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« Les enseignants attendent de ce rapport qu’il ouvre des portes vers une acculturation. Ils y trouvent de quoi espérer, mais presque trop, parfois ». Docteur en sciences de l’éducation, formateur-chercheur au CEPEC, Bruno Devauchelle connaît remarquablement les rapports difficiles entre les TICE et l’Ecole. Il réagit, pour les lecteurs du Café, au rapport Fourgous.

Le rapport parlementaire remis par M Fourgous au ministre de l’Education est pétri de bonnes intentions et d’idées intéressantes. Malheureusement à vouloir tout couvrir, il risque la dispersion. Mais surtout c’est l’impression d’a peu près et de pas fini que l’on ressent à la lecture du rapport complet.

Premier constat, la variété des sources consultées est riche, et l’on ne peut que féliciter les rédacteurs de cette volonté de « citer » tant de références. Mais citer ne suffit pas. La ligne directrice sous jacente est restée la même qu’au départ. Autrement dit les auteurs du rapport ont souffert de ne pas écouter l’Ecole et de trop écouter les TIC dont a priori ils rêvent de leur pouvoir magique de transformation de l’école (et parfois à court terme). Beaucoup de survol ne fait pas la justesse de l’analyse, malheureusement et encore moins l’utilisation d’extraits « choisis » de ces sources si riches et si nombreuses.

Mais surtout il y a une croyance aveugle en un modèle de l’apprentissage qui n’est pas du suffisamment analysé et une idée de la toute puissance des TIC (et des avatars) qui demande toujours à être vérifiée au delà des seules pseudo-efficacités des TIC prises ici ou là dans des discours de pionniers. Vivre au contact quotidien des équipes enseignantes ramènerait sûrement les auteurs à certaines réalités que la formation (sans préciser laquelle) ne peut suffire à s’approprier pour mieux les faire évoluer. Saluons cependant la volonté de renverser le modèle équipement/formation pour le modèle formation/équipement, déplorons l’absence d’une réflexion sur le « système » scolaire.

Plusieurs remarques me semblent nécessaires pour accompagner et élargir les conclusions de ce rapport :

1 – Mieux connaître le quotidien de l’établissement et les TIC : un environnement fiable et un accompagnement de proximité

La lecture du rapport ne peut que renforcer les nombreuses observations des enseignants et en particulier celle concernant le besoin de formation. Mais au delà de cette formation, il faut mieux en définir les contours : ainsi le développement de personnes ressources dans les établissements (ce qui existe déjà dans certaines académies comme celle de Poitiers) est un élément essentiel. Associant l’aide pédagogique à la formation, ces personnes, formées non pas seulement sur un modèle technicien mais surtout sur une base pédagogique, ont un rôle de proximité sans lequel rien ne peut se faire. La fiabilité de l’environnement numérique du travail des enseignants reste encore trop souvent un facteur de mécontentement et freine souvent les enthousiasmes. Renforcer la souplesse et la qualité des outils est un gage de réussite dans un environnement traditionnel (programmes, emplois du temps…) qui n’incite pas « naturellement » à utiliser les technologies

2 – Accompagner les évolutions de la culture des enseignants

Comme le souligne justement le rapport, les enseignants ont, pour la plupart adopté l’utilisation des TIC pour leur travail personnel. Mais souvent, comme les élèves, (incluant bien évidemment les connaissances indispensables) leurs compétences sont souvent parcellaires, incomplètes. Ainsi la maîtrise de la veille informationnelle dans le domaine de spécialité est bien souvent défaillante chez la grande majorité. Ce sont ces mêmes enseignants qui déplorent l’incapacité des élèves dans leur recherche d’information et leur facilité à copier coller, alors qu’eux mêmes sont souvent déstabilisés par ces environnements. Les TIC et en particulier les ENT sont une opportunité formidable pour que ces évolutions se fassent de manière sereine. Mais il faudra sûrement expliquer, partager, expérimenter, et autoriser les essais pour que peu à peu l’appropriation personnelle des TIC devienne professionnelle. Ainsi qu’on peut l’observer dans le cas de l’ordinateur portable dans les Landes, il faut du temps et de l’obstination pour le changement, souvent lent en éducation. Or les changements culturels demandent du temps, encore faut-il qu’on ne veuille pas qu’ils se réalisent à la vitesse des changements technologiques.

3 – L’importance des questions didactiques

On est un peu surpris de ne pas voir davantage figurer dans le rapport la place des contenus des disciplines comme vecteur pour encourager les pratiques. Il suffit d’observer ce qui se passe en mathématique avec l’épreuve du baccalauréat ou encore en physique pour les TP au baccalauréat pour se rendre compte qu’il y a des changements réels qui s’opèrent en ce moment qui sont au cœur de l’identité enseignante constituée par les contenus d’enseignement et donc la didactique. Certes l’hypothèse constructiviste est intéressante, mais elle n’est rien si elle n’est pas associée à des démarches comme celles de la main à la pâte, ou encore aux démarches d’investigation au collège, ou encore à la démarche de problématisation en histoire géographie… Regardons l’importance des TIC pour le croquis en géographie pour se rendre compte que c’est aussi (et probablement avant tout) par cette entrée que les TIC prennent place dans les pratiques réelles.

