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Par François Jarraud

« Il faut à la fois les faire parler, et qu’ils se taisent »… Le désordre, le bruit qui franchit les murs de la classe est le symbole de la mauvaise réputation du prof. Car le bon prof, lui, « a de l’autorité ». C’est cette denrée rare qui était l’objet le 10 mars 2010 de la 6ème conférence de consensus organisée par l’IUFM de Créteil. Devant un public composé de jeunes enseignants stagiaires et de formateurs, l’IUFM avait convoqué les auteurs faisant… autorité en la matière. Bernard Rey, Jacques Pain, Jean Houssaye, Erick Prairat, Christine Passerieux et Dominique Ottavi ont pu présenter leur conception de l’autorité. Le Café en rend compte dans un copieux dossier que nous vous invitons à consulter.

Pour Jacques Houssaye, « l’auctoritas est fondée sur l’attestation d’une forme de supériorité et non sur la puissance de contrainte ». Mais voilà, « les préoccupations des professeurs et des élèves ne sont pas les mêmes. Le prof attend de la participation et de l’engagement, l’élève attend un « bon cours » qui va être pris en note et limitera le travail personnel ». Voilà qui remet en question l’autoritas.

Pour Erick Prairat, « ce qui fonde l’autorité magistrale, c’est la culture, les oeuvres, le monde déjà-là. Le professeur introduit le nouveau venu, doucement, dans l’antériorité de la culture, rend la scène du monde signifiante. On ne s’autorise jamais seul à être responsable, y compris de soi. Toute relation d’autorité se joue donc à trois : l’enseignant, l’élève, le monde et ses savoirs. Quand ces derniers sont menacés, c’est la relation qui est menacée ». Et celle-ci s’érode sous des pressions à la fois sociologiques et anthropologiques. « La culture des pères cède le pas devant le culte des pairs ». Pour lui,  » il reste une voie qui noue attitude individuelle, organisation collective et affirmation politique : il n’y a d’autorité du professeur que dans l’attachement visible et ostentatoire à quelques grands principes moraux et intellectuels, la promotion et l’organisation de formes collectives de travail qui assurent l’avenir du travail professoral, l’affirmation politique forte de l’utilité publique de l’acte d’enseigner dans une société de la connaissance, la perspective d’une déontologie professorale ».

Alors l’autorité c’est s’ériger en modèle ? C’est rappeler ce que .P Meirieu écrivait en 2007 (Apprendre oui mais comment ?, ESF) : « Il est sans doute bon que l’éducateur se récuse comme modèle,mais cela n’a de sens pour l’enfant… que s’il avoue en même temps ses propres modèles et, témoignant de sa capacité à admirer, invite à dépasser ce qu’il ne représente qu’imparfaitement… Les véritables modèles sont ceux qui en ont un ». Ne serait-ce pas sur cette idée que peut se faire le consensus : désolé stagiaires, le chemin de l’autorité passe toujours par le travail sur soi.

Lire le dossier du Café

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/Auto[…]

La crise de l’autorité, c’est la crise de l’autorité autoritariste – Bruno Robbes

« Notre société met les jeunes devant des modèles contradictoires. D’un côté, la société de consommation les prend pour cible et leur fait croire que tout est possible tout de suite. De l’autre, l’école les met en position d’élèves avec des valeurs totalement différentes ». Pour Bruno Robbes, la crise de l’autorité à l’école est d’abord un phénomène de société, celui d’une évolution de l’image de l’enfance. Raison de plus pour les enseignants de se préparer et d’assumer l’autorité dont la classe a besoin. Pour cela Bruno Robbes nous invite à décrypter des situations précises de gestion de classe. Il nous invite à connaître les élèves, se connaître soi-même et à rester fidèle à quelques principes. Pas de recettes mais des solutions durables.

Actuellement l’Ecole semble soumise à des injonctions d’autorité venues du pouvoir politique. On assiste aussi à la multiplication des poursuites judiciaires pour des faits qui relèvent du pouvoir de sanction des établissements. Les enseignants se voient reprocher un manque d’autorité. Peut-on parler de crise de l’autorité à l’Ecole ?

