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Par François Jarraud

La crise de l’Ecole va-t-elle être résolue par les chefs d’établissement ? C’est ce qu’on entend rue de Grenelle, où on envisage l’installation de véritables chefs d’établissement dans le primaire, à l’OCDE, où on vient de publier une importante étude sur la redéfinition de leur rôle. Pourtant ces projets ont du mal à convaincre…

Le rapport Reiss veut des chefs et de l’autorité

Des chefs, mais des petits chefs. C’est la demande qui ressort de l’Avis de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée sur le projet de budget 2009, dont le rapporteur est Frédéric Reiss.

« La partie thématique du présent avis se nourrit de la conviction du rapporteur que « l’effet chef d’établissement » sur la réussite des élèves d’une école primaire, d’un collège ou d’un lycée est une réalité. En effet, l’autorité et le rayonnement pédagogique d’un directeur d’école, d’un principal de collège ou d’un proviseur de lycée jouent pour beaucoup dans l’amélioration des résultats obtenus par un établissement – et dans la qualité de la vie scolaire de celui-ci » note M Reiss. Il plaide donc pour un renforcement de leur rôle et d eleur autorité sur les enseignants.

Mais voilà « le directeur d’école… est placé sous l’autorité de l’inspecteur de la « circonscription scolaire », qui est un inspecteur de l’éducation nationale (IEN). Ainsi, il a parfois l’impression d’être victime d’un « surencadrement » qui peut se manifester, chez certains inspecteurs, par un esprit relativement peu ouvert à l’égard de toute proposition qui ne correspond au « canon pédagogique » établi par les textes officiels ». Cette vision peu sympathique des inspecteurs a été contestée par le SNPI Fsu dans un communiqué.

M. Reiss plaide pour la mise en place des Epep (établissements publics de l’enseignement primaire) et des chefs d’établissement ayant l’autonomie et l’autorité des chefs d’établissement de l’enseignement catholique.

F Reiss est l’auteur d’un rapport sur l’orientation qui avait suscité de fortes réactions par ses propos sur les conseillers d’orientation.

L »avis de F Reiss

http://www.assemblee-nationale.fr/13/budget/plf200[…]

Sur le Café, le dossier sur les directions

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/laclasse/Pages[…]

Sur le Café le rapport de F Reiss sur l’orientation

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2007/[…]

La proposition de loi sur les EPEP

L’Assemblée nationale publie la proposition de loi déposée par la majorité sur la création d’Etablissements publics d’enseignement primaire. L’article 3 rend obligatoire la création d’un établissement public d’enseignement primaire lorsqu’une école maternelle, élémentaire ou primaire comprend ou atteint un nombre de classes égal ou supérieur à quinze. L’article 4 prévoit la faculté pour les communes et les établissements publics de coopération intercommunale d’ériger en établissement public d’enseignement primaire une école maternelle, élémentaire ou primaire comportant au minimum treize classes. Cette même faculté leur est reconnue pour regrouper plusieurs écoles afin de constituer un établissement public d’enseignement primaire dès lors que le nombre de classes regroupées est au moins égal à treize.

L’article 5 permet à une commune ou à un établissement public de coopération intercommunale d’intégrer dans un établissement public d’enseignement primaire existant une ou plusieurs écoles situées sur son territoire ou relevant de sa compétence. Un directeur, représentant de l’Etat, est mis à la tête d el’EPEP.

La proposition de loi

http://www.assemblee-nationale.fr/13/propositions/pion1188.asp

Sur le Café sur les directions

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/laclasse/Pag[…]

Sur le Café, sur les EPEP

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/laclasse/P[…]

Darcos veut plus d’autonomie pour les établissements

« Il nous faut encore aller plus loin et donner aux établissements scolaires les vraies marges d’autonomie dont ils ont besoin ». Intervenant le 6 novembre dans la Conférence européenne sur la gouvernance et la performance des établissements scolaires, à Poitiers, X. Darcos a rappelé son intention de créer les EPEP.

« Si les programmes et la structure globale des enseignements doivent rester nationaux, il est plus que jamais nécessaire de donner la possibilité aux chefs d’établissement et aux équipes éducatives de s’adapter aux contraintes locales… Suite à l’initiative de trois députés, qui ont déposé une proposition de loi, les écoles de plus de quinze classes vont s’organiser sous la forme d’établissements publics d’enseignement primaire (EPEP), ce qui permettra de moderniser l’organisation de l’école et de laisser plus d’initiative aux acteurs de terrain ».

Le discours de Darcos

http://www.education.gouv.fr/cid22891/-gouvernan[…]

Sur le Café sur les directions

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/laclass[…]

La conférence de l’Esen

http://www.esen.education.fr/fr/actualites/actuali[…]

 » La direction des écoles joue un rôle essentiel pour rendre les écoles plus efficaces » Deborah Nusche OCDE

« La direction d’établissement est devenue une priorité dans les politiques éducatives internationalement » estime l’OCDE . L’organisation internationale vient de consacrer deux ouvrages à la direction d’établissement. Nous avons demandé à l’un des auteurs, Deborah Nusche, d’expliquer pourquoi et comment donner un nouveau rôle aux chefs d’établissement. Et aussi lequel.

Les pays de l’OCDE connaissent des systèmes éducatifs fort divers. Aujourd’hui peut-on distinguer plusieurs modèles en ce qui concerne les directions d’établissement ? Peut-on parler d’une spécificité française ?

Oui, il y a différents modèles de direction d’établissements dans les différents pays. En fait, dans la plupart des pays le rôle du chef d’établissement a évolué d’enseignants directeurs (head teachers) et d’administrateurs bureaucrates à des chefs d’entreprise à part entière et, dans certains pays, à des directeurs pédagogiques. Dans la plupart des cas, de nouvelles responsabilités se sont ajoutées à celles qu’ils avaient déjà, ce qui a conduit à davantage de travail et de stress.

Traditionnellement dans beaucoup de pays les chefs d’établissements étaient définis comme un enseignant-directeur, un primus inter pares, c’est à dire des enseignants en fonction qui ont juste un peu plus de responsabilités que leurs pairs. En particulier dans les écoles primaires, le rôle du directeur est parfois considéré comme la plus haute marche à la fin d’une carrière d’enseignant plutôt que comme un métier à part entière.

Dans d’autres pays, on trouve une tradition de chefs d’établissements qui ne sont que des administrateurs. En Autriche par exemple, et bien que ce rôle soit en train de changer, les directeurs d’écoles étaient principalement chargés d’adapter au niveau de leur établissement les politiques définies au niveau supérieur de l’administration de l’éducation nationale.

Dans certains pays, les chefs d’établissement deviennent davantage des chefs d’entreprise, avec des responsabilités financières et de chef du personnel. Ils doivent maintenant établir le budget, tenir les comptes et engager les enseignants et les autres personnels de l’établissement.

Mais dans de nombreux pays la définition de l’emploi de chef d’établissement évolue pour prendre en compte la nécessité d’une vraie politique d’établissement en matière d’apprentissage. Et on passe d’un responsable aux fonctions d’administrateur et de gestionnaire à un dirigeant qui saura considérer les impératifs pédagogiques, planifier les projets et qui construira une culture et une communauté d’apprentissage. Dans des pays comme la Suède, L’Angleterre, l’Ecosse, l’Irlande et l’Irlande du Nord, il est explicitement demandé aux chefs d’établissements de prévoir des stratégies à long terme pour assurer le succès futur de leur établissement. Ceci comprend l’évaluation et le suivi des performances des enseignants, organiser ou faire mettre en place des systèmes de tutorat et de suivi individuel, planifier la carrière des enseignants, orchestrer des travaux d’équipes et l’apprentissage coopératif.

En France, les directeurs d’écoles primaire sont “primus inter pares”, les premiers parmi leurs pairs. Ils restent des enseignants, avec une charge d’enseignement réduite. Ils prennent en charge une part de l’organisation administrative, du suivi des enseignants et des relations publiques. Ils sont soumis à des autorités supérieures et ont peu d’autorité eux-mêmes, ni d’autonomie dans les prises de décision.

