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Par Blandine Raoul-Réa

Deux journées pour aborder cette question lors du colloque Thémat’IC organisé par l’IUT Robert Schuman de Strasbourg (29 et 30 avril 2010). La réponse dégagée reste volontairement floue mais les échanges riches ont permis de préciser les notions qui peuvent entrer dans « les ressorts : lesquels ? Où ? » ; l’ascension sociale « laquelle, pour qui et… ne doit-on pas plutôt parler de mobilité sociale que d’ascension ? ».

Sociologie, sciences de l’éducation et les très appréciés « retours d’expériences » ont été convoqués pour avancer dans cette -souvent douloureuse- problématique posée dans l’enseignement. Comment permettre par les études une insertion sociale et professionnelle la plus « réussie » possible même si, comme on l’aura vu la première journée, le problème du décrochage, de l’échec (corrolaire de la réussite) reste central.

Echec, réussite, décrochage, déscolarisation du lycée vers le supérieur : qu’est-ce qui se passe ?

Prenant le pied de l’antithèse de la réussite scolaire, la matinée du jeudi 29 avril a permis d’aborder la question de l’échec.

Le décrochage scolaire, mot qui a tendance à être employé par le MEN pour échec scolaire, est un phénomène complexe. Nous commencerons donc par le lycée avec Audrey Mariette (Chercheuse en sociologie dans l’équipe CSU du CRESPPA au CNRS -Paris 8). Les résultats de l’enquête menée dans six lycées professionnels permet d’attirer premièrement l’attention sur cette notion d’échec que l’on peut considérer à la fois comme un abandon scolaire, un décrochage ou encore une déscolaristation. Bien évidemment on ne peut commencer cette réflexion sans partir du constat que l’entrée en Bac Pro est une orientation par défaut par rapport à la voie générale et n’est donc pas associée à une motivation forte. Pourtant les jeunes insistent sur l’importance de l’obtention d’un Bac Pro dont ils ont pris conscience de l’enjeu pour leur avenir professionnel. Dans le même temps ils se disent très attachés à LEUR lycée et montrent un sentiment d’injustice assez fort lorsqu’ils ne sont pas pris dans le Bac Pro de LEUR établissement de BEP. Il peut être insurmontable pour un élève de BEP d’aller faire un Bac Pro à 80 km de son établissement, en internat. C’est le reflet d’un paradoxe existant entre la conscience d’une nécessité du diplôme et le sentiment que l’institution scolaire les rejette. Certains arrêts concernent des élèves « motivés » et « en réussite » : conditions économiques, vie privée, obtention d’un contrat de travail… Un élève qui arrête parce qu’il a trouvé un travail est-il en échec ?

Trois facteurs semblent déterminants : la politique des établissements, le marché du travail local et l’environnement familial des jeunes. « Il est nécessaire de prendre en considération les situations familiales et résidentielles de ces jeunes : maroritairement issus de milieux populaires, ils sont dans une période de transition entre deux âges qui joue sur le processus d’arrêt d’études, au-delà de la seule question scolaire. »

Quid du décrochage dans le supérieur ?

Si le nombre d’étudiants s’accroît, la hiérarchisation des études est renforcée par cette démocratisation de l’accès aux études supérieures. Preuve est faite avec la multiplication des licences professionnelles (1800) qui montrent presque autant de libellés que d’offres expose Catherine Agulhon (maître de Conférence, HDR – Université Paris Descartes – Laboratoire Cerlis – photo ci-contre). La mise en place des ces licences professionnelles demande aux enseignants d’être en relation avec le niveau très local afin d’identifier les espaces professionnels -même démarche pour les Masters Pro. Ces licences permettent de faire entrer les IUT dans le LMD : elles premettent d’enrichir les IUT et les rendent plus visibles mais rompent avec les modes de construction de formations conçues au niveau national. Elles recrutent des effectifs faibles -sélectivité- issus pour la majorité des DUT et ne sont pas destinées à des poursuites d’études. Ceci a pour conséquence un fort taux de réussite. Quant à l’insertion, elle semble bonne mais qu’en sera-t-il de la mobilité professionnelle future de ces licenciés pour qui l’apport en savoirs faire est plus important que les savoirs. Il faudrait observer à plus long terme les parcours professionnels de ces lauréats hyperspécialisés qui ont su mettre en oeuvre une démarche d’orientation dès le début de leurs études secondaires.

