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Pour Education & Devenir la réforme du lycée ne répond pas aux attentes. C’est ce qu’affirment Françoise Clerc et Alain Boulineau dans cette tribune au vitriol, qui dissèque avec science la réforme Chatel. Ils relèvent les insuffisances du projet. Le rééquilibrage des filières leur semble un leurre, la nouvelle filière L présentant « peu d’intérêt au regard des exigences de l’enseignement supérieur ». »Il ne peut y avoir rééquilibrage entre série littéraire et scientifique lorsque tout l’enseignement littéraire fait parte du tronc commun et tout l’enseignement scientifique est considéré comme enseignement de spécialité » assènent-ils. La nouvelle série L ne serait qu’une reconstitution élitiste des ex humanités, mais dans un univers qui a beaucoup changé. On relèvera encore deux autres critiques : l’écart entre la réforme de la formation des enseignants et les exigences du tutorat mis en place en lycée; l’impasse faite sur l’évaluation, les pratiques pédagogiques et la place de l’élève dans une réforme que les auteurs voient décidément purement idéologique.


Très habilement le ministre de l’Éducation nationale tente d’exploiter une faille : en feignant de croire que la critique de la réforme des lycées se résume à une bataille pour le maintien de l’histoire géographie en terminale S, il tente de diviser l’opposition. Ne nous laissons pas intimider et réaffirmons les principes qui nous animent. Le débat ne porte pas sur l’éminente dignité d’un enseignement par rapport à un autre ou sur le nombre d’heures assigné à telle ou telle discipline. Les vraies questions concernent la conception des formations proposées au lycée et leur pertinence au regard des perspectives ultérieures offertes par l’enseignement supérieur – sous toutes ses formes -, des perspectives professionnelles et de la préparation des futurs citoyens à comprendre le monde pour y agir en cohérence avec les valeurs que nous défendons.


La réforme est présentée comme devant répondre à un certain nombre d’exigences parmi lesquelles : la découverte de nouvelles disciplines en seconde, la réorientation facilitée en première et le rééquilibrage des séries. Examinons ce qu’il en est.


La seconde : détermination ou « découverte de nouvelles disciplines » ?


La nécessité que la seconde soit une vraie classe de détermination est affirmée. Mais c’était déjà le cas avant. La question est de savoir si la présente réforme en proposant « des enseignements d’exploration » rendra enfin ce souhait effectif. Or, ceux-ci sont présentés comme de « nouvelles matières à choisir et à expérimenter » sans que leur soient assignés des objectifs spécifiques liés à l’exploration et sans que leur rôle dans la détermination soit précisé.


Seul le premier choix d’option est cohérent avec une détermination. Que les SES soient en option en seconde n’est donc pas choquant s’il s’agit d’une exploration préparant à la spécialisation de la série ES. En revanche, on aimerait savoir ce qu’est « l’économie appliquée ». L’économie, comme les sciences de l’ingénieur ou les sciences de l’éducation, est une science de la pratique et donc nécessairement appliquée. Pourquoi cette opposition ? En attendant, les programmes détaillés, il est difficile d’interpréter la dichotomie SES/économie appliquée et gestion. Mais on ne peut que se remémorer la critique faite sous le précédent ministre : les SES sont les filles de mai 68 et les professeurs s’inspirent trop d’Alternatives économiques pour faire leur cours. Il conviendra donc d’être vigilant et de vérifier que l’économie appliquée ne vise pas tout simplement à offrir une approche moins critique de l’économie.


Les autres enseignements d’exploration constituent un éventail hétéroclite dont on ne voit pas bien en quoi il prépare à choisir une spécialisation. L’identité des filières étant mal définie, en amont, la préparation au choix d’une spécialisation reste problématique. Nous regrettons que la 3ème de collège, dite d’orientation, et la seconde, dite de détermination ou d’exploration, n’aient pas été associées dans un même cycle qui aurait permis un véritable parcours de découverte sur deux ans.


On atteint ici la limite du dogme de l’enseignement au centre du système. La notion d’enseignement ne nécessite apparemment pas de plus ample éclaircissement car il se définit par ses contenus et peu par sa finalité formative et par ses objectifs. Il faudrait alors prendre en considération l’élève, ses stratégies d’apprentissage et ses buts. Le dogme amène à considérer les enseignements d’exploration comme ne différant pas fondamentalement des autres. Dans le cycle terminal seuls les enseignements de spécialité sont clairement distingués, ce qui reste dans la logique de l’enseignement au centre du système, la spécialité portant sur des contenus de renforcement disciplinaire une fois le choix de la voie accompli.