Les principaux et les proviseurs sont une catégorie de personnel supérieure à celle des professeurs. Ils n’enseignent pas et ont des responsabilités plus importantes. Mais ils ne sont pas non plus considérés comme des responsables pédagogiques. Ils n’évaluent pas les enseignants et ne les conseillent pas sur leurs choix pédagogiques.

Si l’intérêt pour le renforcement des rôles des directions s’affirme dans de nombreux pays, peut-on vraiment affirmer l’efficacité d’un « effet chef d’établissement » ? Comment calculer l’effet de ce que vous décrivez comme « un processus d’influence » ?

La recherche sur l’efficacité de l’école a clairement montré que la direction des écoles joue un rôle essentiel pour rendre les écoles plus efficaces. Les chefs d’établissement peuvent jouer un rôle décisif dans l’amélioration des résultats en influant sur la motivation et les compétences des enseignants et en modifiant le climat et l’environnement dans lesquels ils travaillent et apprennent.

Les recherches sur la corrélation entre la direction et les apprentissages des élèves reposent depuis toujours sur deux types de données empiriques : les données recueillies à l’occasion d’études de cas et les études quantitatives à grande échelle (Leithwood et Riehl, 2003).

Les études de cas mettent immanquablement en évidence le rôle essentiel de la direction dans l’efficacité et l’amélioration des établissements scolaires. Portant sur une grande diversité de pays et de contextes scolaires, ces études montrent que les établissements qui réussissent ont à leur tête des dirigeants qui apportent une contribution significative à l’efficacité de leur établissement. Le plus souvent, les études de cas sur la direction d’établissement scolaire commencent par repérer les bons établissements à partir de leurs résultats, y compris les acquis scolaires des élèves et la réalisation des objectifs sociaux, puis analysent les caractéristiques propres à une bonne direction dans ces établissements. Toutefois, il est difficile de faire des généralisations à partir des résultats de ces études.

Les données empiriques découlant des études quantitatives menées à grande échelle afin de mesurer l’impact des chefs d’établissement sur les résultats des apprentissages des élèves semblent révéler une plus grande ambiguïté et incohérence. Néanmoins la conclusion qui globalement se dégage de la quarantaine d’études menés dans ce domaine, est que les chefs d’établissement ont une influence quantifiable, essentiellement indirecte sur les résultats des apprentissages (Hallinger et Heck, 1996 ; Hallinger et Heck, 1998 ; Witziers et al., 2003).

Il faut en déduire que cette influence sur les apprentissages des élèves s’exerce en général à travers d’autres personnes, manifestations et facteurs organisationnels tels que les enseignants, les pratiques suivies en classe et le climat à l’école (Hallinger et Heck, 1998). La conclusion selon laquelle la corrélation entre la direction et les apprentissages des élèves passe par ces facteurs montre bien que les dirigeants d’établissement jouent un rôle puissant en aidant à créer les conditions nécessaires à un enseignement et à un apprentissage efficaces. Ces dirigeants influent sur les motivations, les capacités et les conditions de travail du personnel enseignant, qui elles-mêmes influent sur les pratiques pédagogiques et les apprentissages des élèves. [1]

Si en France tout le monde s’accorde à dire qu’il y a un domaine de gouvernance dans le système éducatif, peut-on définir des niveaux optimaux pour la prise de décision entre le national, le régional, le local et l’établissement ?

D’après l’étude PISA 2006: « L’analyse à l’échelle internationale de la relation entre les différentes variables en rapport avec l’autonomie des établissements et la performance des élèves révèle que la performance en sciences tend à être plus élevée dans les pays où les chefs d’établissement font état d’une plus grande autonomie. Par exemple, le pourcentage d’établissements qui assument une grande part des responsabilités dans la définition de leurs contenus d’enseignement aux dires de leur chef d’établissement explique 27 % de la variation de la performance en sciences entre les pays. La part de la variation s’établit à 29 % pour les responsabilités en matière de ventilation budgétaire, à 26 % en matière de choix des manuels scolaires et, enfin, à 22 % en matière d’élaboration du budget. Il va de soi que ces corrélations internationales peuvent être affectées par de nombreux autres facteurs » (OECD, 2007)

Notre rapport sur le « school leadership » souligne que l’autonomie des directions d’établissements scolaires est importante pour leur permettre d’influer sur les résultats des étudiants. Mais l’autonomie des écoles ne permet pas à elle seule d’améliorer l’encadrement. D’une part, dans les écoles de plus en plus autonomes, il est important que les responsabilités fondamentales des chefs d’établissement soient précisément définies et délimitées. Ces derniers doivent avoir pour mission explicite de s’attacher aux aspects les plus susceptibles d’améliorer les résultats de l’école et des élèves. L’autonomie risque autrement de rendre la tâche des chefs d’établissement trop lourde, le travail exigeant alors plus de temps, avec davantage de tâches administratives et managériales et moins de temps et d’attention pour la conduite de l’enseignement.

D’un autre côté, une autonomie réelle des établissements scolaires demande du soutien. Les chefs d’établissement ont besoin de temps et de moyens pour s’investir dans des pratiques d’encadrement essentielles qui contribuent à l’amélioration de l’enseignement et de l’apprentissage. Il importe donc que la déconcentration des responsabilités s’accompagne de nouveaux modèles prévoyant des fonctions d’encadrement mieux réparties, de nouveaux programmes de formation et de perfectionnement pour les chefs d’établissement ainsi qu’un soutien et des incitations adaptées.

Bien que beaucoup de pays évoluent vers un système de gouvernance plus décentralisé, d’importantes différences demeurent entre les différents pays. Notre rapport souligne l’impact des différentes structures de gouvernance sur la direction des établissements.

Dans les systèmes très centralisés ou la plupart des décisions sont encore prises au niveau national ou de la région, la tâche du chef d’établissement reste étroitement confinée à la mise en œuvre des politiques décidées aux niveaux supérieurs. Dans ces circonstances, les possibilités pour les chefs d’établissements de diriger effectivement pour améliorer l’enseignement et l’apprentissage sont limitées.

Dans des systèmes qui ont délégué au niveau des établissements l’autorité sur les programmes, le personnel et les budgets, la tâche du chef d’établissement est différente, avec davantage de responsabilité dans des domaines tels que la direction des ressources humaines et financières et els choix pédagogiques .

Une plus grande autonomie des professionnels au niveau de l’établissement correspond à de meilleures performances des élèves. Cependant l’autonomie seule ne garantie pas l’amélioration de la direction d’un établissement. Les chefs d’établissements ont aussi besoin de compétence, motivation, formation et soutien pour utiliser leur autonomie afin de se centrer sur les responsabilités à même d’améliorer les résultats de l’établissement et des élèves.

Quels seraient alors les domaines prioritaires où on devrait augmenter les pouvoirs des directions ?

Le rapport identifie quatre domaines concernant la direction des établissements, qui sont les plus susceptibles de contribuer rendre les écoles plus efficaces :

Soutenir, évaluer et développer la qualité des enseignants : Les chefs d’établissement doivent pouvoir adapter le programme d’enseignement aux besoisn locaux, promouvoir le travail d’équipe entre les enseignants et s’engager dans le suivi des enseignants, leur évaluation et leur développement professionnel.

Fixer des buts, évaluer et rendre compte : les décideurs doivent s’assurer que les chefs d’établissement ont la liberté de prendre des directions stratégiques et optimiser leur capacités à développer des plans et objectifs d’établissement et à en suivre le développement en utilisant ces données pour améliorer les pratiques.

Etablir une gestion stratégique des finances et des ressources humaines : les décideurs peuvent améliorer les compétences de gestion financière des équipes de direction des établissements en formant les chefs d’établissement, en créant le rôle de gestionnaire financier au sein de l’équipe de direction ou en fournissant des services de soutien aux établissements. De plus, les chefs d’établissements devraient pouvoir influer sur les décisions de recrutement des enseignants pour que les candidats répondent au mieux aux besoins des établissements.

Collaborer avec d’autres établissements et institutions : Cette nouvelle dimension de la direction a besoin d’être reconnue comme un rôle spécifique pour les chefs d’établissements. Cela peut ensuite être bénéfique à tout le système scolaire plutôt que seulement à un établissement.

