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Par François Jarraud

A Lisbonne en 2000, les pays européens se sont fixés des objectifs éducatifs qui devront être atteints en 2020, chaque état restant le seul pilote de son système éducatif. Où en est la France ?

« Les écoles doivent aider les élèves à assumer la responsabilité de leur apprentissage et de leur développement personnel tout au long de la vie, et leur fournir les compétences essentielles, c’est-à-dire les connaissances, les aptitudes et les attitudes nécessaires à leur bonne intégration dans la société et la population active. » Cela se traduit par des objectifs chiffrés pour 2020 :

· Au moins 95% des enfants entre l’âge de quatre ans et l’âge pour commencer l’enseignement primaire obligatoire devraient participer à l’enseignement préscolaire;

· Le taux moyen des jeunes de 15 ans ayant des lacunes en lecture, en mathématiques et en science devrait être inférieur à 15%;

· Le taux moyen de décrochage scolaire devrait être inférieur à 10%;

· Le taux moyens d’adultes entre 30 et 34 ans ayant une éducation de troisième cycle devrait atteindre au moins 40%; et

· Une moyenne d’environ 15% des adultes (de 25 à 64 ans) devraient participer à l’éducation et la formation tout au long de la vie.

Cinq critères de référence ont été fixés pour 2010:

· Réduire le décrochage scolaire pour qu’il ne dépasse pas 10 %;

· Réduire d’au moins 20 % le pourcentage d’élèves présentant des difficultés de lecture;

· Assurer qu’au minimum 85 % de jeunes terminent le deuxième cycle de l’enseignement secondaire;

· Accroître le nombre de diplômés universitaires en mathématiques, sciences et technologies d’au moins 15 % et réduire le déséquilibre existant entre les hommes et les femmes dans ces domaines;

· Assurer une participation de 12,5 % de la population adulte (25 à 64 ans) à l’éducation et à la formation tout au long de la vie.

Le dernier rapport de suivi date de 2009 montre que la France a encore du chemin à faire. Il y deux domaines où la France excelle c’est le taux d’enfants scolarisés en pré-élémentaire et le pourcentage d’étudiants en sciences (proportionnellement le double qu’aux Etats-Unis !). Par contre les résultats sont alarmants en ce qui concerne les difficultés de lecture. La France a aussi de gros efforts à faire sur le décrochage scolaire et la formation tout au long de la vie.

Mais il est vrai qu’elle fait partie des pays où l’investissement éducatif a le plus diminué et où le ratio prof / élèves est le plus élevé.

Le rapport de suivi 2009

http://ec.europa.eu/education/lifelong-learning-policy/d[…]

La stratégie de Lisbonne

http://ec.europa.eu/education/lifelong-learning-po[…]

Quand les enseignants des collèges se frottent aux difficultés de lecture…

L’académie de Créteil expérimente depuis cette rentrée un dispositif innovant pour remédier aux difficultés de compréhension de l’écrit en sixième. « Si on a des élèves qui ne sont pas lecteurs experts en 6ème, c’est normal. Ce n’est pas que l’école fasse mal son travail. C’est au collège de continuer les acquisitions ». Dans la bouche de Valérie Frydman, IA IPR de lettres, ça semble une évidence. Mais cette femme convaincue n’hésite pas à affronter le déni banal de ce qui traditionnellement est considéré comme appris à l’école.

Avec le soutien du recteur, elle a lancé en septembre dans toutes les classes de 6ème des collèges du Val de Marne une vaste campagne d’évaluation de la compréhension de l’écrit. Particularité : l’enquête engage tous les profs, y compris celui de maths ou d’histoire. Fin septembre, durant une semaine, les élèves ont subi 5 évaluations.

« L’objectif c’est que les professeurs puissent se représenter clairement ce que lire et comprendre veulent dire » ajoute V. Frydman. « Qu’ils découvrent ce que la recherche a à dire à ce sujet. Que cette question de la compréhension de l’écrit et des remèdes qu’on peut y apporter entrent dans culture professionnelle des enseignants du secondaire. »

La brochure d’évaluation sert aussi pour l’initiation des enseignants. Elle permet de dépouiller les tests et de proposer des pistes de remédiation pédagogique. C’est une révolution douce qui est en route dans le Val de Marne.

Entretien avec Valérie Frydman

Votre initiative est tout à fait originale. Qu’est ce qui la motive ?

La conviction que l’école est le ciment de l’intégration dans la société et que sa mission première est de construire la citoyenneté en donnant à tous en partage une langue et une culture (des références, des valeurs) communes, ce qui passe par une maîtrise de l’écrit qui ne va pas de soi pour tous les élèves.

