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« Aider les enfants à entrer dans le monde, c’est faire le bon dosage entre plusieurs types d’activités très différentes, dont chacune contribue au développement. Mais entre « épanouissement » et « apprentissage », ses choix sont clairs.
Epanouir, faire apprendre, faux débat ?

remeryL’Ecole, comme la crèche, sont des milieux d’apprentissages, mais sans doute la crèche ne se pose pas les questions de la même manière. Dans chaque institution, on se pose la question de concilier ce qu’il y a de collectif et ce qu’il y a d’individuel, et c’est en soi un problème professionnel. Dans notre milieu franco-français, la maternelle est définie par la Loi. Symboliquement, c’est important, et signifie qu’un niveau très élevé dit ce que doit être la maternelle. « favoriser l’éveil de la personnalité », « développer les potentialités », « épanouir leur personnalité naissante », « prévenir les difficultés », « dépister les handicaps », « compenser les inégalités », « préparer les apprentissages fondamentaux », « apprendre les principes de la vie en société »… Tout un programme…
remeryEpanouir est un mot souvent prononcé quand on parle de la petite enfance… Mais « épanouir » n’appartient pas au vocabulaire scientifique. Il faut aller dans des « connotations métaphoriques horticoles », où les corolles de fleurs s’ouvrent dans un joli moment… L’épanouissement est vu comme positif, entier, spontané, joyeux, voir riant, quand l’apprentissage a un aspect rébarbatif, venant de l’extérieur, contraint…
« Cela me trouble beaucoup » précise V. Bouysse, « et je voudrais ici valoriser les apprentissages, les processus et les contenus illimités qu’ils offrent, et dépasser la culture des oppositions stériles entre le jeu et le travail, le ludique et le sérieux… Si les adultes que nous sommes ne sont pas capables de le dépasser, nous ne sommes peut-être pas de bons tuteurs pour les faire avancer dans la vie… »
« Ni caserne, ni petite Sorbonne« , disait déjà Pauline Kergomarrd en 1881. « Ni garderie, ni école élémentaire » dit-on cent ans plus tard. La définition est souvent en creux, comme deux repoussoirs pour définir la maternelle. Eric Plaisance, commentant en 1986 les rapports d’inspection, constatait un basculement du modèle éducatif de la maternelle, qui passait d’un modèle valorisant les productions des enfants, à un modèle « expressif » valorisant la possibilité offerte aux enfants de s’exprimer par différentes modalités, corporelles ou plastiques… C’est la preuve que d’autres images, d’autres discours étaient passés dans la société. Certains parents avaient entendu ces discours, et l’école maternelle s’ouvrit alors à de nouvelles catégories sociales, les classes moyennes y trouvant l’occasion d’en faire profiter leurs enfants. L’évolution des enseignantes de l’école maternelle alla de pair, et renforça parfois les connivences avec ces « nouveaux parents » des écoles maternelles.
Mais les familles des milieux populaires attendent plutôt de l’école maternelle qu’on y travaille.
Et nous sommes aujourd’hui dans cette période où on doit gérer une tension entre trois approches :
– valoriser l’enfance pour elle-même, son bonheur et son insousiance,
– développer l’enfant au maximum de son « potentiel » pour ne pas « gâcher ses chances »,
– prévenir l’échec et la difficulté « pour la suite », dans une société où « réussir à l’Ecole » est devenu indispensable pour s’insérer socialement.
Peut-il y avoir épanouissement sans apprentissage… ?
remeryPour V. Bouysse, l’épanouissement ne peut qu’être synonyme de développement. « Acquérir du pouvoir de faire, et prendre conscience qu’il peut faire des choses tout seul, c’est se transformer, acquérir des capacités nouvelles, plus performantes ». Nombre de ces « besoins » ne sont pas naturels, mais culturels, secondaires, liés au milieu où l’on vit. « L’épanouissement n’est donc pas la satisfaction des besoins primaires » réaffirme avec force l’oratrice. Les apprentissages du bébé sont dépendants du contexte dans lequel il vit, des stimulations et des réponses qu’il reçoit. Il apprend de manière incidente, sans que l’entourage ne le programme explicitement, strictement. On soutient les avancées, on aide à aller plus loin. C’est ce qu’on fait en crèche, ou avec les plus petits de l’école maternelle. Mais l’école maternelle a vocation à préparer l’enfant à d’autres modes d’apprentissages, et c’est pour cela qu’elle existe. Faire apprendre des choses qui seront utiles après, mais aussi faire apprendre des attitudes qui permettront d’apprendre. Ces « apprentissages programmés », avec des échéances bordées, organisent le temps du devenir-élève, progressivement, dans un processus lent. « Il faut certes parler aux enfants de ce qui les intéresse, mais aussi les rendre capable de s’intéresser à ce qui intéresse les autres« … Renoncer progressivement à la toute-puissance du « je veux », c’est sans doute le programme de la maternelle.… ou apprentissage sans épanouissement ?« Il existe sans doute, malheureusement, des conditions d’apprentissage qui méconnaissent les besoins premiers à satisfaire pour que l’enfant soit disponible pour apprendre : sécurité, repos, mouvement, jeu, relation, expression… « Pour l’inspectrice générale, quand on ne respecte pas les personnes, on grégarise, on construit du repli. Nombre d’exigences prématurées qui font croire aux enfants qu’ils sont incapables de faire lui semblent préjudiciables. « L’art de la maternelle, c’est l’art du dosage ». Ce qui lui semble funeste, à la fin de la maternelle, ce n’est pas que tous ne sachent pas distinguer les phonèmes, mais qu’ils aient déjà construit la conscience d’avoir des « difficultés », induisant perte de confiance, manque d’estime de soi et refus de grandir. Mais l’inverse est aussi vrai, contre-t-elle immédiatement :  » Faute de défi à leur mesure, ils ne construisent pas forcément l’idée qu’on attend quelque chose d’eux, et qu’ils peuvent s’y engager« . La difficulté est donc de se mettre à portée, juste dans la zone de développement proche, mais aussi prendre garde aux objets d’apprentissages tout en ne « racornissant pas l’Ecole au français et aux mathématiques, même si on c’est là que se joue l’essentiel pour légalité des chances ». Variété, modalités adaptées, recherches, expérimentations, résolution de problèmes, imprégnation et transmission culturelle, activité dirigées sont autant de domaines qui contribuent à mobiliser ce qu’on sait, apprendre à comprendre, se mettre en relation avec les autres…

La salle bruisse lorsqu’elle aborde le point chatouilleux de l’évaluation. « Les supports ne valent que par la manière dont on s’en empare avec les enfants, en mettant ou non l’accès sur les progrès, les acquis. Tous les signaux que nous pouvons donner sont à leur renvoyer, même si c’est minime ». Mais il ne faut pas non plus les leurrer, et les aider à prendre conscience des écarts, de l’intérêt de faire des efforts, « A un moment, le fait de ne pas entériner qu’un E écrit à l’envers soit correct peut être nécessaire, selon moi… ». Pour celà, l’harmonisation des normes éducatives en vigueur dans l’Ecole lui semble importante : ce qu’on a le droit de faire ou pas, la manière d’utiliser les locaux ou le matériel, dans les différents temps de l’Ecole peut poser problème. Cela passe sans doute, comme le dit Lahire, par la nécessité d’échapper à la « double solitude » de l’enfant lorsque les attentes de l’Ecole et de la famille ne sont pas partagées, échangées.

La salle applaudit, longuement. Viviane Bouysse est coutumière…