Augmenter ainsi l’autonomie des établissements, n’est ce pas prendre le risque de creuser les inégalités (déjà fort développées en France) ? Comment concilier autonomie des établissements, identité nationale et démocratisation de l’éducation ?

Pour réduire les inégalités entre les écoles, de récentes recherches soulignent les bénéfices du school leadership beyond the school borders(direction des établissements scolaires au-delà des limites de l’établissement). Divers engagements en dehors de l’établissement, dans des partenariats avec d’autres établissements, communautés, agences sociales, universités et les décideurs peuvent améliorer l’apprentissage dans la profession, accroitre les progrès à travers une assistance mutuelle et créer une plus grande cohésion parmi tout ceux qui se sentent concernés par la réussite et le bien être de tous les enfants. Dans beaucoup de pays, on demande aux chefs d’établissements au sein d’une même localité de coopérer pour assurer ensemble la cohésion et l’égalité entre les différents établissements scolaires.

On peut citer l’exemple de la Finlande. Au cours de notre visite des écoles finlandaises, on s’est rendu compte que les principaux consacrent un tiers de leur temps à travailler avec les autorités locales sur leurs priorités. Ils cherchent à mieux ajuster l’offre éducative dans un souci d’équité entre les établissements. Ils fournissent un gros effort pour la coopération. Mais c’est possible parce que dans les écoles les tâches sont distribuées. Les professeurs participent à la direction de l’établissement ce qui donne du temps au directeur pour travailler avec les élus.

Les enseignants doivent déjà affronter des situations difficiles, un métier de plus en plus complexe, comment faire pour leur imposer des directions plus intervenantes ?

La recherche a montré que les chefs d’établissements qui encouragent les communautés d’apprentissage professionnel mutuel entre enseignants utilisent des normes de collégialité, responsabilité collective et but communs, développement professionnel, pratique réflexive et procédures d’amélioration de la qualité. Ils font la promotion de la confiance entre les enseignants en aidant au développement de la transparence sur des intentions communes et des rôles de collaboration, et ils encouragent le dialogue continu parmi le personnel enseignant et fournissent les ressources adéquates pour soutenir la collaboration.

Les décideurs peuvent promouvoir et encourager le travail d’équipe parmi le personnel enseignant en reconnaissant explicitement le rôle essentiel des chefs d’établissements pour construire des cultures collaboratives et en partageant et disséminant les bonnes pratiques dans ce domaine. Les décideurs peuvent aussi encourager des formes de direction plus distributives dans lesquelles les enseignant sont en fait partie prenante en tant que « chef intermédiaire » en s’occupant de certains domaines de la direction et en contribuant à la stratégie globale de l’établissement.

En France on prend souvent en exemple les chefs d’établissement de l’enseignement privé. Une thèse récente (M Hassani) montre pourtant qu’ils interviennent peu dans la vie pédagogique des établissements. Comment faire aussi pour que les directions rentrent dans un nouveau rôle ?

La direction des établissements a besoin de se professionnaliser. L’amélioration durable dépend d’une définition claire et d’une meilleure distribution des tâches de direction à l’intérieur des établissements, des mécanismes de succession planifiés, des procédures de recrutement professionnalisées, de formation préalables, d’encadrement des nouveaux chefs d’établissements et de conditions de travail qui attirent des diplômés de qualité.

De plus, les chefs d’établissements d’aujourd’hui ont besoin d’apprendre à adopter de nouvelles formes de direction mieux réparties. Ils ont besoin de formation continue pour développer et mettre à jour leurs compétences et ils ont besoin de récompenses plus appropriées et de structures incitatives pour rester motivés pour leur emploi et fournir une direction de haute qualité.

On peut identifier quatre leviers qui, pris ensemble, peuvent améliorer la pratique de direction des établissements maintenant et construire un type de direction durable pour le future. Ces leviers sont :

1. (Re)définir les responsabilités du chef d’établissement

2. Répartir la direction de l’établissement entre plusieurs individus de l’établissement

3. Fournir une préparation et une formation à la direction efficace

4. Rendre le métier de chef d’établissement attractif.

Devant les difficultés pédagogiques on a la tentation du pilotage par l’évaluation, sans doute celle d’améliorer la direction. Mais finalement le plus important n’est ce pas ce qui se passe en classe ? Ne serait-il pas plus pertinent de définir des pratiques pédagogiques efficaces ?

Pour rendre l’évaluation externe bénéfique à l’apprentissage des élèves, il faut qu’il y ait une direction des établissements qui soit à l’affût des données d’évaluation. Ceci implique que les chefs d’établissements développent des compétences pour interpréter les résultats des tests et utiliser les données comme outil central pour planifier et créer les stratégies nécessaires à l’amélioration. Les chefs d’établissements doivent aussi impliquer leur personnel dans l’utilisation des données qui rendent compte de leur travail. L’évaluation participative et l’analyse des données peut renforcer les communautés d’apprentissage professionnel au sein des établissements et inciter ceux qui ont besoin de changer leurs pratiques à améliorer leurs résultats.

En Angleterre par exemple, certains établissements ont créé des “équipes d’intervention” qui analyse les données des évaluations au niveau individuel et de la classe et fournissent ainsi une vue d’ensemble qui montre où sont les problèmes. Les équipes d’intervention peuvent alors intervenir pour observer les sous-performances potentielles et essayer de trouver une solution. Ce bon emploi des données permet d’adopter des procédures d’apprentissage personnalisées.

Accorder un rôle plus important aux directions, c’est aussi prendre le risque qu’au départ du chef d’établissement les progrès s’effacent. Comment rendre pérennes les effets positifs d’une bonne direction ? Quels outils développer pour cela ?

Pour rendre durable une direction efficace, il est essentiel non seulement d’améliorer la qualité des chefs d’établissements actuels, mais aussi de planifier clairement la poursuite de cette direction et de développer des procédures de succession efficaces. Les systèmes éducatifs ont besoin de se concentrer sur le développement de futurs chefs d’établissements et de rendre ce métier attractif.

Plusieurs outils existent pour planifier efficacement une succession:

Offrir des opportunités de développement professionnel peut être une bonne façon de permettre aux enseignants de tester leur potentiel pour diriger un établissement. Aux Pays Bas par exemple, des « périodes d’essai » sont offertes aux enseignants intéressés par la direction d’établissements.

Il est aussi important de fournir aux chefs d’établissements potentiels l’occasion de prendre part à la direction tôt dans leur carrière. Ceci peut se faire en distribuant les responsabilités au sein des établissements et en encourageant les enseignants à prendre en charge certains domaines ou aspects de la direction. Ceux qui auront gagné de l’expérience dans la direction ou certains aspects de cette direction seront plus à même de s’intéresser à la charge de chefs d’établissements et seront plus sûrs de leur capacité à le faire.

Deborah Nusche

Policy Analyst

Education and Training Policy Division

OECD Education Directorate

Entretien : François Jarraud

La publication de l’OCDE Improving School Leadership

http://www.oecd.org/document/18/0,3343,en_2649_39263231_[…]

Présentation dans le Café

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2008/09[…]

« Aucune étude internationale n’a pour le moment montré une corrélation entre pouvoir des directeurs d’établissement et efficacité pédagogique » – Yves Dutercq

Chercheur au Centre de recherche en éducation de Nantes, Yves Dutrecq est un bon connaisseur du fonctionnement des établissements. Nous lui avons demandé son sentiment sur la gouvernance des établissements et leur autonomie.

L’OCDE prône le renforcement du rôle des directions en leur accordant davantage de pouvoirs (recruter les professeurs, les évaluer, pouvoirs financiers, curricula) et de moyens (définir des outils d’évaluation, mise en réseau). Pour l’OCDE « l’effet direction » est un élément clé de l’efficacité d’un système éducatif. Mais en même temps l’organisation le définit comme « un processus d’influence ». Peut-on vraiment établir l’efficacité de « l’effet direction » ?

