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Par François Jarraud

Quelles conceptions de l’Ecole peut-on dégager des discours présidentiels et de leur traduction par Xavier Darcos ? Peut-on parler d’un modèle libéral d’Ecole ?

Originale la conception sarkozienne de l’Ecole ? Ce n’est pas sûr. Elle se nourrit d’un courant dominant chez les pays développés mais en y ajoutant une « french touch » particulière.

C’est le pilotage par l’évaluation que met en place la réforme sarkozienne. A l’image de l’accountability qui est déjà présente aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, cette forme de pilotage confie à l’Etat la définition d’objectifs à atteindre par le système éducatif et la mise en place d’un système d’évaluation (qui peut être concédé au privé comme en Grande-Bretagne). C’est cette logique que l’on trouve dans la loi de 2005 et à nouveau dans les nouveaux programmes du primaire. Les établissements scolaires doivent atteindre tel taux de réussite par exemple en lecture ou calcul. Pour vérifier on élabore des batteries de tests, dans le cas français des évaluations nationales. Aux Etats-Unis, les établissements qui n’atteignent pas les taux fixés par la loi No Child Left Behind sont pénalisés financièrement. En Angleterre, ils pourront être fermés ou transformés en école semi-privée. Ainsi à la rentrée 2008, 638 établissements britanniques sont menacés.

Pour que ce pilotage puisse fonctionner, il faut que les établissements gagnent en autonomie pédagogique. C’est en effet sur eux que repose la responsabilité principale. On sait que la loi 2005 a ouvert par son article 34 des possibilités en ce domaine. La notion sous-jacente c’est celle de la concurrence entre établissements, possible grâce à l’abandon de la carte scolaire. Dans l’esprit de ses initiateurs, elle doit pousser les établissements à améliorer leurs résultats et profite d’abord aux établissements et aux élèves défavorisés.

S’agit-il d’une conception libérale de l’Ecole ? Dans les deux pays mentionnés, Royaume-Uni et Etats-Unis, l’accountability s’est traduite par un renforcement du rôle de l’Etat dans le système éducatif. Face à des systèmes locaux, l’Etat a défini des standards et s’est doté des moyens de les faire respecter. Il intervient à travers les tests de façon quotidienne dans la vie des établissements et influe profondément sur les choix pédagogiques. Enfin l’accountability s’accompagne d’objectifs de réduction des inégalités sociales.

Ce système est-il efficace ? Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, les résultats aux tests progressent. Les progrès sont particulièrement nets aux Etats-Unis pour les minorités raciales. Mais ces résultats font débat. D’une part des cas de fraudes sont apparus, soit des enseignants, soit des établissements. D’autre part les tests n’évaluent… que ce qui est testé. La performence scolaire n’est pas facile à évaluer ! L’accountability a aussi fait évoluer l’enseignement en renforçant toutes les disciplines qui contribuent aux tests et en poussant les établissements à minimiser ou abandonner les autres. A l’intérieur des disciplines, on travaille « pour le test ». Les pressions pour abaisser le niveau des tests se renforcent avec le temps.

Cette forme de pilotage redéfinit les objectifs de l’Ecole. Elle n’est plus considérée que comme un service de transmission de connaissances évaluables. La formation citoyenne, les capacités sociales des jeunes, la construction de la pensée passent au second plan. Ainsi une spécialiste des maths anglaise, M. Brown, estime que les tests conduisent à travailler moins les applications des maths ou les compétences orales. Les tests orientent également les efforts des enseignants vers les élèves moyens aux dépens des meilleurs et des plus faibles. Toutes ces critiques font que l’accountability est menacée aux Etats-Unis, où il ne survivra peut-être pas à Bush, et au Royaume-Uni. La France s’engage dans une voie qui semble déjà dépassée.

Et la French Touch ? La politique française a plusieurs particularités. D’abord, évidemment, elle part d’un système national centralisé ce qui rend plus difficile la recherche de la concurrence. Sur le plan pédagogique, la mise en place de ce pilotage s’accompagne d’un discours idéologique qui promeut l’autorité, les méthodes traditionnelles, pourtant peu efficaces, et écarte toute évaluation sociale des résultats. Dans sa traduction française le pilotage par l’évaluation n’est-il qu’une revanche politique ?

Un dossier de l’INRP sur les standards de compétences

http://www.inrp.fr/vst/Dossiers/Standards/sommaire.htm

Quelques critiques du pilotage par l’évaluation

Le pilote et l’inspecteur, une parabole de P. Frackowiak

« J’ai vu des tonnes de power point sur les performances des élèves, avec des graphes magnifiques et de jolies couleurs, et même avec des araignées qui descendent des plafonds, à en avoir la nausée. Je n’en ai jamais vu sur les pratiques pédagogiques des enseignants. Mais puisqu’il faut piloter, pilotons ». Dans un beau texte, Pierre Frackowiak interpelle la nouvelle politique de pilotage par les résultats du haut de son expérience d’inspecteur.

« Piloter par les résultats des élèves sans savoir piloter les pratiques des enseignants… cela relève du gag… Le vrai problème, derrière l’écran de fumée commode et snob du pilotage, n’est-il pas d’accompagner les enseignants à voir clair dans leurs représentations et leurs pratiques professionnelles et à mettre leurs actes en accord avec leurs valeurs ? »

Tribune de P. Frackowiak (en pdf)

http://www.meirieu.com/FORUM/frackowiak_inspection.pdf

Le pilotage par les résultats dénoncé aux Etats-Unis

« Une des choses les plus importantes dans la loi No Child Left Behind (la grande loi scolaire américaine), c’est que quand on teste cela rend possible une prise en charge immédiate des difficultés individuelles.. C’est le chemin du succès ». Cette phrase du président Bush est mise en accusation par l’étude « Proficiency Illusion » publiée par la Fordham Foundation, une association conservatrice américaine.

