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RIDEF 2010 à Saint-Herblain, 44, un reportage de Lucie Gillet

Agir local, penser global…

Samedi 24 juillet, journée forum. C’est pour l’ensemble des participants la 4ème journée depuis l’ouverture mardi en fin d’après midi de ces 28èmes rencontres internationales des éducateurs Freinet. Et quand on pénètre dans l’enceinte du lycée Jules Rieffel qui les accueille, l’impression d’une vaste fourmilière que se seraient appropriées des colonies de Babel vous saisit.

Il y en a partout : des affichages, des expositions, des grilles de programmes, des rendez-vous, des panneaux divers et variés et dans toutes les langues. 375 personnes, 32 nationalités différentes, un sacré challenge pour l’équipe organisatrice.

les RIDEF en Loire-Atlantique, pourquoi, comment…

Philip Lavis (président IDEM 44) nous explique qu’il y a deux ans, lors de la dernière RIDEF qui se tenait au Mexique, le groupe IDEM 44 s’est porté volontaire pour organiser à son tour l’évènement. Forts de leur expérience d’organisation chaque année du Salon des Apprentissages Individualisés qui se tient chaque année sur 2 jours à Nantes en mars, le groupe se sentait en mesure d’assurer l’organisation. Aujourd’hui ils relativisent, c’était quand même un pari un peu fou, et sans doute il faut être un peu inconscients pour se lancer, mais il est certain que cette expérience avec le Salon les avait bien « rodés » à l’exercice. A présent qu’ils ont réussi ce tour de force, le « Salon » c’est vraiment de la rigolade et plus rien ne leur fera peur ! Ils se réjouissent d’être là, une quarantaine de bénévoles adhérents du groupe IDEM 44 et ont le sentiment de vivre une expérience exceptionnelle.

Dans les faits : plus d’un an de préparation, et une incertitude jusqu’à la veille de leur départ pour les collègues africains soumis à la rigueur de la politique des visas alors que les organisateurs avaient pourtant veillés à se placer sous le Haut Patronage du Ministère de l’Éducation Nationale et sous celui de la Commission nationale Française de l’Unesco afin de faciliter les démarches de ces collègues. Mais la CAMEM (la Coordination Africaine des Mouvements d’École Moderne) est finalement bien représentée. Ainsi que 53 brésiliens, quelques sud-coréens (et dans les couloirs on s’interroge : la pédagogie Freinet en Corée du Sud quel challenge…), des finnois, des georgiens, un chilien, un haïtien, des allemands, un palestinien…

Afin de faciliter l’hébergement de ces 375 participants, c’est le lycée agricole – CFA Jules Rieffel qui a été retenu, un cadre arboré pour des rencontres dont le thème fédérateur est « les nouveaux défis pour la planète ». Un joli clin d’œil puisque dans ce lycée, on est à la page côté développement durable.

Entrer dans le vif du sujet, tours et détours :

La journée forum est en réalité pour la majorité des participants une journée comme les autres, si ce n’est qu’elle est ouverte au grand public. Il n’y a donc pas de mot d’accueil spécifique ni d’organisation particulière à ce jour, hormis la gestion des repas. Il appartient à chacun venu prendre le pouls de la manifestation de prendre ses marques et de s’inscrire dans les différentes activités. En début de matinée, j’erre un peu, ce doit être ça le tâtonnement expérimental.

Les inscrits se retrouvent dans leurs salles d’ateliers longs : sur les 10 jours ils se retrouvent chaque matin durant 3 heures autour d’une thématique, il y en a pour tous les goûts et une vingtaine environ : de « la question des croyances dans la classe » à « l’Amazonie la connaître et la préserver », en passant par « les droits de l’enfant », « la réalisation de documentaires pour les élèves et les enseignants », « les traces du commerce triangulaire à Nantes », « la différence sexuelle pour une citoyenneté pleine et entière », « la coopération internationale et la formation », « le corps à l’école »… Je comprends vite qu’il me sera impossible de tous les visiter, dispatchés qu’ils sont sur les 3 ailes du lycée. Mais en passant dans les couloirs j’aperçois les uns pieds nus en train de mener une danse, d’autres plongés dans différents outils, quantité de schémas et de frises, des cartes et des « bricolages » variés.