Pour répondre convenablement à vos questions, il faut faire la part entre les différentes préconisations de l’OCDE, dont certaines sont déjà en œuvre en France depuis la généralisation du projet d’établissement : ainsi, les outils du type tableau de bord de l’établissement ou IPES sont destinés en premier lieu à servir l’auto-évaluation. Plus récemment, la lettre de mission ou l’obligation pour les chefs d’établissement nouvellement affectés d’établir un diagnostic de leur établissement vont dans le sens de la responsabilisation et de l’évolution de la fonction vers un rôle de leader ou de manager dont la carrière dépend des résultats obtenus. De la même manière, la participation à l’évaluation des enseignants est devenue bien plus significative et la démarche de coévaluation avec l’inspection pédagogique est couramment pratiquée.

Cet ensemble de mesures répondait au souhait d’un grand nombre de chefs d’établissement qui regrettaient d’une part de ne pas disposer de suffisamment de pouvoir à l’interne pour mettre en œuvre des projets et d’autre part de manquer de perspectives de carrière. En revanche, le recrutement des professeurs ou la définition du curriculum n’ont jamais été revendiquées par les chefs d’établissement français. Bien plus, il n’y a guère de pays où cela se pratique : dans les systèmes ou l’autonomie des établissements est le plus développée, ce sont des conseils où siègent des représentants des différents composantes (et notamment les parents) qui recrutent les enseignants.

Enfin, à ma connaissance, aucune étude internationale n’a pour le moment montré une corrélation entre pouvoir des directeurs d’établissement et efficacité pédagogique. Ce sont plutôt des supputations déjà anciennes. Ce qui est davantage avéré, notamment par la sociologie des organisations, c’est le lien entre un leadership affirmé et la mobilisation de l’établissement, mais ce leadership peut être occupé par d’autres que le directeur, par exemple un groupe d’enseignants moteur. Les études jadis conduites par François Dubet comme celles que j’ai menées avec Jean-Louis Derouet montrent que l’efficacité des établissements en matière d’amélioration des résultats des élèves tient à un ensemble de facteurs articulés les uns aux autres : un leadership au service d’objectifs clairs, un projet collectif reconnu et mobilisateur, une bonne qualité de communication et d’information à l’interne comme à l’externe, des relations interpersonnelles non conflictuelles, etc. Le chef d’établissement peut être le catalyseur de cet ensemble de facteurs mais les pouvoirs dont il dispose institutionnellement n’auront aucune portée sans la reconnaissance de ses qualités par ses personnels.

Accorder davantage d’autonomie aux directions n’est ce pas prendre le risque d’augmenter les inégalités voire, si on l’applique aux curricula, achever la ghettoïsation ?

On a souvent assimilé autonomie des établissements et autonomie de leur direction. C’est une grave erreur : les pays où les chefs d’établissement se sont transformés en petits chefs d’entreprise, notamment dans un système de libre concurrence entre établissements (comme la Grande Bretagne ou la Suède), se trouvent face à de grandes difficultés, avec la ghettoïsation d’établissements de plus en plus nombreux, la concentration des établissements les plus convoités sur quelques quartiers, la montée en puissance de l’offre marchande d’enseignement pour ceux qui n’ont plus le choix. En effet le problème est bien là : dans ces systèmes, ce sont les établissements les plus cotés qui choisissent leurs élèves et non pas les parents qui choisissent l’établissement de leurs enfants sauf pour ceux dont le niveau scolaire est excellent ou qui disposent des relations sociales propres à leur ouvrir les portes. On dira que c’est ce qui, d’une certaine manière, se passe en France, sauf que, dans les pays où les réformes évoquées ont été mises en place, c’est mille fois pire.

Pour ce qui est de la localisation du curriculum, elle existe déjà dans les faits, et partout : elle tient aux interprétations du curriculum officiel que les enseignants sont conduits à faire en fonction de leurs élèves. Il faut sans doute aller vers plus de transparence en la matière en explicitant davantage, aussi bien à destination de la hiérarchie que des parents, les écarts inévitables entre curriculum réel et curriculum officiel, mais certainement pas en dénationalisant les programmes d’enseignement, ce qui serait source d’excès non justifiés, de confusion et rendrait impossible l’évaluation nécessaire des établissements.

Renforcer le pouvoir des chefs d’établissement c’est bousculer la répartition de la gouvernance dans le système éducatif. Que nous apprennent les études réalisées sur les bons niveaux de gouvernance ? Qu’est ce qui devrait relever de l’école, du local, du régional, du national ?

La répartition des pouvoirs entre les différents échelons territoriaux est très différente d’un système à l’autre : ainsi aux Etats-Unis le pouvoir fédéral en matière d’éducation est très faible, mais il y a un équilibre assez remarquable entre le pouvoir des Etats, celui des niveaux intermédiaires (circonscriptions) et celui des établissements ; en Grande-Bretagne, le pouvoir des établissements reste fort, mais le pouvoir de l’Etat s’est renforcé depuis une vingtaine d’année ; en Suède, le pouvoir local est devenu prépondérant depuis le début des années 1990, tandis que le pouvoir de l’Etat est résiduel, tandis qu’en France l’essentiel du pouvoir reste officiellement aux mains de l’Etat.

Mais ce qu’on oublie trop dans ce type de comparaison, c’est qu’on ne peut comparer des pays de taille aussi différente que les Etats-Unis, la France et la Suède : les mêmes réformes n’auraient pas les mêmes conséquences… sans compter évidemment le poids de cultures, elles aussi fort différentes. En Allemagne, l’autonomie locale est finalement plus faible qu’en France car le pouvoir des Länder reste prépondérant alors que les établissements français et leurs équipes de direction peuvent jouer du partage de tutelle entre Etat national et collectivité territoriale. Une régionalisation excessive aboutit souvent à recréer un centralisme territorial inquisiteur et peu propice à l’initiative locale.

Les études internationales sont instructives mais elles oublient souvent les phénomènes de glocalisation auxquelles obéissent la plupart des réformes apparemment globales. L’impact de la décentralisation de l’éducation et du renforcement du pouvoir local n’a évidemment pas été le même en Argentine, en Albanie et en France, sans parler des pays d’Afrique.

Ce qui est sûr en matière d’autonomie scolaire, c’est qu’elle exige, pour être mobilisatrice et donc efficace un leadership de qualité, non exclusivement fondé sur la toute-puissance gestionnaire ; un partage du pouvoir local ; l’association au projet de l’ensemble des parties prenantes, au moins via une évaluation régulière, publique et fondée sur des critères établis.

Une des difficultés du système éducatif français c’est la faiblesse des rapports des établissements à leur environnement. Comment les améliorer ?

Les conditions que je viens de mettre à une autonomie scolaire réussie sont autant de moyens d’ouvrir un établissement sur son environnement. Cette ouverture en effet passe d’abord par la volonté d’informer et de communiquer localement : un projet d’établissement est public, ses objectifs doivent l’être comme l’évaluation de sa mise en œuvre. La participation d’un établissement à la vie sociale et culturelle locale est un gage de mobilisation et de reconnaissance : il ne s’agit pas d’ouvrir les écoles à tout vent mais, par exemple, de donner un accès plus aisé à certains de leurs espaces (salles de réunion, salles audio-visuelles ou informatiques) afin que l’ensemble des membres de la communauté locale se familiarise avec et s’approprie l’établissement de leur quartier.

Quand on écoute les chefs d’établissement français (voir la récente étude de la DEPP), on voit qu’ils se perçoivent encore avant tout comme des pédagogues, davantage « primi inter pares » que managers. Faire évoluer cette représentation n’est ce pas rompre définitivement avec une certaine image de l’Ecole ?

Pour être précis, il ne faut pas confondre les différentes formes de leadership ou de management. Pendant longtemps en fait les chefs d’établissement français ont été en manque de leadership pédagogique et leurs fonctions étaient essentiellement administratives, avec une très faible autorité sur leurs enseignants en matière pédagogique. Les transformer en purs managers ne disposant que d’une responsabilité gestionnaire ne ferait qu’accentuer cette tendance. Je ne dis pas : une école n’est pas une entreprise car il me semble qu’un bon chef d’entreprise ne peut lui aussi n’être qu’un gestionnaire, il doit être compétent dans l’activité de l’entreprise, en avoir une bonne connaissance partagée avec les professionnels locaux. Mais je dis qu’assurément une école n’est pas un commerce, que les résultats des élèves ne sont pas des produits et que les parents ne sauraient être des clients. Permettre l’ouverture d’établissements gérés comme des entreprises marchandes, ainsi que cela a pu être le cas en Nouvelle-Zélande, en Angleterre ou en Suède, ne présente aucun intérêt pour l’amélioration de l’efficacité du système, outre que cela n’est pas socialement juste.

