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Auteur d’un livre phare,  » Pour une éthique de l’inspection » (ESF 2000), Dominique Senore plaide en faveur de la charte éthique élaborée par un syndicat d’inspecteurs, le SNPI/FSU. Il le fait sans naïveté : passer du texte à son application ne sera pas chose aisée…

Je me réjouis de lire la Charte des inspecteurs pédagogiques proposée par le syndicat national des personnels d’inspection « Pour une éthique des corps d’inspection ».

Ce texte adopté le 18 mars 2010 représente une très belle avancée pour notre profession. Il mérite d’être largement diffusé et commenté. Je me réjouis aussi de ce que je lis dans le préambule : Il appartient à chacun de s’en saisir aussi positivement que possible. En même temps, ce « aussi positivement que possible», je dois bien l’avouer, m’inquiète un peu… L’idée même, à géométrie variable, peut en effet conduire à des petits arrangements et les un/e/s et les autres pourraient s’en saisir a minima, voir en tordre le principe, rendant toujours aussi difficile les relations professionnelles entre un professeur et son supérieur hiérarchique.

Je suis amusé et content que Pierre Frackowiack, cet inspecteur à la retraite, grande figure de l’autre syndicat d’inspecteurs et défenseur de l’école des pédagogues, comme il l’a annoncé à Dominique Momiron, soit invité par le SNUIPP pour travailler auprès des enseignants lors de journées d’information syndicale portant sur l’évaluation de leurs pratiques… Il commentera positivement notre charte, c’est certain et on a toujours besoin d’une voix extérieure pour nous aider à mieux faire comprendre ce que l’on souhaite : faire bien notre métier et aider les enseignants à mieux le faire ; à le faire le plus sereinement possible.

L’inspectrice et l’inspecteur peuvent-ils devenir, enfin, les amis vigilants des enseignants ?

Nous avons besoin de nous référer à une charte, je l’ai écrit et demandé cela fait maintenant 10 ans [1]… Je sais qu’il reste du chemin à faire, des arguments à développer, des preuves à fournir pour que les inspectrices, les inspecteurs et les enseignants fassent alliance, non pas contre mais, bien au contraire, pour… Pour l’apprentissage et la compréhension de chacun des élèves dont ils ont la responsabilité. Aussi, pour que ce texte important ne soit pas « qu’un joli petit bout de papier qui ne sert qu’à satisfaire celles et ceux qui l’ont rédigé » (ce qui n’est déjà pas si mal !), il me semble nécessaire que les uns (les inspecteurs) et les autres (les professeurs et CPE) s’en emparent et définissent, pour chaque article, des attitudes et des comportements observables qui soient acceptables et acceptés des uns et des autres. C’est par un travail en commun d’échanges que nous parviendrons à changer.

Je terminerai en relatant cette discussion dont m’a fait part, il y a peu, un collègue en colère… Elle se passe entre une jeune professeure et son inspectrice. La première phase de l’inspection (l’observation) est terminée. Elle fut une première fois repoussée car la jeune professeure était malade le jour où son inspectrice avait projeté de faire sa visite. L’inspectrice va conduire l’entretien quand la jeune titulaire prend la parole :

– « Je voulais vous présenter mes excuses, madame l’inspectrice, une fois encore. Je sais que votre emploi du temps est chargé mais j’étais très malade et arrêtée par mon médecin quand vous avez voulu venir, la dernière fois…

– Mademoiselle, quand vous serez inspectrice, c’est vous qui conduirez les entretiens. Pour le moment, c’est moi l’inspectrice, je vous prierais de me laisser procéder comme je l’entends ! »

Peut-on dire que l’inspectrice a « Présenté et expliqué sans ambiguïté les objectifs et les modalités de ses actions » (article 2b) ? S’est-elle montrée en capacité de, « Prendre soin dans ses appréciations et avis exprimés sur les pratiques professionnelles de ne pas porter atteinte aux personnes » (article 2f) ? En tous les cas, il me semble évident et l’inspectée pourrait le confirmer, qu’en aucun cas ce supérieur hiérarchique n’aura été capable de « Pratiquer le dialogue interactif et prendre le temps nécessaire à l’écoute et à la compréhension de son interlocuteur » (article 2c). Ce n’est là, certes, qu’un exemple. Mais il en existe d’autres, suffisamment nombreux pour nous alerter et pour exiger que cette charte soit diffusée, commentée largement et mise en actes.

Le nier ou faire comme si cela n’existait pas serait catastrophique pour l’École de la République, celle de la reconnaissance inconditionnelle de l’Autre en tant que professionnel et interlocuteur valable, celle de l’acquisition des connaissances. Il nous faut accepter d’entendre et de nous pencher, sérieusement sur des solutions pour éradiquer ces comportements et laisser place à d’autres pratiques, toutes, celles-là, respectueuses des professionnels et des personnes. Écouter et comprendre avant de faire comprendre ! Telle devrait être l’une des devises de l’inspecteur. La charte ne fera pas tout mais peut aider à la réflexion.

Car bien sûr, je ne suis pas naïf et je sais bien que « la voix savante », vous savez bien, celle qui sait toujours tout avant tout le monde, va s’élever, si ce n’est déjà fait, pour asséner : « votre charte, c’est un peu comme si vous réécriviez la déclaration universelle des droits de l’Homme ! C’est beau, mais dans la réalité, personne n’en tient vraiment compte et c’est utopique…». Aussi j’espère que nous pourrons discuter ce beau texte et penser sa mise en oeuvre, sereine et efficiente, avec l’ensemble des collègues de la FSU (SNUIPP, SNES, SNEP, SNUEP, SNESUP, SNUPDEN), mais aussi, plus largement, avec l’ensemble des professionnels et partenaires de l’enseignement, de l’éducation et de son encadrement.

Dominique Sénore

Articles de D Senore dans le Café :

Parents et profs : défiance ou alliance ?

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/laclasse/Pages/2009/10[…]

Dans le dossier « Evaluer les enseignants »

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lesysteme/Pages/2009/10[…]

Voir aussi la tribune de P Frackowiak : « Inspection un grand corps malade »

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lesysteme/Pages/2010/11[…]



[1] Dominique Sénore, Pour une éthique de l’inspection, ESF, 2000.