J’avance plutôt qu’il y a une crise de la transmission. On a aujourd’hui une institution et des enseignants qui ont du mal à identifier sur quels repères s’appuyer pour faire accéder les élèves aux savoirs. D’autant plus que des choses ont changé dans le rapport entre autorité et savoir à l’école. Il n’y a pas qu’à l’école que l’on trouve du savoir et les savoirs sont devenus relatifs. Les contenus mêmes d’enseignement ont changé. Cela a fragilisé les repères des enseignants et ne les aide pas à exercer leur autorité. Au niveau de l’institution, des responsables politiques ont aussi du mal à clarifier ce que la société attend de l’école aujourd’hui. On le voit par exemple dans le peu de suites données au grand débat sur l’avenir de l’école lancé en 2003, ou dans l’évolution des programmes du primaire entre 2002 et 2008. C’est plus ça qui pose problème : la crise de ce que l’école doit transmettre.

Robert Gloton disait que « le respect, comme l’amour, s’éprouve mais ne se commande pas ». Fernand Oury, lui, disait que « celui qui fait autorité n’est pas autoritaire ». La compétence du maître fait l’autorité et celle-ci se traduit pas des actions, observables des élèves ». Faire autorité est sans doute la dimension la plus importante dans l’autorité, car elle donne forme aux deux autres dimensions, du statut et du sujet auteur (celui qui a suffisamment confiance en lui-même pour faire grandir l’autre). L’autorité éducative, c’est oser la relation à l’autre, aller au bout de la résolution d’un conflit, ne pas laisser tomber sa mission auprès des élèves.

Peut-on dire que cette crise de l’autorité est la crise de l’Ecole ?

C’est plus une crise de transmission que d’autorité, mais encore faut-il définir ce qu’on entend par autorité. La crise de l’autorité, c’est la crise de l’autorité autoritariste. Et cela vient de loin, de l’essor de l’imprimerie, du protestantisme et des libres penseurs. Quand les Protestants ont vulgarisé la Bible, ils ont remis en question l’autorité ecclésiastique, au sens où celle-ci émanait d’une transcendance (Dieu), jamais questionnée. Cette façon autoritaire d’agir ne fonctionne plus. Aujourd’hui on est dans des formes plus subtiles d’exercice de la contrainte. On le voit dans le monde de l’entreprise, où c’est le salarié qui se fixe à lui-même ses contraintes, sans pouvoir remettre en question certaines formes d’exercice du management.

Vous dites que « l’autorité est liée à la façon dont la société se représente l’enfance ». C’est la société qui est responsable des problèmes d’autorité ?

Je crois qu’effectivement, notre société met les jeunes devant des modèles contradictoires. D’un côté, la société de consommation les prend pour cible et leur fait croire que tout est possible tout de suite. De l’autre, l’école les met en position d’élèves avec des valeurs totalement différentes. A l’école, il faut faire un effort pour aller vers le savoir, ce n’est pas lui qui vient à vous. Apprendre est difficile, c’est un plaisir différé. Tout cela met les élèves dans une position paradoxale. Pourquoi le prof exige-t-il tant alors qu’ailleurs on exige peu ? Voilà un défi majeur. Cela amène à reposer la question de ce que la société attend de l’école. Or souvent, l’école n’est plus vue que comme un service de consommation comme les autres. Il y a un écart grandissant entre les valeurs de l’école et celles de la société. Du coup, cela crée un manque de légitimité pour les enseignants. La société ne sait d’ailleurs pas davantage ce qu’elle doit faire de ses jeunes. Aujourd’hui, un jeune sur quatre se retrouve au chômage. Le diplôme n’est plus une garantie d’accès à l’emploi. Les jeunes sentent tout cela, ce qui crée des tensions importantes jusque dans la classe.

Il y aussi l’aspect politique. Dans une société démocratique l’autorité scolaire peut-elle être autre chose que démocratique ?

