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Par Jean-Louis Auduc

Enseigner c’est inné ou acquis ? Lancée depuis plus d’un an, la réforme de la formation des enseignants arrive à son terme. Le ministre a présenté le 13 novembre son projet aux syndicats. Pour Jean-Louis Auduc, directeur adjoint d’IUFM, qui commente pour le Café la réforme depuis ses débuts, ce projet enterre la formation professionnelle.

Le ministère de l’éducation nationale et le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche ont présenté vendredi 13 novembre aux organisations syndicales enseignantes leurs propositions sur la formation des enseignants après les réunions des différents groupes de travail durant le courant des mois de septembre et d’octobre.

Quelles sont les idées principales de ces propositions ?

Une approche purement disciplinaire des masters et des épreuves d’admissibilité des concours

Dans le document du 13 novembre, présenté comme pour la réforme des lycées sous forme de diaporama et intitulé « La réforme de la formation et du recrutement des enseignants », il y a une très forte insistance tout au long du texte sur une approche purement disciplinaire.

Dans la partie consacrée aux masters , on peut lire : « Aux côtés des masters « disciplinaires » adaptés au concours du second degré, devra émerger une offre de masters s’appuyant sur plusieurs disciplines…. »

La préparation aux concours et au métier est présentée dans le document en M1 comme en M2, comme « un parcours spécifique » puisque concernant le cadrage des masters, on peut lire : « 1ere année : Année à dominante disciplinaire avec parcours complémentaire de découverte professionnelle

2eme année : Poursuite des enseignements disciplinaires de M2 avec parcours complémentaires de professionnalisation »

L’aboutissement de cette approche purement disciplinaire se lit dans la présentation des épreuves d’admissibilité de tous les concours : « Les épreuves d’admissibilité devront consacrer l’élévation du niveau scientifique voulue par la réforme et sélectionner les étudiants ayant le meilleur niveau scientifique dans la ou les disciplines ( pour PE, PLP) concernées, car appuyées sur des masters. Elles ne comporteront pas d’évaluations à caractère didactique ou pédagogique non pertinentes à ce stade. Pour le concours de recrutement des professeurs des écoles, les deux épreuves écrites concerneront deux domaines : le français et la culture humaniste, d’une part, les mathématiques et les sciences, d’autre part. »

C’est une régression pour les professeurs des écoles où les épreuves écrites comprenaient des réflexions didactiques notamment sur les savoirs à enseigner par rapport aux connaissances fondamentales de la discipline, notamment par des exercices sur les copies d’élèves. La pédagogie est donc complètement déligitimée et ne sont plus articulées ensemble : maîtrise des contenus disciplinaires et approches pédagogiques et didactiques.

Une telle démarche amène à une formulation « alambiquée » concernant la référence aux programmes scolaires des différents niveaux : « Les programmes scolaires devront constituer l’univers de référence des savoirs évalués. Les programmes des concours traduiront de manière adaptée cet objectif. ». Cette formulation fait que pour un certain nombre de concours, nous retrouverons des programmes en relations avec les découpages universitaires, les questions d’agrégation, et sans lien avec les programmes scolaires des différents niveaux.

Différence de calendrier et de traitement des divers concours de recrutement

Les épreuves d’admissibilité du concours « professeur des écoles » sont prévues le 15 septembre de chaque année pour des résultats pendant les congés de la Toussaint. Il est donc prévu une année de préparation aux épreuves d’admission qui auront lieu en mai/juin.

Ce calendrier amène les réflexions suivantes :

Pour que le concours puisse se dérouler le 15 septembre, cela implique des inscriptions au concours en avril-mai. Comme l’ont indiqué les services du ministère, cela nécessite une modification du décret du 28 juillet 2009 pour les professeurs des écoles qui indique que l’obtention du M1 par le candidat ne sera vérifiée qu’en septembre et non au moment de l’inscription.

L’organisation de « bachotages » disciplinaires par des officines privées va battre son plein pendant l’été.

Il signifie qu’un étudiant titulaire du master complet et qui passe les épreuves d’admissibilité du concours « professeur des écoles » devra néanmoins s’il est admissible, suivre le parcours spécifique « professeur des écoles » d’un an réservé de fait aux admissibles pour préparer les épreuves d’admission.

Que se passera-t-il en septembre 2010 pour le concours « professeur des écoles »? Y aura-t-il des épreuves d’admissibilité ou les étudiants admissibles à la session d’avril 2010 et non admis aux épreuves d’admission de juin/juillet 2010 conserveront-ils leur admissibilité pour préparer pendant un an à nouveau les épreuves d’admission de mai-juin 2011 ?

Les épreuves d’admissibilité des concours CAPES, CAPET, CAPEPS, CPE se passeront selon le document du 13 novembre le 20 décembre de chaque année avec résultats annoncés au 20 janvier ( plus probablement, compte tenu des délais, début février) , ce qui fait que la préparation des épreuves d’admission se déroulera sur moins d’un semestre puisque les épreuves d’admission sont prévues en mai-juin.

Les épreuves d’admissibilité des concours d’agrégation sont prévues en avril de chaque année pour des épreuves d’admission en mai-juin.

