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Par Jeanne-Claire Fumet

La politique actuelle menace en profondeur le système scolaire, estime Patrick Roumagnac, secrétaire général du SI.EN-UNSA (syndicat de l’Inspection de l’Éducation nationale), à l’occasion de la conférence de presse de rentrée, ce lundi 30 août. Les dégâts ne seront pas visibles immédiatement, mais ils seront durables et lourds. Accompagné de Michel Volckcrick, secrétaire général en charge du premier degré, et en présence Patrick Gonthier, secrétaire général de l’UNSA et de Philippe Tournier, responsable du SNDPEN (syndicat des chefs d’établissements), partenaires d’une orientation fédérale, Patrick Roumagnac évoque quatre dossiers exemplaires de cette détérioration alarmante : la formation des enseignants, les rythmes scolaires, la rénovation de la voie professionnelle et la réforme du lycée.

Un dispositif de formation dégradé pour les nouveaux enseignants. Même si les dispositifs l’accompagnement mis en place pour la rentrée en dissimulent les premiers effets, surtout dans le primaire, la transformation du recrutement pourrait se révéler néfastes pour la professionnalisation des nouveaux recrutés. D’une part, la mobilisation de moyens pour les entourer se fera au détriment d’autres actions de formation destinées à l’ensemble des enseignants en poste, ainsi qu’au suivi des projets pédagogiques. L’impact de cette mesure sur la possibilité de formation, de mise à jour des connaissances, d’échanges, d’évolution des pratiques des enseignants, aura de lourdes conséquences sur les équipes. D’autre part, le manque de préparation au rôle de tuteur dissuade de nombreux enseignants ; la « chasse » aux volontaires risque de rattraper les plus fragiles, ceux qui n’osent pas refuser. On risque ainsi de trouver des enseignants peu expérimentés chargés d’orienter leurs collègues débutants. Dans un tel contexte, face à l’urgence et au souci de « tenir » devant les élèves, comment éviter que se construisent des stratégies de défense, avec pour but de « gérer les groupes », mais au prix de la qualité des compétences scolaires acquises par les élèves – surtout face à des jeunes peu confiants dans le système scolaire ?

Une modification péremptoire des rythmes scolaires. En réponse aux légitimes inquiétudes de la communauté scolaire, le ministère répond par des modifications brutales et non préparées, remarque Patrick Roumagnac : le passage à la semaine de 4 jours s’est fait « sur un claquement de doigts », le retour aux 5 jours serait aussi péremptoire. Les modèles dogmatiques et les solutions globales se succèdent là où des solutions sont à élaborer avec les enseignants, selon la diversité des situations et des conditions.

L’aide personnalisée en primaire, imposée dans ce cadre, s’est révélée inadaptée pour les élèves en grande difficulté, mais très profitable pour des élèves moyens qui ont besoin de reprendre certains éléments d’apprentissage de manière individualisée. Il faut du temps et du travail pour modeler cet outil en fonction des pratiques pédagogiques souvent inventives des enseignants. L’inspection veut exercer son rôle dans ce domaine : non pas normer mais aider à favoriser le réussite de tous les élèves. C’est en ce sens que le SI.EN-UNSA entend avec sympathie le souhait d’Alain Refalo, chef de file du mouvement de Résistance pédagogique (qui s’oppose à la réforme des programmes et à l’aide personnalisée sous sa forme institutionnelle) de se rapprocher de l’inspection en vue de concevoir des solutions concertées dans l’intérêt des élèves.

Une rénovation maladroite de la filière professionnelle. Le ministère a conçu la « merveilleuse idée » d’un bac professionnel en 3 ans, qui devait résoudre tous les problèmes de la filière professionnelle, ironise Patrick Roumagnac. Mais devant la difficulté d’amener tous les élèves au niveau IV, on a cru trouver la panacée : le diplôme intermédiaire, de niveau V (équivalent CAP/BEP). Pourtant, nul ne s’est préoccupé de la légitimité de ce titre au regard du monde du travail : assez lourd en temps et en moyens d’évaluation, le diplôme n’aurait aucune valeur aux yeux des chambres professionnelles. Les élèves recalés au bac pro seraient donc plus pénalisés encore par leur manque de qualification que les détenteurs d’un traditionnel CAP/BEP.

Une réforme des lycées compromise par la précipitation et l’exigence de résultats immédiats. Le SI.EN-UNSA estime « utile et attendue » la réforme des lycées ; mais la rapidité de sa mise en œuvre et l’exigence pressante de résultats quantifiables la mettent en péril. Il faut la concevoir comme un chantier à travailler, avec une culture à mettre en place. En faire un modèle immédiatement opérationnel expose à de brutales déconvenues : dans le domaine des langues vivantes, par exemple, la création de groupes de niveau est censée résoudre la pénurie d’enseignants et le manque d’outils. Mais la constitution des groupes ne peut pas se faire du jour au lendemain, sans préparation ni concertation, et des groupes hétérogènes peuvent parfois se révéler fructueux pour les progrès de l’ensemble des élèves. Le travail par groupes requiert des outils spécifiques qui ne sont pas encore disponibles : les éditeurs aussi ont besoin de temps pour concevoir des supports adaptés.

Les inspecteurs ne sont pas la roue de transmission d’un ministre qui est lui-même le porte-parole du chef du gouvernement, conclut Patrick Roumagnac. L’institution a besoin d’une ligne pédagogique claire et durable, pas d’un brouillon soumis aux impératifs de la vie politique et présenté comme un idéal achevé. La confusion entre le politique et l’éducatif aggrave la crise de confiance des personnels envers le ministère en donnant le sentiment d’une absence de projet construit à long terme.

Inspection et syndicats :

Les inspecteurs connaissent un taux de syndicalisation assez élevé : plus de 50% seraient inscrits à un syndicat. Les deux corps IEN et IA-IPR se partagent principalement entre SI-EN et SNIA-IPR (majoritaires) et SNPI-FSU et SIA (minoritaires). Dans la perspective des élections professionnelles de 2010, qui décidera de la survie des seules structures « représentatives », des rapprochements s’opèrent entre les deux familles. Mais le SI.EN-UNSA ne partage pas le projet fédéral du FSU : il se définit comme plus « réformiste » que le FSU, moins enclin aux oppositions de principe et plus favorable à la « politique dite du compromis, mais qui a au moins l’intérêt de faire avancer les dossiers », explique Patrick Roumagnac.

Voir aussi :

Evaluer les enseignants

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2[…]

Vers une réforme de l’inspection

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2[…]