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« S’il est justifié de vouloir améliorer l’efficience de notre école, il est peu probable que l’on en améliore l’équité avec les mesures actuelles, on peut quand même s’interroger sur la politique qui vise principalement à réduire les coûts, sans s’intéresser véritablement à l’amélioration de la qualité. Autrement dit : on dégraisse le mammouth, mais il ne courra pas plus vite ! » Directeur de l’IREDU, auteur d’un très récent rapport d’évaluation sur l’éducation prioritaire dans une académie, Bruno Suchaut analyse son état actuel. Il ouvre des pistes pour réduire les inégalités.

Bruno Suchaut vous venez de faire un bilan de l’éducation prioritaire dans une académie. Quelles conclusions tirez-vous des dispositifs actuels ? Vous semblent-ils efficaces ?

Si l’on s’en tient uniquement aux parcours scolaires des élèves (niveau d’acquisition, réussite au brevet, redoublements, orientation), les établissements situés en éducation prioritaire ont dans l’ensemble des résultats nettement inférieurs aux autres. Les moyens supplémentaires attribués aux établissements dans le cadre de la relance de la politique d’Education prioritaire, notamment aux RAR, ne sont donc pas suffisants pour réduire les écarts initiaux. Mais ces faibles résultats s’expliquent majoritairement par les caractéristiques sociales de la population accueillie. Ainsi, quand on raisonne « à public comparable », on ne relève pas de différences statistiquement significatives entre les collèges situés en Education prioritaire et les autres. Dans l’Académie de Paris, la mixité sociale et académique est totalement absente dans les établissements RAR et dans certains établissements RRS, ces collèges scolarisent un public qui cumule les difficultés et qui ne peut bénéficier d’une mixité pourtant favorable à l’efficacité pédagogique.

Les réseaux RAR associent écoles et collèges. Où doit porter l’effort principalement ? Que pensez-vous de l’entrée des lycées dans l’éducation prioritaire ?

Quand on examine les différentes actions conduites dans les établissements et l’utilisation des moyens spécifiques (professeurs référents et assistants d’éducation principalement), on constate une grande diversité des actions conduites sans une véritable logique d’ensemble. En outre, il semble qu’aucun pilotage d’ensemble ne soit vraiment volontaire et ciblé, chaque réseau a la latitude d’utiliser ses moyens comme il le souhaite. L’une des caractéristiques pourtant très forte du public d’élèves est la faible maîtrise de la langue française. Or peu d’actions ciblent directement et intensivement cette dimension. Par ailleurs, on peut effectivement penser qu’il serait plus efficient de concentrer les moyens au début de la scolarité. Ainsi, c’est l’école maternelle et l’école élémentaire qui devraient bénéficier en priorité des moyens supplémentaires pour agir plus efficacement contre les difficultés rencontrées par les élèves. Il faut déjà bien voir que dans les établissements RAR, un élève sur deux est orienté en seconde générale (les chiffres sont à peine plus élevés en ce qui concerne les RRS), il est donc déjà tard pour agir au niveau du lycée, même si sans doute, des aides spécifiques peuvent permettre à certains élèves de ne pas décrocher. Au final, c’est davantage une logique de prévention, plutôt qu’une logique « réparation » qui devrait être à la base des dispositifs.

Thomas Piketty avait lancé une piste d’amélioration de l’éducation prioritaire en privilégiant une forte baisse du nombre d’élèves par classe. Qu’en pensez-vous ? Quelles pistes d’amélioration voyez-vous ?

Il est clair que depuis sa mise en place, la politique d’Education prioritaire n’a pas atteint ses objectifs. J’insiste à nouveau sur la question de la mixité dans les établissements qui peut être un levier particulièrement pertinent pour réduire les écarts et les inégalités de parcours scolaires. Dans certains établissements, l’absence totale de mixité a des conséquences très néfastes sur les attentes des équipes pédagogiques et des élèves, cela se traduit aussi par des ambitions plus réduites.