Le constat qu’il est urgent, nécessaire et possible d’agir au bénéfice de tous les élèves. Ne pas être lecteur expert à l’entrée en 6e n’est un problème qu’à partir du moment où le collège ne prend pas sa part dans l’enseignement de la compréhension et le développement de la capacité à lire.

Et la volonté d’aider les professeurs du second degré : recrutés sur le seul critère des savoirs disciplinaires, venus à l’enseignement pour transmettre des connaissances, ils sont dans une impasse : à la fois démunis pour développer les compétences de compréhension et de production de l’écrit et prenant sans cesse appui sur l’écrit ( textes, documents, graphiques, tableaux, schémas) pour enseigner les programmes de leurs disciplines.

Cette initiative d’évaluation diagnostique de la compréhension de l’écrit en 6e est donc conçue pour permettre à chaque enseignant d’accéder à une représentation juste de ce qu’est l’activité de lecture pour les élèves, d’accepter d’être partie prenante dans le développement des compétences de lecteur, et d’enseigner conjointement le contenu des programmes et la compréhension de l’écrit.

Est-ce à dire que les collègues du primaire ne font pas leur travail ?

Les collègues du primaire font leur travail. Mais former des lecteurs compétents et polyvalents est un objectif ambitieux. D’ailleurs, la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école du 23 avril 2005 et le décret du 11 juillet 2006 sur le socle commun précisent bien que l’acquisition de la maîtrise de la langue française se construit tout au long de la scolarité obligatoire, donc à l’école et pendant les quatre années de collège. Le développement de la capacité à lire et à comprendre relève par conséquent de la responsabilité partagée des deux degrés d’enseignement.

Refuser d’admettre que les élèves ne sortent pas tous lecteurs experts de l’école primaire, c’est nier la réalité et, plus grave, dénier à ces élèves la possibilité de devenir lecteurs experts pendant leurs années de collège.

En général on considère que l’expression écrite c’est l’affaire du prof de français. Comment faites vous pour amener tous les enseignants à participer à cette enquête ?

En premier lieu, permettez-moi de souligner que l’évaluation de la compréhension de l’écrit mise en place dans l’académie de Créteil n’est pas une enquête dans la mesure où nous savons en effet ce que nous allons trouver : les évaluations diagnostiques nationales de rentrée organisées par la DEPP de 1989 à 2008 montrent que presque tous les élèves arrivent au collège en sachant prélever des informations ponctuelles dans un texte, un document ou un tableau, mais que beaucoup sont en difficulté dès qu’il s’agit de relier ces informations entre elles ou de déduire des éléments qui ne sont pas écrits explicitement. C’est pour aider les enseignants à résoudre ce problème que ce protocole a été créé.

J’ai donc limité ce protocole d’évaluation au domaine de la compréhension, alors que les protocoles de rentrée nationaux portaient sur trois champs : la compréhension, les outils de la langue, la production d’écrit. J’ai aussi jugé l’entrée disciplinaire du français insuffisante dans la mesure où le processus de compréhension ne dépend pas seulement des connaissances linguistiques mais aussi des domaines de savoir que produisent les disciplines scolaires et de l’encyclopédie personnelle du lecteur.

Pour impliquer tous les professeurs, le protocole a été construit à partir de supports relevant de plusieurs disciplines (le français, mais aussi les mathématiques, l’histoire, la géographie, la technologie, les sciences de la vie et de la terre) et intégrés dans cinq séquences d’évaluation indivisibles.

Les modalités d’organisation ont fait l’objet d’un cadrage institutionnel fort : circulaire académique du recteur le 15 juillet 2009, présentation du protocole d’évaluation aux chefs d’établissement lors de la réunion de rentrée de l’encadrement le 26 août 2009, aux équipes éducatives des collèges du 14 au 23 septembre 2009 (10 réunions de districts et 1 réunion à destination des collèges privés).

L’évaluation s’est déroulée du 28 septembre au 9 octobre 2009 dans des disciplines différentes, à raison d’une séquence d’évaluation par jour maximum dans le cadre horaire défini par l’emploi du temps. Une demi-journée a été libérée dans la semaine du 12 au 18 octobre 2009 pour permettre aux équipes de classe de procéder à une correction collective et partagée des cahiers des élèves

Rencontrez vous des résistances ? Des appuis ?

Le Recteur a appuyé le projet dès que je le lui ai proposé, en accordant les moyens demandés (mise à disposition de deux ETP, augmentation du budget d’animation). Par ailleurs, ce projet n’aurait pu se concrétiser sans l’engagement exceptionnel d’une équipe dont chaque membre a apporté ses compétences de haut niveau : je tiens tout particulièrement à remercier ici Mmes Annie Portelette et Bénédicte Etienne pour leur expertise didactique déterminante, Mme Sylvie Maltraversi et M. Patrick Restellini pour leur maîtrise approfondie de l’outil diagnostic, MM. François Larsonneur et Jean Gourdin qui ont créé et développé l’application web InfoMDL : sans eux, ce travail collectif n’aurait pas existé.