Je reste donc persuadé que la direction d’établissement ne peut être assurée que par quelqu’un qui possède une double compétence managériale et pédagogique et que son efficacité dépend de cette double légitimité. Séparer les deux pouvoirs, comme certains projets l’envisagent, me paraît à terme dangereux.

Cela signifie qu’il faut être plus exigeant en matière de formation des chefs d’établissement, en la fondant sur un cursus préalable digne de ce nom (les masters universitaires d’administration de l’éducation sont une voie à explorer plus encore) et une incitation forte à la formation continue (pas seulement sur le plan gestionnaire) via sa valorisation en termes de carrière. Cela signifie aussi que le minimum qu’on puisse attendre d’un prétendant aux fonctions de direction d’établissement, c’est qu’il ait une bonne connaissance du monde éducatif, et sans doute même du monde des établissements, par une précédente expérience professionnelle. Cette expérience peut être autre qu’enseignante, mais il reste sans doute intéressant d’ouvrir aux différents personnels d’enseignement, d’éducation, d’orientation des perspectives de carrière qui passeraient par des fonctions intermédiaires de coordination ou d’encadrement au sein des établissements et aboutiraient à la direction d’établissement. Ce serait une sorte d’acculturation progressive à la fonction qui répondrait aussi aux manques criants des établissements en matière de coordination interne.

Il est maintenant question de mettre en place des directeurs professionnels au primaire à travers les EPEP. Seront-ils forcément plus efficaces que les directions actuelles ?

Pour ce qui est de l’enseignement primaire, rappelons qu’il n’existe pas pour le moment de statut de directeur d’école et qu’effectivement celles et ceux qui en font fonction ont une très faible latitude d’action et une médiocre reconnaissance. Une des nouveautés des EPEP serait de créer un statut de directeur d’établissement primaire. Cela me paraît indispensable car la situation actuelle est totalement insatisfaisante et empêche souvent que se crée à l’échelon des écoles primaires une véritable dynamique d’établissement autour d’un projet collectif, a priori source d’efficacité pédagogique. Je renvoie pour le comprendre à ce que j’ai déjà expliqué concernant les établissements secondaires.

Il en va autrement de l’ensemble des textes en préparation autour du statut des EPEP, mal ficelés pour ce que j’ai pu en lire : il faut par exemple prendre garde à conserver ce que les écoles primaires actuelles ont de meilleur, à savoir leur ancrage local.

Le problème est que pour cette innovation, comme pour bien d’autres dans le monde éducatif, on ne sait rien des expériences menées en la matière depuis le décret de 2004, autorisant des écoles primaires à expérimenter le statut d’établissement. De façon générale, avant d’envisager de généraliser les expériences en cours, ne faudrait-il pas enfin songer à assurer le suivi, la régulation, l’évaluation et la diffusion des résultats obtenus ? Bien plus, n’y aurait-il pas là matière à utiliser et à valoriser le savoir-faire indéniable de la recherche ?

Yves Dutercq

Professeur à l’Université de Nantes, chercheur au Centre de recherche en éducation de Nantes (CREN)

Entretien : François Jarraud

Sur le Café :

Entretien avec Yves Dutercq, « Les enseignants qui réussissent le mieux sont incontestablement ceux qui sont habitués à l’échange constant avec les pairs ».

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/larecherche/Pages/20[…]

Compte-rendu de colloque

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/Esen05_4.aspx

Quelques liens sur l’oeuvre d’Yves Dutercq

http://www.unige.ch/fapse/SSE/groups/life/livres/Dutercq_R2002_A.html

http://www.cren-nantes.net/IMG/pdf/CV_Yves_Dutercq.pdf

« L’heure n’est plus, en Europe, à une autonomie scolaire tout azimuts » nous dit Nathalie Mons

Jeudi 6 novembre s’ouvrait, à l’ESEN, dans le cadre de la Présidence française de l’Europe, une conférence sur « La Gouvernance et performances des établissements scolaires en Europe ». Spécialiste des politiques publiques d’éducation, Nathalie Mons, maître de conférences à Grenoble II, a travaillé comme expert sur deux rapports pour la Commission Européenne (agence Eurydice) publiés en 2008 sur l’autonomie scolaire. Elle analyse pour nous les évolutions de cette politique dans les pays européens ainsi que les résultats de la recherche sur les effets de ces réformes.

Quel bilan dressez-vous aujourd’hui de ces réformes ?

NM : On assiste depuis une vingtaine d’années à une vague de réformes en faveur de l’autonomie scolaire dans les pays développés. Aujourd’hui dans la majorité des pays européens – et même plus largement dans l’OCDE -, les établissements bénéficient d’un ensemble de compétences propres dans les domaines pédagogiques, financiers ou de gestion des ressources humaines. Suivant les époques, les pays et même les aires géographiques et culturelles, cette politique présente des caractéristiques différentes. Ces réformes sont par exemple marquées par des temporalités diverses. Alors que cette thématique était au cœur des réformes éducatives dès les années 1980 dans des pays comme l’Espagne, la France ou le Royaume-Uni, elle rencontre un nouvel intérêt aujourd’hui dans les derniers pays qui s’y convertissent comme l’Allemagne ou le Luxembourg. Paradoxalement, alors que la France fut une des pionnières en la matière dans les années 1980, cette politique est restée très encadrée chez nous.

Comment s’explique ce fort développement de l’autonomie scolaire ?

Il est porté par la conjonction de multiples facteurs qui concourent à appuyer une rhétorique politique très forte sur le sujet. Le développement des recherches sur l’école efficace et l’effet-établissement a mis entre autres en lumière l’importance d’un leadership fort dans des écoles dotées d’une certaine marge d’autonomie. L’analyse des résultats des enquêtes internationales sur les acquisitions des élèves, conduites par l’IEA puis par l’OCDE, a mis en avant l’influence sur les performances scolaires de certaines formes d’autonomie scolaire, même si les résultats ne sont pas toujours convergents. Plus globalement, au-delà des frontières du monde scolaire, le développement du courant du Nouveau Management Public concourt également à légitimer l’idée de l’efficacité des décisions de proximité. Enfin, d’un point de vue politique, l’autonomie scolaire est aussi à relier au vaste mouvement de décentralisation qui touche l’ensemble des pays de l’OCDE sans exception à partir des années 1980. Il est intéressant de noter que la rhétorique politique forte qui porte l’autonomie scolaire entre en contradiction avec l’absence de consensus théorique et scientifique sur ces réformes. Dans le monde scientifique, l’autonomie scolaire demeure en débat.

Quelles sont les finalités de ces politiques ?

Les objectifs assignés à ces réformes ont évolué dans le temps : il s’est agi, tout d’abord, principalement dans les années 1980, de vivifier la démocratie scolaire et locale, puis d’accompagner la décentralisation et une meilleure gestion de l’appareil d’État dans les années 1990 et plus récemment, d’améliorer la qualité de l’enseignement. Au fil du temps, les réformes d’autonomie scolaire se sont s’autonomisées par rapport aux politiques de rénovation de l’État et aux mesures de décentralisation/déconcentration des administrations en charge de l’éducation. Élevée, à ses débuts, au rang d’objectif, voire de principe essentiel des organisations scolaires et politiques – les établissements doivent bénéficier d’une autonomie pour respecter la liberté d’enseignement, pour renforcer la démocratie locale scolaire, pour parfaire la décentralisation… -, cette politique est aujourd’hui devenue, dans la très grande majorité des pays, un instrument au service de visées définies strictement dans le champ éducatif : élargir les marges de manœuvre des équipes pédagogiques pour améliorer la qualité de l’enseignement.