Cette faiblesse de la « détermination » telle qu’elle est prévue en seconde explique qu’elle soit poursuivie en première avec, cette fois des dispositions claires. Finalement la réforme arrive à traiter des élèves déjà déterminés et leur offre la possibilité de réviser leur choix. Elle est complètement démunie face aux élèves non déterminés. Autant pour les premiers elle parvient à fixer un cadre national minimum, autant pour les seconds elle renvoie tout à la responsabilité locale. C’est la manifestation d’un désintérêt flagrant (ou d’une incapacité ?) du ministère pour les populations les plus en besoin.


La réorientation est-elle facilitée en première ?


Les enseignements communs et des possibilités de modifier le parcours constituent une avancée intéressante. Le cadre est posé, il est de la responsabilité de l’établissement de lui donner corps en usant de son autonomie. C’est un domaine dont devra se saisir le conseil pédagogique, outil irremplaçable de l’autonomie pédagogique.


Mais si les enseignements communs constituent un cadre dans lequel les établissements peuvent œuvrer pour faciliter les réorientations, on imagine mal comment elles pourront se faire effectivement du fait de la conception même des séries et de la définition de leurs enseignements : un élève qui souhaitera passer de la série S à la série ES ne pourra rattraper sans redoubler un enseignement de 5 heures d’enseignement de SES ; de même, un élève qui souhaiterait passer de ES en S aura du mal à rattraper 6 heures d’enseignement scientifique. La seule filière susceptible d’accueillir facilement un élève venant d’ailleurs est la série L. Faute d’avoir choisi clairement deux mesures que nous avons préconisées – le lycée polytechnique regroupant toutes les voies du lycée et une organisation modulaire des enseignements – le redoublement reste le recours le plus probable pour une réorientation.


Les stages passerelles qui restent facultatifs et hors temps scolaire ont peu de chance de changer fondamentalement la donne. Ils ont un double objectif que nous considérons comme positif : correction de trajectoire et/ou remise à niveau. Cependant les modalités sont à discuter. L’élève, bien qu’à la veille de sa majorité citoyenne, n’y apparaît que comme objet. Il est réceptacle d’une proposition de stage qu’il a le droit d’accepter ou de refuser. Position somme toute passive, alors qu’il aurait dû être acteur dès le départ d’une analyse de ses besoins, analyse sans laquelle il n’aura pas le moyen d’évaluer l’intérêt des possibilités qu’on lui propose. Au collège, l’aspect contractuel du PPRE a été considéré comme un gage d’efficacité. Avec un élève plus âgé ne serait-ce plus le cas ?


D’une manière générale, la « responsabilisation » des lycéens ne porte pas sur leurs études. L’accompagnement, mesure phare de la réforme positive dans son principe, est présenté comme devant apporter un soutien, permettre d’approfondir les connaissances, donner des méthodes, sans jamais mentionner une quelconque initiative véritable des élèves. Dans ces conditions, il risque de n’être qu’un simple outil à la disposition et au choix de l’équipe pédagogique. En conséquence, on voit mal comment les élèves pourraient acquérir une autonomie, si importante dans les études supérieures.


Les séries sont-elles rééquilibrées ?


Le rééquilibrage des séries ne nous semble pas acquis, ni en ce qui concerne le contenu des formations offertes, ni en ce qui concerne l’horizon post-bac.


La série S reste la série dominante par la variété des spécialités proposées, mais aussi par l’intérêt et la valeur sociale et économique des débouchés qui s’offrent à elle dans l’enseignement supérieur : sciences de la matière, sciences de la vie, médecine/santé, mathématiques, informatique, sciences de l’ingénieur. La série ES présente une certaine cohérence, même si les débouchés (sciences de l’homme, pratiques sociales, économie) sont nettement plus aléatoires, aussi bien en termes de formation qu’en termes d’insertion professionnelle. Il reste que certains secteurs d’activité concernés sont en développement et offrent éventuellement des perspectives intéressantes.


