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Par François Jarraud

Vendredi 25 juin, Luc Chatel a visité le collège Henri Wallon de Marseille pour présenter le nouveau dispositif CLAIR (Collège et lycée pour l’ambition, l’innovation et la réussite). Il a annoncé son objectif de remplacer les réseaux d’éducation prioritaire (RAR et RRS) par les établissements CLAIR.

Le collège Henri Wallon fait partie des 106 établissements sélectionnés pour la mise en œuvre du programme CLAIR. Ce programme avait été annoncé par Luc CHatel Le ministre de l’éducation nationale le 8 avril 2010 lors de la clôture des Etats généraux de la sécurité de l’Ecole. Le ministre avait expliqué que les innovations de ce programme porteraient sur le champ des ressources humaines (les chefs d’établissement pourront recruter leurs équipes), pédagogiques (mise en œuvre du socle commun, recours aux expérimentations) et de la vie scolaire (désignation d’un préfet d’études par niveau). Il y avait déjà l’idée d’une généralisation à l’horizon 2011.

Des profs sélectionnés et mieux rémunérés. C’est ce qu’a confirmé Luc Chatel le 25 juin. « S’il fonctionne, le programme Clair a pour vocation d’être étendu et de remplacer le réseau d’éducation prioritaire », a déclaré le ministre. Il a insisté sur l’autre point fort du programme CLAIR : le choix des enseignants par le chef d’établissement. « Il faut que quand un professeur vient dans un établissement, il y vienne parce qu’il partage son projet et qu’il s’engage sur cinq ans… On veut des enseignants supermotivés et qui seront récompensés pour ça », a déclaré le ministre. Il a annoncé que ces enseignants suivraient une formation préalable et bénéficieraient d’une rémunération et d’avantages de carrière spécifiques. Il a également confirmé que les établissements CLAIR pourraient utiliser l’article 34 pour innover et le déploiement de « préfets des études » ayant un rôle de « coordination au niveau pédagogique que de vie scolaire ».

Répondre aux critiques de la Cour des Comptes ? Le 22 juin devant la Commission des finances de l’Assemblée nationale, lors d’une audition sur le rapport de la Cour des Comptes, Luc Chatel avait annoncé que « ce programme (CLAIR) se caractérisera par des innovations dans le champ de ressources humaines, avec un effort porté sur la stabilité des équipes, dans le champ de la pédagogie avec un large recours aux expérimentations permises par la loi, et enfin dans le champ de la vie scolaire avec la désignation d’un préfet des études pour chaque niveau ». Il répondait ainsi aux vives critiques formulées par la Cour des comptes sur l’éducation prioritaire. La Cour estime que « la France est un des pays où les destins scolaires sont le plus fortement corrélés aux origines sociales ». Elle recommande de « donner aux équipes des moyens dans le cadre de contrats d’objectifs pluriannuels » et de « systématiser les affectations sur profil des responsables et des enseignants ». Elle dénonce l’éparpillement des moyens.

De fait où en est l’éducation prioritaire ? Un des grands moments de la présentation du rapport a sans doute été le commentaire de Jean Picq sur le coût de l’éducation prioritaire. Estimé à un milliard par le ministère, il précise que « ce chiffre n’est pas confirmé par la Cour ». Compte tenu du profil des enseignants en zep, le coût pourrait aussi bien être inférieur de 10% à celui des autres établissements ! C’est dire que l’éducation prioritaire… ne l’est peut-être plus. Créée par la gauche en 1981, l’éducation prioritaire a été redessinée par G. de Robien en 2006. Il a distingué à l’intérieur des ZEP, les « réseaux ambition réussite » (RAR), dotés de moyens supplémentaires, des « réseaux de réussite scolaire » (RRS). Il a ainsi amorcé une concentration des moyens. Aujourd’hui les RAR représentent 4% des collèges et 3% des écoles, les RRS 15% et 10%.

Une étude de la DEPP en 2009 montre que « trois quarts des élèves des collèges RAR sont issus des catégories sociales défavorisées et un tiers a un fort retard scolaire en début de sixième ». « Ces collégiens maîtrisent moins bien les compétences de base, en sixième comme en troisième. Leurs résultats au brevet sont, en moyenne, plus faibles que dans les collèges situés hors éducation prioritaire. » Déjà l’appréciation des moyens était mise en accusation. Si  » les collèges RAR se sont vus attribuer près de 23%d’heures d’enseignement par élève en plus par rapport aux autres collèges », concrètement sur le terrain cela se traduisait par 4 collégiens de moins par classe. Aujourd’hui on estime que les classes RAR ont 2 élèves de moins que les autres. Un effort insuffisant si l’on en croit l’étude déjà ancienne de T Piketty. Il avait pu calculer qu »une réduction de la taille des classes a un effet sur les résultats scolaires à condition qu’elle soit forte.  » La légère politique de ciblage des moyens actuellement en vigueur en ZEP (taille moyenne des classes de 21,9 en zep contre 23,3 hors zep) permet de réduire d’environ 10% l’écart de réussite. Cet écart pourrait être réduit de 40% si l’on mettait en place un ciblage fort avec une taille de classe moyenne de 18 en Zep et 24,2 hors zep ».

