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La dernière partie de la journée va s’intéresser à des moments spécifiques du roman scolaire de la nation, à des moments particuliers de l’histoire du XXe siècleRémi Handourtzel : « la Nation à l’Ecole sous Vichy »
vichyEntre 1940 et 1944, on a tenté de remodeler le rapport entre Ecole et Nation par une rupture violente. « La défaite de juin 1940 est une bombe sur la France ». En France, la « religion laïque et scientiste » qu’est l’Ecole avait auparavant transféré la sacralité, de l’ancienne France absolutiste au tableau noir et aux préaux des campagnes électorales. En 1932, le ministère de l’Instruction Publique était devenu le ministère de l’Education Nationale, signe du besoin d’alors de resserer les rangs du consensus démocratique devant la montée des fascismes voisins.
« La défaite va atomiser le modèle protecteur de l’enseignant du bourg, d’abord dans l’exode, mais aussi dans les surprises que vont réserver Vichy aux instituteurs, avant même les Juifs et les Francs-Maçons, accusés d’avoir insufflé l’esprit de défaite ou d’avoir mal encadré leurs hommes au front ».
salleDésignés à la vindicte des journaux qui réapparaissent, mille d’entre-eux sont révoqués ou mutés, surtout ceux qui étaient militants du Front Populaire. En 1941, un inspecteur général écrit que les enseignants « sont tous pour quelque chose dans la défaite ». C’est le rêve inavoué de Vichy, cherchant à tirer un trait sur les lois de la IIIe République : « en quelques semaines, on abolit le recrutement par concours des inspecteurs primaires, puis les syndicats, on réforme les livres de classe, on réautorise les congrégationnistes à enseigner, on prône le culte du corps par le sport, on supprime les écoles normales, on rétablit les devoirs envers Dieu dans les écoles publiques et on réautorise les curés à enseigner le catéchisme dans les écoles publiques ». La Croix titre « L’Ecole sans Dieu a vécu ». Un siècle et demi de méandres politiques et de linéarité républicaine a vécu, et Vichy espère instituer un véritable retour au modèle du Saint Empire Romain Germanique. « Heureusement, les enseignants installeront la résilience et la résistance, malgré tout, comme en témoignent les figures de Lucie Aubrac ou de Jean Bouin, mais aussi les milliers d’anonymes qui permettront, au total, au « surmoi républicain » de fonctionner »…
Peter Carrier : « en Allemagne, un sentiment national ambigu, après la Shoah »
carrier Chercheur à l’Institut Georg Eckert à Braunschweig, P. Carrier commence par un exemple : « Une enseignante que j’interrogeais m’a frappé par l’usage du « eux » et « nous » pour désigner le passé allemand et l’attitude du peuple pendant la seconde guerre mondiale. Elle montrait ainsi l’ambiguité de ses sentiments, entre sa honte d’être membre de ce peuple, et à la fois sa fierté d’avoir pu, avec ses concitoyens, faire le travail nécessaire pour pouvoir se mettre à distance et analyser ce qui s’était passé ».

Pour les adolescents allemands d’aujourd’hui, l’attitude majoritaire du « ce n’est pas de ma faute » illustre cette ambiguité. Les recherches sur l’apprentissage à l’Ecole de l’histoire de la Shoah, en Allemagne, montrent que les élèves qui doivent y « négocier leur position », qui n’est que trop rarement rationnelle. « Les jeunes issus de l’immigration ne s’y sentent pas dans la même position que les enfants d’allemands de souche, ces derniers pensant souvent que les enfants d’immigrés ne participent pas au sentiment national, signe qu’il n’est pas totalement accepté comme membre de la communauté nationale ».
salleRegardant l’évolution des représentations de la Shoah dans les manuels, il repère les évolutions sur cette question : d’abord absente dans les années 50, elle se centre ensuite sur la seule responsabilité d’Hitler et du pouvoir national-socialiste, plutôt qu’en nommant la nation allemande. Elle devient aujourd’hui plus présente avec des images de la vie quotidienne sous la seconde guerre mondiale. La honte et le chagrin risquent parfois de faire basculer le travail de la cognition vers l’affectif. Du point de vue des méthodes, l’enseignement de la seconde guerre mondiale au primaire passe plutôt par des supports transdisciplinaires.