Cette différenciation des calendriers va conduire à l’impossibilité d’un travail commun, par exemple, entre le futurs professeurs des écoles et les futurs professeurs des lycées et collèges ce qui , à l’heure du socle commun ou de l’insistance des textes ministériels sur la liaison CM2/6e parait tourner le dos aux réalités.

De plus, si sur une année on pourra peut-être pour les professeurs des écoles parvenir à articuler maîtrise disciplinaire, exercice professionnel et approches pédagogiques, notamment au travers de « stages en responsabilité organisées de manière « filée » ou « groupée », les stages risquent d’être très peu mis en place au niveau des CAPES et des agrégations pour des enseignants susceptibles de travailler en lycée, où les besoins de pédagogie différenciée et d’aide personnalisée sont pointés par toutes les études.

Les incohérences sont donc innombrables entre les projets de réforme, les politiques proposées pour le système éducatif et la formation mise en place, notamment pour les enseignants du second degré. Le groupe technique « Second degré » a d’ailleurs jugé que, si à ce niveau, stage en établissement, il devait y avoir, il ne devrait durer qu’autour de deux semaines !!!!

Des épreuves d’admission aux concours qui semblent oublier les dix compétences de 2006

Les épreuves d’admission des différents concours seront au nombre de deux :

« La première épreuve sera, selon les disciplines, une leçon. Le cas échéant, elle pourra s’appuyer sur un montage expérimental pour les sciences ou des activités professionnelles antérieures, notamment pour les PLP »

La seconde épreuve d’admission fait, et c’est la seule, référence à une des dix compétences de 2006 : « Dans tous les concours, sera évalué lors d’un temps spécifique d’interrogation, lors de la seconde épreuve d’admission, la maîtrise de la compétence : « Agir en fonctionnaire d’Etat de façon éthique et responsable » …… »

Mettre en avant une seule compétence sur les dix concernant « Agir en fonctionnaire de l’Etat….. » risque de déboucher sur des interrogations purement institutionnelles bien loin d’une réflexion indispensable sur le sentiment commun d’appartenance au service public d’éducation et sur l’appropriation des valeurs qui le sous-tendent.

Encore beaucoup de flou sur les stages

Le texte dans la partie consacrée à « L’organisation des stages » qui concerne tous les concours montre les tensions qui existent entre les projets concernant les divers niveaux d’enseignement. Si on trouve l’indication : « Les stages suivis par les étudiants ne peuvent pas être une condition pour se présenter à une épreuve et ne peuvent lui servir de support », la phrase suivante y figure également : « Les stages effectués en milieu scolaire, indispensables à la formation progressive du métier représentent un atout certain pour les épreuves d’admission » et « les sages en responsabilité, rémunérés, seront proposés prioritairement aux étudiants admissibles ».

Il est clair, si l’on regarde les projets circulant, qu’il y aura dans les textes à venir d’énormes différences entre premier et second degré, et dans les CAPES, entre les disciplines.

On peut s’attendre dans cette logique à ce que le parcours d’un an « professeur des écoles » de préparation aux épreuves d’admission réservé au admissibles ressemble fort à l’actuel année de PE2 avec son stage filé, ses stages groupés, un mémoire en relation avec la pratique professionnelle, mais avec une grande différence : Ce seront des étudiants rémunérés aux jours de stages et non des stagiaires rémunérés chaque mois……….

L’année de titularisation après la réussite au concours

Le texte remis le 13 novembre soulève un certain nombre d’inquiétudes : « les lauréats des concours sont nommés professeurs stagiaires et prennent la responsabilité d’une ou plusieurs classes. Un tiers de l’année scolaire sera consacrée à parfaire leur formation professionnelle ». Rien n’est dit de l’organisation concrète de cette formation, de son pilotage, de ceux qui vont y intervenir ……

Concernant les contenus de cette formation, s il est indiqué « maîtrise de la classe, retour sur les pratiques professionnelles, découverte des autres niveaux d’enseignement », il est précisé : « pour les PE : formations en langues, à la pratique du sport, à celle des arts et à la musique ». Est-ce à dire que ces formations ne feront pas partie du cahier des charges concernant les épreuves d’admission !!!!! Pourtant, lors des stages en responsabilité prévus, les étudiants admissibles devront pourtant enseigner les matières concernées….

La titularisation ne semble plus être le fait d’un jury sous la présidence de l’autorité académique, puisqu’il est indiqué : « Les professeurs stagiaires seront titularisés par l’autorité académique compétente, au vu de leur manière de servir, sur proposition des corps d’inspection dans les premier et second degrés, après avis des chefs d’établissement dans le second degré. »

Quel calendrier ?

– « Définition début décembre des grands principes qui présideront à l’élaboration des maquettes de concours

– Projet de circulaire de cadrage des maquettes de master présentée au CNESER de décembre, puis publiée avant la fin de l’année

– Arrêtés régissant les épreuves des concours à paraître début 2010

– Les universités préciseront sur cette base leurs maquettes de masters qui feront l’objet d’échanges avec le ministère dès le début de l’année 2010 »

Jean-Louis Auduc

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