Leur orientation ne les a pas questionnés, pas interrogés

Nathalie Beaupère (chargée d’études CAR, Céreq Bretagne, factulté d’économie – Université de Rennes 1) note que les sorties « précoces » de l’enseignement supéieur font aujourd’hui l’objet d’une attention particulière de la part des politiques et des établissements et sont rendues visibles par les statistiques lesquelles mettent en évidence les limites de l’accompagnement et des conditions d’insertion difficiles de ces jeunes au niveau « bac + rien » (Legendre, 2002). Certes l’université accueille des publics hétérogènes, mais surtout des publics en difficulté d’affiliation et qui ne sont pas prêts à suivre une pédagogie parfois peu explicite pour ces jeunes éloignés de la culture universitaire. Un des groupes de décrocheurs identifié est défini par l’absence de signaux d’alertes rencontrés dans le secondaire. Lors de leurs « années lycée », l’obtention du baccalauréat est identifié comme primordial, à obtenir coûte que coûte. Cette centration forte sur cet objectif n’a pas permis de mettre en oeuvre une démarche d’orientation, démarche qu’ils ont différée -à la différence des très bons élèves qui ont été stratèges depuis le début de leurs études secondaires. Leur orientation ne les a pas questionnés, pas interrogés. L’institution ne leur a pas envoyé de signal d’alerte (passages moyens mais systématiques). Ils ont du mal à autoévaluer leurs capacités de réussite et à mieux cerner leur projet.

Les premiers examens feront la première vague de départ précoce : certains résultats déconcertent ceux qui étaient très présents et confortent les appréhensions des plus hésitants. D’autres commencent un travail à temps partiel et acceptent de plus en plus d’heures jusqu’à accepter un emploi à temps plein et arrêter les études. Est-ce un échec ?

Là encore on va retrouver, comme pour les sorties de Bac Pro, des définitions contrastées de sortie du système éducatif. Les études menées le sont plus souvent axées sur le devenir des étudiants que sur les motifs et les conditions des arrêts d’études. En conclusion de son étude Nathalie Beaupère, note qu’il y a une difficulté à apprécier ses capacités de travail pour les étudiants et à signaler les difficultés (ces étudiants émettent peu de signaux -ils vont en cours, en TD…- et surtout apprécient mal les signaux qui leur sont envoyés). Il reste une difficulté à apprécier les capacités de travail. De manière générale, l’université est très peu sollicitée par ces étudiants : ils ne vont pas au SCUIO, ne s’inscrivent pas au tutorat…

Qu’est-ce qui fait que les étudiants n’entendent pas ces signaux de l’institution ?

Les étudiants comprennent trop tard que le cours n’est qu’un cadre poursuit Nahtlie Beaupère. On peut alors poser la question de l’émetteur et du récepteur : est-ce que le signal émis est de mauvaise qualité par l’université ou est-ce l’étudiant qui se bouche les oreilles ? Patrick Rayou estime qu’il y a un malentendu des deux côtés entre les professeurs et les étudiants. Le rapport à la recherche, aux savoirs de l’incertitude s’accomode mal de la stratégie des étudiants (qui envisagent leurs études étape après étape). De la sorte les publics ne peuvent pas se rencontrer. C’est là sans doute la piste de travail qu’il faut creuser. « L’échec de masse lors des premières années universitaires peut être analysé à travers les malentendus tissés entre les étudiants et l’institution universitaire qui, sans renoncer à ses objectifs de diffusion des savoirs et postures de recherche, doit accueillir la fraction d’une génération la moins socialement et scolairement dotée » enchaîne Patrick Rayou (Professeur des Universités, UFR SEPF, Université de Paris 8, Laboratoire Circeft-ESCOL). Moins de la moitié des étudiants post bac sont scolarisés dans l’université de masse. Comme on l’a vu avec les licences pro plus haut, il est possible pour les familles possédant une meilleure connaissance des mécanismes et des filières scolaires, de faire contourner l’université de masse à leurs enfants. Les étudiants de l’enquête qui date de 2000 (cadre : CNCRE) mettent en évidence que nombre d’entre eux ont à résoudre les problèmes relatifs au sens même de leur présence ou à celui de leur co-présence avec des pairs.