4 – La nécessité de visée et de stratégie organisationnelle

On ne peut concevoir un établissement qui utilise régulièrement les TIC sans réfléchir au fonctionnement quotidien de celui-ci. Locaux, horaires, circulations etc. sont la base d’une organisation qui a été conçue bien avant que les TIC n’émergent. On a peu profité des retours d’expérience comme le lycée des Ponts de Cée jadis ou encore d’autres établissements dont certains avaient, par exemple, mis en place des espaces d’autoformation multimédia en lien avec les CDI. Donner à voir le cahier de texte de la classe sur Internet est un bouleversement qui dépasse la simple question de l’ouverture au parent. Permettre à l’élève de poursuivre son travail au delà des murs de l’établissement est une « bonne intention », mais qui a des conséquences importantes sur le management pédagogique de l’établissement. La formation des cadres, et l’ESEN s’en est déjà emparé avec son master à distance qui intègre des modules sur les TIC, est indispensable mais elle doit être liée à une réflexion sur la « réorganisation » du monde scolaire. Peut-on imaginer, à la suite de ce rapport que les prochaines architectures de nouveaux établissements soient pensées en lien avec de telles organisations nouvelles.

5 – Prendre en compte le cadre réel imposé par l’organisation scolaire

On peut être surpris que le rapport n’ait pas davantage repéré les freins propres à la forme scolaire, à l’institution scolaire. La contrainte imposée par les programmes et les examens, l’organisation dans des classes (souvent nombreuses et trop petites), le découpage disciplinaire rigide etc. sont autant d’éléments auxquels les TIC se heurtent. Reconnaissons la nécessité d’un équipement et d’une formation des acteurs, mais encore faut-il que le cadre de l’organisation puisse gagner en souplesse et adaptation. Chaque enseignant qui a recours à Internet dans sa classe pestera bien évidemment de tous les freins que pourra mettre l’établissement à cet usage : cela va de la gestion des salles spécialisées à la gestion des accès sécurisé, voire au simple filtrage d’adresse rendant impossible un usage raisonnable en classe.

On ressent bien évidemment en filigrane de ce rapport qu’il s’agit aussi de ne pas trop déstabiliser une institution alors que ses auteurs en perçoivent bien l’urgence, au risque d’une mise à l’écart du système éducatif dans l’accès à la culture numérique. Mais encore faudrait-il que les responsables du cadre de l’activité scolaire osent prendre en compte les changements déjà observés dans d’autres milieux professionnels pour repenser les établissements de demain, dans leur fonctionnement, mais aussi dans leurs programmes d’enseignement, leur organisation dans le temps, dans leurs modalités d’évaluation. Le développement, par ailleurs, des livrets de compétences et autres portfolio ou livret de suivi d’orientation vont dans le bon sens sur le principe mais ils sont indépendants des propositions, identiques (ou presque) de ce rapport. Il faudrait encourager davantage une convergence qui est prometteuse de changements dans l’ensemble de l’organisation scolaire dans ce qu’elle a d’essentiel : la mesure de ses effets.

6 – Passer de l’intégration à l’acculturation

Les enseignants attendent de ce rapport qu’il ouvre des portes vers une acculturation. Ils y trouvent de quoi espérer, mais presque trop, parfois. En voulant faire trop bien, embrasser trop large, les auteurs pourraient égarer les praticiens ordinaires que nous sommes : encore un rapport de plus et pendant ce temps là nos élèves continuent de s’envoyer des SMS en classe et parfois rechercher aussi des éléments pour enrichir le cours sur leur terminal mobile (Smartphone). Mais surtout nous voyons les jeunes en train de changer de culture alors que nous même sommes sur un chemin que notre cadre actuel de travail ne nous permet pas de faire évoluer rapidement.

L’accompagnement de terrain, le développement et le soutien aux communautés de pratiques, en particulier en ligne sont des voies, parmi d’autres, que l’on peut espérer voir se développer dans les années à venir. Il me semble qu’elles sont bien plus urgentes que le soutien aux producteurs de ressources soutenues depuis si longtemps. En ne réduisant pas le problème à la seule pédagogie constructiviste dont on connaît certaines des limites mais en y intégrant la question des contenus disciplinaires et interdisciplinaires il y a aussi de quoi faire. Enfin en allant vers un « nouvel établissement scolaire numérique » encore à inventer on pourrait espérer que nombre des propositions de ce rapport soient mises en action.

Conclusion

Il nous semble nécessaire d’abandonner le paradigme de l’intégration si souvent utilisé pour évoqué la place à donner aux TIC en éducation. En effet intégrer c’est obliger le corps étranger à s’adapter au milieu dans lequel il va vivre, sans que celui-ci soit modifié. Le chemin à suivre est plutôt celui du paradigme du métissage. Cela signifie que pour que les TIC aient une place dans le monde scolaire, il ne suffit pas qu’elles s’adaptent à l’univers scolaire, mais il faut absolument qu’il se modifie et profite des potentiels apportés par les possibilités d’usage propre aux TIC. Le paradigme du métissage est avant tout une visée culturelle avant d’être un visée technicienne ou seulement scolaire. Aller vers l’acculturation c’est bien évidemment aller vers le métissage porteur d’identité nouvelle.

Ce sont là quelques uns des points d’accentuation sur la base desquels, il me semble, il faudrait trier les propositions si diverses et si intéressantes de ce rapport. On peut espérer que Luc Chatel et ses conseillers sauront ne pas se contenter de l’apparat des annonces (dont le rapport rappelle avec justesse celles qui ont précédé) si souvent utilisé et préférer sélectionner les axes les plus pertinents dans un véritable souci de la place du numérique dans le système éducatif. On regrettera simplement que ce rapport n’ait pas osé aller sur le terrain plus éloigné des finalités pour proposer enfin une vision de la société de demain vers laquelle de telles mesures pourraient permettre de conduire. On saluera le courage des auteurs et la qualité du travail fourni qui fera sûrement référence dans les prochaines années.

Bruno Devauchelle

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