L’étude établit que les tests sont surévalués. Selon elle, en leur imposant, pour garder les fonds fédéraux, que tous les élèves atteignent un niveau convenable en 2014, la loi amène les états à baisser leurs exigences particulièrement en lettres.

Le pilotage par les résultats aurait conduit d’une part à baisser généralement le niveau, d’autre part à créer de grandes inégalités éducatives dans le pays.

L’étude

http://www.edexcellence.net/foundation/publication/publication.cfm?id=376

Le niveau monte-il vraiment avec l’accountability ?

En pleine période électorale, l’information est d’importance. Selon une nouvelle étude du Center on Education Policy, le niveau scolaire des jeunes Américains a augmenté depuis 2002, c’est-à-dire depuis la mise en place de la loi No Child Left Behind (NCLB). Cette loi accorde des fonds fédéraux aux établissements qui remplissent certaines conditions de réussite scolaire. Son moteur est la mise en place de batteries de tests uniformisées qui évaluent de façon précise les élèves. C’est cette évaluation perpétuelle (accountability) qui permet le pilotage du système. Vous avez compris l’intérêt pour nous de cette histoire américaine : c’est le même système qu’on nous promet pour bientôt en France.

Selon l’étude du CEP, le niveau a effectivement monté en lecture. En maths, on assiste à une baisse dans un seul état alors que dans 21 des 27 états étudiés les résultats s’améliorent. Mieux encore, les écarts de niveau entre Afro Américains et « blancs » ont diminué dans 13 états et ceux entre riches et pauvres dans 10 états. A partir de là, plusieurs commentateurs peuvent chanter les louanges du système.

Pourtant le rapport du CEP est plus prudent. S’il y a bien amélioration des résultats dans les tests , cela résulte-il vraiment de la loi NCLB ? Rien n’est moins sûr ! Prudemment, l’étude évoque plusieurs faits qui ont pu influer sur les résultats. Depuis 2002, les écoles ont pu affecter plus de temps aux matières évaluées, comme les maths et l’anglais. Les élèves sont plus familiarisés avec ces textes. Les profs aussi.

Finalement, l’étude met surtout en évidence les difficultés à évaluer la performance scolaire. C’est d’autant plus important à souligner que beaucoup croient pouvoir calculer de façon précise et objective ce que fabriquent les écoles.

L’étude

http://www.cep-dc.org/index.cfm?fuseaction=document_ext.showDo[…]

A lire : Faut-il avoir peur de l’Autre école ?

« Une autre école est-elle en train d’émerger ? » interroge Rui Canario dans le dernier numéro de la Revue internationale d’éducation de Sèvres. Tout ce numéro tourne autour d’une question qui mérite qu’on s’y arrête : assiste-on partout à la définition d’une nouvelle école ? En lien avec la mondialisation, un modèle unique, globalisé, d’éducation va-t-il remplacer les systèmes éducatifs nationaux comme semble le craindre B. Charlot ?

Pour Rui Canario, ce qui définit cette autre école, c’est « une remise en cause plus large de l’Etat éducateur… L’Ecole, face au recul de la centralité de l’Etat-nation, vit un processus de déclin institutionnel ». Il s’accompagne de « l’intensification du contrôle professionnel des enseignants » et d’une défection des classes moyennes envers l’Ecole. Si l’on observe la situation française, effectivement, on voit l’Etat renforcer les compétences éducatives des collectivités locales, leur transférer des personnels et amorcer une « professionnalisation » des enseignants qu peut être perçue comme une remise en cause.

Mais peut-on vraiment parler d’une autre école ? D’abord comme le souligne B. Charlot, « le cœur de l’Ecole est l’acte pédagogique…or sur ce point l’Ecole n’a guère changé ». Ni l’organisation de l’ecole (la classe, l’émiettement horaire et disciplinaire) , ni les actes pédagogiques n’ont sensiblement changés, reléguant l’Autre école sur un terrain organisationnel. Or, si la montée des pouvoirs locaux est un fait majeur en France, c’est loin d’être un phénomène nouveau dans la plupart des pays d’Europe. Est-il utile de rappeler que les systèmes éducatifs britannique, allemand, italien, par exemple, sont largement et traditionnellement décentralisés. Sur ce point, la France et le Portugal ont fait figure d’exception. L’Autre école se réduit ainsi en peau de chagrin à un attachement à la tradition de l’Etat centralisé supposé être un outil d’égalité.

Alors faut-il craindre l’autonomie des établissements ? Pour Nathalie Mons, dans Les nouvelles politiques éducatives, « il ne faut pas être pour ou contre la décentralisation mais plutôt se poser la question suivante : quelles compétences doivent être transférées à quels acteurs, dans quelles conditions ? » N. Mons montre que si, dans certains cas, la décentralisation politique peut être positive, le rôle de l’Etat central reste cependant crucial, mais ce rôle se renouvelle, il intervient davantage dans la conception, le guidage, l’évaluation du système que dans sa gestion directe.

Plus que l’autonomie c’est finalement la question des modes de régulation qui est encore à l’étude. L’Ecole peut-elle accepter de voir ses résultats évalués en externe ? Pire encore peut –elle accepter qu’ils soient publics ? La mobilisation contre la publication en ligne des résultats des évaluations du primaire, explique peut-être que l’école ouverte sur sa communauté soit encore en France l’autre école.

Revue internationale d’éducation de Sèvres, n°46.

Le sommaire

http://www.ciep.fr/ries/ries46.php

Sur le Café , N. Mons

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2007/r2007_Educa[…]

Sur le site du Café