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Par Jeanne-Claire Fumet

Lundi 29 mars 2010, Luc Chatel a présenté un plan pour prévenir l’illettrisme et susciter le goût de la lecture lors de sa visite au Salon du livre. Le ministre reprend à son compte les conceptions traditionnalistes de Xavier Darcos sur l’apprentissage de la lecture qui valorise le par cœur, la mémorisation de mots hors contexte, la récitation. Mais c’est en s’appuyant sur des fondations privées (Total, Fondation Bettencourt Shueller…) qu’il entend soutenir l’action d’associations comme l’Apfee. C’est la seule nouveauté de la journée.

Maîtriser les savoirs fondamentaux, et surtout la langue française, voilà pour Luc Châtel l’enjeu qui doit guider l’école et ses partenaires face à un problème encore lourd en France : encore 3,8 millions d’illettrés en France (9% de la population) – 21% de lecteurs inefficaces repérés à la JAPD, même si l’analphabétisme semble désormais jugulé. Or c’est un handicap douloureux, souligne le Ministre, parce que honteux et caché. Sans méconnaître la valeur du travail des enseignants, Luc Châtel s’élève contre un état de fait auquel il juge de sa responsabilité de remédier. Mais comment résoudre ce problème récurrent sans y consacrer de moyens onéreux ? Recourir aux ressources externes, voilà semble-t-il la clé du projet ministériel : mécénat, associations rompues aux pratiques bénévoles, tous les acteurs mobilisables de la société civile sont pressentis pour contribuer à la cause.

Au terme de concertations menées avec des experts du monde des Lettres et de l’éducation, dont l’académicienne Hélène Carrère d’Encausse, le linguiste Alain Bentolila, l’ancien ministre Luc Ferry, Bruno Racine, membre du Haut conseil de l’éducation, l’écrivain Alexandre Jardin, ou Marie-Thérèse Geffroy, présidente de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme, le ministre retient deux directions : une action précoce de prévention et un accompagnement tout au long de la scolarité pour garder à la lecture la valeur d’un plaisir et pas d’une contrainte. Pour lui, la réforme Darcos de la maternelle (2008) n’est pas en cause : au contraire, il réaffirme le recentrage sur les apprentissages fondamentaux et conforte le rôle de l’école maternelle comme « véritable école ».

La méthode annoncée s’inscrit dans le sillage de la plus pure tradition : apprentissage méthodique du vocabulaire, pour réduire les écarts liés à l’origine familiale et au milieu social, entre 150 à 700 mots acquis en fin de maternelle, ce qui crée de lourdes disparités ; stimulation de la mémoire mécanique, par l’apprentissage par cœur de textes ou de chansons, en maternelle et au-delà ; lecture à haute voix de grands textes littéraires, pour les sensibiliser au plaisir de la lecture et favoriser la concentration. L’aide personnalisée, instaurée par la réforme de 2008, devra être davantage recentrée sur ses tâches et l’acquisition des fondamentaux.

En primaire, il s’agira de consolider les acquis : répétition, récitation par cœur, en particulier des tables d’opération et des conjugaisons, pour installer les automatismes (c’est le sens de la circulaire de rentrée), mais aussi favoriser la lecture à voix haute, du maître et des élèves. La part des activités de l’accompagnement éducatif consacrée à l’acquisition des savoirs fondamentaux devra être là aussi renforcée. Tous les efforts doivent être recentrés sur l’essentiel.

Luc Châtel entend mobiliser tous les acteurs de la vie éducative : les familles (grâce aux médiateurs de vie scolaire), les responsables administratifs (un correspondant en charge de l’illettrisme auprès de chaque Recteur) et l’intervention accrue des partenaires anciens et nouveaux issus de la société civile. C’est d’ailleurs le sens de la signature, à l’occasion de cette conférence, de trois accords de partenariat : l’un avec l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme, représentée par Marie-Thérèse Geffroy, dont le ministre veut faire mieux connaître les ressources auprès de ses propres services, et développer les « échanges de bonnes pratiques » qu’elle soutient ; avec l’Association pour favoriser une école efficace, le ministre s’adjoint quatre mécènes de poids (Fondation Bettencourt Shueller, Rotary International, Caisse des Dépôts et Fondation Total ). Une déclaration d’intention, enfin, signée avec la Ligue de l’enseignement (représentée par Jean-Marc Roirant), doit soutenir des ateliers de lecture, résidences d’écrivains et rencontres autour du livre.