Plus récemment Anne Armand, IGEN, lors de la journée organisée à Paris par la DGESCO le 8 juin 2010 sur le bilan national des réseaux Ambition réussite, faisait le point sur les réussites et les échecs des RAR. Elle estimait qu’il y avait des améliorations sur la compréhension des difficultés des élèves (« réflexion sur la construction des apprentissages et non plus par le déterminisme social ») mais ciblait aussi les échecs pédagogiques : implication différente des enseignants par exemple. La formation spécifique annoncée par le ministre saur-t-elle résoudre ces difficultés ?

Le programme est-il si CLAIR ? Parmi les points noirs repérés des RAR il y a la fragilité des équipes pédagogiques : 36% des enseignants ont moins de deux ans d’ancienneté. Ce sont généralement des enseignants débutants , peu formés déjà hier à ces classes spécifiques, et qui n’ont qu’un objectif c’est quitter ces zones. A coup sur le recrutement , même étalé, d’enseignants volontaires ne va pas être facile d’autant qu’on ignore tout des avantages qu’on peut leur faire miroiter.

Pourra-t-on à coup de « super profs » compenser la détérioration crée par la destruction de la carte scolaire ? La question a été posée le 22 juin par un député, M. Régis Juanico. « Je peux confirmer les effets négatifs de l’assouplissement de la carte scolaire sur l’éducation prioritaire », a-t-il déclaré. « Ainsi, l’effectif d’un collège « Ambition réussite » dans le département de la Loire est descendu à 120 élèves, contre 400 à 500 élèves en moyenne dans les autres collèges du département. La stratégie d’évitement est évidente. L’inspection d’académie se trouve même contrainte de supprimer des postes d’enseignants dans les collèges environnants afin de pouvoir refuser des dérogations aux parents d’élèves. On marche sur la tête ! »

Le ministère aura-t-il les moyens d’une éducation prioritaire ? Rappelons que la Cour des Comptes pense que le ministère dépense moins d’argent dans les établissements prioritaires que dans les autres. On peut douter de la détermination du ministre quand on lit sa réponse devant les députés.  » La diversification de l’allocation des moyens paraît insuffisante à plusieurs d’entre vous, observant que l’écart entre l’éducation prioritaire et le reste du système scolaire n’est que de deux élèves par classe – 23,9 élèves ici, 21,7 là. Mais il faut se méfier des moyennes pour un système qui compte 55 000 écoles, 8 000 collèges et 4 000 lycées….D’autre part, les moyens alloués au réseau « Ambition réussite » ne se limitent pas à un moindre effectif des classes : s’y ajoutent des indemnités spécifiques pour les équipes éducatives, des crédits pédagogiques spéciaux et le dispositif « école ouverte », qui permet d’accueillir les jeunes en dehors du temps scolaire. Le coût supplémentaire total de l’éducation prioritaire s’élève ainsi à 20, 2 milliards d’euros ». Au terme de cette divagation le ministre multiplie par 20 le coût de l’éducation prioritaire estimé par ses propres services et regardé avec un fort scepticisme par la Cour des Comptes. Comment alors faire confiance dans un réel effort financier ? La création des nouveaux réseaux CLAIR peut aussi bien permettre de diminuer fortement le nombre d’établissement prioritaires et de diminuer encore l’effort national.

Que deviennent les écoles ? Alors que la Cour des Comptes et de nombreux experts estiment qu’il faut mettre la priorité sur la maternelle et l’école, les réseaux CLAIR parlent des  » collège et lycée pour l’ambition, l’innovation et la réussite ». On ne sait pas trop dans cette perspective ce que deviennent les écoles mais on peut déjà dire qu’elles ne sont pas mises au cœur de l’effort. La réponse à cette question concerne à peu près un jeune sur cinq et l’avenir social et économique de la France. « L’école ou la guerre civile » a écrit un bon auteur…

Article L Fessard Médiapart

http://www.mediapart.fr/article/offert/dd9544818b4d6[…]

Luc CHatel devant l’Assemblée 22 juin

http://www.assemblee-nationale.fr/13/cr-cfiab/09-10/c09100[…]

Bilan pédagogique A Armand

http://www.association-ozp.net/spip.php?article8669

Etat des lieux des RAR – 2009

http://media.education.gouv.fr/file/2009/61/1/NI0909_55611.pdf

Cloture des Etats généraux de la sécurité

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/EtatsGenerauxSecuriteEcole.aspx

Robien présente les RAR

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lesysteme/Pages/200[…]

L’éducation prioritaire se perd dans un brouillard conceptuel

Où va l’éducation prioritaire ? Selon l’OZP, même la rue de Grenelle l’ignore.