« On ne s’est certainement pas assez intéressé à savoir ce qui se passe du côté des apprentissages. Les contrats didactiques sont très diffrents entre le secondaire et l’université ; les phénomènes de décrochage en sont issus. » Patrick Rayou

Ces difficultés sont épistémiques, identitaires et sociales à la fois. Il ont des difficultés à passer d’un savoir secondaire à un savoir universitaire qui est issu de la recherche et qui n’est plus didactisé. Ils n’ont pas compris que l’enseignant à l’université ne donne pas de vérité … ils l’attendent. Ils montrent souvent dans l’enquête qu’ils n’ont pas pris la mesure de cette rupture puisqu’ils avouent bien une quantité de travail nécessaire mais n’ont pas su définir quelle était la nature de ce travail personnel à mettre en oeuvre (s’ils passent beaucoup de temps à la bibliothèque ce peut être par exemple pour faire les photocopies, recopier les cours… ).

L’autoévaluation agit comme un régulateur des apprentissages

C’est du côté des apprentissages que l’expérience décrite par Cherifa Mehadji (Maître de conférence en Chimie, Université de Strasbourg) s’aventure en mettant en oeuvre un ENT destiné aux étudiants et aux enseignants de la licence de Chimie. Pourquoi avoir choisi les TICE ? Parce que nous sommes dans des modes de communication différents et qu’il y a une forte volonté de diminuer par deux le taux d’échec en licence. Si les passerelles ne manquent pas comme celles évoquées pour la réorganisation du DUT informatique de Strasbourg en vrais « quatre semestres » qui permettent aux étudiants de ne pas attendre une année complète avant de reprendre les bases indispensables pour poursuivre dans le niveau supérieur (Julien Haristoy, Chef du département informatique de l’IUT Robert Schuman, Université de Strasbourg), il fallait mettre en place un projet volontairement pluridisciplinaire et transversal porur les étudiants. L’objectif pour la licence Chimie était d’expliciter aux étudiants dès le début de la formation, le contrat didactique, le contenu. Ensuite il doit permettre aux étudiants de faire un état des lieux des connaissances et de les évaluer. Les modalités de formations optimales seraient alors le cours intégré et le contrôle continu. La mise en place de cet ENT répond donc à trois volontés : agir sur la motivation en volorisant le travail des étudiants, et en augmentant le travail de groupe ; développer le travail individuel et l’autoévaluation ; assurer l’accompagnement par les enseignants intervenant dans les UE pour permettre la remédiation. L’évaluation du projet montre que l’autoévaluation agit comme un régulateur des apprentissages. Les TICE facilitent le suivi du travail des étudiants et permet l’autonomisation de l’évaluation de leur travail.

Les apports de la sociologie à la question de la mobilité

Louis Mathiot (ATER, dpt Info-Com, IUT Robert Schuman, laboratoire « cultures et sociétés en Europe », Université de Strasbourg) a introduit la problématique de cette deuxième journée du colloque : « les apports de la sociologie à la réflexion sur les inégalités et les trajectoires de vie ».

Lorsque les étudiants obtiennent leur diplôme, il reste la question de la transformation du diplôme en emploi. Si la scolarisation peut être un moyen OU un frein à la mobilité sociale, l’insertion questionne la mobilité sociale. Celle-ci inclut une idée de mouvement dans un espace social et peut rendre compte de mouvement intra générationnel ou inter générationnel. Les mouvements peuvent être ascendants ou descendants, ou encore une immobilité. Cette question est très investie par la sociologie. Cela est certainement dû au fait qu’elle est centrale et qu’elle implique une réflexion globale sur la société.

Comment mesurer cette mobilité sociale ?

Le principal outil utilisé pour mesurer cette mobilité sociale a peu évolué et ne tient que peu compte de la société actuelle nous dit Laurent Pfefferkorn (Professeur des Universités, Laboratoire « Cultures et sociétés en Europe », université de Strasbourg) : ce sont les « tables de mobilité ». Pourquoi ? Parce qu’elles oublient les femmes par exemple (ascension sociale mesurée entre père et fils uniquement), parce qu’elles ne prennent pas en compte l’évolution des métiers (un instituteur il y a cinquante ans ne jouit pas du même prestige dans la société que maintentant par exemple). Nous verrons aussi que ce n’est que très récemment que l’on s’occupe de la question de l’immigration dans la mobilité sociale. Cependant on peut en tirer quelques conclusions : les possibilités de promotion ou de déclassement sont très inégalement réparties entre les différentes catégories : elles seraient plus ouvertes pour les catégories moyennes que pour les populaires. La mobilité sociale apparaît dans l’ensemble plus limitée que ne l’indiquent les chiffres bruts et l’immobilité sociale domine aux extrémités de l’échelle sociale. La question que l’on peut alors se poser est la suivante : est-il plus judicieux de parler de mobilité sociale ou de reproduction sociale ? On peut légitimement se poser la question dans la mesure où la mobilité sociale est plus rare et par ailleurs n’est pas toujours ascendante et souvent courte.

