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Sous la sociologie, la question des retraites. Mardi 22 juin 2010 le Centre d’analyse stratégique et Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’Etat à la prospective, organisaient un intéressant débat entre deux sociologues, Louis Chauvel (Sciences Po) et Jean-Pierre Le Goff (CNRS) sur le thème du lien intergénérationnel. Cet intérêt prononcé pour la sociologie des générations n’était pas sans rapport avec une question très actuelle : celle du financement des retraites.

Dans un amphithéâtre de Sciences Po, Nathalie Kosciusko-Morizet a ouvert le débat en rappelant ce qui fonde cette question du lien entre générations. Il y aurait bien une fragilisation du lien intergénérationnel du fait des intérêts divergents (question des retraites) mais aussi des de l’écart culturel, de la différence de formation. Cela fragiliserait aussi le lien social, la fracture intergenérationnelle interne à chaque classe prenant le pas sur le sentiment de classe. Cette situation est-elle conjoncturelle ou durable ? Quelles conséquences en tirer ?

Auteur du « Destin des générations », Louis Chauvel dénonce le déclassement dont seraient victimes les jeunes et les quadras par rapport à la génération des babyboomers. Il avance des arguments. En 1970, avance L. Chauvel, le principal problème social c’était la pauvreté des vieux. Les jeunes actifs avaient un métier supérieur à celui de leurs grands-parents. Aujourd’hui la situation s’est inversée. « Jamais les seniors n’ont connu un revenu moyen aussi élevé et un patrimoine aussi important » assène-t-il. Alors que le chômage est le mode d’entrée dans la vie adulte des jeunes depuis les années 1980. Ces mêmes jeunes sont étranglés entre des salaires de plus en plus bas et un coût du logement de plus en plus élevé. Les générations plus anciennes ont pu financer leur logement par l’inflation. Politiquement la situation est identique. En 1981 pour un député de moins de 40 ans il y avait un député de plus de 60. Aujourd »hui il y en a 9 ! Les vieux ont accaparé le pouvoir ! Si dans les classes favorisées la solidarité familiale vient tempérer cette inégalité, dans les classes populaires c’est différent. Et dans les classes intermédiaires se profile la dévalorisation des diplômes et de l’accès aux postes.

Du coup pour L Chauvel on assiste à une patrimonialisation des élites. Pour entrer dans un lycée d’élite il faut être logé sur son territoire. Le niveau des salaires ne permet plus d’accéder à ces quartiers. C’est le patrimoine qui donne accès aux établissements scolaires prestigieux. On s’éloigne de la société de méritocratie.

Louis Chauvel a donc une vision pessimiste de l’avenir. Avec la pression des retraites on va connaître maintenant des tensions de plus en plus fortes, prédit-il. Les jeunes seniors des années 2020 seront moins aisés. Leurs enfants auront besoin d’eux mais ils ne pourront pas les aider comme les seniors précédents. La tension entre salaire et patrimoine va augmenter. Tut cela risque de déstabiliser la société.

Pour L CHauvel il faut remettre la famille à sa place : elle n’a pas à faire face aux difficultés économiques. Il faut remettre le travail à sa place face au patrimoine. Il faut revoir la solidarité entre générations. Sinon le retour de bâton sera terrible. Pour le moment, « l’avenir est confié à ceux qui en ont le moins dans le monde du travail ».

Excellent contradicteur, Jean Pierre Le Goff examinait le même paysage mais sous un autre angle, celui de l’anthropologie. Il a écarté l’argument des différences de revenus entre générations en montrant les très forts écarts entre retraités par exemple. Du coup les moyennes utilisées par L Chauvel lui semblent peu significatives. La panne de l’ascenseur social lui semble aussi relative. D’abord elle signifie qu’il y a stabilité dans la progression sociale des classes populaires. Si les enfants ne peuvent pas espérer les mêmes carrières que leurs pères c’est aussi un effet de structure : les enfants de cadres sont beaucoup plus nombreux.

Le problème des nouvelles générations n’est pas le problème du salaire mais celui de l’exclusion du travail. Et il invite à lire ces difficultés avec les lunettes de l’anthropologue. C’est l’entrée dans la vie adulte qui a été touchée. Ses repères (comme l’emploi) disparaissent. Le travail permet aussi de se confronter au réel, de sortir du clan familial, de construire l’estime de soi. C’est tout cela qui est en jeu dans le retard à l’entrée dans la vie active. La question du logement aggrave les choses: il est plus difficile de quitter ses parents. Mais c’est aussi le noyau familial qui a changé. Il était stable, autoritaire, cela structurait le spersonnalités. Aujourd’hui on assiste à la décomposition de la famille traditionnelle. La conjugaison du chômage et de l’évolution de la famille joue un rôle important sur une partie de la population, les classes populaires. La misère économique et sociale est liée à la destructuration des repères anthropologiques. Pour JP Le Goff c’est l’éthos de la société qui est en jeu.

Sur le plan historique, les générations nées avant 1970 avaient un rapport différent à l’histoire. Rebelles certes elles étaient aussi héritières. Depuis les parents ont appris qu’il fallait donner son autonomie à l’enfant, l’autorité s’est affaiblie. On a abandonné la transmission. Il y a un brouillage des conditions du passage à l’âge adulte. Cette éducation pose aussi question par rapport au pouvoir, aux institutions.

La solution c’est donc de renouer avec l’héritage, d’y puiser les ressources dont notre société a besoin.

Le débat avec la salle aurait pu être sociologique. C’était sans compter avec sa composition, largement sexagénaire. Une partie de l’audience était venue en découdre avec Louis Chauvel comme, par exemple, un représentant d’association de retraités. Du coup les visions se sont raidies un peu plus. Louis Chauvel a dénoncé les plans retraite précédents dont les pronostics sont tous faux et exigé une vraie rupture, allant jusqu’à citer Toynbee et ses civilisations en déclin. Une balle prise au bond par JP Le Goff qui demande la prise en compte de l’héritage et le retour à un certain humanisme.

Finalement le débat aura sorti la question des retraites de son horizon démographico-économique pour mettre au jour ce qu’il est vraiment : un vrai débat de société.

François Jarraud

L’événement

http://www.strategie.gouv.fr/article.php3?id_article=1190

Sur les thèses de L Chauvel voir aussi

http://www.inegalites.fr/spip.php?page=article&id_article=1244