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Le livre de Jeanne Dion et Marie Serpereau ouvre des voies nouvelles qui mériteraient d’être développées, impulsées, accompagnées, institutionnalisées. Un livre indispensable pour la culture des enseignants de l’école et du collège, pour une véritable continuité école/collège, pour l’amélioration de la réussite scolaire, pour donner du sens aux apprentissages scolaires…

On ne cesse de dire et d’écrire depuis plus de trente ans que la rupture entre l’école primaire et le collège est un des problèmes majeurs du système éducatif [1] Circulaires ministérielles, injonctions, recommandations, incantations envahissent régulièrement les établissements et les inspections sans que jamais un véritable bilan de leur prise en compte n’ait été réalisé.

Pour ceux qui connaissent bien le terrain et qui ne sont pas astreints à la complaisance, le problème demeure, il s’est même aggravé depuis la promulgation des « nouveaux vieux programmes » de l’école primaire qui sont apparus dans l’opinion publique comme imposant le retour à la grammaire, à la conjugaison et à l’orthographe traditionnels, considérés comme des préalables à la maîtrise de l’expression orale et écrite [2] . Il est incontestable que le système n’a pas réussi à surmonter l’erreur historique de la généralisation de l’enseignement élitiste du « petit lycée » du 19ème siècle à l’ensemble des élèves entrant en 6ème dans le collège unique. Le débat entre les tenants de l’école fondamentale de 6 à 16 ans, taxée de vouloir baisser le niveau, et ceux de l’extension du second degré classique depuis la 6ème a été tranché en faveur des seconds et a abouti à ce que le collège unique est aujourd’hui remis en cause et combattu, même par ceux qui l’avaient revendiqué.

Les rencontres des enseignants de CM2 et de 6ème n’ont, sauf exceptions, aucun impact sur les pratiques. Le plus souvent, et la situation s’est plutôt aggravée, elles détériorent le climat et découragent les uns et les autres. La tendance techniciste à la mode qui a voulu fonder ces rencontres sur l’analyse des résultats des évaluations a renforcé l’habitude historique du procès de l’aval. La responsabilité des échecs est toujours attribuée à l’échelon précédent : si ça ne fonctionne pas, c’est que l’école n’a pas fait son travail, c’est que les élèves n’ont pas les bases, c’est que des pans entiers des programmes ont été négligés, etc.

Lors de la période de rénovation de l’enseignement du français qui avait privilégié l’expression/communication et l’observation réfléchie de la langue, j’ai à plusieurs reprises entendu le procès de l’école et des constats surprenants : « Les élèves sont très bons en expression orale et écrite, mais qu’est-ce qu’ils sont mauvais en grammaire ! » Il est évidemment impossible de progresser dans un tel contexte et les petites visites du collège par les élèves au cours de l’année de CM2 ne peuvent guère améliorer les choses. Ce bilan globalement très négatif est à relativiser en prenant en compte les initiatives particulières d’équipes de professeurs engagés et les travaux des mouvements pédagogiques (CRAP, ICEM Freinet, GFEN) qui ont réussi à surmonter les obstacles et à mobiliser les enseignants dans une perspective de transformation cohérente des pratiques. Le malheur est, comme dans bien d‘autres domaines, que ces réussites sont ponctuelles et éphémères, d’une part parce qu’elles reposent sur des volontarismes individuels, d’autre part et surtout, parce qu’elles ne sont pas soutenues, valorisées et généralisées par l’institution.

Le livre de Jeanne Dion et Marie Serpereau ouvre des voies nouvelles qui mériteraient d’être développées, impulsées, accompagnées, institutionnalisées. Si les réunions CM2/6ème pouvaient être libérées des vains débats, des querelles d’opinions, de quelques complexes de supériorité persistants et pouvaient se focaliser sur les pratiques pédagogiques, sur les représentations des élèves, sur la réalité des processus d’apprentissage, nul doute que le système pourrait progresser à grands pas.