La filière L demeure le parent pauvre. Les points forts de la spécialisation annoncés pour la série ne sont que des options. Aucune de ces options n’est intégrée dans un ensemble d’enseignements susceptibles de donner du sens à son choix :

le droit offre d’intéressantes perspectives mais comment faire du droit sans avoir une formation minimale en sciences sociales ?

les mathématiques appliquées, en l’absence de précision sur les domaines d’application et donc d’un projet de formation consistant, il est difficile de déterminer leur contenu (outils d’analyse de données numériques, statistiques… ?) ; il faut remarquer qu’au lieu de 3 heures de mathématiques obligatoires et 3 heures possibles en spécialité, un élève de la série L pourra désormais ne plus avoir aucun enseignement dans cette discipline…, ce qui constitue une mesure parfaitement démagogique;

les enseignements artistiques représentent une authentique spécialisation mais ils ne sont pas intégrés dans un ensemble cohérent d’enseignements en rapport avec la réalité des formations supérieures correspondantes, (entrée dans les préparations aux écoles de musique, d’art, d’arts appliqués, d’arts graphiques, d’art dramatique, etc.).


En résumé, il ne peut pas y avoir rééquilibrage entre série littéraire et scientifique lorsque tout l’enseignement littéraire fait partie du tronc commun et tout l’enseignement scientifique est considéré comme enseignement de spécialité. La hiérarchie est maintenue dans les esprits en faveur de la série scientifique, car quel est l’enseignement de choix, sinon celui qui porte sur des spécialités et non sur le tout commun ?


Quelle est la pertinence des formations offertes au lycée ? faux-semblants et fausses querelles


Il faut prendre acte du déclin de la filière L

L’option littérature et monde contemporain en seconde, intéressante pour préparer à la série L, du fait de la conception de cette série dans le cycle terminal amorce la possibilité d’un parcours totalement inféodé à la littérature. En première, un élève de L aura, selon ses choix d’option, environ 1h30 de cours en moins que les élèves de la série S et une heure de moins que ceux de la série ES. Nous saluons la réduction des horaires : c’était une décision nécessaire. Mais, là encore, il est à craindre que l’opinion n’y voie un indice de dévalorisation et que les familles n’y voient un critère de non choix.


Plus grave, la formation L présente peu d’intérêt au regard des exigences de l’enseignement supérieur. Un élève de L pourra ne suivre aucun enseignement de mathématiques appliquées et de SES qui le prépareraient à une entrée dans des cursus de sciences de l’homme dans l’enseignement supérieur. Il est en effet possible d’imaginer un parcours de spécialisation du type suivant :

2h de littérature française + 2h de littérature étrangère + 3h d’une option langue vivante ou langue ancienne (pardon, de l’Antiquité comme si toute l’antiquité parlait grec ou latin) soit : 7 h de spécialisation

qui s’ajoutent à 4h de français + 4h30 de langues vivantes 1 et 2 en enseignements obligatoires, soit en tout 15h30 d’enseignements « littéraires » sur 26h30 au total.

C’est absolument déraisonnable quand on sait que tous les enseignements du supérieur requièrent désormais, même dans les domaines des sciences de l’homme, des compétences scientifiques et mathématiques (ex : en psychologie il faut apprendre de la biologie, en sciences de l’éducation et en sociologie des statistiques, les historiens ont de plus en plus recours aux outils de la sociologie etc.). Seules restent possibles les études de lettres et de langues dont les débouchés sont faibles si elles ne sont associées à d’autres formations comme le sont, par exemple, les licences de langues étrangères appliquées.


Les « arts du cirque » se taillent une part confortable dans les horaires parmi les options possibles de la spécialisation avec 8 heures, alors que les arts, qui peuvent conduire vers des carrières difficiles mais gratifiantes, ne disposent que de 5 heures. Que feront les jeunes qui auront consacré deux fois 8 heures au cirque en première et en terminale et, du coup, auront fait l’impasse sur d’autres enseignements ? En revanche, la possibilité de faire du droit en terminale apparaît comme positive – à condition, bien entendu, de choisir cette option.