Invité par le cabinet de Luc Chatel pour « dissiper les malentendus » sur le programme CLAIR, l’Observatoire des zones prioritaires, une association qui regroupe des acteurs de l’éducation prioritaire, estime dans un communiqué que  » le cabinet n’a pas apporté d’éléments nouveaux sur le programme Clair et s’est montré embarrassé notamment par l’absence du premier degré dans le projet ».

Le 25 juin, Luc Chatel avait annoncé que  » le programme Clair a pour vocation d’être étendu et de remplacer le réseau d’éducation prioritaire ». Le programme est expérimenté à la rentrée dans 106 établissements, dont 80 issus de l’éducation prioritaire. Luc Chatel avait confirmé trois de ses caractéristiques : la mise en place d’un préfet des études, l’invitation à innover, le choix des enseignants par le chef d’établissements.

Un embarras révélateur. Interrogé par le Café, Marc Douaire, un des responsables de l’OZP, révèle que le cabinet ministériel « n’a pas pris en compte du tout la question du primaire ». Le cabinet a été incapable d’expliquer comment le dispositif CLAIR (« collège et lycée pour l’ambition, l’innovation et la réussite ») allait prendre en compte les écoles primaires. « On ne sait rien non plus sur tout ce qui se passe autour de l’école. Ces deux éléments font que le dispositif CLAIR ne peut pas s’apparenter à une politique d’éducation prioritaire », estime Marc Douaire.

Trou d’air. Le ministère ne sait pas exactement ce que sont les préfets des études qu’il met pourtant en place et comment ils vont s »articuler avec le conseil pédagogique. Il ne sait pas comment les chefs d’établissements pourront sélectionner des enseignants pour des postes que personne ne désire. L’idée même d’une éducation qui lutte contre les déterminismes sociaux est évidemment en contradiction avec l’idéologie de la responsabilité individuelle et de l’égalité des chances promue par Nicolas Sarkozy. Alors que la rigueur budgétaire s’approfondit, bien loin de « dissiper les malentendus », l’entretien avec le cabinet ministériel a révélé que l’éducation prioritaire est tombée dans un vide conceptuel. Son avenir n’est plus dessiné.

Communiqué OZP

http://www.association-ozp.net/spip.php?article8813

Chatel réoriente l’éducation prioritaire

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/06/280[…]

Le mammouth dégraissé ne court pas plus vite

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/06/BSu[…]

Réseaux Clair : Qui seront les préfets des études ?

Comment définir les « préfets des études ». Tout droits tirés d’un délicieux imaginaire bleu horizon, les « préfets des études » ont été annoncés par Nicolas Sarkozy le 24 mars 2010. Quels seront les critères de recrutement ?

La question travaille les rectorats qui sont chargés actuellement de trouver ces nouveaux personnels. Il n’est pas certain que toutes les académies les définissent de façon identique, même après la déclaration de Luc CHatel le 25 juin : des enseignants ou CPE ayant un rôle de « coordination au niveau pédagogique que de vie scolaire ». Ainsi dans une académie on estime que ce rôle implique qu’il assume un enseignement disciplinaire, qu’il assure un suivi pédagogique et éducatif pour un ensemble d’élèves ciblés (particulièrement 6ème et 2de), qu’il « renforce le travail des équipes des services de la vie scolaire » et qu’il renforce « la prise en charge de la vie de l’élève dans l’établissement ». Il devra aussi bien monter des projets pédagogiques que contribuer à la surveillance.

Son horaire serait de 6 heures de cours et 24 heures de vie scolaire. Pour la rémunération : « salaire conservé avec possibilités d’indemnités propres à l’exercice de certaines missions » (par exemple prof principal). C’est peut-être pas cher payé pour une position dans l’établissement d’une rare ambiguïté. C’est aussi un curieux choix pour animer les équipes pédagogiques que de créer un poste et de le projeter ainsi « en l’air ».

Un rapport parlementaire critique le coût de l’éducation prioritaire

Réalisé par Philippe Dallier et Gérard Longuet pour la Commission des finances du Sénat, ce rapport dénonce la difficile articulation entre les dispositifs éducation nationale et ceux de la politique de la ville.

Evaluant à plus d’un milliard le coût des dépenses éducation nationale pour l’éducation prioritaire (800 millions pour payer 14 000 emplois d’enseignants supplémentaires, 120 millions d’indemnités) et environ 160 millions les dépenses de politique de la ville pour l’éducation, le rapport estime que ces fonds sont mal utilisés. Il dénonce la juxtaposition des dispositifs et le manque de coordination. Les rapporteurs soulignent les inégalités entre les académies et déplorent que les dispositifs éducation prioritaire reposent sur le volontariat. Ils proposent de resserrer les moyens sur les 6% d’établissements qui en ont le plus besoin.

Le rapport

http://www.senat.fr/noticerap/2009/r09-081-notice.html

Sur le site du Café