Oui et non. Et d’abord, non. La relation prof-élève est asymétrique. L’adulte n’est pas l’enfant. Le prof n’est pas l’élève. Mais pour que l’autorité puisse fonctionner, il faut en même temps faire vivre une dimension symétrique dans la relation. De fait, la façon d’exercer l’autorité est sujette à questionnements, à conflits, à échanges de paroles. Pour le professeur, il s’agit d’entendre a minima ce que disent les élèves, de s’accorder sur certains arrangements et modes de fonctionnement, mais sans perdre de vue que certains éléments sont non négociables. C’est ce que je montre en rappelant dans une fiche en fin de livre, les trois lois fondatrices de toute vie sociale que l’enseignant doit poser. L’autorité repose sur cette tension entre l’asymétrie et la symétrie entre prof et élève.

Un point fort de votre ouvrage, c’est qu’il s’appuie sur une analyse de cas concrets. Que peut faire un enseignant pour poser son autorité ? Que doit-il apprendre ?

Je détaille cela dans la conclusion de la 3ème partie de l’ouvrage (pages 163 sqq). On peut aider l’enseignant à intégrer quelques principes d’action, comme ceux que j’ai dégagés à partir de mes entretiens avec certains d’entre eux, mais il n’y a pas de recettes. Donner des recettes particulièrement en ce domaine, ce serait très dangereux. L’idée de la recette, c’est qu’elle fonctionne à tous les coups, sans que le professeur ait besoin de réfléchir. Mais le problème, c’est que le prof est démuni quand la recette échoue. Ces principes d’action, eux, aident l’enseignant à développer sa réflexivité sur les situations qu’il vit, entre exigence et souplesse. L’enseignant a besoin d’entrevoir qu’il existe plusieurs façons d’agir possibles, parfois plus efficientes que celles qu’il met en oeuvre. L’analyse de situations entre enseignants avec un formateur compétent accélère ce processus de professionnalisation. Il faut encore admettre que l’exercice de l’autorité repose sur des savoirs d’action en termes de communication et de dispositif pédagogique.

Un premier principe, c’est l’interprétation juste des actions des élèves. Les enseignants prêtent souvent aux jeunes des intentions erronées. J’ai pu observer que certains jeunes enseignants agissent de façon appropriée, car ils compensent leur manque d’expérience par la qualité de leur interprétation des actes des élèves. Un autre principe, c’est savoir différer. Par exemple, dire que l’on reprendra un refus d’obéissance plus tard. Eviter d’entrer dans un rapport de force immédiat, mais ne pas lâcher l’affaire. Il est indispensable de reprendre l’acte et de lui apporter une réponse éducative. Ce n’est pas perdre son autorité que de dire qu’on remet le règlement d’un différend à plus tard. Cela permet d’éviter à la fois les situations de violence, sans pour autant laisser tomber.

Reconnaître ses erreurs, ce n’est pas non plus manquer d’autorité, au contraire. Les élèves voient que l’enseignant est une personne humaine. Cela renforce la crédibilité du professeur.

Un dernier principe – mais la liste n’est pas exhaustive – c’est le fait que l’enseignant soit à l’initiative du respect, sans condition préalable. Les jeunes sont en quête de modèles d’identification, c’est-à-dire d’adultes auxquels ressembler, au moins en partie. Et c’est la posture de l’adulte qui le permet. Si l’on parle mal à l’élève, il ne peut pas y avoir de respect en retour. Le respect et l’autorité sont très proches. Le fait de faire ce premier pas du respect, est une condition de l’autorité. Je développe cela dans le livre (par exemple pages 187-188).

On se rend compte qu’une partie de l’autorité repose sur la connaissance de l’autre et de soi. Comment comprendre l’autre quand on vient d’un milieu social très différent ?

C’est vrai que l’augmentation du niveau d’étude des enseignants va encore creuser l’écart avec les élèves des milieux populaires. Cela va rendre plus nécessaire de travailler sur la façon dont ces jeunes et leurs familles sont en rapport avec les savoirs et l’école, pour comprendre par exemple pourquoi ils n’entrent pas spontanément dans l’apprentissage. Certains sociologues et pédagogues nous y aident. Stéphane Bonnery ou les enseignants du GFEN montrent par exemple que le langage et les pratiques pédagogiques trop implicites des enseignants peuvent empêcher ces élèves d’accéder au savoir. Cela nécessite donc un travail de la part des enseignants. Là, on peut s’appuyer sur la tradition de l’école active, qui sait qu’il faut partir des représentations et du langage des élèves pour les faire apprendre. Il faut former les enseignants à ces pédagogies actives. S’inspirer par exemple de ce qu’Yves Reuter a constaté dans les écoles Freinet de Lille, du travail de Sylvain Connac et de ses collègues à Montpellier, de ce que font les enseignants qui pratiquent la pédagogie institutionnelle.