Outre la difficulté que les bacheliers L rencontreront pour réussir dans l’enseignement supérieur avec un bagage aussi léger, nous devons aussi prendre en considération la difficulté à comprendre le monde contemporain où il ne suffit pas de savoir parler ; il faut parler de quelque chose et de quelque chose que l’on a compris. Il faut donc disposer des outils mentaux pour décrypter un monde totalement infiltré de sciences et de techniques et dont les enjeux majeurs se situent désormais dans la compréhension scientifique des phénomènes humains et de la nature. Ce n’est pas un vague « enjeux du monde contemporain » qui pourra y préparer.

La série L opère un retour vers une conception qui se voulait élitiste du lycée – celle des humanités – mais qui, du fait de l’évolution des savoirs et de l’émergence d’enjeux nouveaux dans le monde contemporain, est devenue complètement archaïque. Traditionnellement, les humanités recouvrent le champ de la littérature (fiction, poésie, langues anciennes, philosophie, histoire événementielle et hagiographie des grands hommes à des fins d’édification). Or, ce champ, hérité de la Renaissance, n’a plus de pertinence en tant que contenu de formation, d’une part parce que les valeurs humanistes font désormais partie de intégrante de toutes les formations (Andrée Tiberghien, CNRS, parle « d’humanités scientifiques »), ensuite parce que l’épistémologie sous-jacente est dépassée. Nées en 1994, les séries actuelles reposent sur des représentations des domaines du savoir et des champs d’activités économiques qui sont devenues obsolètes. Il apparaît de plus en plus évident qu’une série uniquement dédiée à des études littéraires, même avec un renforcement des langues étrangères et une option artistique, n’a plus véritablement de sens.


L’enseignement de l’histoire-géographie : un faux débat pour une vraie question


Bien évidemment se pose ici la question de l’histoire – géographie. C’est un combat perdu pour ceux qui sont le plus intéressés à la définition d’une filière littéraire suffisamment spécifique que de camper sur l’idée que toutes les disciplines littéraires doivent rester jusqu’au bout dans un tronc commun. Conserver l’histoire – géographie dans sa forme habituelle dans toutes les terminales et ajouter en série littéraire un enseignement spécifique préfigurant l’université serait, comme d’habitude, choisir la solution de l’empilement, où la défense du contenu efface le besoin de l’élève. C’est le même enseignement qui doit être donné en histoire – géographie tant que la discipline est au tronc commun, jusqu’en première, avec la même évaluation pour la certification finale. C’est logiquement un enseignement spécifique qui est donné en terminale.


Le débat très animé – d’autant plus animé qu’il s’agit de la série S – autour de l’absence de l’histoire-géographie en terminale S est mal engagé. Il est d’autant plus mal engagé que, dans les discussions, est oublié l’enseignement de la géographie, traditionnellement lié en France à celui de l’histoire. Si ce lien est intéressant pédagogiquement, il n’en demeure pas moins que la géographie conçue comme une science de l’interface homme/monde, est de fait un enseignement de spécialité pour qui prétend à des carrières qui impliquent des savoirs et une réflexion critique sur la manière dont l’homme s’approprie son espace et le transforme.


Nous sommes résolument opposés à l’alourdissement des horaires d’enseignement. Pour autant, l’inculture des étudiants scientifiques concernant l’histoire des sciences et des idées et les enjeux de l’évolution des savoirs est préoccupante par ce qu’elle implique de naïveté quant aux répercussions humaines des progrès de la science. L’enseignement de philosophie en S, comme dans les autres séries, pourrait permette aux élèves de construire des références constructives et critiques pour analyser les activités auxquelles ils se destinent. Bien que commun, cet enseignement deviendrait donc dans ses objectifs et son contenu, un enseignement de spécialité.


Au lieu d’être organisée autour de cinq thèmes à visée encyclopédique, communs à toutes les séries, la philosophie gagnerait à aborder des problématiques spécifiques aux séries. Elle y gagnerait en intérêt pour les élèves et autoriserait des sujets plus mobilisateurs au baccalauréat. En S par exemple, la philosophie pourrait se centrer sur des problématiques liées à l’épistémologie et à l’histoire des sciences et des techniques ; en ES, elle pourrait intégrer des problématiques liées à la politique et à l’épistémologie des sciences de l’homme, en L elle pourrait donner une large place aux questions d’esthétique, etc. Une bonne articulation entre cet enseignement et l’ECJS permettrait une approche concertée des problèmes auxquels seront confrontés les futurs citoyens dans leur vie professionnelle, citoyenne et privée.