Les auteurs font le pari de l’intelligence des élèves et des professeurs. Ils expliquent : « Il y a des pédagogies dont l’objectif essentiel est la maîtrise des élèves, celles qui prescrivent : « on dit/on ne dit pas », celles qui prétendent détenir et enseigner la norme…, agents inconscients des politiques éducatives pour lesquelles l’homme est à former ; et d’autres qui considèrent les élèves comme des sujets capables de devenir eux-mêmes les maîtres de la langue, la leur, celle des autres, celle des livres, à l’oral comme à l’écrit, pour savoir et pour créer. Ce sont ces dernières que nous défendons dans cet ouvrage, parce qu’elles ont pour objectif d’amener chacun à pouvoir faire des choix conscients, utilisant la langue sans avoir à la subir [3]. En somme, ce que nous attendons de toute vraie éducation, c’est qu’elle permette l’émancipation dans un monde d’intelligences partagées… » Nous en sommes aujourd’hui aux antipodes !

Les jalons historiques décrits, que l’on rapprochera utilement de ceux présentés par Odette Bassis, dans ses ouvrages consacrés à l’enseignement des mathématiques [4], sont également posés comme point d’appui pour mieux comprendre la langue, son évolution et l’évolution même des diverses grammaires et pédagogies de la langue qui ont traversé nos époques. A leur lecture, passionnante, on s’étonnera que la formation des enseignants n’ait pas donner une place plus importante à l’histoire des disciplines. Comment peut-on enseigner une discipline sans connaître les raisons de son existence, des rasions qui en ont fait une discipline scolaire, et son histoire, Pour de futurs enseignants, cette histoire est sans doute au moins aussi importante que les contenus disciplinaires qui se figent et se cloisonnent.

Un livre indispensable pour la culture des enseignants de l’école et du collège, pour une véritable continuité école/collège, pour l’amélioration de la réussite scolaire, pour donner du sens aux apprentissages scolaires…

Un livre pratique car chacun pourra en tirer facilement des fiches pédagogiques pertinentes et des programmations susceptibles de donner le goût d’apprendre et le plaisir d’enseigner.

Pierre Frackowiak

Jeanne Dion et Marie Serpereau, Faire réussir les élèves en français de l’école au collège. Des pratiques en grammaire, conjugaison, orthographe, production d’écrits. Editions Delagrave. Septembre 2009.

Présentation :

http://www.delagrave-edition.fr/Albums_Detail.cfm?ID=35652



[1] La situation est si figée et si dramatique qu’elle m’a conduit après trente années d’inspection et d’observation des réunions CM2/6ème (quand elles avaient lieu, car j’avoue que j’avais, un temps, renoncé à organiser des procès de l’amont), à proposer une rupture et la création de l’école fondamentale. Voir dans « Pour une école du futur. Du neuf et du courage ». Editions la Chronique Sociale. Préface de Philippe Meirieu.

[2] Jack Lang lui-même faisant par ailleurs un procès remarquable des « nouveaux vieux programmes » de 2002, admet une exception dans son livre au demeurant très intéressant, « L’école abandonnée ». Editions Calmann-lévy. Page 39. « Je suis heureux qu’en français vous mainteniez une place importante à l’apprentissage de la grammaire, de la conjugaison et de l’orthographe. C’est évidemment un élément majeur dans la maîtrise de l’orthographe ».

[3] On se délectera de cette citation en exergue de la page 10 : « Qu’on se garde d’accabler les enfants de ces définitions métaphysiques, de ces règles abstraites, de ces analyses prétendues grammaticales, qui sont pour eux des hiéroglyphes indéchiffrables ou de rebutants exercices. Tout enfant qui vient s’asseoir sur les bancs d’une école, apporte avec lui, sans en avoir conscience, l’usage des genres, des nombres, de la conjugaison. Qu’y a-t-il à faire ? Tout simplement à l’amener à se rendre un compte rationnel de ce qu’il sait par routine. » Elle date de 1857 ! Elle est de M. le ministre Rouland dans son instruction du 20 août. Nos ministres actuels, même sortis de Normale Sup, semblent avoir bien régressé. Et d’expliquer que nombreux sont celles et ceux qui utilisent parfaitement leur langue, à l’oral et à l’écrit, sans avoir « fait de la grammaire », ce qui ne les empêche pas de la maîtriser en actes.

[4] Voir notamment « Se construire dans le savoir ». Editions ESF . Décembre 1997. Et « Concepts clés et situations problèmes en mathématiques » 2 tomes. Hachette Education 2003. Trois ouvrages passionnants.