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Par François Jarraud

48 heures après la publication par le Café du cas de Mme A, une professeure enceinte qui a usé du droit de retrait alors que ses élèves étaient porteurs du virus H1N1, nous lui avons demandé comment a évolué son affaire.

Où en est votre dossier administratif ? Etes-vous toujours menacée de retenue sur salaire ? L’administration a-t-elle accepté votre retrait ?

Dès mardi, j’ai reçu une convocation du rectorat pour me rendre auprès du médecin conseil « afin de régulariser [ma] situation administrative ». J’y suis donc allée ; j’ai expliqué ma situation et le médecin m’a annoncé qu’il allait faire en sorte que celle-ci soit réglée, non pas avec un arrêt maladie, mais en m’accordant une autorisation d’absence rémunérée.

Etes-vous satisfaite de cette issue ?

Oui et non. Disons que je suis satisfaite pour mon cas personnel car l’administration a finalement reconnu la légitimité de ma démarche, même si je regrette que cela ait été si compliqué et que j’aie dû d’abord faire face à une dénégation assez obstinée. En revanche, je regrette que l’administration reste crispée sur la non-reconnaissance du droit de retrait dans ce cas. Car si « l’absence rémunérée » revient au même pour celui ou celle qui en bénéficie, elle présente le défaut de se faire au cas par cas en fonction de l’avis du médecin conseil du rectorat, alors que la loi sur le droit de retrait autorise tout salarié s’estimant dans une situation de danger « grave et imminent » à cesser le travail.

D’après vous comment se fait-il qu’un cas comme le vôtre ne se soit pas réglé plus tôt ? Pourquoi en arriver là ?

J’ai fini par identifier trois causes. La première se situe au niveau de l’établissement : un principal qui refuse obstinément de reconnaître l’existence de cas de grippe A dans son collège et nie l’évidence, alors même que plusieurs enfants ont fait des prélèvements qui se sont révélés positifs et que les parents me disent avoir déposé un certificat médical au collège ou avoir téléphoné pour signaler que leur enfant était porteur du virus.

La deuxième cause réside dans le défaut d’information envers les personnels, et particulièrement les personnels à risques : outre que la circulaire du 3 septembre est ambiguë, aucune information, aucune consigne n’a été donnée (en tout cas dans mon collège) aux personnes à risque pour leur dire quoi faire en cas de grippe A dans l’établissement. J’ignorais jusque là l’existence du médecin conseil, je ne savais pas que je pouvais prendre rendez-vous avec lui, ni dans quelle mesure il était habilité à résoudre ce type de problème.

La troisième cause me paraît plus grave encore : alors même qu’on nous dit (c’est dans une autre dépêche AFP parue aujourd’hui) que le nombre d’établissements scolaires ou de classes fermées est en hausse en France, et par ailleurs que l’Île-de-France est la région la plus touchée, il n’y a toujours aucune classe fermée, aucun établissement atteint dans l’académie de Paris, comme on peut le lire sur son site web. On dirait que le virus s’est arrêté au bord du périphérique, comme le nuage de Tchernobyl s’était arrêté aux frontières.

Dans une dépêche AFP, le ministère vous présente comme timorée. Pensez vous toujours que vous avez eu raison d’agir comme vous l’avez fait ?

Cette dépêche est à l’image de ce que j’ai vécu jusque là : la dénégation et le mensonge de l’administration. D’abord, elle prétend que j’étais vaccinée – ce qui n’était évidemment pas le cas au moment où j’ai demandé mon droit de retrait – et ensuite, elle laisse entendre une fois de plus qu’il n’y a pas de cas de grippe H1N1 dans le collège. Or non seulement j’ai pu me procurer les preuves écrites du fait que trois de mes élèves étaient atteints mais en outre, les parents l’ont signalé au collège. Un parent d’élève m’a même écrit : « L’infirmière scolaire a dit, au premier CA, qu’elle a eu la moitié du collège dans son infirmerie, juste avant les vacances de Toussaint, et qu’il y avait de fortes chances pour qu’une première vague de l’épidémie ait déferlé à ce moment là sans qu’il n’y ait rien d’officiel… ». Mais à moi, cette même infirmière a dit « Il n’y a eu aucun cas de grippe A au collège » et « les élèves mentent quand ils disent qu’ils ont eu la grippe A ». Cela, c’est le discours officiel.

La dépêche m’accuse aussi de « refus[er] d’aller voir un médecin, car pour [moi] c’est une affaire de principe ». Pour que je le refuse, encore faudrait-il qu’on me le propose, ce qui n’a pas été fait. Le syndicat qui est allé me défendre au rectorat m’a même rapporté ceci : « il nous a été dit que votre gestionnaire au rectorat vous avait appelée pour vous demander de contacter le médecin conseil du rectorat qui est habilité pour résoudre ce genre de désaccord, et que vous lui aviez répondu qu’il n’en était pas question », ce qui est inventé de A à Z : je n’avais eu aucun coup de téléphone du rectorat, et n’avais donc pas eu davantage l’occasion de répondre quoi que ce soit.

Enfin, je trouve choquante la comparaison qui est faite avec le cas d’« une vendeuse de grand magasin », qui serait « tout autant exposée et pourrait aussi user d’un droit de retrait ». J’ai plusieurs amies qui sont également enceintes au même terme que moi et qui travaillent dans le secteur privé, et toutes ont bénéficié d’une information et d’une prise en charge particulière destinée aux personnes à risque dans leur entreprise. On ne peut pas en dire autant de celles qui dépendent du rectorat.

Je pense donc avoir eu raison d’agir comme je l’ai fait, c’est-à-dire en faisant reconnaître la légitimité de mon retrait et en mettant en évidence par la même occasion les carences de l’administration.

Propos recueillis par François Jarraud

L’Expresso du 2 décembre