Quel est le prix à payer pour l’enseignant pour asseoir son autorité ?

C’est d’abord de modifier sa représentation de l’élève. Accepter de passer de l’élève idéal au réel. Du coup, changer sa représentation du métier. Le métier, ce n’est pas être savant. C’est « comment on fait apprendre les élèves ». L’autre élément, c’est encore le travail sur soi : l’écart entre ce qu’on croyait et ce qu’on découvre de ses façons de penser et d’agir. Dans les formations à l’exercice de l’autorité éducative que je propose à l’IUFM de Versailles, des enseignants prennent parfois conscience du chemin que la formation leur fait parcourir.

Comment accompagner ce chemin pour que prix à payer ne soit pas trop lourd ? Une formation au plus près est nécessaire. C’est là où l’on retrouve nos appréhensions devant la réforme de la formation des enseignants. Les enseignants tuteurs ne sont pas forcément une mauvaise chose. Mais il faut aussi transmettre un véritable bagage de réflexion. Comprendre ce qu’est l’autorité – et ce qu’elle n’est pas – dans la relation éducative, le fonctionnement de l’adolescent et ses incidences sur la relation prof élève, son – et notre – rapport au savoir, etc., voilà des choses essentielles. Or, cela va être de plus en plus compliqué à transmettre si la formation professionnelle est réduite à presque rien.

Comment former les professeurs à l’autorité ?

La question est complexe, car quand on écoute certains étudiants d’IUFM ou jeunes professeurs, c’est toujours ou trop tôt ou trop tard. Cette réaction s’explique par le fait que tant que l’étudiant n’a pas été confronté à un problème sur le terrain, il n’est pas toujours dans les dispositions intellectuelles pour travailler vraiment le sujet, intégrer les apports du formateur qui pourraient l’aider. C’est pour cela que je commence toujours mes cours sur l’autorité en disant que ce n’est jamais réglé une fois pour toutes, qu’il faudra y revenir tout au long de la carrière et en particulier les premières années. Et je pointe avec les étudiants les moments où on y travaillera.

Je dirais qu’en formation initiale, il faut d’abord clarifier ce qu’est l’autorité à partir des représentations des étudiants, puis travailler sur des situations brèves apportées par le formateur, qui amènent aussi les étudiants à parler de leurs pratiques, à analyser et à mettre en commun des réponses possibles dès leurs premières expériences de classe. Les groupes d’analyses de pratiques professionnelles sont également indispensables. Les enseignants peuvent y aborder des situations qui les préoccupent et l’on retrouve les problèmes de gestion de classe, de discipline et d’exercice de l’autorité. Ces groupes devraient être poursuivis pendant les 2 ou 3 premières années du début de carrière.

Cela n’exclut pas, par la suite, des apports théoriques ou l’étude de situations pédagogiques et didactiques plus « consistantes », favorisant l’exercice d’une autorité éducative. Ce travail vient ensuite, car il n’est pas « audible » par les débutants, « stressés » par la gestion de la classe au quotidien. Enfin, j’utilise fréquemment des monographies choisies, écrites par des enseignants qui pratiquent la pédagogie institutionnelle. Elles illustrent souvent comment un enseignant met en oeuvre des savoirs d’action en termes de communication ou de dispositifs pédagogiques, permettant de voir comment cela fait progresser des élèves.

Bruno Robbes

Entretien : François Jarraud

Bruno Robbes, L’autorité éducative dans la classe. Douze situations pour apprendre à l’exercer, ESF, Paris, 2010, 252 p.

http://www.esf-editeur.fr/detail/638/l-autorite-educative-da[…]


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