A qui la faute ?

La France a voulu mettre en place un système méritocratique. Or les conclusions évoquées montrent qu’il ne fonctionne pas correctement. Qu’est-il en train de devenir ? La société a changé, depuis l’enquête de l’INSEE de 2003, mais d’un autre côté, les choses en fait ne changent pas. La compétition entre les enfants ne devrait pas dépendre de leur origine sociale. La méritocratie ce serait une égalité des chances dans une société égale… Les enseignants croient en l’égalité des chances, les parents pensent qu’il faut tirer tous les avantages que l’on peut de sa situation : s’ils peuvent payer des cours supplémentaires, une école privée, …. alors les parents le font. Du coup, on ne parle plus de mobilité mais de visquosité de la société, de fluidité. C’est cela qu’il convient d’étudier dit Daniel Bertaux (Directeur de Recherches au centre d’études des mouvements sociaux, EHESS, CNRS, Laboratoire « cultures et sociétés en Europe », Université de Strasbourg). L’hypothèse de Philipp Brown est celle d’un passage à un système « parentocratique ». La volonté des parents que leur enfant fasse des études, volonté appuyée sur des espèces sonnantes et trébuchantes est le principe fondamental. Ce système en oeuvre en Grande Bretagne arrivera en France, Daniel Bertaux en est convaincu. Prenons bien la mesure de cette transformation : ce système implique que l’éducation devienne une marchandise et soit privé, commercialisé.

Mobilité sociale et immigration

La France est un pays d’immigration et l’arrivée massive de travailleurs immigrés dans les postes d’ouvriers a par exemple permis aux Français de passer contremaître (Daniel Bertaux). Comment l’étude des migrations peut-elle faire ressortir les points aveugles des études sur la mobilité sociale ? Catherine Delcroix (Professeure des Universités, laboratoire « cultures et sociétés en Europe », Université de Strasbourg) fait part des constats négatifs depuis lors tempérés par une première enquête sur les résultats scolaires et la mobilisation des parents. A milieu socioéconomique équivallent, il y a une réussite un peu plus élevée que pour les enfants issus de familles françaises. Ses enquêtes approfondies dans diverses régions et villes françaises auprès de familles immigrées qui viennent pour la plupart des ancinennes colonies françaises du Maghreb et d’Afrique Noire, montrent qu’elles s’étaient construites une image positive de la société française sur les plans du système scolaire notamment. C’est le devenir de leurs enfants qui figure au centre de leur projet d’immigration. Elles sont prêtes à tous les sacrifices pour que leurs enfants « réussissent ». Il faut donc admettre que les familles issues de l’immigration sont regardées comme différentes alors qu’elles ne le sont pas.

La migration est en effet aussi un projet de mobilité sociale. Les parcours et les motivations à la migration sont multiples. Souvent c’est les enfants et le choix d’élever des enfants en France qui décide de l’installation. Cette réussite va être pensée comme socio professionnelle et donc il va y avoir transfert de cette ambition sur leurs enfants. Le fort investissement des jeunes serait alors une validation du choix des parents et/ou une réparation des souffrances endurées par ces derniers nous dit Elsa Lagier (ATER, laboratoire « cultures et sociétés en Europe », Université de Strasbourg) dans ses recherches basées sur 61 entretiens de récits de vie.

En guise de conclusion

Cette approche multidisciplinaire de l’ascension sociale répartie en deux thématiques assez distinctes (réussite scolaire et mobilité sociale) n’est pas très optimiste. Il semblerait que peu d’actions puissent modifier le cours de l’ « immobilité sociale » en route. Il semblerait même que la pente ne soit pas à l’ascendance comme le laisse ententre Daniel Bertaux… Les retours d’expériences montrent qu’au niveau le plus proche des étudiants, les enseignants mettent en oeuvre des projets qui apportent des solutions aux données issues de la recherche (Université de Chimie, collectivités territoriales, IUT d’informatique, projet de l’AFIJ…) quant à la réussite des étudiants. L’évaluation de chacune de ces actions sur le terrain reste difficile. Devant le peu d’optimisme dégagé, comment mettre en oeuvre dans les structures les actions les plus efficaces contre l’échec, le décrochage ?

Vers les journées Thémat’ic

http://thematic.hautetfort.com/

http://colloquesetconferences.u-strasbg.fr/video.asp?idvideo=9466