Nature et culture…

Il me faut faire un choix, il sera « écologique » : je décide de cibler un atelier où la réflexion est en prise directe avec la thématique globale, je vise local sur un atelier proposé par le groupe IDEM 44 (mais fréquenté par des participants de différentes origines). Il s’agit d’un atelier intitulé « écologie et pédagogie : la nature au centre des apprentissages : se questionner sur ce qu’elle est, ce qu’on en fait et ce qu’on pourrait en faire ».

Là on ferraille sur comment restituer en fin de rencontres la teneur et l’esprit du travail effectué. Quel support utiliser, vivre les situations en direct, les présenter sous formes de photos, de vidéos? Les contraintes matérielles sont à prendre en compte : le nombre énorme de personnes dans le public, la disponibilité du matériel vidéo… Il apparaît indispensable qu’il faille rendre les participants de la RIDEF le plus possible acteurs. Des questions pratiques de pédagogues, en sorte.

Après une collecte d’éléments naturels sur le site des rencontres, le groupe a inventé plusieurs jeux avec ces éléments. L’esprit coopératif prévaut. Les règles sont expliquées mais il faut réussir à s’entendre : pour communiquer avec une portugaise, renouer avec l’anglais…

Les enfants des participants, inscrits à la colo organisée sur le site viennent eux aussi tester les jeux, ils sont soumis à la même contrainte de réussir à se comprendre, ils réinventent un langage du corps et des signes.

Entre adultes on échange autour du jeu, des créations obtenues, est-ce du land-art ? Pas vraiment, la création, aussi belle et agréable à regarder soit-elle, il s’agit plus dans cette démarche de dépasser le plaisir de l’instant et d’acquérir une certaine responsabilité. De penser nos actes et leur relation à la nature en gardant toujours à l’esprit le futur et ce qu’il adviendra.

Signes et sens

Direction l’atelier axé sur les créations mathématiques où l’on s’interroge sur comment faire co-exister mathématiques et naturel, en suivant les préceptes de Paul Le Bohec. Il y est plus spécifiquement question à ce moment de la matinée des enfants de maternelle. La question de la trace est prédominante. C’est un véritable écueil avec les jeunes enfants. Il apparaît qu’avant de pouvoir se lancer dans des travaux de véritables créations ou inventions mathématiques, il faille que les enfants se soient bien familiarisés avec les outils et le langage mathématiques. Aussi est-il préconisé toute une période longue de diverses manipulations et tâtonnement avec des gabarits, différentes façons de représenter le nombre, des livres à compter de Brissiaud en passant par les blocs logiques. Quand les enfants auront acquis une représentation de ce qu’est le domaine « mathématique » ils pourront se lancer dans la création et continuer de découvrir, par exemple la symétrie axiale par l’intermédiaire d’un dessin commencé sur quadrillage.

On s’interroge tout de même sur la portée des représentations qui se sont construites à la maternelle, et la lourde responsabilité de ne pas les figer, Rémi Brault insiste ainsi sur ce qui est pour lui l’une des raisons de l’échec en mathématiques en fin de primaire et au collège.

Table ronde : la destruction de l’école publique en Europe.

Ils sont trois intervenants : un italien, un espagnol, une française et dans le public plusieurs autres nationalités qui échangeront sur les portées des politiques publiques des dernières années sur leurs systèmes éducatifs respectifs. Le tout en veillant au rythme des traductions simultanées et différées.