Est-ce qu’on met la même chose derrière l’expression « autonomie scolaire » dans tous les pays ?

N. M. Non, il s’agit d’une politique multiforme qui est mise en œuvre diversement selon les pays. Les transferts de compétences peuvent en effet affecter diversement les responsabilités en matière de pédagogie, de gestion des ressources financières et humaines. Tous les pays n’ont pas insisté de la même façon sur ces trois domaines d’attribution. Certains pays ou régions privilégient le transfert de compétences dans les domaines de la gestion financière et des RH comme l’Irlande (pour le secondaire inférieur), la Lettonie, l’Angleterre ou l’Écosse. D’autres, au contraire, ont mis l’accent sur l’autonomie pédagogique comme l’Italie qui a octroyé plus de flexibilité aux établissements dans la définition de l’offre pédagogique, des curricula et des emplois du temps. Suivant les pays, on remarque une volonté d’autonomiser les acteurs locaux sur certaines fonctions plus que sur d’autres. Cette asymétrie résulte parfois des évolutions des réformes d’autonomie scolaire. Ainsi, en Angleterre, si les années 1980 ont été marquées par un mouvement volontariste de transferts de compétences aux établissements scolaires en matière de gestion financière et de RH, la centralisation du curriculum est entamée en 1988 avec la création du National curriculum et se renforce tout au long des années 1990. Ce mouvement a crée une distorsion de plus en plus forte entre les marges de manœuvre accordées entre les domaines financier et humain et les contraintes imposées en matière de pédagogie. La France présente quant à elle une autonomie très encadrée dans les domaines pédagogiques et des ressources humaines. Ces évolutions différenciées montrent que les pays cherchent encore les bonnes configurations en matière d’autonomie. En particulier le questionnement est fort sur l’autonomie pédagogique des établissements.

Tous les pays européens n’ont-ils pas évolué dans le sens d’une plus grande autonomie pédagogique ?

Non. Si dans les domaines administratifs, financiers et de gestion des ressources humaines, les deux dernières décennies ont été marquées par un transfert quasi-continu de compétences vers les établissements, dans le domaine pédagogique, les réformes menées sont plus erratiques. Ceci montre clairement une absence de consensus sur les effets positifs de l’autonomie pédagogique. Dans certains pays, cette organisation scolaire est perçue comme un facteur puissant d’amélioration de la qualité des apprentissages, alors qu’elle est appréhendée paradoxalement dans les systèmes très décentralisés comme un handicap à la recherche d’une meilleure efficacité et d’une plus grande égalité scolaire.

C’est tout d’abord le cas dans les pays historiquement décentralisés en matière pédagogique, comme les trois communautés belges, les Pays-Bas et l’Angleterre. Ainsi, en Belgique, les marges de manœuvre pédagogiques des établissements scolaires et des pouvoirs organisateurs sont désormais plus encadrées par le développement de standards. Ces nouvelles références structurantes prennent la forme d’« objectifs finaux » en Belgique flamande depuis 1991 et de « socles de compétences » en Belgique française depuis 1999. Si les pouvoirs organisateurs continuent d’exercer leurs prérogatives de conception des curricula locaux, ces contenus doivent désormais répondre aux exigences édictées par les Communautés. De même en Angleterre, la liberté pédagogique qui avait atteint un point culminant suite à la seconde guerre mondiale a fortement été entamée par la création en 1988 du National Curriculum et le développement dans les années 1990 des Numeracy and Literacy Strategies, qui imposent aux enseignants un encadrement très contraignant des pratiques pédagogiques en mathématiques et en anglais. Le mouvement est un peu en train de s’inverser en Angleterre. De façon générale, les pays fédéraux, comme les Etats-Unis, la Suisse, l’Australie imposent désormais des standards nationaux à leurs régions et à leurs établissements pour améliorer l’efficacité du système, réduire les inégalités, faire progresser la mobilité des élèves.

Ce nouvel encadrement pédagogique est-il seulement le fait des pays historiquement décentralisés ?

L’autonomie pédagogique est également questionnée dans les pays pionniers qui avaient le plus souvent développé des politiques volontaristes en la matière. Si, dans ces pays, la liberté des enseignants demeure importante, elle s’accompagne désormais de nouveaux cadres qui guident leur action. Ainsi, en Hongrie, depuis 2003, le National Core curriculum, même s’il laisse encore une large flexibilité aux équipes pédagogiques, a été davantage détaillé. De la même façon, si la liberté pédagogique reste également la règle de base au Danemark, depuis 2003, un amendement à la Loi sur la Folkeskole prévoit que le Ministère de l’Éducation est désormais chargé de définir des « objectifs communs » nationaux contraignants. De plus, pour les disciplines obligatoires, le Ministère produit désormais des documents décrivant de façon plus précise les contenus à enseigner. Ces documents n’ont certes qu’un statut de conseils mais semblent être très suivis par les municipalités et les enseignants.

De même façon, la Suède qui avait introduit dès 1993 un programme scolaire fondé sur les résultats (et non sur le détail des contenus à enseigner) interroge son autonomie scolaire volontariste. Le pays envisage désormais une réforme qui irait dans le sens d’une définition plus contraignante des enseignements. En effet, de nombreuses enquêtes menées par l’Inspection montre que cette formulation des programmes d’enseignement conduit à des difficultés d’interprétation des objectifs pédagogiques pour les enseignants ainsi qu’à des inégalités importantes dans les exigences académiques des écoles. Le rapport rendu en 2007 sur les Objectifs et le Suivi de l’École Obligatoire a mis en avant la nécessité d’offrir aux enseignants des contenus d’enseignement plus facilement interprétables et plus concrets. Il a souligné que les diverses interprétations du curriculum avaient créée de fortes disparités locales qui pouvaient questionner le concept même d’école unique. Ces quelques exemples montrent que l’heure n’est plus, en Europe, à une autonomie scolaire tout azimuts mais bien à des transferts de compétences qui doivent être encadrés et régulés par des règles nationales ou du moins externes à l’établissement. C’est d’ailleurs ce que tend à montrer la recherche sur les effets de l’autonomie scolaire.

Quels sont les principaux résultats de cette recherche ?

On peut désormais mobiliser un corpus de vingt ans de recherche française et internationale sur ce sujet qui peut éclairer les décisions politiques. Dans le cadre d’un numéro spécial de la Revue Française de Pédagogie que je coordonne sur l’évaluation des politiques éducatives, nous allons d’ailleurs publier un article qui fait une revue de la littérature sur l’autonomie scolaire. Que sait-on aujourd’hui de ses effets sur les résultats des élèves ? Mes recherches ont montré que l’autonomie scolaire en matière de pédagogie et dans certaines conditions de RH est associée à un meilleur niveau d’efficacité que l’autonomie budgétaire, en gros il faut rendre les acteurs de terrain compétents dans les domaines qui sont en lien avec les apprentissages et ne pas alourdir leur quotidien par de nouvelles charges administratives qui ne font que les détourner de leur mission principale. D’ailleurs, on retourne sur ces bases en Angleterre où l’on garantit désormais au personnel enseignant au sens large qu’il aura un temps minimum à consacrer aux enseignements, on embauche des assistants pour gérer les tâches administratives déléguées aux équipes initiales au début.

Vous insistez aussi dans vos recherches sur la nécessaire régulation du système ?