L’appui de l’IA-DSEN du département du Val-de-Marne a été aussi très important en termes d’organisation et d’impulsion.

Les résistances persistent, ce qui est habituel face à tout changement. La démarche proposée par ce protocole bouscule le cloisonnement des disciplines dans le second degré et dérange les habitudes de travail. Mais surtout, elle va à l’encontre de la représentation archaïque mais bien ancrée, selon laquelle la formation du lecteur est essentiellement l’affaire du premier degré, accessoirement l’affaire du professeur de Lettres, nullement l’affaire des autres disciplines.

Comment l’évaluation s’est elle passée ? Avez vous des informations sur ses résultats ?

Il est trop tôt pour faire le bilan.

Le module de saisie des résultats est ouvert jusqu’au 25 novembre 2009 pour rectifier les erreurs de saisie que nous avons constatées.

Le module de restitution des résultats a été ouvert le 6 novembre. Il permet de visualiser sous forme de graphiques et de tableaux pour chaque établissement, chaque classe et chaque élève, le niveau de maîtrise des compétences essentielles à la compréhension de l’écrit.

J’organise cette semaine, les 16, 19 et 20 novembre 2009, trois réunions de bassins à destination des chefs d’établissement pour faire le bilan de la passation et des corrections et mobiliser sur l’exploitation pédagogique des résultats.

Concrètement l’enquête doit permettre de repérer quelles difficultés ?

Comprendre un écrit nécessite de prélever et traiter des informations.

Le prélèvement d’informations est en général acquis à la fin de l’école primaire, mais le traitement des informations est en cours d’acquisition à l’entrée en 6e. C’est pourquoi certains élèves ont des difficultés à relier entre elles des informations explicites et à déduire des informations implicites.

Un exemple de mise en relation concerne les différentes désignations. Ainsi, il convient de comprendre que dans un document de SVT « chat », » il », « félin », « mammifère » désignent un seul et même animal.

De même, dans un courrier signé Claude, il faut savoir déduire des participes passés accordés au féminin que l’auteur du message est une femme (exemple de déduction de l’implicite).

Comment le prof de maths ou d’histoire va-t-il pouvoir remédier à cette difficulté ?

D’abord, en portant un regard averti sur les textes, énoncés, documents, etc… qu’il donne à lire. La catégorisation proposée (prélever/traiter l’information) permet d’anticiper les difficultés de compréhension des élèves et de les aider à les surmonter.

Ensuite en clarifiant les procédures et stratégies utilisées par le lecteur expert cf supra

Le livret du maître propose des pistes d’explications sur les difficultés des élèves et la façon d’y remédier. Il est très succinct mais il fait quand même près de 100 pages. Peut-on demander aux enseignants d’assimiler vraiment tout cela ?

Non seulement on le peut, mais on le doit. Si évidemment, on est favorable au maintien du collège pour tous…

La situation actuelle met en évidence que les réponses par les dispositifs et les structures n’ont pas suffi. Il s’avère nécessaire d’aider les enseignants à accroître leur compétence professionnelle dans le domaine particulier de la compréhension de l’écrit.

Pour les professeurs qui vont s’engager dans cette voie, quelles aides sont prévues ?

L’équipe MDL de l’Académie de Créteil animera des formations sur sites dans les collèges du Val-de-Marne en réponse aux demandes qui lui seront faites.

Par ailleurs, un groupe de travail interdisciplinaire ( cf organigramme de la mission MDL sur le CARMaL) est d’ores et déjà mobilisé pour produire des ressources de formation à distance.

Vous mentionnez les travaux de Fayol, Gombert, Goigoux, Cèbe etc. Pourquoi ces travaux sont-ils peu connus des enseignants du secondaire ? N’y aurait-il pas un problème de formation ?

Il y a bien évidemment un problème de formation universitaire, initiale et continue. Aujourd’hui, la formation universitaire n’est pas suffisamment axée sur l’épistémologie des disciplines et les théories de l’apprentissage. La prise en compte de ces dimensions dans les concours de recrutement de l’enseignement secondaire donnerait sans doute aux enseignants davantage de prise dans l’exercice d’un métier non seulement complexe, mais en évolution permanente ; c’est la condition nécessaire pour transformer le collège unique en collège pour tous, transformation à laquelle j’aspire profondément.

Valérie Frydman

Entretien : François Jarraud

Le site de l’opération

http://www.langages.crdp.ac-creteil.fr/rubriques/pratiques_pedag[…]

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