Le nouveau lycée va-t-il mieux préparer à l’enseignement supérieur ?


Dans cette optique, la réforme comporte une incohérence de taille : la place des TPE. En amenant l’élève à réunir des connaissances diverses pour élucider une problématique pluridisciplinaire bien définie, mais nouvelle pour lui, on le confronte à des pratiques d’apprentissage qui seront celles de l’enseignement supérieur. Dans ces conditions, installer les TPE en première et non en terminale est un brouillage total du sens qui les condamne à terme. Pourquoi ? Parce que l’idée a été défendue par une autre majorité politique ?


La logique de l’actuelle réforme implique une discontinuité entre la première et la terminale qui remet en cause l’actuelle conception des cycles (cycle de détermination, cycle terminal) et conforte le baccalauréat comme porte d’accès à l’enseignement supérieur et non comme simple bilan du lycée. Il s’agit d’une des voies possibles pour mieux préparer les lycéens à l’enseignement supérieur. La conséquence directe de ce choix serait d’introduire des approches nouvelles utiles pour renforcer leur autonomie dans les études post-bac.


Le fait que les universités n’aient pas été mobilisées pour élaborer des propositions dans ce sens nous semble dommageable. Reste un débat qui n’a pas eu lieu, notamment parce qu’il a des implications importantes dans l’organisation des universités (« secondarisation » ou non des études en L1 et L2, « secondarisation » qui fait le succès des classes préparatoires ; recrutement d’agrégés au risque de détruire des postes d’enseignants chercheurs, etc.) : ne serait-il pas opportun d’introduire à l’université, une dose de pratiques pédagogiques semblables à celles dont bénéficie le lycée pour accompagner les élèves dans leur parcours de formation et dans leurs stratégies d’apprentissage ? l’accompagnement n’est-il pas, dans son principe, plus approprié que « la méthodologie universitaire » ? Que le débat soit difficile ne devrait pas empêcher de mener une réflexion et de peser les avantages et les inconvénients ,dès lors qu’il s’agit d’assurer de bonnes conditions d’apprentissage aux étudiants.


La question de l’autonomie de l’élève et de sa responsabilité se retrouve posée avec le tutorat


Installer officiellement un tutorat est une décision très positive. Mais son efficacité dépendra des réponses apportées à deux questions.


En premier lieu, comment va-t-on articuler tutorat et accompagnement spécialisé ? L’impression qui apparaît d’abord est celle d’une juxtaposition sans liens clairs : accompagnement et tutorat sont abordés indépendamment l’un de l’autre. On se penche sur les modalités, sur les acteurs divers, mais pas sur l’élève lui-même. Quelle place a-t-il ? Quel rôle joue-t-il ?


Cette impression est accentuée par la désignation des acteurs auxquels le tuteur ne doit pas se substituer. Certes, on voit bien les inquiétudes qu’il s’agissait de calmer face aux risques de chevauchement entre les interventions des divers acteurs. Mais la bonne réponse n’aurait-elle pas été d’être plus explicite sur les collaborations (et non sur les concurrences) ? N’aurait-elle pas été de donner à l’élève un rôle plus actif ?


Une répartition des rôles et une articulation des interventions pourrait prendre la forme suivante : le tuteur se charge d’aider l’élève à analyser ses besoins de formation, de préparer avec lui les réponses possibles, d’arrêter ensuite avec tous les acteurs concernés (lycéen, parents, enseignants) leur mise en œuvre. Les réponses sont organisées dans un cadre contractuel où, aux modalités proposées en sa faveur, l’élève répond par un engagement sur des objectifs précis. Il n’y a plus alors juxtaposition, mais un ensemble cohérent où les différentes modalités s’épaulent pour atteindre un but connu, où les risques de dérive sont diminués. En particulier, on limiterait ainsi le risque d’un soutien inopérant parce que mal ciblé ou d’un approfondissement qui se transformerait en cours supplémentaire.


La réforme comporte un chapitre sur la responsabilisation des lycéens. On s’est déjà étonné de l’absence de toute référence à la mise en responsabilité du lycéen dans le domaine central qu’est l’activité pédagogique. Le projet n’envisage la responsabilisation du lycéen que dans un cadre vague : quelles sont les nouvelles formes d’expression des lycéens ? quel est le nouveau fonctionnement des instances ? La formation et le guide des délégués existent déjà. Les responsabilités offertes à l’intérieur de l’établissement ne sont qu’affaire de circonstance, alors qu’on aurait dû plus clairement affirmer le rôle que peuvent assumer certains lycéens par exemple dans le tutorat.


