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Par Jeanne-Claire Fumet

Le Café de pédagogie vivante recevait mercredi 29 septembre, au Café du Lucernaire à Paris, la sociologue Marie Duru-Bellat, pour son dernier ouvrage écrit en collaboration avec François Dubet et Antoine Vérétout. L’occasion pour la sociologue d’évoquer les éléments clés de cette étude comparative sur l’emprise du diplôme et la cohésion sociale : la rigidité d’un système crédentialiste et le revers injuste de la méritocratie.

L’auteur a d’abord rappelé brièvement les thèses principales de l’ouvrage : en particulier, les paradoxes entre niveau « micro » et « macro » des effets de l’école, mais aussi la démesure des attentes concentrées sur l’école, au détriment de la recherche d’autres modes d’égalisation des conditions sociales. En effet, les études chiffrées montrent que les effets individuels bénéfiques (formation plus élevée, meilleure intégration sociale, niveau de salaire et conditions de travail plus satisfaisantes) liées à la réussite scolaire ne se répercutent pas symétriquement à l’échelle globale d’une société. De même qu’un individu plus éduqué se soigne mieux, mais qu’un pays ayant un niveau global d’instruction élevé peut présenter des problèmes de santé (comme au États-Unis), la hausse du niveau d’éducation ne suffit pas à élever le niveau de richesse du pays, ni par conséquent à créer les conditions économiques d’une égalisation des conditions particulières.

Inflation scolaire. Marie Duru-Bellat soutient en effet qu’une élévation d’ensemble du niveau d’étude (au-delà du secondaire, où il atteint dans de nombreux pays un taux voisin de 80%) provoque mécaniquement l’inflation du niveau d’exigence pour un poste équivalent, tandis que la disqualification de ceux qui ne l’ont pas s’en trouve accrue. L’emprise du diplôme, c’est-à-dire la reconnaissance et la valeur des diplômes sur le marché du travail, considérée en général dans nos sociétés comme un facteur de justice, l’indice d’une méritocratie démocratique, fonctionne en réalité en sens inverse : il favorise le durcissement de la reproduction sociale par son impact sur les positions sociales auxquelles il donne accès après l’école.

La sociologue et les profs. Aux interrogations « de terrain » des enseignants, Marie Duru-Bellat s’est efforcée d’apporter l’éclairage abstrait de l’analyse sociologique : l’école ne peut pas supprimer les injustices sociales, en particulier elle est impuissante à compenser l’inégalité initiale des chances. Mais d’autres leviers d’action sont possibles pour que les inégalités de réussite ne deviennent pas un couperet social : le développement et la généralisation de la formation continue, les conditions d’accueil des pré-scolaires, sont des axes de recherche actuels en Europe – dont la France ne semble pas se soucier suffisamment. Par contre, le versant éducatif (l’amélioration de la cohésion au sein de l’école, la constitution d’une communauté scolaire plus accueillante) pourrait apporter de réelles améliorations dans la scolarité des élèves. Mais cependant, la volonté de transformation ne peut pas s’opérer dans l’ignorance des traditions scolaires d’un pays : en France, le modèle républicain de l’école unificatrice et universelle, et l’héritage catholique de la figure du maître savant, constituent des ancrages puissants. La discussion, dans ces domaines qui confinent au « sacré », exige précautions et prudence.

Le prochain rendez-vous du Café de pédagogie vivante :

le 20 octobre, au Café du Lucernaire

53 rue Notre-Dame des Champs – Paris 6 – Métro Vavin.