Oui, nous avons désormais un faisceau de recherches qui concordent également sur ce point : les acteurs de terrain doivent avoir des marges de manœuvre élargies dans un cadre bien défini et des standards imposés. C’est la meilleure solution contre un accroissement des inégalités scolaires. Mes recherches en particulier montrent qu’une centralisation de la conception des curricula, de la gestion du personnel (avec des marges de manœuvre locales possibles) et surtout de la certification est associée à des inégalités scolaires d’origine sociale faibles. Les recherches sur l’autonomie scolaire montrent également que tous les établissements ne s’en emparent pas de la même façon et que rares sont ceux qui en exploitent totalement les possibilités. L’autonomie scolaire, plus qu’une autre politique, ne se décrète pas. Les chercheurs se sont aussi intéressés aux différentes formes d’autonomie scolaire. Trois formes différentes de management des établissements ont ainsi été distinguées : une gestion administrative où le contrôle est de façon prépondérante exercé par les chefs d’établissement, une gestion professionnelle qui donne un rôle significatif aux enseignants et un management par la communauté scolaire au sens large (parents/membres de la communauté civile associée à l’école). La recherche conclut qu’il y a peu de preuves attestant d’effets positifs sur les résultats des élèves des gestions exercées par les professionnels ou par la communauté. Quant au contrôle administratif, les résultats sont peu concluants mais quelques études signalent des effets positifs. C’est un champ qui doit être encore exploré. Au total, l’autonomie scolaire est un sujet extrêmement complexe qui doit donner lieu à une analyse par champ d’attribution – quelles compétences déléguées dans quel domaine ? – par acteur – quels acteurs privilégier au sein de l’établissement ? – avec une définition claire des processus de régulation.

Derniers articles de N. Mons dans le Café :

A propos de son ouvrage : Education : la France fait-elle le bon choix ?

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2007/r2007[…]

Sur la carte scolaire

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lesysteme/Pages/84[…]

Sur la formation des enseignants

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2008/For[…]

Voir aussi : le récent dossier « Directions »

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/laclasse/Pages/96_[…]

« Ce qui freine le plus un chef d’établissement : sa culture professionnelle » Gilbert Longhi

Initiateur des dispositifs pour décrocheurs du lycée Lurçat (Paris), Gilbert Longhi est un proviseur inventif, tenace, dérangeant, pas commode. C’est dire qu’il peut mieux que d’autres parler du rôle, des freins et des aides des proviseurs.

Dans Improving Leaders, l’OCDE montre l’importance de « l’effet direction ». Plus que d’autres vous l’illustrez puisque vous avez créé nombreux dispositifs très innovants. Mieux : ils vous ont survécu et sont devenus pérennes. Dans ces projets, quels ont pu être vos appuis pour avancer ?

Les hiérarques soutiennent l’innovation quand ils en retirent un avantage de carrière. Les appuis permettant l’ouverture de dispositifs consacrés aux décrocheurs ont toujours été politiques. Il y a plus de vingt ans, pour les premières innovations à destination des refuzniks des collèges et des lycées, l’autorisation descendait directement du cabinet du ministre, le cas échéant sans l’assentiment des hiérarchies intermédiaires dans les académies. Si dans une première période cette situation a pu passer pour une force, au fil du temps, elle est devenue un talon d’Achille. En effet, les cabinets ministériels passent, mais les technocrates locaux demeurent. Certains ont parfois pris une revanche normative en faisant semblant de ne pas comprendre le caractère atypique des classes de raccrochage et en émettant des doutes sur leur mode d’existence ou la manière dont les enseignants leur étaient accordés.

Seule la presse et les mouvements éducatifs ont effectivement encouragés les innovations. Les soutiens ont été rarissimes au sein du système éducatif. Les syndicats dominants critiquaient le profilage des emplois et la mise en adéquation des enseignants avec des élèves très particuliers. Leurs commissaires paritaires auraient préféré disposer des postes dans le lot des mutations standard pour les attribuer sur des critères de carrières excluant toute notion de pédagogie. Les recteurs et les inspecteurs d’académie ne se sont penchés sur les innovations qu’à conditions qu’elles puissent se transformer en rendement médiatique ou en avantage de carrière. Rares ont été les responsables authentiquement pénétrés du bien fondé des classes innovantes. De leur côté, les parents d’élèves, au sein des établissements concernés ont craint souvent que l’accueil de raccrocheurs ne soit préjudiciable à leurs propres enfants. Quant aux profs de base, dans un collège ou un lycée, ils ne comprenaient pas toujours pourquoi on s’occupait avec tant d’ardeur décrocheurs qui s’étaient exclus d’eux-mêmes par absentéiste, indiscipline ou démotivation. L’enseignant lambda prône le plus souvent une médicalisation ou une contention des élèves en difficulté ou des élèves difficiles dans des institutions spécifiques et il ajoute perfide que si l’État donnait suffisamment de moyens en amont (par exemple à l’école élémentaire), il y aurait moins de décrocheurs en aval (au collège).

Qu’est ce qui freine un chef d’établissement ?

L’innovation embarrasse les technocrates du système éducatif, du coup ils entravent l’innovation. Dans ce contexte, un proviseur ou un principal n’a aucun intérêt à s’engager dans l’innovation. En le faisant, il déclenche un séisme : ses collaborateurs immédiats doivent assumer une charge de travail supplémentaire, les services rectoraux sont désarçonnés par la spécificité de certaines structures, les inspecteurs pédagogiques sont surpris par l’hétérodoxie des procédés d’encadrement des élèves et ainsi de suite, jusqu’à l’intendant et le conseiller d’éducation qui va trouver que les raccrocheurs ont tendance à dessiner sur les pupitre et sont un mauvais exemple de spontanéité pour remonter en classe à la fin de la récré.

Ce qui freine le plus un chef d’établissement se trouve au-delà de ces anecdotes. Il s’agit de sa culture professionnelle. Il est issu du rang des professeurs ou des conseiller d’éducation et s’il a appris à déplorer l’échec scolaire, il n’a pas été formé pour le traiter. Jadis, certains même ont propagé dans leurs classes cette maladie nosocomiale qu’est le décrochage. Les chefs d’établissements n’ont donc aucune compétence pour innover contre l’échec sauf en commettant toujours la même sempiternelle erreur consistant à donner des cours de soutien supplémentaire à des élèves faibles qui n’en peuvent mais. En revanche, les principaux et les proviseurs ont tous intérêt à plaire à leur hiérarchie car elle détient les leviers de leurs promotions et de leurs mutations. En conséquence, certaines n’hésitent plus à innover dès que l’administration le demande. D’ailleurs, l’article 34 de la loi d’orientation sur l’avenir de l’école (24 avril 2005) intégré dans le Code de l’éducation, officialise la réalisation d’expérimentations. En définitive, de multiples chefs innoveront dorénavant par attrait pour le conformisme, pour assurer leurs arrières, ni par goût du risque, ni par intérêt pour l’invention pédagogique.

Pensez vous qu’aujourd’hui un chef d’établissement doive entretenir des relations étroites avec son environnement ?

L’ouverture de l’école sur son environnement peut être une forme d’étiolement. En l’occurrence, trois réflexions me viennent à l’esprit.

1- Si l’on entend par environnement le cadre sociétal, il va de soi qu’un collège ou un lycée se doit d’être en phase avec les évolutions habituelles du savoir, des pédagogies, des relations entre les gens et des technologies (Internet, tableau numérique, cartable électronique, e-learning…). Cette dernière perspective peut d’ailleurs à termes bouleverser à la fois la notion d’assiduité en classe et celle de transmission des connaissances (aussi bien dans le schéma classique que dans les méthodes actives).

2- Si l’on considère plus restrictivement que l’environnement correspond au territoire dans lequel un établissement est implanté, il se peut que l’osmose entre le milieu socio-économique et l’école soit parqué par de relatives défectuosités culturelles et fonctionnelles, voire par un obscurantisme, à peine nuancés par des initiatives compassionnelles comme les innombrables bonnes actions en direction des ZEP (grandes écoles prestigieuses et autres mécènes humanistes ou humanitaires).

3- Enfin, si la notion d’environnement est limitée à la perspective d’insertion professionnelle directe, il suffit à un établissement (LP ou collège) de se comporter comme un sous-traitant à l’écoute des offres de places émanant des entreprises ou des CFA en fonction des branches de métiers déficitaires en main-d’œuvre.

L’ocde défend l’idée d’une mise en réseau des chefs d’établissement. Qu’en pensez vous ?

Tout réseau peut devenir une appareil que ne sert qu’aux apparatchiks. Dans une zone donnée, si la constitution d’un réseau revient à désigner, une maison mère (type lycée dominant) avec des succursales ou des franchisés ; le procédé paraît contraire aux principes qui président aujourd’hui en théorie à la destinée des collèges et lycées (établissements publics locaux d’enseignement) qui sont identifiés par leur autonomie, leur projet d’établissement spécifique, une culture propre voire des us, des coutumes et une histoire.