Dans quel cadre de certification réelle apprécier les engagements individuels lorsqu’on décide de ne rien changer à la certification centrale qu’est le baccalauréat ? Nous rappelons que nous avons préconisé l’instauration d’un porte feuille de compétences qui ne se réduirait pas à une série de tableaux avec des cases à cocher (et qui, comme les livrets individuels de compétences dans certains collèges, donnent lieu à un traitement informatique). Bien au contraire, le porte feuille de compétences doit être la mémoire de ce que les évaluations académiques ne reconnaissent pas, dans tous les domaines, notamment celui de la construction des savoirs (TPE par exemple). Il ne devrait pas seulement se situer à la périphérie de la vie scolaire. Il devrait fournir des éléments objectivables – des activités réellement effectuées – pour une meilleure orientation dans l’enseignement supérieur. Il devrait aussi être une véritable préparation à la vie professionnelle et une entrée active dans la logique de validation de l’expérience.


La mise en œuvre de la réforme a-t-elle été correctement anticipée ?


Tout ceci implique un mode de formation des enseignants qui ne relève pas de la seule formation continue, comme le prévoit la réforme. Les évolutions sont suffisamment importantes pour être introduites dès la formation initiale et faire partie du profil de recrutement. Après, il sera trop tard pour certains. Malheureusement, la « masterisation » va dans un sens totalement opposé et on peut se demander quelle est la volonté politique réelle, face au grand écart qui va séparer le recrutement de l’exercice effectif la profession telle qu’elle est actuellement prescrite.


De quelle manière va s’exercer la responsabilité pédagogique de l’EPLE autonome ? Nous souscrivons à l’assouplissement qui consiste à attribuer les heures de dédoublement sous forme d’une enveloppe dont l’établissement décide de l’utilisation. Mais l’expérience passée montre quels sont les obstacles à franchir.


Le premier est purement gestionnaire, mais important. Si les rectorats continuent à calculer cette enveloppe « à la structure » et non globalement, c’est-à-dire en présupposant la répartition par classe de l’effectif des élèves, et donc les classes dédoublables ou non, beaucoup d’établissements n’utiliseront pas leur marge d’autonomie et en resteront au schéma théorique rectoral, soit par facilité, soit par crainte (non dénuée de fondement) de voir l’autorité académique contester leur choix à la première difficulté.


Il faudra également clarifier le fonctionnement des instances et préciser les rôles : conseils de classe, conseil pédagogique, commission permanente, conseil d’administration… Le message officiel est lui-même parfois brouillé. Il revient au conseil pédagogique de centraliser les besoins des élèves repérés lors de l’accueil de rentrée et de coordonner les réponses adaptées proposées par les équipes. Il prépare ainsi la politique pédagogique, dont fait partie l’accompagnement, que le conseil d’administration fixe au nom de toute la communauté scolaire. Le conseil pédagogique prépare donc, dans le domaine pédagogique, les décisions que le conseil d’administration doit prendre. En outre, le conseil pédagogique, avec le chef d’établissement, assure le suivi et l’évaluation de cette politique. L’ambiguïté est que, dans les faits, le conseil pédagogique est appelé à entrer sur le terrain de la commission permanente (autre CP), chargée jusqu’ici de « l’instruction de ce qui relève de l’autonomie de l’établissement ». Il semble que personne ne s’est posé la question de l’articulation entre les deux CP.


Enfin, et comme toujours, une dimension reste totalement absente : l’évaluation de la mise en place de la réforme.


Encore une réforme qui passe totalement sous silence la question de l’évaluation des élèves et qui érige les pratiques actuelles en seules pratiques possibles, à commencer par la forme de l’examen final.


Encore une réforme dont on ne se donne pas la peine de prévoir comment en évaluer les effets et donc en prévoir l’avenir. Mais à quoi servirait d’évaluer ce qui en grande partie repose sur des présupposés idéologiques ?


Alain Boulineau et Françoise Clerc

Éducation & Devenir