Si l’Education prioritaire bénéficie effectivement d’effectifs d’élèves moins élevés, la différence est toutefois faible en comparaison avec l’éducation «ordinaire ». Or, la question du nombre d’élèves par classe est tout à fait importante. Les travaux sur la question montrent bien qu’une baisse conséquente des tailles de classes peut avoir des effets très positifs sur les progrès des élèves. Cela nécessite aussi que les pratiques pédagogiques s’adaptent aux petits groupes d’élèves pout permettre de développer des activités intensives, structurées et ciblées destinées à des groupes de besoin. Il est aussi évident que cette mesure est associée d’un coût important et que la politique actuelle ne va pas dans ce sens. Il n’est toutefois pas aberrant de penser qu’il est sans doute possible de diminuer fortement la taille des classes dans certains lieux et à certains moments de l’année scolaire sans pour autant augmenter sensiblement les dépenses. Il s’agit d’organiser le service des enseignants différemment au sein de l’établissement et de mobiliser aux mieux les ressources humaines et horaires additionnelles.

Il semble que le système éducatif oscille entre une logique sociale de « supplément » apporté aux enfants de milieu défavorisé et celle d’une personnalisation de l’éducation et d’une responsabilisation des élèves. Qu’est ce qui vous parait le plus efficace ? La logique du rééquilibrage social est-elle identique à celle de la réussite scolaire ?

On connait à présent assez bien l’influence des facteurs sociaux sur les parcours scolaires. Cette influence est visible dès les premières années d’école et elle participe au processus de construction des inégalités entre les élèves. Un des indicateurs inquiétant de notre système éducatif est l’accroissement des inégalités sociales de compétences. Sur ces vingt dernières années, on constate en effet qu’entre enfants de catégories sociales extrêmes, les écarts de niveaux d’acquisition ont fortement augmenté. Dans le domaine de la maîtrise de la langue, le niveau des enfants de cadres et de professions intellectuelles a stagné alors que celui des enfants d’ouvriers et d’inactifs a fortement chuté. Depuis les années quatre-vingt, c’est une logique de compensation qui a dominé au niveau politique. Le raisonnement consiste à donner davantage de moyens dont la forme peut être variée (en personnel, en temps, en dispositifs, etc.) dans les lieux où les besoins sont les plus marqués. Sans se prononcer sur le volume des moyens alloués, on peut s’interroger sur l’efficacité de cette logique car ni la politique d’Education prioritaire, ni l’accompagnement éducatif et probablement pas non plus l’aide personnalisée n’aura permis d’atteindre les objectifs visés en termes d’équité. Il ne s’agit pas seulement de donner plus, il s’agit surtout de donner différemment, d’adapter l’organisation même de l’école aux besoins des élèves.

La lutte contre les inégalités sociales passe par une autre organisation de l’école et de ses modes de fonctionnement qui n’ont en fait que très peu évolués au cours de ces dernières décennies. Il est illusoire de penser que la multiplicité des dispositifs d’aide puisse parvenir à réduire les inégalités quand ceux-ci viennent s’ajouter aux activités pédagogiques «ordinaires ». L’effort doit au contraire porter prioritairement sur ce qui constitue le contexte même des processus d’apprentissage des élèves : l’organisation pédagogique de l’école et de la classe. Cela nécessite d’agir sur tous les leviers liés aux facteurs d’efficacité pédagogique : composition des classes, adéquation des compétences des enseignants aux besoins des élèves, modalités d’aide aux élèves intégrées à l’action pédagogique, souplesse des organisations pédagogiques au sein des écoles etc. Bien sûr, tout cela implique aussi de réfléchir à d’autres modalités de pilotage et de régulation du système, plus proches des élèves.

En résumé, s’il est justifié de vouloir améliorer l’efficience de notre école, il est peu probable que l’on en améliore l’équité avec les mesures actuelles, on peut quand même s’interroger sur la politique qui vise principalement à réduire les coûts, sans s’intéresser véritablement à l’amélioration de la qualité. Autrement dit : on dégraisse le mammouth, mais il ne courra pas plus vite !

Bruno Suchaut

Entretien : François Jarraud

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