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Directeur de l’IREDU, Bruno Suchaut a une longue pratique de l’évaluation des systèmes éducatifs. Il explique ici pourquoi l’évaluation est nécessaire et comment elle devrait être faite.

Il y a quelques jours le Café a publié une étude de la DEPP qui restait sous le boisseau. Elle concerne le niveau des élèves en CM2 et elle est très critique : elle montre que sur certaines compétences, comme en orthographe, le niveau a baissé. Cette étude vous semble-t-elle sérieuse ?

Oui, on peut réellement penser que cette étude est sérieuse sur le plan scientifique. Elle utilise des techniques statistiques sophistiquées (les modèles de réponse à l’item notamment) tout à fait adaptés à la problématique et des échantillons corrects. Cette étude de la D.E.P.P. ne fait que confirmer les tendances mises en évidence dans les dernières enquêtes internationales, à savoir une baisse du niveau moyen des élèves français dans certains domaines de compétences. Mais ce qui est le plus important à retenir dans cette étude est, d’une part la baisse plus prononcée pour les élèves les plus faibles et, d’autre part, l’augmentation des inégalités sociales de réussite.

Peut-on vraiment comparer les mêmes exercices à 20 ans de distance ? N’est ce pas un leurre ?

La comparaison temporelle est toujours une activité délicate car on ne peut prendre en compte tous les changements qui peuvent affecter des mesures prises sur plusieurs années. Néanmoins, des précautions méthodologiques ont été prises pour cette comparaison par rapport à la sélection des items et plusieurs biais de mesure ont été évités. En outre, les écarts relevés sur la période sont suffisamment importants pour être considérés comme significatifs d’une réelle tendance à la baisse.

Comment peut-on expliquer cette baisse de niveau ?

C’est une question difficile car il y a potentiellement beaucoup de facteurs susceptibles d’expliquer ce constat sans que l’on connaisse précisément leur degré d’influence. Il y a tout d’abord une responsabilité réelle de la politique éducative conduite ces dernières années : manque de cohérence et des discours en contradiction, une faible volonté d’un pilotage pédagogique effectif au niveau déconcentré etc… en fait, un environnement globalement défavorable pour instaurer la confiance chez les enseignants et donner du sens à l’exercice de leur métier. Le contexte socio-économique général qui se dégrade est aussi un facteur explicatif de l’accroissement des inégalités sociales et de l’augmentation de la proportion d’élèves en difficulté scolaire. Enfin, au niveau pédagogique, le traitement de la difficulté scolaire n’a pas donné lieu à une politique énergique et vraiment ciblée sur l’acte pédagogique. Le choix a plutôt consisté à multiplier les dispositifs d’aide et de soutien sous des formes très variées. Dans un même temps, les activités scolaires se sont diversifiées à la fois dans leur contenu et dans leur encadrement.

Que pourrait on faire pour aider précisément ces enfants qui sont en difficulté ? La politique des ZEP ou des RAR ne semble pas suffisante.

Cette politique n’est pas suffisante car elle touche une population de plus en plus en difficulté sur le plan social et économique. La logique qui consiste à donner davantage de moyens trouve ses limites quand on est face à des contextes scolaires extrêmement défavorisés. La recherche d’une plus grande mixité sociale et académique dans les établissements scolaires peut à déjà contribuer à limiter l’échec scolaire. Mais, plus largement, et cela ne concerne pas seulement les écoles situées dans des zones défavorisées, il faut développer d’autres stratégies pour réduire la difficulté scolaire.

Cela passe déjà par une organisation du temps scolaire plus favorable aux élèves avec un temps d’apprentissage utilisé de manière plus efficace et une répartition plus équilibrée dans la semaine. L’aide aux élèves en difficulté doit être un souci pédagogique permanent en permettant déjà des rythmes d’acquisitions variables au cours de la scolarité primaire tout en aidant les élèves de façon systématique au sein de la classe.

Il est tout à fait possible d’imaginer, avec les mêmes contraintes budgétaires, une autre organisation de l’école qui proposerait une réponse immédiate à l’émergence de la difficulté scolaire. Certains élèves ont besoin de davantage de temps et d’accompagnement pédagogique pour apprendre. C’est au cours des séquences d’enseignement que l’aide est la plus efficace. L’action doit se centrer sur deux dimensions : l’efficacité pédagogique différenciée des enseignants et les modalités de l’aide. Pour la première dimension, il faut jouer sur le fait que certains enseignants ont des compétences plus développées pour agir efficacement avec les élèves faibles. Cela doit donc être un facteur à prendre en compte lors de la composition des classes dans les écoles. Quant à la seconde dimension, il faut veiller à ce que le temps d’apprentissage soit efficace pour les élèves faibles en mobilisant, à certains moments, un adulte supplémentaire dans la classe qui cible les élèves qui ont besoin d’être aidés.