Giancarlo Cavinato (Movimento di Cooperazione Educativa -MCE) s’arrête sur 3 faits aux lourdes répercussions dans le système scolaire italien : la réduction du temps scolaire qui se concentre sur le matin, la fin des petits groupes de travail avec l’interdiction de mener la classe en co-présence d’enseignants, la réduction du nombre de postes d’enseignants qui alourdit les effectifs des classes. Il constate ensuite que le système éducatif stigmatise certaines populations: le retour à l’évaluation sommative conduit à des dérives sélectives alors qu’en Italie le principe d’une évaluation formative était bien ancré dans les pratiques depuis les années 70. La baisse du nombre de postes pour l’intégration des enfants handicapés ou en difficultés conduit à laisser ces populations à l’abandon. Enfin la fin du travail en petits groupes avec les enfants migrants cause à ces enfants des difficultés, parallèlement les pressions ethnocentriques, xénophobes et racistes se développent et l’opinion commune tend à croire que les enfants migrants sont la cause du ralentissement des apprentissages chez les autres enfants. Il faudrait donc les séparer dans un système cloisonné afin que leurs difficultés ne « polluent » pas l’ensemble de la population intégrée. Giancarlo Cavinato observe cependant que 3 axes de résistances sont possibles : définir pour chaque institution scolaire un projet d’identité affirmé d’accueil de tous les élèves sans exception pour résister aux pressions extérieures ; former et en tant que mouvement pédagogique s’associer au travail de formation des futurs enseignants en le revendiquant auprès des instances ministérielles et gouvernementales ; développer la coopération entre institutions publiques. Il insiste sur la nécessité que les éducateurs apprennent à se considérer comme des acteurs du monde éducatif plus que comme de simples employés et conclue en citant Rita Borsellino qui affirmerait que la mafia craint 3 choses : « la prison, que l’État lui retire tout ses biens, et l’Éducation ».

La transition est toute trouvée pour Alfredo Lopez Serrano, qui fait le lien entre une autre grande mafia, celle du G20 et le système éducatif espagnol. Il n’y a pas d’unité de ce système éducatif, en effet chaque province autonome a défini son propre système éducatif d’où une grande diversité : 17 « autonomies » soit 17 systèmes différents. Ce fait aurait pu entrer en contradiction avec l’unicité d’objectifs du G20 en matière d’éducation, mais Alfredo Lopez Serrano constate qu’il n’y a pas eu d’obstacles majeurs et qu’au contraire tout concorde, malgré la grande diversité des systèmes à la destruction du service public. Il évoque le poids de l’Église catholique qui monopolise les financements de l’État pour scolariser des publics très privilégiés. A contrario l’enseignement public perd ses moyens et scolarise essentiellement les populations défavorisées. Selon lui, la méthode employée a été une « méthode-choc » : tout s’est mis en place très vite sans que la population et les enseignants aient pu intervenir.

En France le sentiment demeure pour Muriel Quoniam (ICEM) que tout s’est institué petit à petit pour distiller les réactions et qu’au contraire de l’Espagne, ce n’est pas une « méthode-choc » qui a été utilisée mais la « métaphore de la grenouille ». Au lieu de jeter la grenouille dans l’eau bouillante et prendre le risque qu’elle se sauve de la marmite, l’OCDE préconiserait au contraire de la placer dans l’eau froide, de faire chauffer l’eau tout doucement afin qu’elle s’endorme et finisse de cuire tranquillement avant qu’on puisse la déguster.

Illustrant son propos en s’appuyant sur la maternelle, une partie du système éducatif français qu’elle connaît bien, Muriel Quoniam retrace comment sur ces 12 dernières années l’ensemble des moyens n’a pas été retiré d’un coup ou la profession se serait manifesté, mais comment petit à petit différentes mesures saupoudrées ont contribué à détricoter l’ensemble. Un intervenant suisse note que chez lui on parle de « technique du Salami » : tranche par tranche…

Elle note qu’alors que l’école maternelle avait permis à sa création aux femmes de travailler, on assiste à un retour des femmes dans leurs foyers avec les mesures mises petit à petit en place, en particulier la disparition de la petite section, la mise en place des jardins d’éveil, dont le décret d’application est paru début juillet. Elle évoque successivement l’arrivée de l’évaluation à l’école maternelle, les campagnes de mauvaise presse autour de la scolarisation des enfants de 2 ans, les dispositions prises pour que les structures petite enfance puissent accueillir au-delà de 3 ans les jeunes enfants et prédit la fin de l’école maternelle. Pour elle la même logique s’est appliquée à détruire les Réseaux d’Aide aux Enfants en Difficulté et le système public d’éducation dans son ensemble.

Les Allemands font le parallèle avec leur système qui cloisonne les filières et oriente les enfants de façon très précoce, à 10 ans les dés seraient déjà jetés…

Entre respect des temps de traductions et éclairages sur chaque situation locale tout en essayant de dépasser les particularismes, rendez-vous est pris pour un temps « d’atelier court » sur la question des résistances et de pouvoir l’envisager de façon internationale.