En réalité, les pratiques in situ ne permettent pas aux établissements de sortir d’une relation de vassalité par rapport à un voisin prépondérant. On peut prendre l’exemple des lycées renommés qui gèrent de manière discrétionnaire leur influence (de façon plus ou moins occulte) en cooptant de facto leurs futurs élèves au sein même des collèges de bas. Par ailleurs, ils dégriffent leurs propres lycéens défectueux et le rétrocèdent aux lycées voisins. On trouve le même cas de figure, au sujet de collèges prééminents face aux écoles élémentaires. En amont, ils laissent les élèves fragiles aux voisins, en aval ils constituent liens avec le meilleur lycée du coin.

Une mise en réseau des chefs s’avèrerait utile si elle se référait à une éthique clairement formulée voire à une déontologie de la gouvernance dans les établissement et plus largement dans l’Éducation nationale. Or, l’état du système éducatif, le poids de ses traditions et la disparité des pratiques tendent à prouver que toute mise en réseau de chefs sera vouée à se transformer en appareil mou au sein duquel quelques apparatchiks feront les durs pour retirer leurs parons du feu sans se soucier des objectifs initiaux d’un réseau.

On voit apparaître de nouveaux dispositifs qui gravitent autour du chef d’établissement comme le conseil pédagogique. Pensez vous que la fonction puisse se redistribuer ?

Le pouvoir d’un proviseur est un faux nez. Le poids d’un chef d’établissement dans la marche d’une collège ou d’un lycée reste minime. Les élèves sont affectés par les académies, les professeurs sont nommés en raison de leurs vœux, leur inamovibilité est absolue, les programmes descendent du ministère, le budget provient de la collectivité locale, l’enseignement est contrôlé par des inspecteurs pédagogiques, la gestion est entre les mains d’un agent comptable… En résumé, la seule marge d’initiative restant au proviseur est d’appliquer les consignes en sachant lire entre les lignes.

Le cas du conseil pédagogique est bien choisi. Lorsque cet organe a été imposé, la commande implicite était de le mettre en place, sans vague, à la fois pour ne pas désavouer le ministre qui le voulait et ne pas déplaire aux syndicats qui n’en voulaient pas… Il restait donc à le créer en jurant qu’il était indispensable mais qu’il ne servirait à rien puisqu’il faisait double emploi avec le conseil d’enseignement, le conseil des professeurs, la réunion des coordinateurs de disciplines, l’assemblée des professeurs principaux ou le groupe des enseignants élus au conseil d’administration… Aujourd’hui, de nombreux conseils pédagogiques restent des instances creuses que l’on établit sur le papier au cas où un hurluberlu de rectorat se piquerait d’en demander la consultation avant d’allouer une subvention à l’établissement.

Dans le genre, il y a pléthore de machins qui n’existent dont il n’existe que l’ombre : le lundi de pentecôte, l’éducation à l’orientation, le suivi individuel des élèves… et surtout le PPS c’est-à-dire le scénario de confinement dans l’établissement des élèves et des personnels pour leur mise en sécurité en cas d’accident majeur…

Du coup ça affecte l’image du chef d’établissement. On voit bien qu’aujourd’hui elle est fracturée et qu’elle cherche de la légitimité. Un chef d’établissement c’est un guide pédagogique, un bureaucrate, un manager ?

Le débat sur la légitimité de tout type d’autorité est un exercice normal de la liberté. Il y a même une sorte de nécessité à contester l’exercice du pouvoir et des responsabilités. Au-delà de cette tendance la question essentielle pour un proviseur ou un principal reste de savoir de quoi, de qui il tient sa légitimité.

On peut recevoir la légitimité d’en haut. Durant les années cinquante et soixante, un directeur de collège ou un proviseur exerçait une autorité fonctionnelle par position hiérarchique. L’État promouvait des professeurs zélés qui se faisaient obéir de leurs subalternes parfois dans une atmosphère quasi monarchique dont on trouve encore les traces dans le mobilier et la décoration de certains lycées historiques. Parallèlement, dans les établissements plébéiens on trouvait des chefaillons se contentant de méthodes et d’ambiances roturières qui trouvaient aussi une légitimité en raison de leur adéquation avec leu milieu.

La légitimité peut venir de la base. Après Soixante-huit la période fut propice à des expérimentations illégitimes. Quelques établissements de l’Éducation nationale ont tenté de manière plus ou moins formelle des gouvernances partagées (collégiales). Les principaux ou proviseurs parties prenantes dans ce type d’opération détenaient leur légitimité de l’approbation des pairs. Leurs responsabilités spécifiques ne devaient jamais s’exercer en termes d’autorité, ils doivent obtenir tout par consensus et par persuasion. Ce modèle n’est pas très loin de l’ancien type de direction des universités par un président élu.

Une autre forme de légitimité tient à facteurs exogènes. Quelques chefs d’établissements n’ont rien de foudres de guerre, restent moyens du point technique, sont conservateurs en pédagogie et n’affichent aucun talent dans leurs relations aux élèves. Néanmoins, ils bénéficient d’une forme de légitimité tenant à ce qu’ils sont et non à ce qu’ils font. Ainsi tel proviseur banal, (voire fade) pourra exercer une forme d’ascendant en raison de son appartenance politique, de ses responsabilités dans une association réputée, de son mandat de conseiller municipal ou plus simplement du nom qu’il porte et de sa parentèle.

La forme de légitimité qui se profile aujourd’hui n’est pas exempte d’une certaine ambiguïté. D’un côté, elle s’appuie sur un modèle entrepreneurial qui ferait du chef d’établissement un patron jugé sur les résultats (taux de réussite aux examens, socle commun) ; et sur le rendement puisqu’il doit obtenir le meilleur au moindre coût pour dégager le maximum de marge d’économie pour répondre à la logique de la LOLF. À l’opposé, la légitimité des principaux et des proviseurs paraît tenir à leur capacité à entrer dans une logique de missi dominici de l’exécutif (État, rectorats). En l’occurrence, la légitimité d’un chef d’établissement dépend alors non pas de sa capacité d’entreprendre, mais de son aptitude à être un exécutant susceptible de donner corps aux idées de ses supérieurs et au-delà de partager leur idéologie (uniforme en classe, accroissement de l’autorité à l’école, vouvoiement des enfants par les maître, punitions collectives, le garde-à-vous quand le proviseur entre dans une salle…).

Gilbert Longhi

Entretien : François Jarraud

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Les personnels de direction, plus pédagogues que managers

Selon une étude ministérielle, dirigée par Michèle Thaurel-Richard, portant sur la promotion 2004 des personnels de direction, les nouveaux ou futurs chefs d’établissement gardent une identité pédagogique. Ils ont choisi ce métier pour « travailler à la réussite des élèves » (50%) ou « élargir son champ de compétences » (45%). « Travailler avec des adultes », le coté manager, n’attire que 25% d’entre eux.

L’étude analyse en détail le profil socio-démographique des ces personnels (plutôt âgés, anciens enseignants). Elle montre leur satisfaction même si 95% d’entre eux se plaignent d’un travail haché (ils sont sans cesse interrompus dans leurs tâches), de la charge de travail, des résistances du personnel enseignant. Six sur dix ont eu à gérer une situation difficile dans leurs six premiers mois.

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[1] Hallinger, P. et R. Heck (1996), “Reassessing the Principal’s Role in School Effectiveness: A Review of Empirical Research, 1998-1995”, Educational Administration Quarterly, 32 (1), 5-44.

Hallinger, P. et R. Heck (1998), “Exploring the Principal’s Contribution to School Effectiveness: 1980-1995”, School Effectiveness and School Improvement, 9 (2), 157-191.

Leithwood, K. et C. Riehl (2003), What We Know About Successful Leadership, Laboratory for Student Success, Temple University, Philadelphia, Pennsylvanie.

Witziers, B., R. Bosker et M. Krüger (2003), “Educational Leadership and Student Achievement: The Elusive Search for an Association”, Educational Administration Quarterly, 39 (3), 389-425.

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