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Par François Jarraud

S’il y a un domaine où on attendait Luc Chatel c’est celui-ci. Dès son arrivée au ministère il a annoncé un grand plan numérique. On l’attend encore. On verra plus loin le rapport Fourgous et ce qu’il est advenu. Mais pourquoi faut-il souhaiter un saut dans le numérique ?

L’école sera numérique parce qu’elle doit être plus efficace. C’est-à-dire capable de hisser un pourcentage supérieur de la jeunesse vers des études supérieures longues. Rappelons parmi les particularités du système éducatif français son taux croissant d’échec en lecture et en maths (22% d’élèves mauvais lecteurs dans Pisa 2006), son nombre important de jeunes quittant l’école sans qualification reconnue (130 000), son faible taux d’accès aux études supérieures longues (64%). Ces taux ont évidemment un lien dialectique. Ces mauvais résultats auront un impact économique croissant face à des pays qui peuvent entrer dans la compétition mondiale parce qu’ils ont la main d »œuvre compétente pour le faire. L’OCDE a pu calculer la plus value apportée par des études supérieures à l’intéressé mais aussi à l’ensemble de la société. Le même calcul existe pour les jeunes non diplômés. Si l’école n’est pas à même de produire les travailleurs qualifiés nécessaires au développement économique durable, nous ne pourrons même plus financer l’école traditionnelle.

Le numérique est-il à même de relever le défi de la transmission du savoir ? Sans doute pas à n’importe quelle condition. Mais il permet de lutter contre le décrochage et donc de faciliter la démocratisation de l’enseignement, qui est le vrai enjeu de ce début de siècle. L’étude de Jean Heutte montre l’efficacité des technologies de l’information et de la communication pour progresser scolairement : les élèves habitués à utiliser les tic ont de meilleurs résultats et particulièrement sur des items qui commandent la suite des études, comme la lecture et l’écriture. Le numérique favorise aussi le travail collaboratif des enseignants et là aussi cela se répercute sur le niveau des élèves.

Le numérique est aussi le langage de la jeunesse actuelle, son univers. Il y a des régimes pour persévérer à enseigner dans une langue étrangère à celle de la jeunesse. C’est d’ailleurs ce que faisait l’école de Jules Ferry et ce n’est pas pour rien dans son échec. A moins de se désintéresser des jeunes, il est vital si l’on veut démocratiser l’enseignement, c’est-à-dire amener les enfants des milieux défavorisés vers l’éducation, de créer des passerelles entre l’école et son environnement.

Le numérique est aussi le langage de la culture. Toute la culture contemporaine, même les tribunes journalistiques, est numérisée. La question pour l’école c’est justement de donner à tous les enfants les clés pour pouvoir accéder à ces outils culturels et en tirer parti. Refuser le numérique c’est simplement ne pas donner aux jeunes les moyens d’accéder de façon efficace et critique à la culture. C’est les enfermer dans une culture scolaire qui souvent s’éloigne rapidement de la culture savante. Faire de la géographie aujourd’hui ce n’est pas apprendre la carte du Vidal c’est savoir utiliser un SIG ou décrypter une image satellitale. Si la culture scolaire ne peut pas être la culture savante ou même la culture professionnelle, elle doit s’en rapprocher. Là encore on sait comment l’école de Jules Ferry construisit des disciplines et des savoirs disciplinaires souvent fort éloignés des savoirs savants.

Le numérique peut-il assurer la formation morale des jeunes ? A lui seul certainement pas. Mais il les expose justement à la nécessité d’une éducation non seulement citoyenne mais aussi des usages sociaux. Il est urgent que l’école s’empare de cette éducation. Certains de nos voisins ont décidé de le faire sérieusement dès le primaire. Rappelons là aussi aux partisans de l’école de Jules Ferry, soit-disant « garante des valeurs de la République » qu’elle n’a pas empêché la faillite politique et morale de 1940.

Comme l’école française a perdu beaucoup de temps pour amorcer une véritable mutation qui permette sa démocratisation, on aimerait que le tournant du numérique, parce qu’il peut être porteur d’une mutation plus vaste, soit pris rapidement.

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