Le point de vue de Catherine Chabrun

Pour cette journée, les éditeurs sont également présents, et évidemment les éditions ICEM, à leur stand je retrouve Catherine Chabrun, élue au bureau national pour évoquer entre autres la situation actuelle de l’ICEM au regard de la baisse annoncée de leur subvention

Un mot sur le succès de ces rencontres et comment se porte le mouvement ICEM :

CC : C’est un mouvement qui a une bonne activité, il produit beaucoup, assure la formation, organise ces rencontres, nous restons dynamiques.

On a appris dernièrement la baisse de vos subventions, qu’en est-il ?

CC : En tant qu’organisme complémentaire de l’Éducation Nationale, l’ICEM est depuis longtemps subventionné et soutenu par l’État. Le soutien consiste en une subvention (versée pour des actions spécifiques) et une mise à disposition d’enseignants détachés. Aujourd’hui nous apprenons une baisse de 10% du montant global de la subvention du ministère consacrée à nos actions, autant dire une goutte d’eau dans le budget de l’EN. A cette baisse s’ajoute la suppression d’1.5 postes d’enseignants mis à la disposition du mouvement. Pour ces postes, nous savions depuis un an que nous allions les perdre, le ministère nous avait prévenu en septembre 2009 que ces postes étaient maintenus pour l’année à titre dérogatoire mais qu’il nous fallait réfléchir à notre organisation.

En réalité cela fait 10 ans que les moyens baissent petit à petit. En gros nous avons perdu le 1/3 de notre subvention de l’époque. Et en 2 ans nous avons perdu 2.5 postes de détachés. Mais en février dernier quand nous rencontrions M. Parisot au ministère il nous annonçait que nous allions pouvoir continuer à fonctionner à moyens constants.

Il faut voir également que pour les postes de détachés le Ministère indemnise les salaires en se basant sur un salaire moyen d’enseignant, sans tenir compte du réel indice des enseignants détachés. Si l’ICEM souhaite indemniser les enseignants détachés selon leur indice il y a un manque à gagner.

Quelle implication cette baisse aura-t-elle sur vos actions ?

CC : Il y aura forcément diminution de nos activités, de nos actions de formations. Nous allons devoir encore plus compter sur nos forces militantes . Mais nous nous estimons « moins mal lotis » que d’autres mouvements pédagogiques qui subissent une répression encore plus forte et soudaine. Nous sommes solidaires de ces mouvements, particulièrement le GFEN et les Cahiers Pédagogiques et avons tenu à exprimer cette solidarité. La constitution du CAPE en ce sens vraiment importante.

Le succès international de ces journées est-il perçu par le Ministère ?

CC : Bien sûr, ils savent qu’on fait tout cela, ils ne peuvent le nier. Les courriers officiels nous encouragent mais c’est le chat qui se mord la queue. A la fois le Ministère a besoin de nos forces vives pour la formation par exemple et en même temps il diminue nos moyens de fonctionner. Il a été particulièrement question de la pédagogie Freinet pendant les États Généraux sur la violence à l’école et on reconnaît l’apaisement que procure dans les classes la pédagogie Freinet. Au travers de la RIDEF c’est aussi l’image de la France, de sa pédagogie qui irradie sur le monde entier, c’est entre autres, ce que nous disons au Ministère quand nous sommes amenés à le rencontrer…

Esquisse de portrait :

Jean DAYÉ est enseignant au Bénin. Pour lui les RIDEF sont l’occasion d’échanger sur ses pratiques avec d’autres enseignants. Il évoque Eustache Prudencio l’un des précurseurs de la pédagogie Freinet dans son pays et la longue histoire initiée par Freinet lui-même avec l’Afrique. Le but de Jean est de rendre les élèves autonomes et chacun acteur de ses apprentissages, même si dans les faits des élèves il peut en avoir plus de 40…

Venir à la RIDEF c’est également l’occasion de tisser plus solidement les liens qui unissent la CAMEM à la fédération internationale (FINEM) et au mouvement français. Alors il a participé avec d’autres enseignants africains venus du Togo, du Burkina, du Sénégal et des membres français du secteur international de l’ICEM à un atelier consacré à cette question.

Sur le net : suivre la RIDEF au jour le jour :

http://www.ridef-nantes.org/