En conclusion, le ministre affirme son soutien à quatre projets qu’il juge exemplaires : le dictionnaire de l’Académie de Créteil, constitué par des élèves sous l’égide de l’Académie française, représentée par Hélène Carrère d’Encausse, l’opération d’Alexandre Jardin « Lire et faire lire » que le Ministre veut encourager ; la distribution d’un livre de littérature classique pour l’été, à tous les élèves de CM2, voire de CE1 (pour laquelle il lance un appel à mécénat) ; et la réactivation d’un Observatoire national pour la lecture dont il va nommer prochainement le nouveau président.

Dans une brève intervention, les partenaires rappellent leurs propres priorités : vaincre un facteur d’exclusion et d’humiliation sociales pour Marie-Thérèse Geffroy ; l’accompagnement de plus de 9000 enfants sur 250 communes, à raison de 2h par semaine, par des intervenants rémunérés, dans le cadre de l’action des clubs Coup de pouce Clé pour Augustin de Romanet et la Caisse des Dépôts ; enfin restaurer le sens de la lecture et du savoir par le goût de l’effort pour Jean-Marc Roirant de la Ligue de l’Enseignement.

Quelques propos du ministre en réponse aux questions de la presse

Comment gagner ce combat en diminuant le nombre d’enseignants ?

« Quand on regarde aujourd’hui la situation, on voit qu’il y a des illettrés de tous les âges ; beaucoup sont des adultes, ce n’est absolument pas lié au nombre d’enseignants dans les établissements. D’ailleurs, les études montrent que le nombre d’élèves par classe est sans incidence sur les résultats scolaires. »

Comment articuler l’action ciblée sur les familles en difficulté avec la suppression des allocations familiales?

« Depuis 1959, un dispositif prévoit de relier l’assiduité scolaire à l’attribution de certaines prestations. Le dispositif a été modifié en 2006 : ce sont les Présidents des Conseils généraux qui ont désormais la possibilité, à travers des contrats de responsabilité parentale, de suspendre le versement des allocations. L’objectif est de responsabiliser les parents. Il faut éviter le décrochage scolaire ; de nombreuses actions ont été menées en ce sens, nous voulons les rendre plus efficace par la contrepartie de la suppression des allocations. Ce n’est pas une sanction, c’est une mobilisation des responsabilités. »

Avez-vous des objectifs quantitatifs pour la maternelle ?

« Non, c’est surtout une mobilisation de tous les efforts de prévention de l’illettrisme dès le début de la scolarité. Des choses existent au niveau régional, mais au gré des bonnes volontés. Il faut structurer et organiser de manière précise : des référents rectoraux seront nommés dès la rentrée. »

Y aura-t-il une volonté d’unifier les pratiques, très disparates selon les secteurs ?

« C’est le rôle des Inspecteurs de l’Éducation nationale de coordonner ce qui se fait ; il faut développer les partenariats et les échanges de bonnes pratiques, pour étendre les expériences réussies. Ce qui fonctionne doit être exploité. Mais il n’y aura pas de réforme des programmes de l’école maternelle. »

Les exigences croissantes en matière d’apprentissage pour les maternelles n’augmente-elles pas les risques précoces d’échec ?

« Il n’ y a pas vraiment d’augmentation de la difficulté. Et je le répète, il n’y aura pas de réforme pour la maternelle. »

Qu’est-ce qui va changer pour les enseignants?

« D’abord, il y a un engagement de N. Sarkozy : moins de fonctionnaires mais mieux rémunérés. Nous allons revaloriser les enseignants en début de carrière. Ils vont étudier une année de plus, ils seront donc mieux payés (de plus de 10%). De même seront augmentés les enseignants jusqu’à 7 années d’ancienneté. C’est une valorisation significative. Tous les enseignants vont aussi bénéficier d’un entretien au bout de 15 ans de carrière, d’un bilan de santé à 50 ans, d’accompagnement à la mobilité et d’un droit individuel à la formation de 20h par an, rémunérées, sur les congés scolaires. C’est une vraie avancée en matière de ressources humaines. »