

L’étudiant qui sera dans l’incertitude concernant son admission sera en difficulté de se placer dans la posture d’un enseignant, ce qu’il sera, s’il est reçu, appelé à faire dès la rentrée suivante à deux-tiers de service.

Il est, de plus, clairement irréaliste de mettre en œuvre durant l’année de M2 :

une préparation solide aux épreuves d’admissibilité et d’admission

La rédaction d’un mémoire de recherche

Des stages en responsabilité d’une durée d’au moins 4 semaines concernant les différents niveaux où l’enseignant est susceptible d’exercer (maternelle/élémentaire pour les PE, Collège/lycée pour les PLC), préparés et donnant lieu après à des analyses de pratiques.

A partir de ce constat, certains peuvent se dire qu’il faut laisser s’écrouler un tel dispositif et penser que le gouvernement sera obligé de placer le concours après l’année de M2.

Outre qu’un tel choix pose question par rapport à la possibilité pour des jeunes de milieux populaires de préparer le concours, il n’est pas sûr que la situation proposée par le ministère débouche inévitablement sur ce constat, surtout si sa volonté est de fragiliser le concours, voire les masters, voire les deux…..

Si l’on met les épreuves d’admissibilité en début d’année de M2, apparaissent d’autres risques :

Le risque de prépas privées aux concours pour ceux qui en ont les moyens, pratiquant un bachotage à outrance durant l’été, est réel, ce qui pose la question de l’égalité de traitement de tous les étudiants, comme il est inévitable que soient mis en place des diplômes d’Université (DU) payants pour les redoublants.

La difficulté de n’avoir qu’un semestre pour les stages et les épreuves d’admissibilité empêchera une réelle synergie entre les deux.

Les étudiants inscrits en M2 auront également, s’ils échouent aux épreuves d’admission du concours, d’énormes problèmes de reconversion crédible en cours d’année.

Mettre les épreuves d’admissibilité en fin d’année de M1 comme cela existe pour d’autres concours dans la Fonction Publique, permettrait :

Une claire identification du parcours : M1 épreuves d’admissibilité ; M2 : épreuves d’admission

Cela évitera une sélection qui ne voudra pas dire son nom au début de l’année de M1 pour « gérer les flux »

L’étudiant qui aura échoué aux épreuves d’admissibilité pourra soit se réorienter avec un certain nombre d’ECTS vers d’autres masters, soit redoubler son M1

Il y aurait avec des admissibles tournés vers l’exercice du métier la possibilité d’inscrire des formations communes à tous ceux qui se dirigent vers le métier enseignant sur des thèmes comme la maîtrise de la langue, l’évaluation, l’orientation, le socle commun de connaissances et de compétences…..

L’année de master2 serait ainsi ouverte aux reçus aux épreuves d’admissibilité du concours (autour de 150% des postes). Il est d’ailleurs envisageable de permettre à l’étudiant en cas d’échec à l’admission de conserver un an le bénéfice de son admissibilité.

Cette année de M2 serait une année de formation professionnelle bâtie, notamment autour des éléments suivants :

Des stages en responsabilité obligatoires dans au moins deux niveaux d’enseignement (maternelle et élémentaire pour les PE et collège/lycée pour les PLC) suivi par un binôme : Formateurs de la structure universitaire/ Formateur du terrain.

Un mémoire professionnel de recherche en relation avec le vécu des stages.

Les épreuves orales d’admission passées en fin d’année, pour être professionnalisantes, doivent être fondées sur les compétences professionnelles travaillées durant les stages.

Comme le dit le rapport inter-compétences présenté par Daniel Filâtre « des épreuves du concours pourraient s’appuyer sur un travail personnel réalisé lors du master. »

L’accès à des problématiques éducatives larges, la possibilité de s’approprier les résultats de la recherche en éducation, doivent ainsi permettre aux étudiants, au cours du master, et notamment en M2, de construire dans une démarche réflexive, l’alternance entre théorie et pratique, composantes universitaires, formateurs IUFM et terrains de stage, que requiert la professionnalisation des métiers de l’enseignement .

Les décrets présentés en mai ne peuvent donc être publiés en l’état, car leur rédaction pilote la conception du master et l’architecture des concours.

Il faut donc impérativement les modifier ou surseoir à leur publication.

Jean-Louis Auduc

Directeur-adjoint IUFM de Créteil/Paris12

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