Que pourrait faire l’Ecole ? Certains chercheurs proposent un enseignement fondé sur les droits de l’Homme, au risque de renforcer la normativité. Sans doute est-il plus efficace de centrer l’enseignement sur un rapport plus conscient, plus réfléchi avec le passé, par une « alphabétisation mémorielle » qui permette de nommer les acteurs en évitant les stéréotypes, en distinguant dénotation et connotation du sentiment national, terme par nature ambigu.
Joan Pagès Blanch : « l’histoire scolaire de l’Espagne et de la Catalogne »
tableEspagnol et catalan, le professeur de didactique des sciences sociales barcelonais explique la différence d’aujourd’hui entre la situation française et espagnole, avec un système décentralisé aux provinces, articulant enseignement en catalan et en castillan.
Il n’en n’a pas toujours été ainsi : au cours de l’histoire, l’état central espagnol tente d’imposer le castillan aux catégories populaires. Mais en Calalogne, des écoles alternatives se sont développées sur le terreau de la culture linguistique. Les idées catalanistes irriguent le système éducatif catalan et développant une conscience patriotique.
salleDurant la république des années trente, l’Ecole normale catalane est créée, et prépare à enseigner en catalan. Mais les conceptions des républicains sont diverses sur la place de l’autonomie à accorder, qui contribueront à la guerre civile succèdant au Front Populaire, et l’arrivée au pouvoir de Franco remettra l’Ecole au service de Dieu et de la Patrie.
Dans les années soixante-dix, les technocrates des l’Opus Dei tentent de trouver une réponse aux défis de la massification et aux nouveaux besoins de l’économie. Cette loi restera en vigueur jusque dans les années 90, avant que la démocratie ne permette de nouveaux développements. « Mais le rôle joué sous la dictature par les enseignants pour développer des alternatives a été très important, notamment pour préserver une histoire catalane ». Aujourd’hui, la situation politique permet à la conscience nationale catalane d’être reconnue, « pour une jeune puisse construire une conscience historique et géographique lui permettant de se projeter dans le futur de manière libre et autonome« , citoyens d’un monde « qui ne sera pas forcément rose, mais dans lequel ils pourront faire preuve d’imagination… »
Jürgen Helmchen : « le terme « national » est-il définitif ?
conclusionDemandant à la salle de l’autoriser à un point de vue subjectif pour la conclusion à chaud qui lui a été demandée, le professeur centre son propos sur l’intérêt de conduire une réflexion internationale sur une question comme le sentiment nationale. Est-il possible de transcrire le fait que l’appartenance nationale française se serait faite par union politique plutôt que par identité, comme un modèle pour l’intégration européenne, par nature moins « conceptuellement homologue » que l’est la France ? « Les démarches comparatives, en sciences sociales, sont très difficiles. Il est plus intéressant de juxtaposer les développements plutôt que de les comparer, pour faire émerger des questions de fond plutôt que pour en rester aux comparaisons.
« Pourtant, la réflexion sur les système éducatif travaille toujours avec cette démarche comparative, risquant de séparer les « peuples qui sont en avant » des « peuples qui sont en arrière ».
Il revient sur la question d’Antoine Prost : « Nation : histoire ou biographie ? ». L’enseignement de l’histoire peut-il consituer un « sentiment de nationalité » dans des pays largement composés de populations d’immigrations récentes ? Intégrer ces nouvelles populations ne va pas de soi, et peut susciter des réactions de rejet des populations plus anciennes. « L’Ecole a assurément un rôle à jouer, à condition de poser une autre question, celle des différenciations internes des sociétés, qui demandent de poser un regard social ou sociopolitique ». La « communauté », amalgame de population et territoires dont parlent les Canadiens, peut-elle trouver sa place dans l’enseignement ?
« Le national doit aller avec un projet politique » expliquait Antoine Prost. Si la France en a eu un dans son histoire moderne, ce n’est pas le cas de l’Allemagne, dont le projet politique faisait défaut. Pourtant, le nationalisme allemand s’est construit.
« Le terme « national » est-il définitif ? Ne nous demande-t-il pas de poursuivre la réflexion, pour aller plus loin dans la recherche des déterminants sociaux et institutionnels qui, dans certaines conditions, permettent d’en refonder le sens, d’échapper aux modalités locales de processus politiques historiquement repérables ? L’identité sociale, et non pas nationale, des individus dans un groupe, nous donne d’autres perspectives pour concevoir l’Europe comme une espace politico-social plutôt que comme un amas de nationalités. Cela pourrait redonner sens à son projet… »