L’évaluation qui a lieu actuellement avec beaucoup de confusion en CM2 vous semble -t-elle utile pour mieux cerner les élèves en difficulté ?

Il y a en effet une grande confusion sur la question de cette évaluation CM2 et celle-ci prend place dans un contexte de revendications multiples de la part du monde enseignant, ce qui n’a pas été un atout pour un débat serein. L’objectif principal de cette évaluation est de dresser un bilan des acquis des élèves en fin d’école primaire et elle devrait être considérée avant tout comme un outil d’information au niveau national et local. Rappelons que les évaluations diagnostiques existent depuis près de vingt ans alors que les évaluations bilan n’ont jamais été généralisées et il est important pour le pilotage du système que de tels outils existent. La finalité de cette évaluation CM2 n’a toutefois pas été suffisamment exposée par le Ministère et des ambiguïtés dans les modalités de transmissions des résultats (aux familles notamment) ont déclenché de vives réactions redoutant un classement possible des écoles, ce qui bien sûr n’est pas possible à partir des résultats bruts. Il est difficile de savoir si cette ambiguïté est involontaire ou si elle a été entretenue pour inciter progressivement les acteurs à se familiariser à un nouveau mode de régulation de l’école.

La publication du travail de la DEPP a fait du bruit. Et on accuse parfois les enseignants de résister à la mise en place des évaluations pour garder une « liberté pédagogique » qui va à l’encontre du progrès éducatif. Comment voyez vous les choses ?

Il est difficile d’avoir une réponse unique à cette question, la liberté pédagogique peut être un ingrédient à l’amélioration de la qualité mais avec certaines limites. Il existe des pratiques efficaces qui devraient être généralisées et d’autres qui devraient ne plus exister car on connaît leur inefficacité. Les évaluations nationales ne doivent être perçues comme une contrainte mais comme un élément d’information utile au fonctionnement de l’école.

L’Ecole peut elle se passer d’évaluation ? Qui est le mieux placé pour la faire dans l’institution : l’IG ? La DEPP ? Un organisme extérieur comme l’Irédu ?


L’évaluation est évidemment utile au niveau de la politique éducative, toute la question réside dans l’utilisation de ces évaluations et de son instrumentalisation éventuelle. Le recours à un organisme indépendant permettrait certainement de lever les doutes sur des intentions politiques des outils d’évaluation.

Finalement celui qui fera l’évaluation aura le pouvoir sur le système. Il semble qu’on assiste à une sorte de relève sur ce terrain là avec un transfert des enseignants vers qui ?

Après tout, ce pouvoir c’est déjà l’enseignant qui, d’une certaine manière, l’exerce sur ses élèves par des évaluations régulières et fréquentes. Il ne faut pas oublier que les pratiques d’évaluation formative sont encore minoritaires dans les classes. Au niveau de la politique éducative, l’évaluation ne doit pas être perçue comme un instrument de pouvoir, elle doit être uniquement un outil d’information et de pilotage dans le but d’améliorer le système.

Cette évolution est-elle incontournable et universelle ?

La culture de l’évaluation s’est en effet développée rapidement dans tous les pays et elle concerne l’ensemble des secteurs. La crainte est effectivement une harmonisation des pratiques de régulation des structures publiques avec l’utilisation d’indicateurs non adaptés et caricaturaux. C’est pourquoi il est important que chacun puisse apporter sa contribution à l’élaboration d’outils fiables, utiles et pertinents.

Qu’est ce qui rend en France la discussion si difficile sur ces sujets ?

Encore une fois, le contexte politique actuel rend les acteurs très méfiants à l’égard des mesures récentes concernant l’école. En ce qui concerne l’évaluation dans le domaine de l’éducation, mais c’est vrai aussi pour d’autres dimensions, il y a dans notre pays un déficit d’information et de formation auprès des enseignants sur les outils eux-mêmes, leur construction, leur utilisation, leur utilité, mais aussi leurs limites en matière d’interprétation des résultats.

Bruno Suchaut

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